Au Pôle et autour du Pôle – Dans les glaces – Voyages, explorations, aventures – Volume 17

Chapitre 2EN VOYAGE

Le lendemain, tout le monde était exact aurendes-vous.

On monta dans un wagon-salon retenu parM. de Rastignac.

Lui en complet très simple.

La petite comtesse, vêtue comme si elle serendait à une partie de campagne sans cérémonie ; ilsfaisaient toujours simplement les choses, sans affecter lasimplicité.

M. Jellalich était très élégamment vêtucomme toujours.

Point d’exagération toutefois.

Sa femme un peu emmitouflée à la façonallemande.

Mais les Désandré étaient en grande tenue devoyage.

On eût dit que monsieur et madame partaientpour la chasse.

Guêtres, melon pour monsieur, chapeau defeutre pour madame, habits de velours pour tous les deux,ceinturons de cuir jaune, tout le trimbalin prétentieux du chasseurparisien amateur qui veut poser au nemrod.

Et, en sautoir, le sac de voyage.

En poche, le Figaro et le Gaulois, prévenus àtemps, déjà parus…

Et, quand on fut dans le wagon, ils montrèrentles deux feuilles à leurs amis.

– Voyez ! Dans les échos.

» Notre voyage est annoncé !

» On ne va s’occuper que de ça aujourd’huidans Paris.

Et les Désandré passèrent la revue de tousceux « qui en seraient bien étonnés ».

M. Jellalich et M. de Rastignaclurent les journaux.

La petite comtesse s’amusa d’un livre de Gypqui venait de paraître.

Mme Jellalich se délecta d’unroman sentimental.

Deux heures après, on annonçait que ledéjeuner était prêt.

Wagon-restaurant. Excellente cuisine. Bonsvins.

Causerie au fumoir.

Puis, à nouveau, lectures.

Ah ! les riches ont une façon biencommode de voyager.

On arrive sans s’en douter.

On descend au Havre pour s’embarquerimmédiatement.

Oh ! ces paquebots !

Quel luxe !

Cabines confortables, avec toilette etexcellents lits.

Salon et bibliothèques.

Toutes les revues, tous les journauxillustrés, tous les magazines, tous les périodiquesintéressants.

Piano.

Il est rare qu’il n’y ait pas de passagères,de passagers ayant du talent.

On chante.

Le soir, on danse.

Les repas sont succulents et le service estsomptueux.

Puis ce sont les promenades sur le pont et lescauseries à l’arrière.

On se distrait beaucoup par le jeu, et, entemps calme, par des parties de jeu sur le pont.

On fait connaissance avec les passagers, quivous racontent leur histoire.

Il semble, au bout de deux heures, que l’on seconnaît depuis des années.

Mais, une fois à paris, on s’oublie avec unerapidité extraordinaire.

Dans leur traversée, les voyageurs pour lepôle nord, eurent cette chance qu’une troupe d’opéra se rendant àNew-York pour de là faire une tournée en Amérique, était à bord etque cette troupe se composait d’artistes de beaucoup de talent.

Il y eut des représentations, des concerts etl’on passa le temps agréablement.

Peu de roulis.

Point de tangage.

Mer calme.

La Gironde, ce beau navire de 14omètres de long, poussé par ses puissantes machines, dévorait ladistance.

On filait à toute vitesse.

Seuls les grands oiseaux de mer pouvaientsuivre le navire.

Les marsouins, en se jouant, essayèrent delutter.

Si l’on en apercevait un troupeau à l’avant,il était bientôt dans les eaux du paquebot qu’il entourait en selivrant à des sauts désordonnés et amusants :

Mais il glissait dans le sillage, faisaiteffort pour se maintenir, cédait et disparaissait dans lelointain.

Mais toujours les mouettes planaient autour dela Gironde.

Ces oiseaux élégants, d’un vol si noble, d’uneimmense envergure pour leur petit corps, sont attirés par lepoisson que le passage d’un navire attire toujours à lasurface.

Ils adoptent un bâtiment à sa sortie du portet le suivent jusqu’à destination.

On les voit, à certaines heures, devancer levapeur, se poser sur les flots et s’y délasser pour reprendreensuite leur vol.

Mais les gros poissons leur rendent le malqu’ils font aux petits.

Souvent, on entend une bande de mouettes aurepos jeter des cris et s’envoler avec épouvante. C’est un requinou un autre vorace de la mer qui a happé l’une d’elles.

Et les cris de protestation éclatent,éternellement dérisoires.

Tu manges plus petit que toi et tu es mangépar plus gros que toi.

C’est la loi immuable de la nature pour lescarnivores.

Pendant la nuit, les mouettesdisparaissent ; elles dorment sur l’eau.

Vers huit heures du matin, chaque jour, ellesrattrapent le navire.

Aux environs de Terre-Neuve, on eut de vivesinquiétudes.

Brumes épaisses !

Temps bouché !

Ces brumes sont causées par la fonte desicebergs.

Montagnes de glace.

Au printemps et pendant tout l’été, ellesdescendent de la mer de Baffin et vont fondre dans les eaux tièdesdu Gulf-Stream, ce fameux courant d’eaux chaudes qui part du golfedu Mexique et bat Terre-Neuve d’une de ses branches.

Ces icebergs sont des pointes énormes deglaciers situés près des rivages.

On sait comment se forment les glaciers.

Une rivière sort de terre et ses eaux gèlenten région de neiges éternelles.

Cette glace ne fond pas, mais elle s’accumuleet marche, marche lentement, mais marche sans cesse, poussée parl’eau qui en dessous produit une poussée irrésistible.

Le savant Agussiz a indiqué le moyen demesurer la vitesse de marche d’un glacier et il a établi les loisde formation.

Les glaciers poussent, dans la mer, par suitede leur marche, leur pointe qui forme caps de formesdifférentes.

Or, cette pointe augmente toujours, s’enfoncetoujours.

On a cru longtemps que le cap de glaces, lefutur iceberg, à force de peser sur l’eau et d’y proéminer, secassait par suite de sa pesanteur et se détachait du glacier.

Grosse erreur.

C’est tout le contraire. L’eau casse laglace.

Celle-ci étant plus légère que l’eau de mer,de beaucoup, cette eau tend à la repousser ; la pressiondevient si forte, la repoussée en l’air se fait si puissante que lecap se casse, et, détaché du glacier, forme un iceberg qui flotte,et, par suite des vents dominants et des courants, tend toujours àpasser de la mer de Baffin, dans les eaux de Terre-Neuve.

Dès qu’il fait de la brume noire, une brume àcouper au couteau, le triple danger commence et l’angoisse serreles cœurs.

Ni marins, ni passagers n’y échappent.

Les vigies sont doublées.

Le capitaine ne quitte plus la passerelle, caron peut rencontrer un iceberg, la terre ou un autre navire.

On sait comment a péri laBourgogne !

Des trois rencontres, la plus périlleuse estcelle de l’iceberg.

La sirène siffle, mugit, ajoutant lesangoisses de l’oreille aux souffrances de l’œil ; mais lamontagne de glace n’entend rien.

Elle avance sourde et implacable.

Heureusement elle n’est pas tout à fait muetteet le clapotis des vagues avertit la vigie de son approche.

Alors on manœuvre pour l’éviter.

Et le passager voit avec terreur, un spectreblanc de formes très vagues passer à tribord ou à bâbord.

Il entend tout autour les plaintes sinistresdes flots qui rongent la base de l’iceberg ; c’est la mort quifrôle le vapeur en passant près de lui.

Et l’inéluctable loi de la concurrence à toutprix cause les grandes catastrophes, car la lutte est ardente entrecompagnies anglaises, américaines et françaises.

C’est à qui gagnera quelques heures sur lesautres lignes.

On peut faire tous les règlementspossibles ; ils seront impuissants.

Le voyageur veut arriver vite, dût-il yrisquer sa vie.

Et les compagnies doivent tenir compte decette impérieuse volonté.

Le remède ?

Il faudrait une entente internationale pourimposer des routes d’aller et de retour, avec très fortespénalités.

Les Anglais n’en veulent pas. Les Américainsnon plus.

La brume et les icebergs continuent à fairedes victimes.

Mais si la brume se lève, si le soleil éclaireun iceberg.

Quel éblouissement !

Sa forme la plus fréquente est celle d’unvieux château moyen âge, couvert de givre.

Le lent dégel a fait son œuvre de sculpteurhabile.

Il a découpé des clochetons, des tourelles,percé des mâchicoulis, fouillé des poternes.

On tombe en admiration.

Mais le dégel en dessous, par l’eau de mer, arongé la base du château fort.

Le défaut d’équilibre produit son inévitableeffet.

Tout à coup l’iceberg se retourne, soulevantd’énormes vagues et le grand paquebot danse comme une coquille denoix.

Quel spectacle !

Aussi M. Désandré eût-il, en face d’unede ces scènes grandioses, un mot qui était bien d’un sportmanparisien. Il dit :

– C’est aussi beau qu’au théâtre.

Et la petite comtesse qui l’entendit, rectifiarailleusement :

– Presque !

C’était bien là l’opinion de M. Désandré,car il ne protesta.

Bien loin de là !

Il excusa l’insuffisance de la nature endisant :

– Au théâtre, l’effet est toujours plusgrand.

Quand à Mme Désandré ellemanifesta son admiration, par ce mot :

– Ah ! mon ami, quellegaloupette !

Et la petite comtesse de dire :

– Ma chère, les icebergs, voyez-vous, ce sontles clowns de la mer !

Mme Désandré ne sentit pas cequ’il, y avait d’ironique dans ce mot.

– Très joli ! fit-elle. Les clowns de lamer ! Je le retiendrai, celui-là !

Ces bons Désandré !

Ils étaient à bord tout aussi à l’étiquettequ’à Paris.

Toilette matinale.

Toilette de déjeuner.

Toilette d’après-midi.

Toilette de dîner.

Toilette de soirée.

Et tirés à quatre épingles. Plus raides quedes Anglais. Plus compassés !

– Voyons, cher monsieur Désandré, disait lapetite comtesse, ne le faites donc pas tout le temps à la pose pourla dignité.

Mais lui :

– Ma chère enfant, je représente leJockey-Club et vingt-trois sociétés sportives ; je suis forcéde conserver une correction impeccable.

Correction impeccable !

C’était une de ces formules qu’il ramassaitdans un journal et dont il ornait son cerveau vide, comme certainsbourgeois croient orner avec des chromos leurs murs vides detableaux.

Oh ! les snobs !

Race impérissable.

Mais, en somme, le snob est encore uneimportation anglaise.

Nous avions le badaud, le jobard, deuxexcellents types bien français.

Et maintenant, ce triomphe de l’anglomanie,nous avons le snob !

Voilà pourquoi je hais tous les Anglais.

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