Chapitre 8APRÈS L’AFFAIRE
– Monsieur le comte !
C’était Paddy qui tiraitM. de Rastignac par la manche.
Il l’entraîna à une table, fit servir deuxverres de wisky, en but un et dit :
– Ça fait du bien, après une affaire.
Puis il demanda :
– Avez-vous réfléchi aux suites ?…
– Ma foi non.
– Arrestation en arrivant à Winipeg,instruction, jury composé des gros de la ville ; monsieur lecomte, nous courons de gros risques, car les morts ont des famillesinfluentes.
» Le duel est défendu.
– Ah diable !
» Et le temps qui passe.
» Et l’hiver qui arrive.
» Et le Mackensie qui va s’embâcler[3] et devenir innavigable !
– Je propose de descendre le plus tôt possibleentre deux stations.
» Nous gagnerons une tribu indienne à laquellenous achèterons des chevaux.
» Et, bien montés, nous rejoindrons, au-dessusde Winipeg, notre vapeur.
» Nous dépêcherons un courrier au capitainequi quittera la ville et nous attendra à un point qu’il indiquerasur le lac.
» Nous embarquerons et nous n’aurons rien àdémêler avec la police et les autorités de la bonne ville deWinipeg.
– Vous parlez d’or.
» Mais nos bagages ?
– Le chef du train, en lui graissant la patte,les fera conduire sans rien dire à bord de notre vapeur.
» Vous les retrouverez là.
– Et ces dames ?
– Elles savent mettre un pied devant l’autre,je suppose.
» Une femme qui danserait toute une nuitmarchera bien tout un jour.
» Du reste, je les ménagerai.
– Très bien ! Vous serez notre guide.
» Mais voilà un duel qui doit changer le coursde vos projets ?
– Pour le moment, je n’ai qu’un projet :éviter le procès.
» Après… je verrai…
– Si vous voulez, je vous engage à notreservice, à frais communs.
– Vous allez au pôle ?
– Oui.
– À ces fameux hôtels dont on commence à tantparler.
– Oui !
– Combien m’offrez-vous ?
– Faites votre prix.
– Trente dollars par mois.
– Vous en aurez cent.
– Alors, monsieur le comte, marchéconclu : topez là !
Il tendit la main.
Le comte topa sans façon.
– Et maintenant, dit Paddy, je vais traiterl’affaire avec le chef de train.
» Il faut qu’il nous dépose entre deuxstations, d’accord avec le mécanicien.
» Carte blanche, n’est-ce pas ?
– Oh ! certainement.
– Eh bien, vous allez voir.
» Attendez-moi là.
» Je ramène le chef de train pour discuterl’affaire.
» Videz donc votre verre et commandez-en troisautres.
– Je les commanderai, mais je ne bois pasvolontiers entre mes repas.
– Bonne habitude pour ceux qui peuvent enprofiter, comme je vais faire.
» Vous permettez ?
Et il vida le verre.
Le comte en sourit.
– Ce Paddy, murmura-t-il, en l’absence dutrappeur, n’est peut-être pas un modèle de sobriété.
» Mais quel débrouillard !
» Je crois que nous avons fait une bonneacquisition.
» Il a bien le droit d’être ivrogne, puisqu’ilest Irlandais.