Au Pôle et autour du Pôle – Dans les glaces – Voyages, explorations, aventures – Volume 17

Chapitre 12EN MARCHE

Ils allaient très gaiement, les Parisiens.

Et les Parisiennes ?

Très rieuses.

C’était amusant en somme.

On faisait étape.

On faisait grande halte.

On bivouaquait.

Très agréable, le bivac.

On allumait les feux.

Le gibier tué en route fournissait rôtis,grillades et viandes cuites au four caraïbe.

Petit-Jaguar, sa femme et Paddy connaissaientet recueillaient des haies, des fruits sauvages, des pointes, descœurs d’arbustes ou de plantes, des herbes aromatiques oucomestibles, genre épinards, des feuilles mêmes.

Grâce à Paddy, on avait emporté du pain, dusel, du poivre.

On cuisinait très finement.

Car, avec de la graisse de différents oiseaux,on accommodait des plats exquis.

Petit-Jaguar et sa femme avaient leursrecettes.

Excellentes.

Paddy avait les siennes.

Parfaites.

On avait pêché des tortues au bord d’unerivière et on avait de cette graisse verte si estimée de cetanimal.

Aussi faisait-on de délicieuses omelettes aveccette graisse et des œufs de canards, d’oies, de cygnes, detortues, d’autres oiseaux et de gros serpents.

Les serpents eux-mêmes fournissaient desgrillades très délicates.

On avait du rhum.

Paddy avait recommandé de ne pasl’oublier.

Et du sucre.

On faisait des grogs.

Quant à la petite comtesse, elle faisait desmots qui amusaient tout le monde et l’on riait beaucoup le soirautour des feux.

Qu’on le croie bien, une pareille vie a soncharme.

On respire un air si pur, des parfumsterrestres si doux, on se sent si libres, si loin des règlesconventionnelles qui étranglent les habitants des villes, on sesent si à l’aise que l’on est heureux.

Et l’on trouve que l’on mange bien meilleurqu’en ville.

Pourquoi ?

Je me le suis expliqué.

Je me suis aperçu que le pain en forêt prenaitun goût particulier.

Je ne pouvais en attribuer la cause au painlui-même.

Donc, il fallait la chercher dans le palais,dans le sens du goût animé par l’air oxygéné des sous-bois.

Les arbres, dans le jour, expirent del’oxygène ; l’air s’en trouve suroxygéné.

De là, une puissance de vie plus grande pourcelui qui respire cet air.

Et, comme la bouche est balayée par cet airlà, elle est surexcitée.

Puis il y a une autre cause.

Un surappétit causé par la marche.

Le chasseur millionnaire déclare que personnene fait une omelette au lard comme la femme de son garde.

Il demande à son, chef ou à sa cuisinière uneomelette au lard « comme à la campagne » ; mais ilne trouve jamais « que c’est ça ! » sans se rendrecompte que l’air suroxygéné et cinq heures de marche ont aiguiséson appétit.

Mais il n’y a pas, dans la marche en pleinair, que « les vains plaisirs de boire et de manger, »comme dit la chanson du Petit Ébéniste.

On a le sentiment que l’on est plus homme,plus près de la nature, plus près de l’état primitif.

On sent qu’on se relève de l’état dedégradation physique où la civilisation à outrance nous a faitdescendre.

On redevient un peu le fier sauvage despremiers temps.

L’humanité reprend ses droits.

Et la femme ou, ce qui est plus vrai, la dameressent ce changement plus que l’homme encore, car la civilisationla déprime plus que nous.

Une dame ?

Qu’est-ce ?

À bien voir, une poupée.

S’habiller, apprendre à se tenir, à parler,dire ceci, non cela, rester sur la réserve, poser, toujours mentirpar son attitude, masquer ses vrais sentiments, voilà ce que l’onappelle l’éducation des jeunes filles.

Très bien, pour les sociétés policées.

Mais archi-faux si l’on se place au point devue nature.

Aussi, quelle joie intime quand, par suited’une aventure comme celle-ci, une femme du monde se senttransformée en femme, en vraie femme, vivant la vraie vie pourlaquelle la nature l’a faite.

Et c’est ce qui était arrivé, au grandmécontentement de M. Désandré.

Que de fois il répéta :

– Ce n’est pas correct ?

À sa femme même :

– Décidément, vous n’êtes plus correcte 1

Mais on se moquait de la correction.

Lui ; non !

La première fois qu’il dit à Paddy :

– On ne passe pas ainsi devant une dame, cen’est pas correct.

Paddy le regarda étonné.

– Qu’est-ce que ça peut faire, demanda-t-il, àune dame que je passe devant elle en courant après mon chapeau quis’est envolé et que le vent roule.

– Ça ne se fait pas.

– Si, puisque je le fais.

– C’est une impolitesse.

– À votre idée !

» Pas à la mienne.

Et Paddy s’en était allé se souciant fort peud’être correct.

Et, comme M. Désandré l’assommaitd’observations, il lui déclara :

– La correction, voyez-vous, je m’en f… iche,et si vous continuez à m’embêter avec ça, je vous déclare que jefinirai par vous dire des choses désagréables.

» Cette gueuse de correction !

» Je m’assois dessus.

Paddy était furieux.

M. Désandré sentit qu’il fallait laisserle trappeur tranquille.

Un soir que la caravane était campée au piedd’une ceinture de rochers, on s’aperçut que ni Paddy, niPetit-Jaguar n’étaient arrivés avec que les autres.

On ne s’en inquiéta pas beaucoup, parce quesouvent ils chassaient.

Mais, à dix heures du soir, ils n’étaient pasencore rentrés.

On commença à craindre quelque fâcheuxaccident.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer