Corsaire Triplex

Chapitre 2LE CHEF DE LA POLICE DU PACIFIQUE

– Hallo ! Hallo ! Officecentral de la Police de Sydney ?

– !……

– Qui est au téléphone ?

– !……

– Ah bien ! M. Mathewby, chefde la 5e section. Voici des ordres de sir Toby Allsmine,Directeur général pour le Pacifique. – Vous rendre à Little Rock,maison Sonder, saisir les jumelles Folman et procéder àl’arrestation de Folman en personne. Vous comprenez ?

– !……

– Bien. Au revoir.

Appuyant par deux fois sur le bouton de lasonnerie du téléphone, celui qui venait de parler se retourna.C’était un homme de trente-cinq ans environ, de taille moyenne, latournure agréable, bien que sa colonne vertébrale affectât unecourbure prononcée qui conduisait tous les gens mal élevés àdésigner sous le nom de « bossu » M. James Pack,secrétaire particulier de sir Toby Allsmine.

Mais la physionomie de James était siavenante, les yeux bleus si rieurs et si caressants, sa moustacheet ses cheveux blonds si soyeux que les jeunes misses deSydney (Nouvelle-Galles du Sud-Australie) lui disaient volontiersavec la candide liberté des mœurs saxonnes :

– Voulez-vous mariermoi-même ?

Ce à quoi il répondaitinvariablement :

– Je suis le plus obligé, mais jen’ai pas encore le temps devant moi de m’engager dans cetteaffaire.

Et de fait, dans le vaste hall vitré, faisantpartie du domicile particulier de sir Allsmine, le jeune homme, aumilieu des appareils téléphoniques, téléphotiques, télégraphiques,des transmetteurs et récepteurs électriques, des tubes acoustiques,couvrant les murs, qui mettaient la pièce en communication avecl’office central de la police, et par suite avec le monde, au moyendes câbles de Sydney à Port-Darwin et à Sumatra, de Sydney à Nelsonen Nouvelle-Zélande, de Sydney en Tasmanie, le jeune homme,disons-nous, n’avait véritablement pas le loisir de songer aumariage.

Tout le jour, et parfois la nuit, ilconversait avec les agents disséminés sur les côtes de l’océanPacifique, recevant les rapports, transmettant les instructions,veillant au bon fonctionnement des rouages compliqués qui assurentdans cette partie du monde comme dans les autres la suprématie del’Angleterre.

Trois scribes, ou plus exactement troisdactylographistes, c’est-à-dire trois employés experts en l’art demanipuler les machines à écrire, étaient sous les ordres dePack.

L’un d’eux avait levé la tête, et comme Jamesregagnait son bureau :

– Comment, mister Pack, dit-il, on vamettre Folman en incarcération ?

– Oui, Dick.

– Cet homme qui, utilisant les curieusespropriétés des rayons X, a inventé une jumelle photographiquedont les clichés reproduisent seulement les « postiches »des sujets.

– C’est à cause de cela.

– En vérité ?

– Absolument.

Et présentant un carton à son interlocuteur,Pack ajouta :

– Ceci est la cause de l’arrestation.

– Tiens ! s’écria l’employé,curieuse photographie ! Une jambe de bois, une pipe, unrâtelier complet et un nez…

– En argent. C’est le portrait du colonelAwis, obtenu par la jumelle Folman.

Un éclat de rire suivit cette déclaration.

– Or, reprit le secrétaire, le colonels’est fâché, a déposé une plainte pour obtenir une indemnité, vu lepréjudice causé à sa personne physique. Il est bien apparenté enAngleterre, et il importe pour notre chef de ne pas se faired’ennemis en ce moment surtout, où, malgré les ordres formels del’Amirauté, nous ne pouvons mettre la main sur l’introuvableCorsaire Triplex.

À ce nom les dactylographistes devinrentgraves :

– Le damné ! prononcèrent-ils d’uneseule voix.

– Oui certes, le damné, répéta lebossu ; car sûrement Satan a gagé sur son individu.

Et après un temps :

– Vous savez, poursuivit Pack en baissantla voix comme s’il craignait d’être entendu par un invisibleespion ; vous savez que ce corsaire semble avoir le dond’ubiquité. Pour débuter il a, exactement le même jour, à la mêmeheure, détruit trois établissements anglais, situés l’un enAmérique, dans la Colombie britannique ; le second en Asie,non loin de Singapoor ; le troisième sur notre côteAustralienne.

– C’est même après cet exploit quel’Amirauté envoya des instructions précises à sir TobyAllsmine.

– Juste ! Or, hier matin, nousreçûmes trois dépêches en provenance de Nouvelle-Zélande, duterritoire anglais de l’île de Bornéo et de l’île hindoue deCeylan. Il paraît que dans la nuit précédente, le sieur Triplexavait paru dans chaque endroit, s’était emparé chaque fois d’unfonctionnaire britannique et l’avait battu de verges jusqu’àcomplet évanouissement. Auprès de chacune de ses victimes setrouvait une carte de visite portant ces mots :

« Au nom de la justice, le corsaireTriplex bat les subordonnés de l’infâme Allsmine, en attendantqu’il l’atteigne lui-même. »

Les dactylographistes se regardèrent avec unevague émotion :

– Battus de verges, murmura l’un.

– Notre profession est pleine de périls,ajouta le second.

Quant au dernier, après un instant deréflexion, il demanda :

– Quelqu’un a-t-il vu ce mauditcorsaire… ?

– Chut ! chut ! interrompirentles autres, ne parlez pas ainsi de ce capitaine. Pourquoi attirersur nous-mêmes la colère d’un pareil homme ?

Un fugitif sourire passa sur les traits deJames Pack, qui s’empressa de répondre à l’interrogation :

– On l’a vu. Il porte l’uniforme d’unofficier de la marine anglaise, est drapé dans un largemanteau.

– Et sa figure ?

– Ah ! sa figure, on ne la connaîtpas. Il la cache sous un masque vert.

– Un masque vert, ce doit êtreeffrayant.

Tel était l’état d’esprit des scribes que toussursautèrent en entendant la porte s’ouvrir. Mais s’ils avaient cruapercevoir le corsaire sur le seuil, ils furent déçus. Celui quientra était sir Allsmine en personne.

Très grand, assez gros, la face pleine etcolorée, élargie par d’épais favoris roux, les yeux bleus, rusés etcruels, tel se montrait le Directeur de la police du Pacifique.

En ce moment il paraissait très nerveux.Sentant l’orage, les employés reprirent leur travail ; lemartèlement sec des machines à écrire retentit de tous côtés. SirToby marcha droit vers Pack et d’une voix assourdie :

– Eh bien, M. Pack, quellesnouvelles ce matin ?

– Aucune, Sir.

– J’en ai, moi, reprit le Directeur avecun geste de colère… C’est à devenir fou !

Il se pencha à l’oreille de soninterlocuteur :

– Vous savez que je me suis concerté hieravec Lord Boldkin, commandant en chef de notre escadre duPacifique ?

– Vous me le dites, Sir.

– Il fut convenu que tous les naviresdisponibles seraient mobilisés ; que les compagnies dedébarquement occuperaient toutes les côtes placées sous l’influenceanglaise.

– Vous me le dites également.

– Lord Boldkin, dont le pavillon flottesur le cuirassé Ironduke devait appareiller ce matin mêmeafin d’organiser la protection des rivages australiens.

– Oui.

– Un peu avant le lever du jour, ce dignemarin était sur le pont, attendant l’heure où la marée luipermettrait de sortir du port militaire de Farm-Cove. Tout à coup,sans que l’on vît personne, un coffret en bois tombe sur le pont.On l’ouvrit et on y trouva ceci, que lord Boldkin vient dem’adresser.

Il tendait à son secrétaire un papier qu’iltenait à la main.

James y jeta les yeux, et avec une expressionde surprise, lut à mi-voix :

« Digne Lord,

« Vous ne me rencontrerez pas sur votreroute, car je n’ai pas de raison d’être irrité contre vous. Maisvous ferez inutilement tout ce qu’il vous plaira pour m’empêcher depunir l’exécrable Allsmine.

« Corsaire TRIPLEX. »

Comme le jeune homme hochait la tête, sir Tobyreprit :

– Et savez-vous que cela est diabolique.Sur l’ordre du lord, les fanaux électriques furent allumés ;on inspecta ainsi tout le port. Rien, pas une barque, pas un canot.L’équipage est terrifié. Il croit que la boîte est tombée du ciel,jetée par un démon volant.

– Du diable, c’est le cas de le dire,grommela James, du diable s’il n’a pas raison ?

Mais le Directeur de la police haussa lesépaules :

– Allons, monsieur Pack, vous n’allez pascroire à la sorcellerie ?

– Non certainement, Sir, mais cetteaventure est inexplicable.

– Inexplicable en effet.

– Voulez-vous que je vous dise toute mapensée, Sir ?

– Je le veux certainement, monsieurPack.

– Alors, pour mon sens, ce quenous avons fait de mieux, c’est de promettre dans les journaux uneprime de quatre mille livres sterling à qui livrera le Triplex.

– Je l’ai cru aussi, mais depuis huitjours cette annonce a paru et nous n’avons rien appris.

– Attendez, Sir.

– Attendre, attendre, quand l’amirauté…Songez donc que le drôle a eu le front assez haut pourécrire directement à sa gracieuse Majesté… ?

– J’y songe bien, mais quefaire ?

Un même geste découragé indiqua qu’aucun desdeux hommes ne trouvait de réponse à cette question.

À ce moment deux coups légers furent frappés àla porte.

Comme par enchantement, les machines à écrirecessèrent de fonctionner. Un silence de mort régna dans la salle,et la voix du Directeur de la police prononça :

– Entrez.

Une femme parut aussitôt, élégante etgracieuse dans son vêtement noir très simple, présentant en pleinelumière, sous l’auréole dorée de ses cheveux blonds, un visagecharmant, jeune encore, fait pour plaire ; pourtant le hâlebistré qui creusait ses yeux bleus décelait l’habitude des larmes,et les rides légères dont son front pur était coupé trahissaientdes pensées mélancoliques.

– Lady Allsmine, murmurèrent les employésen se levant pour saluer la nouvelle venue.

Le chef de la police eut un mouvementd’impatience et d’une voix sèche :

– C’est vous, Joan, je ne m’attendais pasà vous voir dans ce bureau !

– Ce n’est point ma place en effet, Toby,répondit doucement la jeune femme. Croyez que je n’y viens pointsans un motif grave.

– Et ce motif ?

Joan se rapprocha de lui et toutbas :

– Le Corsaire Triplex, dit-elle.

Allsmine pâlit. Un juron monta à ses lèvres.Instinctivement il porta la main à son revolver que, de même quetous ses compatriotes, il portait dans une poche de sonpantalon.

Du geste elle l’arrêta :

– Passons dans la pièce voisine. J’aiamené quelqu’un qui vous instruira.

Inclinant la tête, sir Toby fit signe à JamesPack de le suivre. Précédés par la jeune femme, tous deuxquittèrent le bureau, laissant les dactylographes se livrer auxconjectures de la curiosité déçue.

Ils parcoururent un long couloir etpénétrèrent dans un petit salon blanc et or, meublé de fauteuils,canapés, chaises, recouverts d’étoffes aux teintes claires.

Là ils s’arrêtèrent stupéfaits. Assis sur unpouf, les jambes croisées, un garçonnet d’une quinzained’années semblait très occupé à transformer en chapeau une grandeaffiche jaune, sur laquelle des caractères d’imprimerie dessinaientleurs noires arabesques.

Étrange était le garçon couvert d’un vieuxdolman marron et d’une culotte de même couleur, les piedsemprisonnés dans des plaques de cuir fauve repliées, retenues pardes rubans d’un bleu passé enroulés autour de ses jambes bruniespar le hâle.

Mais plus curieuse encore apparaissait lafigure du singulier gamin. Les traits délicats, réguliers, labouche petite, le nez droit, le front lisse et blanc, les longscheveux d’or bouclés s’échappant d’un béret crânement posé enarrière, eussent formé un ensemble d’une exquise beauté, si lesyeux d’un vert foncé, très allongés, n’avaient laissé échapper unregard vague, inconscient ; le regard de ceux dont l’âme estabsente ; le regard des fous ou des simples d’esprit.

– Eh mais ! c’est Silly, fit James àl’oreille de son supérieur.

– Silly ?

– Oui, le petit idiot qui vagabonde dansle pays, vivant de charité, aujourd’hui ici, demain ailleurs.

L’enfant n’avait pas paru s’apercevoir del’entrée des personnages. Avec application, il continuait à plierson papier pour lui donner la forme désirée.

– Alors c’est un faibled’esprit ?

– Oui, c’est cela.

Non sans surprise, sir Toby tourna vers safemme un regard interrogateur. Celle-ci comprit :

– Vous désirez savoir pourquoi je vous aiamené cet enfant. Je vais vous expliquer cela. Vous savez que monamie Alida Lewis est malade. Ce matin, à la première heure, je fisatteler la Victoria et je me rendis chez la pauvre chèresouffrante. Sa santé étant en progrès, je revenais ici,lorsque près des Docks, un attroupement fit obstacle au passage dela voiture.

Lady Allsmine jeta un coup d’œil sur le petitSilly, qui fixait un plumet monumental à son chapeau de papierenfin achevé, puis elle poursuivit :

– C’était des ouvriers du port, quientouraient cet enfant en riant et proférant des plaisanteriespopulaires.

– J’entends. Vous l’avez tiré de leursmains…

– Demeurez tranquille, je ne suis pasà la fin de ce que j’ai à dire. Silly très sérieux collait surla muraille une affiche semblable à celle qu’il porte encore.

Et comme le gamin s’était levé et que, deboutdevant la glace il essayait son chapeau avec des mines satisfaites,Mistress Joan s’empara de l’une des affiches, la déplia et permitainsi à son mari ainsi qu’à James Pack de lire l’étrangeproclamation que voici :

« Habitants de Sydney. Mes frères,

« Les journaux, les gens de police, vouseffraient beaucoup trop de mon nom. Vous n’avez pas la moindrechose à craindre de moi. Je fais seulement la guerre au Directeurindigne de la police du Pacifique, lequel, au lieu d’être appelé àrendre la justice, devrait lui être livré. Cela, je pense, arriveraprochainement, mais en tout état de cause, vous, mes frères, nesubirez aucun dommage

« de votre dévoué

Signé : « Corsaire TRIPLEX. »

Allsmine était devenu écarlate. Ses yeuxmenaçants se portèrent sur le gamin, toujours campé devant lemiroir, mais Joan l’arrêta :

– Une minute encore, voulez-vous. Cepetit est privé d’intelligence ; il ne saurait êtreresponsable, et puis il m’a rendu service.

– À vous ? grommela le Directeur lesdents serrées.

– À moi, appuya-t-elle. La foule m’avaitreconnue. Insolente et gouailleuse, elle entourait la voiture. Deshommes plaisantaient. Ah ! ah ! la police a peur, elleenvoie les femmes pour combattre le Corsaire. Je commençais àm’inquiéter, quand Silly tourna la tête. Il me vit, posa à terre leseau plein de colle et le pinceau dont il était muni, puis s’élançad’un bond sur le marche-pied. Un instant il me considéra de sonregard étonné : Tu es bonne, dit-il doucement, très bonne.Silly te défendra. Donne-moi ta main. Je la lui tendis, il la portaà ses lèvres. Un immense éclat de rire accueillit ce geste :Bravo, Silly, Bravo ! Mais le petit se redressa, un éclairdans les yeux, les narines agitées d’une palpitationdédaigneuse : Tenez vos langues, fit-il avec colère.Les hommes du port ne savent-ils respecter une dame. Celle-ci estla protégée de Silly. Silly ne veut pas qu’on lui causenuisance.

– Jolie protection, gronda sir Toby enhaussant les épaules.

– Protection efficace, cependant. Noscompatriotes ont un respect presque superstitieux pour les fous etles faibles d’esprit. Tous se turent, le peuple s’écarta et permitainsi à mon cocher Gap de remettre la voiture en marche. Sillys’était assis à côté de moi. Il me tenait toujours la main enrépétant : Bonne, ah ! oui, bonne. Et je vous l’ai amené,pensant que vous pourriez apprendre du pauvre innocent comment onl’avait chargé de si dangereuse besogne.

– Par l’orteil de Satan, s’exclama leDirecteur de la police, votre pensée est droite, Joan. Jevais interroger ce jeune drôle. Qu’en dites-vous, Pack ?

– Que j’approuve grandement, répliqua lesecrétaire.

Sir Toby était déjà auprès du gamin et, luifrappant sur l’épaule :

– Silly, dit-il. Silly, écoute moi.

L’enfant se retourna vers lui.

– Bonjour, gentleman, bonjour. Letemps est petit, vous savez, et j’essaie mon chapeau degénéral.

– Il ne s’agit pas de cela, mon ami. Toutà l’heure, tu appliquais sur les murs des Docks, des affiches…

– J’appliquais des affiches, murmura legamin d’un air surpris, mais se souvenant : Ah ! oui,avec un pinceau, que je trempais dans un seau…

Il s’arrêta soudain et promena autour de luiun regard inquiet :

– À ce propos… où est-il mon seau ?je l’ai perdu… Mon seau… Mon seau…

La face contractée, prêt à pleurer, Sillyparcourait le salon, regardant sous les meubles.

– Eh ! s’écria Toby avec uncommencement d’impatience, il n’y a pas là de quoi nousoccuper.

– Pas de quoi ?… Ah ! vous nel’avez pas vu. Plein de colle… le soleil tapait dessus et celafaisait de jolies couleurs.

Pack se pencha à l’oreille duDirecteur :

– Il faut lui céder, sans cela nous n’entirerons rien.

– Lui céder ?

– Me permettez-vous de luiparler ?

– Très bien, faites.

Aussitôt, le secrétaire empoigna l’innocentpar le bras et doucement :

– Ne te trouble pas Silly. On te donneraun autre seau.

– Un autre ? redit le gamin dont lafigure se rasséréna.

– Oui, et plus grand.

– Avec de la colle et unpinceau ?

– Oui.

L’enfant fixa ses grands yeux sur ladyAllsmine.

– C’est vrai ? interrogea-t-il.

– Oui, fit-elle de sa voix douce ettriste.

– La dame dit que c’est vrai… alors jevous crois. Quand me le donnerez-vous ?

– Quand tu auras répondu à ce que j’ai àte demander.

Le petit se mit à rire :

– Silly répond toujours quand on luiparle. Silly n’est pas malhonnête.

Pack échangea un regard avec son chef, puis ilreprit :

– Ce matin, Silly, tu collais desaffiches. Pourquoi ?

– Pour m’amuser donc. Vous n’avez jamaiscollé du papier, vous ?

– Je n’ai pas le temps.

– Ah ! tant pis ! tantpis !

– Mais qui t’avait chargé de les coller,ces affiches ?

– Qui ?… mais lui… l’homme.

– Quel homme ?

– Je ne sais pas.

– Enfin, comment était-il cethomme ?

– Comme tous les hommes… il avait surtoutdes jambes… il courait.

Un geste de colère échappa à sir Toby. Ildevenait évident que l’on ne tirerait aucun éclaircissement dumalheureux idiot.

Pourtant James fit une dernièretentative :

– Que t’a dit cet homme ?

– Ceci : Silly, prenez ces papiers,ce seau. Amusez-vous à coller les feuilles sur les murs.

L’enfant s’était arrêté.

– Et c’est tout ?

– Tout… Ah ! non – et se frappant lefront – Silly n’a pas la mémoire longue – il aajouté : Vous porterez aussi cette lettre à sir TobyAllsmine.

Tous tressaillirent, pressentant qu’ilstouchaient au point intéressant de l’interrogatoire.

– Quelle lettre ? demanda Pack.

Sans un mot, Silly fouilla dans les poches desa vareuse et en tira une enveloppe sur laquelle s’étalait en groscaractères le nom du Directeur de la police du Pacifique.

Celui-ci avança la main pour la prendre, maisd’un saut l’idiot se mit hors de portée :

– Je ne dois pas vous remettre cela,dit-il, c’est pour sir Allsmine.

– Je suis sir Allsmine.

– Cela est vrai, mon enfant, ajoutaJoan.

– Ah ! bien, déclara le gamin. Vousle dites aussi. Alors prenez la lettre.

Sir Toby ne se fit pas répéter l’invitation.D’une main impatiente, il décacheta la missive, tandis que Joan etle secrétaire se plaçaient à côté de lui, afin de parcourir en mêmetemps cette correspondance si singulièrement parvenue à sonadresse.

« Excellence, disait la missive, je suisforcé par le Corsaire Triplex de procéder à l’affichage de saproclamation. Sous peine de mort, je dois obéir. Mais je désireêtre sauvé des griffes de ce terrible personnage. Ce soir, il y afête dans les docks, après la vente annuelle des marchandisesrestées en souffrance. Triplex y sera. Soyez-y aussi pourl’arrêter. Le moment venu, je me présenterai pour guider vosrecherches. Gardez le silence sur ceci, car une parole imprudenteamènerait le trépas de votre serviteur. »

Un cri de triomphe jaillit des lèvres duDirecteur de la police :

– Nous irons, monsieur Pack, et nousaurons la tête de ce pirate. Vous aviez raison de compter surl’annonce de notre prime de 4.000 livres. Ces bandits tiennentleurs hommes par l’argent… C’est par l’argent qu’il faut lescombattre. Ce soir, à la fête des Docks. Venez, monsieur Pack,venez, nous allons arrêter les dispositions utiles.

Le secrétaire s’inclina, mais avant de suivreson chef, il s’approcha de Silly qui, appuyé à une fenêtre donnantsur le vaste jardin de l’habitation, semblait absorbé par lacontemplation des fleurs.

– Au revoir Silly, dit James. Vous êtesun bon garçon, pressez les mains avec moi.

Et dans un vigoureux shake-hand, il glissaentre les doigts de l’enfant un objet que Silly fit prestementdisparaître dans sa poche, sans que personne s’aperçût de sonmouvement.

Puis les deux hommes ayant disparu, l’innocentvint à lady Joan.

– Et mon seau ? murmura-t-il d’unton quémandeur. La dame m’a promis un seau.

Elle sourit et, caressant les cheveux dupetit :

– Accompagne-moi, Silly, je te feraidéjeuner et te remettrai le jouet auquel tu tiens tant. Cela tesera agréable de déjeuner ?

– Oui, oui. Vous êtes bonne. Vous savez,Silly a faim souvent et maintenant aussi. Vous êtes bonne.

Devant cette détresse si naïvement exprimée,Joan ressentit une émotion soudaine, elle se pencha vers ledéshérité, appuya ses lèvres sur son front et l’emmena dans sesappartements situés à l’aile opposée des bâtiments.

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