Figures et choses qui passaient

LA GROTTE D’ISTURITZ

Toutes les grottes du monde se ressemblentplus ou moins ; leurs galeries, leurs stalactites, leurs dômessont de même architecture. Les mêmes mystérieux Génies, – ceux quiinventent les formes des lentes cristallisations, ceux quiprésident aux métamorphoses de la matière inorganique, – ont prissoin de diriger, pendant des millénaires, avec des patienceséternelles, leur ornementation blanche.

Celle d’Isturitz mérite d’être vue, bien qu’ilen existe assurément de plus étonnantes.

***

 

Elle est située au cœur du vieux pays basque,où nous nous enfonçons par des chemins ombreux, à travers desravins et des bois. A mi-côte, elle s’ouvre dans le flanc d’unemontagne sauvage.

D’abord il nous faut grimper par des petitslacets, au milieu des roches, des sources, entre des tapis odorantsde menthes et d’œillets. La contrée d’alentour, à mesure que nousnous élevons, se découvre pareille jusque dans ses lointains :pastorale, toute d’ombre et de paix, avec de grands bois, et, çà etlà, de vieilles petites églises noyées dans les arbres.

Un trou, fermé par un pan de maçonnerie et parune porte quelconque, c’est l’entrée de la grotte.

Le paysan d’Isturitz, qui nous guide, nousouvre avec une grosse clef, – et tout de suite nous pénétrons dansle mystère des régions souterraines, dans le noir, dans l’humiditéfroide, dans le silence aux sonorités effrayantes.

Nous descendons dans le gouffre par une penteroide. De plus en plus, au-dessus de nos têtes les plafondss’élèvent, et les flammes de nos bougies y sont absolument perdues,comme dans les ténèbres d’une cathédrale.

Nous voici dans la grande nef. Au milieu,malgré cette obscurité de rêve où tremblent nos petites lumières,on distingue vaguement quelque chose de gigantesque, qui se dressedans une pose presque humaine ; c’est tout blanc et laiteux,cela semble un colosse en albâtre qui essaierait de toucher lavoûte avec sa tête.

Notre guide jette aux pieds de ce personnageune botte de paille qu’il avait apportée ; tout à l’heure il ymettra le feu, et ce sera le grand spectacle final.

Auparavant il veut nous emmener dans plusieursgaleries latérales où sont pétrifiées toutes les variétés de ceschoses ou de ces êtres qui hantent les cauchemars. Les stalactites,aux aspects infiniment changeants, sont groupés là par familles,par formes à peu près semblables, comme si les Génies de la grotteavaient pris la peine de les classer.

Telle galerie est consacrée plus spécialementaux franges légères, si fines quelquefois qu’on les briserait enles touchant ; elles descendent de partout comme une pluiefigée, elles pendent de la voûte en guirlandes innombrables :franges de toutes les tailles, très longues ou très courtes, qui seséparent ou s’emmêlent, avec une surprenante diversité decaprice.

Ailleurs, ce sont comme de longs doigts blancsde cadavre, tantôt ouverts, tantôt crispés en griffe ; ondirait des collections de bras et de mains, les uns absolumentgéants, qui seraient appliqués, enchevêtrés, superposés à profusioncontre les parois froides. Mais jamais un angle vif, jamais unearête nulle part ; tout est d’un même aspect de crème quiexclut l’idée de dureté : on s’attend à ce que cela cède sousla moindre pression et on est surpris, quand on y touche, par cetterigidité de marbre.

Çà et là un monstre, également blanc, desilhouette inquiétante, se dresse ou s’accroupit, imprévu au milieud’une allée, ou bien tapi dans un recoin d’ombre… Et, si l’on songeque la moindre de ces immobiles bêtes a dû demander pour le moinsdeux mille ans de travail aux Génies décorateurs du lieu, on enarrive à des conceptions de patience, à des conceptions de durée unpeu écrasantes pour nos brièvetés humaines…

Ailleurs, enfin, c’est la région des grossesformes animales arrondies et molles : entassements de trompeset d’oreilles d’éléphants, monceaux de larves, d’embryons humains àtêtes énormes sans yeux, tout le déchet d’on ne sait quelsenfantements n’ayant pas pu prendre vie… Et toujours ces êtresisolés, séparés de la masse confuse des germes, assis n’importe où,membres ballants et oreilles pendantes.

***

 

Quand nous revenons dans la première nef,notre guide allume son feu de paille, et l’obscurité lourde s’enva, se recule dans les bas-côtés, dans les couloirs profonds d’oùnous venons de sortir. A la lueur de cette flamme rouge, la hautevoûte de cathédrale se révèle, apparaît toute festonnée etfrangée ; les piliers se dessinent, ouvragés curieusement duhaut en bas ; le colossal spectre blanc, entrevu tout àl’heure à l’arrivée, semble tout à fait une femme drapée dans desvoiles, et son immense ombre monte, descend, danse sur les paroisde ce lieu un peu effroyable…

Alors on reste confondu devant la raison deschoses, devant l’énigme des formes, devant le pourquoi de cettemagnificence étrange, édifiée dans le silence et les ténèbres, sansbut, au hasard, à force de centaines et de milliers d’années, pard’imperceptibles suintements de pierres

***

 

Au sortir de la grotte, c’est une impressionjoyeuse que de retrouver l’air pur et chaud du dehors, la verduredes chênes, les grands horizons boisés, la lumière etl’espace ; au lieu de l’humidité sépulcrale d’en dessous, labonne senteur saine des menthes et des œillets sauvages ; aulieu de la chute goutte à goutte des eaux mortes, dans le silenced’en bas, le bruit gai des torrents, qui sont des eaux vivantes etdans le lointain, les clochettes des troupeaux qui rentrent deschamps. Pour un instant furtif, on est tout à 1 ‘ivresse derespirer et de voir, et le pays d’alentour, si tranquille et sivert, semble un Eden…

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