Au Pôle et autour du Pôle – Dans les glaces – Voyages, explorations, aventures – Volume 17

Chapitre 6PROVOCATIONS

Pas bondé ce train.

Une trentaine de personnes au plus. Quelquesmarchands de bois, quelques fermiers, des bûcherons, un maîtred’école, des trappeurs et plusieurs commis de factorerie.

Le maître d’école intelligent.

Le seul qui fût bien élevé.

Dès le début, l’entrée du ménage delaware fitsensation.

– Tiens, des Indiens !

– Ici !

» Dans le train !

– En habits d’hommes libres !

– C’est intolérable !

– C’est faire fi de nous que de nous imposerla présence de ces Peaux-Rouges.

– Il faut les faire descendre sur lemarchepied.

Ceux qui parlaient ainsi étaient surtout lescommis des forts.

Tous Anglais.

Les négociants les appuyaient.

Tous Anglais.

Le maître d’école, un Franco-Canadien, setaisait.

Comme lui, des trappeurs de même racerestaient indifférents.

Ainsi s’affirmait la différence qui sépare lesCanadiens Franco-Normands des Canadiens Anglo-Saxons.

Un trappeur irlandais fit une observation etdit avec bon sens :

– Si ces gens-là ont payé leurs places, ilsont les mêmes droits que nous.

– Alors, protesta un des commis, un chiend’Indien serait l’égal d’un blanc comme nous !

» Si vous le pensez, ne le dites que pourvous, master Paddy.

Le trappeur, avec la colère prompte de ceux desa race :

– Je le dis pour vous aussi.

– Eh bien, moi, je vous déclare que je suisfort au-dessus d’un Peau-Rouge.

– C’est une prétention !

– D’où vient alors que la loi ne lui reconnaîtpas les droits d’un citoyen ?

– Parce que les blancs ont fait la loi, lesblancs et surtout les Anglais oppresseurs.

– En quoi, oppresseurs ?

– Oppresseurs de l’Irlande, mon pays.

– Une vieille rengaine.

» Les Irlandais ont les mêmes droits que lesAnglais et les Écossais.

– Oui, mais leurs députés ne formant qu’uneminorité ne peuvent rien.

» Les terres de l’Irlande ont été confisquéeset données aux lords anglais et au clergé anglican ; lemalheureux Irlandais est réduit à crever de faim ou à s’expatriercomme moi.

– Vous n’êtes pas expatrié !

» Le Canada, c’est l’Angleterre.

– C’est la France.

» Un jour cette France vous jettera à lamer.

Des murmures se firent entendre.

Paddy saisit son revolver.

On avait fort envie de le battre ; maisle revolver aurait marché.

L’interlocuteur de Paddy lui tourna le dosbrusquement.

Paddy lui mit la main sur l’épaule et lui ditavec colère :

– Vous savez…

» Je ne serais pas fâché d’engager unepetite affaire avec un Anglais.

» Si vous vous voulez, je suis votrehomme.

Paddy passait pour tireur de premier ordre,même, il faut l’avouer, pour un redoutable duelliste.

L’Anglais lui dit :

– Des balles ne sont pas des raisons. Ils’éloigna.

Paddy se mit à ricaner.

Il fallait bien que l’Anglais se vengeât surquelqu’un.

Il s’aboucha avec ses camarades, puis il allatrouver Petit-Jaguar.

Et, de but en blanc :

– Comment se fait-il, vermine rouge, que tusois monté dans le train ?

– Parce que mon maître a payé ma place.

– Nous n’admettons pas les Peaux-Rouges dansles trains.

» Tu vas descendre sur le marchepied.

Et l’Anglais cria aux autres :

– Ouvrez la portière ! Je vais le jeterdehors.

Et il saisit par le bras le pauvre Delawarequi ne savait que faire.

Il connaissait la lâche brutalité desAnglais.

Tout à coup son adversaire lâcha prise enpoussant un cri.

– Qui m’a frappé ?

– Moi !

C’était Jellalich qui intervenait.

Il avait donné un coup de crosse de revolversur la jointure du poignet de master Deason, l’Anglais, coupdouloureux.

– Ah ! vous m’avez frappé !

– Oui.

» Vous vous êtes permis de faire violence àmon serviteur et je vous châtie.

– Ça va vous coûtez cher.

– Ou à vous.

– Vous me rendrez raison.

– Avec plaisir.

– Au revolver.

– Si vous voulez.

– D’un bout du train à l’autre, liberté des’avancer l’un sur l’autre.

– Ça me va.

– À mort !

– Parbleu !

– Choisissez vos témoins !

Paddy se précipita.

– J’en suis un ! s’écria-t-il.

Et à Jellalich.

» Acceptez-moi.

» Je connais les Anglais.

» Celui-ci, une fois, a tiré avant lecommandement.

» C’est un traître.

» Mais je veux le surveiller.

» Foi de Paddy, s’il devance le signal, je letue.

À l’Anglais :

» Vous êtes prévenu !

En ce moment le comte de Rastignac prit laparole :

– Je suis le second témoin.

» Moi aussi, j’aurai le revolver aupoing !

L’Anglais, master Deason, désigna ses deuxtémoins, deux autres marchands de bois, gens d’assez mauvaisetenue.

Ils le prirent de haut.

Le comte se présenta lui-même et ildemanda :

– Et vous, messieurs ?

– Nous…

» Nous…, quoi.

– Qui êtes-vous ?

– Peu importe ?

» Notre ami Deason va se battre et nousl’assistons.

» Nous n’avons aucun compte à vous rendre.

– J’ai le droit de savoir vos noms.

– Pour mon compte, je m’entête à ne pas direle mien.

Paddy, intervenant :

– N’insistez pas, monsieur le comte. Quand onne veut pas se nommer, c’est que l’on n’est pas avantageusementconnu ; master Crommisch a fait plusieurs fois des faillitesressemblant fort à des banqueroutes.

– Master Paddy, vous m’insultez.

– Je vous dis vos vérités.

– Vous m’en rendrez raison.

– Tout aussitôt après la première affaire.

Le comte, ennuyé que Paddy lui eût soufflé sonadversaire, se tourna vers le second témoin et lui dit :

– J’espère bien que vous serez plus prudentque votre ami.

» Vous direz votre nom.

» Sinon…

– Allez au diable.

» Je ne dirai rien.

– Très bien.

» Ce sera la troisième affaire.

En ce moment, on entendit le bruit d’unealtercation.

C’était M. Désandré qui relevait lespropos désobligeants d’un certain Yripp.

– Monsieur, lui disait-il, je ne peux passupporter les incorrections.

» Vous venez d’en commettre une en disantdevant un Français, des choses désobligeantes pour d’autresFrançais ses amis.

» Ou vous ferez des excuses, ou il y aura unequatrième affaire.

– Eh bien, par les cornes du diable, puisquevous y tenez, je vous crèverai la panse d’une balle.

– Monsieur, ce sont les animaux à deux pattes,aussi grossiers que vous, qui ont une panse ; moi, je suis unhomme.

» Je suis même un gentilhomme, comme vouspourrez vous en convaincre en lisant ma carte.

Et M. Désandré la lui tendit.

Mais Paddy se mit à rire.

– Inutile ! s’écria-t-il…

» Il ne sait pas lire.

» Pour sa correspondance et pour les livres,il a un secrétaire.

On rit, ce qui vexa beaucoup master Yripp.

Cependant le vin était tiré il fallait leboire ou tout au moins le répandre. Ce vin-là était dusang !

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