Figures et choses qui passaient

TROIS JOURNEES DE GUERRE EN ANNAM

I. A BORD

17 août 1883.

L’escadre se réunit dans la baie de Tourane.L’attaque des forts et de la ville de Hué sera pour demain.

Aucune communication avec la terre. La journéese passe en préparatifs. Le thermomètre marque 33°, 5 au vent et àl’ombre. De hautes montagnes entourent la baie, rappelant lesAlpes, moins leurs neiges. Dans le lointain, sur une langue desable, on aperçoit la ville de Tourane : un assemblage dehuttes basses, en bois et en roseaux. On s’occupe à bord d’équiperles hommes des compagnies de débarquement, de leur délivrer àchacun vivres, munitions, sac, bretelle de fusil, etc., même deleur faire essayer leurs souliers. Les matelots sont gais comme degrands enfants, à cette idée de débarquer demain, et cespréparatifs semblent absolument joyeux.

Pourtant, les insolations et les fièvres ontdéjà fait parmi eux bien des ravages ; de braves garçons, quitout dernièrement étaient alertes et forts, se promènent têtebasse, la figure tirée et jaunie.

Dans l’après-midi, on voit arriver de terre uncanot portant des mandarins vêtus de noir, l’un d’eux abrité sousun immense parasol blanc. Ils vont conférer à bord de l’amiral ets’en retournent comme ils étaient venus.

A cinq heures, réunion et conseil descapitaines, à bord du Bayard. Orage et pluie torrentielle.

Les matelots passent la soirée à chanter, plusgaiement que de coutume. On entend même les vieux sons aigres d’unbiniou, que des Bretons ont apporté.

***

 

Samedi, 18 août.

A neuf heures du matin, l’escadre (Bayard,Atalante, Annamite, Château-Renaud, Drac, Lynx, Vipère) sort enligne de file de la baie de Tourane, par un temps lumineux etsplendide, traverse une légion de jonques de pêcheurs voilées enailes de papillon, et fait route vers Hué, la capitale del’Annam.

A deux heures vingt, l’escadre arrive devantl’entrée de la rivière de Hué. Au premier plan, une côte de sable,étincelante dans le soleil, quelques cocotiers aux panaches verts,quelques maisons aux toits arqués dans le goût chinois. Un seulgrand fort apparent, gardant l’entrée de la rivière, où la merbrise.

L’escadre s’approche avec précaution, ensondant, mouille le plus près possible, et s’embosse, en hissantles pavillons français, pour commencer le bombardement.

Le fort répond bravement, en hissant lepavillon jaune d’Annam. On dirait un fort moderne, bien construitet casematé, mais on n’y aperçoit pas de canons. Quelquespersonnages apparaissent aux embrasures, ayant l’air de flâner etde nous regarder fort tranquillement ; leur résistance sansdoute ne sera pas sérieuse, et on s’attend à les voir fuir aupremier coup de nos canons.

Au-dessus de la ligne brillante des sables,les montagnes forment un fond obscur qui monte très haut dans leciel, et se découpe en sombre sur la grande lumière bleue.

Cinq heures et demie du soir.

Un premier obus lancé par le Bayard donne lesignal du feu. Il tombe en plein sur le fort annamite, soulevantune trombe rougeâtre de sable et de gravier. De tous les bâtimentsde l’escadre, le bombardement commence, régulier et méthodique,chacun tirant sur le point précis qui lui a été indiqué hier.Quelques minutes se passent, et, à terre, rien ne bouge ;vraisemblablement les Annamites se sont sauvés.

Mais voici tout à coup de petites lueursrapides, qui éclatent aux embrasures du fort, accompagnées defumées blanches ; c’est la riposte, on tire sur nous.

Il y a même, ailleurs, des canons en quantité,de petites batteries qu’on ne voyait pas, qui étaient échelonnéestout le long de la côte dans le sable, et qui font feu tantqu’elles peuvent.

Mais ce sont des boulets ronds, qui ne portentpas jusqu’à nous. Ils tombent à moitié route, en laissant desremous dans l’eau. Les avisos seuls, qui se sont approchésdavantage, peuvent en recevoir par raccroc quelques-uns ; –les cuirassés, trop éloignés, les regardent venir sanscrainte ; on les voit sautiller sur l’eau, en faisant desricochets, comme des paumes d’enfant, et puis disparaître enchemin.

Bientôt de grandes flammes rouges commencent àmonter, derrière le fort de Thouane-An ; c’est un incendie quenos obus ont allumé là-bas, ce sont des villages quiflambent ; cela gagne vite, et cela monte très haut, avec uneépaisse fumée.

Le bombardement continue. Malgré le roulis quigêne notre tir, les obus pleuvent sur les Annamites, chaviranttout ; mais eux tiennent toujours et précipitent leur feu.Assurément, ils sont braves.

Sept heures du soir.

La nuit est presque venue ; c’est lalueur du village brûlé qui nous guide pour notre tir. Des nuagestrès épais se sont amoncelés sur les montagnes de l’Annam ;cela forme un immense fond noir, avec des éclairs qui se promènentdessus ; en bas, au ras de la mer, toujours les petites lueursrapides des canons tirant sur nous. Une grosse lune jaune, qui selève très embrouillée de nuages, éclaire mal la situation ; –on commence à ne plus rien voir. L’amiral, signale de cesser lefeu, et tout se tait.

Mais les Annamites ont riposté jusqu’à la fin,avec une force de résistance inattendue, et les pavillons du roiTu-Duc flottent toujours sur la plage.

C’est demain matin, dimanche, au petit jour,que nous devons tenter le débarquement de vive force ; – on apréparé, avec des bambous, les ponts, les radeaux, tout le matérielnécessaire. Les matelots ont toujours leur entraininsouciant ; – mais les gens raisonnables se préoccupent unpeu de ce coup de main, avec si peu de monde, au milieu desbrisants, sur une plage garnie de canons et de soldats. Vu de près,cela semble moins facile qu’hier, quand on en causait àTourane.

***

 

Dimanche 19 août.

Branle-bas à quatre heures du matin, Lescompagnies de débarquement prennent à la hâte les armes, lesmunitions, les vivres. On embarque dans les canots les pièces decampagne et les canons-revolvers.

Cinq heures et demie.

Contre-ordre de l’amiral, débarquementajourné. Des baleinières de l’escadre sont allées dans la nuit à laplage examiner les brisants qui sont trop dangereux aujourd’hui.Avant le soleil levé, les hommes sont désarmés, le matérielramassé, et l’on commence à bord des navires, comme si de rienn’était, le grand lavage traditionnel du dimanche.

Au petit jour, l’air est si pur qu’ondistingue à terre, jusque dans les lointains, les moindres détailsdes choses.

Les longues-vues sondent le fond de la rivièrede Hué : de grands arbres, des palmiers verts, et, de distanceen distance, des pavillons d’Annam, indiquant des forts et desbatteries. On n’aperçoit rien de la ville, où, prétend-on, la têtedu pauvre commandant Rivière serait encore exposée en placepublique, au bout d’une perche.

Voici un mouvement de troupes sur le sable dela plage, Des gens sortent du fort de Thouane-An, que nous avonsbombardé hier ; ils sont habillés de noir et coiffés de grandschapeaux chinois blancs, en forme de champignon : on voitleurs armes briller au soleil : ce sont des soldats de l’arméerégulière du roi Tu-Duc. Ils commencent à traverser la rivière surun bac, pour se concentrer en face dans un fort de la rive sud. LeBayard leur envoie des obus ; il en résulte des paniques, deschutes dans l’eau ; on les voit courir comme des fous sur lesable. Mais le mouvement continue toujours, et les forts annamitesse mettent à nous riposter.

Ce matin, à notre surprise, leurs projectilesarrivent jusqu’à nous et sifflent en l’air avec un bruit pareil àcelui des nôtres. Evidemment, ce sont des pièces rayées qui nousles envoient. Ils n’en avaient pas hier, ils ont dû les établirpendant la nuit.

Un projectile traverse la hune de la Vipère,un autre enfonce les tôles du Bayard, et frappe un matelot dans lapoitrine. Alors, au signal de l’amiral, le bombardement généralrecommence.

Pas de roulis aujourd’hui ; les pièces del’escadre, parfaitement pointées, portent toutes en plein sur lesbatteries annamites, qui doivent être écrasées. A chacun de noscoups, on voit voler des tourbillons de sable et de pierres. Leurfeu ne tient pas dix minutes. Au haut d’une demi-heure, nouscessons aussi le nôtre, la terre ne ripostant plus.

Il est onze heures. Ce sera une journée derepos pour les matelots, qui en ont besoin ; on donne à bordle coup de sifflet bien connu :. « L’équipage aux sacs,les jeux sont permis ! » Les batteries de l’escadre,salies par la poudre, la fumée, l’eau boueuse des écouvillons,n’ont pas leur aspect habituel, leur réjouissante propreté dudimanche ; mais il y passe aujourd’hui une bonne brise de mer,pas trop chaude, très respirable. Au lieu de prendre leurs sacs,les matelots, fatigués par quelques journées de travail excessif etde veilles, se couchent à plat pont et s’endorment. Les bâtimentsdeviennent silencieux comme de grands dortoirs.

A huit heures du soir, conseil de guerre àbord du Bayard. – Les brisants se sont beaucoup calmés ; lesforts annamites, deux fois bombardés, ne doivent plus être en étatd’opposer une résistance très longue ; le débarquement estdécidé pour demain matin, et les marins se couchent bien vite, afind’avoir un peu le temps de dormir avant le branle-bas qu’on doitleur faire à quatre heures.

Les officiers du corps de débarquement sontdésignés d’avance d’après certaines règles fixes, d’après leurancienneté et leurs fonctions à bord ; ceux qui doivent resterpour la manœuvre et le service des batteries sont donc préparésdepuis longtemps à cette privation et l’acceptent sansmurmures.

Pour les matelots, il y a plusd’arbitraire ; bien des gabiers, qui n’avaient pas étédésignés d’abord, ont réussi aujourd’hui à se substituer à d’autresmoins dégourdis qu’eux, et partiront à leur place. Il s’agit demainmatin de s’emparer de toute la rive gauche de la rivière de Hué,qui est la partie la plus sérieusement fortifiée de la côte.Indépendamment des petites batteries disposées çà et là dans lesable, il y a le grand fort circulaire du Sud qui garde l’entrée decette rivière avec une quarantaine d’embrasures à canons ;puis, la batterie du Magasin-au-Riz, et enfin, en remontanttoujours vers le nord-ouest, le fort extrême du nord. Tous, plus oumoins abîmés par les obus, mais sans doute réparés pendant la nuitet capables encore de recommencer le feu.

Nuit splendide. Les bâtiments de l’escadrepromènent sur la terre de grands jets de lumière électrique quidoivent effrayer beaucoup les Annamites. Pendant ce temps-là, lesbaleinières françaises sondent l’entrée de la rivière, et explorentles brisants de la plage.

***

 

Lundi 20 août, quatre heures du matin.

Branle-bas. – Nuit close. Le corps dedébarquement déjeune à la hâte, s’arme, prend ses munitions et deuxjours de vivres. Quelques poignées de main, quelques petitesrecommandations échangées entre ceux qui partent et ceux quirestent ; – puis, on s’embarque dans les canots. Toutes lespièces de l’escadre sont pointées sur la côte, prêtes à fairefeu.

Cinq heures trente.

Au petit jour, les pavillons français sonthissés en tête de chaque mât ; le vacarme du bombardementrecommence. La terre ne répond pas. Les dunes font tout le long del’horizon une ligne blanche ; les montagnes d’Annam dessinentau-dessus, dans le ciel qui s’éclaire, de hautes découpuresviolettes.

Cinq heures cinquante.

Toute la flottille des canots se met enmarche. Temps très pur, absolument calme. Le soleil se lève sous depetits nuages couleur d’or. Le jour est venu tout d’un coup, commeil est de règle dans les pays des tropiques. Tous les détails desmontagnes s’accentuent en rose et en bleu. On voit, au-dessus desdunes, les cocotiers verts, les batteries, les villages, lespagodes, les maisons aux toits ornés de découpures. Dans tout celarien ne bouge, et nos obus semblent tomber sur un paysabandonné.

Six heures vingt.

Les compagnies de débarquement du Bayard et del’Atalante arrivent à la plage, commencent à mettre pied à terrepar les brisants, en se mouillant beaucoup. Un instantd’anxiété : des navires de l’escadre, on distingue nettementdes rangées de têtes annamites qui apparaissent au-dessus des duneset que les marins débarqués ne peuvent pas voir ; ces gens lesattendent là, dans des tranchées. Le Lynx, le plus rapproché, leurenvoie un feu de salve qui semble en abattre une vingtaine ;les autres se baissent.

C’est près du fort du Nord, en face d’unvillage, qu’a lieu ce débarquement. Tout à coup, de derrière lesdunes, part une pluie de bombettes enflammées, avec quelquesprojectiles et des morceaux de ferraille. Personne n’est blessé.Les bombettes sont presque inoffensives, elles retombent toutdoucement sur le sable comme de petits météores. Les matelotsmontent en courant sur les dunes, rencontrent les Annamites dans latranchée, font feu sur eux, puis les chargent à la baïonnette.Instantanément, toute cette première bande jaune est en fuite. Unmillier d’hommes, peut-être, se sauvent devant cette poignée dematelots. La compagnie de débarquement de l’Atalante court sur lefort du Nord. Des Annamites en sortent brusquement, s’avancent,font feu sans tuer personne, puis reculent et se sauvent.

Six heures quarante.

La compagnie de l’Atalante est dans le fort duNord. Le pavillon annamite est amené et le premier pavillonfrançais hissé à sa place par le lieutenant de vaisseau Poidloüe,commandant la compagnie. Les marins poursuivent les Annamites dansla direction du nord-ouest.

Sept heures.

L’artillerie de débarquement et le premiergroupe d’infanterie de marine mettent pied à terre. Les canotsreviennent pour faire un second transport. Une nouvelle batterieannamite, établie dans le sable, ouvre le feu contre la Vipère quilui répond. Les obus ont mis le feu au village nord, qui commence àflamber.

Sept heures trente.

La batterie annamite du Magasin-au-Riz ouvrele feu. Les obus ont allumé un second incendie, celui-cimagnifique : village, pagode, tout brûle avec d’immensesflammes rouges et des tourbillons de fumée.

Sept heures quarante.

Le second convoi d’infanterie de marine metpied à terre ; toute l’artillerie est débarquée et hissée surla crête des dunes. Les troupes françaises se massent,perpendiculairement à la plage, face au sud, se disposant à marchersur les grands forts.

Sept heures cinquante.

Un incendie est allumé par les obus del’escadre dans le fort circulaire du Sud. Toutes les troupesfrançaises sont massées ; l’artillerie de débarquement ouvrele feu contre les forts. Au nord, toutes les maisons brûlent.

Huit heures.

Les troupes françaises se divisent et seportent en avant vers le sud.

Huit heures trente-cinq.

Les premiers groupes français arrivent, peunombreux, à la batterie du Magasin-au-Riz, et font un feuprécipité.

Huit heures quarante.

Ils reculent de quelques pas ets’abritent : le fort circulaire tire sur eux. L’escadreaccélère le bombardement

Huit heures quarante-cinq.

Le corps de débarquement signale de terre auvaisseau amiral (au moyen de pavillons de timonerie hissés à uneperche) : « Demande de cesser le feu sur lesforts. » Le vaisseau amiral répond en signalant àl’escadre : « Cessez le feu ! »

Huit heures cinquante.

Un moment de serrement de cœur pour ceux quiregardent du bord : les Annamites sortent en masse duMagasin-au-Riz et font un feu assez rapide contre les premiersgroupes français, qui reculent et se jettent tous à terre, dans lesable.

Huit heures cinquante-cinq.

On recommence à respirer. Tous les Français sesont relevés. Pas un n’est blessé sans doute, car ils courenttous ; ils courent sur les Annamites sans leur laisser letemps de recharger leurs armes. D’ailleurs, des renforts dematelots et de soldats d’infanterie de marine leur arrivent parderrière. Les Annamites se sauvent à toutes jambes, toujours versle sud, et ils se réfugient dans un pâté de maisons sur lequel leurpavillon flotte. Les Français courent après eux.

Neuf heures.

De l’escadre, on ne voit pas bien ce qui sepasse, au milieu de ces maisons et de ces arbres. On y entend unefusillade très vive, et le pavillon d’Annam tombe. Les Françaiscontinuent de courir en avant, vers le fort circulaire du sud. Lesoleil commence à beaucoup monter et la chaleur devientterrible.

Neuf heures cinq.

On entend l’artillerie française, qui estarrivée à Thouane-An (le dernier village au sud), faire feu, toutprès du fort circulaire. Le village de Thouane-An s’allumebrusquement d’un seul coup et se met à flamber comme un immense feude paille.

Neuf heures dix.

Les Français sont entrés par deux côtés à lafois dans le grand fort circulaire que les obus de l’escadre ontdéjà rempli de morts. – Les derniers Annamites qui s’y étaientréfugiés se sauvent, dégringolent des murs, absolumentaffolés : quelques-uns se jettent à la nage, d’autres essayentde passer la rivière dans des barques, ou à gué, pour se réfugiersur la rive du sud. Ceux qui sont dans l’eau essaient de se couvrirnaïvement avec des nattes, des boucliers d’osier, des morceaux detôle. Les marins cessent de tirer, par pitié, et les laissentfuir ; il y aura bien assez de cadavres dans le fort, àdéblayer ce soir avant l’heure de se coucher.

Le grand pavillon jaune d’Annam, qui flottaitdepuis deux jours, est amené, et le pavillon français monte à saplace. – C’est fini ; toute la rive nord est prise, balayée,brûlée. En somme, une matinée, heureuse et glorieuse, admirablementconduite.

Du côté des Annamites, environ six cents mortsjonchent les chemins et les villages.

De notre côté, une dizaine de blessés à peine,pas un mort, pas même une blessure désespérée.

Neuf heures quinze.

Le Bayard, vaisseau-amiral, fait monter seshommes dans les haubans et crier : « Hurrah ! »– Tous les bâtiments de l’escadre imitent l’amiral.

Et puis, partout, le calme se fait. – On va sereposer du moins jusqu’à ce soir.

Les troupes débarquées demandent à l’escadredu vin et de l’eau qu’on leur envoie, et puis s’installent àl’ombre.

On était admirablement placé à bord poursuivre de haut et comme sur un plan tous les mouvements del’attaque. Maintenant, avec les longues-vues, on distingue lesdétails, les costumes, les attitudes, les épisodes.

Un gabier se promène gravement, le long de laplage, sous un grand parasol de mandarin.

Un Annamite, qui jouait le mort sur le sable,est rencontré par un matelot porteur d’un baril, qui le menace dudoigt comme on menace les gamins. L’Annamite lui fait humblementtchin tchin et lui embrasse les pieds, demandant grâce.

Le matelot a bon cœur et se laissetoucher :

– Seulement, par exemple, tu vas porter monbaril.

Il lui place l’objet sur les épaules et s’enfait accompagner comme d’un groom.

Plus un souffle dans l’air. L’accablement demidi commence à régner partout. La mer immobile brille et chauffepar en dessous comme un miroir. La ligne des dunes est sous lesoleil d’une blancheur fatigante ; deux ou trois cadavresannamites se dessinent sur le sable ; des moutons et desporcs, chassés par les incendies, passent sur eux en courant ;un pauvre chien qui, sans doute, n’a plus de maître, galope dedroite et de gauche, ayant l’air d’avoir perdu la tête. Derrièreles sables, les montagnes d’Annam pâlissent sous une espèce de buéechaude, et le bleu du ciel est comme terni de chaleur.

On n’entend plus rien. Seulement les villagesbrûlent toujours avec de longues flammes très rouges ; leursfumées montent tout droit, à d’étonnantes hauteurs, tant l’air estcalme ; au milieu de tout cet éblouissement de bleu, ellesressemblent à de gigantesques colonnes noires.

Encore une petite canonnade vers trois heuresdu soir. L’escadre a changé de mouillage et est venue se poster enface de l’embouchure de la rivière. Les forts annamites de la rivesud tirent sur la Vipère et le Lynx qui sont allés mouiller toutprès de la barre, pour être en position de la franchir demainmatin. L’escadre riposte, et le feu cesse.

La nuit est absolument calme. On voit, tout lelong de la côte, la lueur des villages annamites, qui flambent auclair de lune jusqu’au matin.

Autour de ces feux, il doit se passer decurieuses choses. Mais ils sont très lointains, et du bord on nepeut plus rien voir…

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