Là-bas

Chapitre 9

 

Le lendemain, il s’éveilla comme il s’était, la nuit précédente,endormi, en pensant à elle. Il commença de nouveau à se ratiocinerdes épisodes, à se remâcher des conjectures, à s’alléguer descauses; une fois de plus, il se posait cette question: pourquoi,lorsque j’allais chez elle, ne m’a-t-elle pas laissé voir que jelui plaisais? Jamais un regard, jamais un mot qui me scrutât, quim’enhardît; pourquoi cette correspondance? Alors qu’il était sifacile d’insister pour m’avoir à dîner, alors qu’il était si simplede préparer une occasion qui pût nous mettre, chez elle ou sur unterrain neutre, en présence.

Et il se répondait: ç’eût été plus banal et moins drôle! Elleest peut-être retorse en ces matières; elle sait que l’inconnueffare la raison de l’homme, que l’âme fermente dans le vide, etelle a voulu m’enfiévrer l’esprit, le démanteler, avant que detenter, sous son vrai nom, l’attaque.

Il faut avouer qu’elle serait, si ces prévisions sont justes,étrangement roublarde. Au fond, elle est peut-être, tout bonnement,une romantique exaltée ou une comédienne; ça l’amuse de sefabriquer de petites aventures, d’entourer d’apéritives salaisonsde vulgaires plats.

Et Chantelouve, le mari? – Durtal y songeait maintenant. Ildevait surveiller sa femme dont les imprudences pouvaient faciliterses pistes; puis, comment faisait-elle pour venir à neuf heures dusoir, alors qu’il semblait plus aisé, sous prétexte de course aubon Marché ou de bain de se rendre chez un amant, dans l’après-midiou le matin?

Cette nouvelle question demeurait sans réponse; mais peu à peu,il ne s’interrogea même plus, car l’obsession de cette femme lejeta dans un état semblable à celui qu’il avait éprouvé, lorsqu’ilhennissait si furieusement après l’inconnue qu’il s’était imaginée,en lisant des lettres.

Celle-là s’était complètement évanouie, il ne se rappelait mêmeplus sa physionomie; Mme Chantelouve, telle qu’elle étaitréellement, sans fusion, sans emprunt de traits, le tenait toutentier, lui chauffait à blanc la cervelle et les sens. Il se prit àla désirer follement, aspirant à ce lendemain promis. Et si elle nevenait pas? Se dit-il. Il eut froid dans le dos à cette idéequ’elle ne pourrait s’échapper de chez elle ou qu’elle voudrait lefaire poser, pour l’aiguiser davantage.

Il est grand temps que cela finisse, se dit-il, car cette choréed’âme n’allait pas sans certaines déperditions de force quil’inquiétaient. Il craignait, en effet, après l’agitation fébrilede ses nuits, de se révéler, le moment venu, comme un paladin bientriste!

Il s’agit de ne plus penser à cela, reprit-il, en allant chezCarhaix, où il devait dîner avec l’astrologue Gévingey et desHermies.

ça va me changer le cours de mes idées, murmurait-il, en montantà tâtons dans l’obscurité de la tour. des Hermies, qui l’entendaitgrimper, ouvrit la porte, jeta dans la nuit en spirale un pinceaude jour.

Durtal atteignit le palier, vit son ami, sans veston, en manchede chemise, le corps enveloppé d’un tablier.

– Je suis, comme tu vois dans le feu de la composition! Et ilguettait une marmite qui bouillonnait sur le fourneau, enconsultant ainsi qu’un manomètre sa montre accrochée à un clou. Ilavait le regard bref et sûr du mécanicien qui surveille sa machine.- Tiens, dit-il, en soulevant le couvercle, regarde. Durtal sepencha et, au travers d’un nuage de vapeur, il aperçut dans lespetites vagues du pot, un torchon mouillé.

– C’est ça le gigot?

– Oui, mon ami; il est cousu dans cette toile si étroitement quel’air n’y peut entrer. Il cuit dans ce joli court-bouillon quichante et dans lequel j’ai jeté, avec une poignée de foin, desgousses d’ail, des ronds de carottes, des oignons, de la muscade,du laurier et du thym! Tu m’en diras des nouvelles, si… Gévingey nese fait pas trop attendre, car le gigot à l’anglaise ne supportepas d’être en charpie.

La femme de Carhaix survint.

– Entrez donc, mon mari est là.

Durtal l’aperçut qui nettoyait ses livres. Ils se serrèrent lamain; Durtal feuilleta, au hasard, les volumes époussetés sur latable.

– Ce sont, demanda-t-il, des ouvrages techniques sur le métal etsur la fonte des cloches ou sur la partie liturgique qui lesconcerne?

– Sur la fonte, non; il est parfois question dans ces bouquins,des anciens fondeurs, des saintiers, comme on les appelait dans lebon temps; vous y découvrirez, çà et là, quelques détails sur desalliages de cuivre rouge et d’étain fin; vous y constaterez même,je crois, que l’art du saintier est en déchéance depuis troissiècles; cela tient-il à ce qu’au moyen age surtout, les fidèlesjetaient dans la fonte des bijoux et des métaux précieux etmodifiaient ainsi l’alliage; ou bien est-ce parce que les fondeursn’implorent plus Saint Antoine L’Ermite, alors que le bronze boutdans la fournaise? Je l’ignore; toujours est-il que les clochesmaintenant sont créées à la grosse; elles ont des voix sans âmepersonnelle, des sons identiques; elles ne sont plus que des bonnesindifférentes et dociles, tandis qu’autrefois elles étaient un peucomme ces très antiques servantes qui faisaient partie de lafamille dont elles éprouvaient les douleurs et les joies. Maisqu’est-ce que cela fait au clergé et aux ouailles? Ces auxiliairesdévouées du culte ne représentent actuellement aucun symbole!

Et tout est là, pourtant. Vous me demandiez, il y a quelquesinstants, si ces livres traitaient, au point de vue de la liturgie,des cloches; oui, la plupart expliquent, par le menu, le sens dechacune des parties qui les composent; les interprétations sontsimples et peu variées, en somme.

– Ah! et quelles sont-elles?

– Oh! si cela vous intéresse, je vais vous le résumer enquelques mots.

D’après le Rational de Guillaume Durand, la dureté du métalsignifie la force du prédicateur; la percussion du battant contreles bords, exprime l’idée que ce prédicateur doit se frapper,lui-même, pour corriger ses propres vices, avant que de reprocherleurs péchés aux autres. Le mouton ou le bélier de bois auquel estsuspendue la cloche représente par sa forme même la croix du Christet la corde, qui servait autrefois à la tirer, allégorisait lascience des ecritures qui découle du mystère de la croix même.

Les liturgistes plus anciens nous révèlent des symboles presquesemblables. Jean Beleth, qui vivait en 1200, déclare aussi que lacloche est l’image du prédicateur, mais il ajoute que sonva-et-vient, lorsqu’on la met en branle, enseigne que le prêtredoit, tour à tour, élever et abaisser son langage, afin de le mieuxmettre à la portée des foules. Pour Hugues De Saint-victor, lebattant est la langue de l’officiant qui heurte les deux bords duvase et annonce ainsi, à la fois, les vérités des deux testaments;enfin, si nous nous adressons au plus ancien peut-être desliturgistes, à Fortunat Amalaire, nous trouvons simplement que lecorps de la cloche désigne la bouche du prédicateur et le marteau,sa langue.

– Mais, fit Durtal un peu désappointé, ce n’est pas… commentdirai-je… très profond.

La porte s’ouvrit.

– Comment va? Dit Carhaix, en serrant la main de Gévingey qu’ilprésenta à Durtal.

Tandis que la femme du sonneur achevait de mettre la table,Durtal examina le nouveau venu.

C’était un petit homme, coiffé d’un feutre noir et mou,enveloppé de même qu’un conducteur d’omnibus dans un caban àcapuchon de drap bleu.

La tête était en oeuf, toute en hauteur. Le crâne ciré ainsiqu’au siccatif, paraissait avoir poussé au-dessus des cheveux quipendaient dans le cou, durs et semblables aux filaments d’un cocosec; le nez était busqué, les narines s’ouvraient en de largessoutes sur une bouche édentée que cachait une épaisse moustachepoivre et sel comme la barbiche qui allongeait un menton court; aupremier abord, il suggérait l’idée d’un ouvrier d’art, d’un graveursur bois ou d’un enlumineur d’images de sainteté ou de statuespieuses; mais, à le regarder plus longtemps, à observer ces yeuxrapprochés du nez, ronds et gris, presque bigles, à scruter sa voixsolennelle, ses manières obséquieuses, l’on se demandait de quellesacristie toute spéciale sortait cet homme.

Il se déshabilla, apparut dans une redingote noire decharpentier en bois; une chaîne d’or à coulants, passée autour ducou, se perdait, en serpentant, dans la poche gonflée d’un vieuxgilet; mais ce qui interloqua Durtal ce fut quand Gévingey exhibases mains qu’il mit complaisamment en évidence, dès qu’il se futassis, sur ses deux genoux.

Elles étaient boudinées, énormes, tiquetées de points orange,terminées par des ongles laiteux et coupés ras; elles étaientcouvertes d’énormes bagues dont les chatons tenaient toute unephalange.

Au regard de Durtal, qui fixait ces doigts, il sourit:

– Vous examinez, monsieur, ces bijoux de prix. Ils sont forméspar trois métaux, l’or, le platine et l’argent. Cette bague-ciporte un scorpion, le signe sous lequel je suis né; celle-là, avecses deux triangles accouplés, l’un, la tête en haut et l’autre, lapointe en bas, reproduit l’image du macrocosme, du sceau deSalomon, du grand pantacle; quant à cette petite que vous voyez,poursuivit-il, en montrant une bague de femme enchassée d’un minimesaphir entre deux roses, c’est un souvenir qui me fut offert parune personne dont je voulus bien tirer l’horoscope.

– Ah! fit Durtal, un peu étonné par cette suffisance.

– Le dîner est prêt, dit la femme du sonneur. Des Hermies,débarrassé de son tablier, pincé dans ses vêtements de cheviotte,moins pâle, coloré aux joues par le feu du fourneau, avança leschaises.

Carhaix servit le potage et chacun se tut, prenant sur le bordde l’assiette, des cuillerées moins chaudes; puis la femme apportaà Des Hermies, pour qu’il pût le découper, le fameux gigot.

Il était d’un rouge magnifique, coulait en de larges gouttes,sous la lame. Tout le monde s’extasia lorsqu’on eut goûté cetterobuste viande qu’aromatisait une purée de navets fondus,qu’édulcorait une sauce blanche aux câpres.

Des Hermies s’inclina sous l’averse des compliments. Carhaixemplissait les verres et, un peu gêné par Gévingey, il le comblaitd’attentions, pour lui faire oublier leur ancienne brouille. DesHermies l’aida et voulant être aussi utile à Durtal, il amena laconversation sur les horoscopes.

Alors Gévingey put officier. De son ton satisfait, il parla deses immenses travaux, des six mois de calculs qu’exigeait unhoroscope, de la surprise des gens lorsqu’il déclarait qu’uneoeuvre pareille n’était pas payée par le prix qu’il en réclamait,par cinq cents francs. Je ne puis cependant donner ma science pourrien, conclut-il.

– Mais, aujourd’hui l’on doute de l’astrologie qui fut révéréedans l’antiquité, reprit-il, après un silence. Au moyen ageégalement, elle fut quasi sainte. Voyez, au reste, messieurs, leportail de Notre-dame de Paris; les trois portes que lesarchéologues qui ne sont point initiés à la symbolique chrétienneet occulte, désignent sous le nom de porte du jugement, de porte dela Vierge, de porte de Sainte-anne ou de Saint-marcel, représententen réalité, la mystique, l’astrologie et l’alchimie, les troisgrandes sciences du moyen age. Aujourd’hui on trouve des gens quidisent: êtes-vous bien sûr que les astres aient une influence surla destinée de l’homme? – Mais, messieurs, sans entrer ici dans desdétails réservés aux adeptes, en quoi cette influence spirituelleest-elle plus étrange que l’influence corporelle que certainesplanètes, telles que la lune, par exemple, exercent sur les organesde la femme et de l’homme?

Vous qui êtes médecin, Monsieur Des Hermies, vous n’ignorez pasqu’à la Jamaïque, les Drs Gillespin et Jakson, que dans les IndesOrientales, le Dr Balfour ont constaté l’influence desconstellations sur la santé humaine. A chaque changement de lune,le nombre des malades augmente: les accès aigus de fièvreconcordent avec les phases de notre satellite. Enfin les lunatiquesexistent; assurez-vous dans les campagnes à quelles époques lesfous divaguent! – Mais à quoi cela sert-il de vouloir convaincreles incrédules? Ajouta-t-il, d’un air accablé, en contemplant sesbagues.

– Il me semble pourtant que l’astrologie remonte sur l’eau, ditDurtal; il y a maintenant deux astrologues qui tirent deshoroscopes, près des annonces des remèdes secrets, aux quatrièmespages des journaux.

– Quelle honte! Ceux-là ne savent même pas le premier mot decette science; ce sont de simples farceurs, qui espèrent ainsigagner des sous; à quoi bon en parler, puisqu’ils n’existent mêmepas! Au reste, il faut bien le dire, il n’y a plus qu’en Amériqueet en Angleterre où l’on sache établir le thème généthliaque etédifier un horoscope.

– J’ai bien peur, fit Des Hermies, que non seulement cessoi-disant astrologues, mais encore que tous les mages, que tousles théosophes, que tous les occultistes et kabbalistes de l’heureactuelle ne sachent absolument rien; – ceux que je connais sont, àn’en point douter, de parfaits ignares et d’incontestablesimbéciles.

– Et c’est la pure vérité, messieurs! Ces gens sont, pour laplupart, de vieux feuilletonnistes ratés ou des petits jeunes gensqui cherchent à exploiter le goût d’un public que le positivismeharasse! Ils démarquent Eliphas Lévi, pillent Fabre D’Olivet,écrivent des traités sans queue ni tête, qu’ils seraient bienincapables d’expliquer eux-mêmes. C’est une vraie pitié quand on ysonge!

– D’autant qu’ils rendent ridicules des sciences qui, dans leurfatras, contiennent certainement des vérités omises, ditDurtal.

– Puis ce qui est lamentable encore, fit Des Hermies, c’estqu’en plus des jobards et des sots, ces petites sectes abritentaussi d’horribles charlatans et d’affreux hâbleurs.

– Péladan, entre autres. Qui ne connaît ce mage de camelote, ceBilboquet du Midi! s’écria Durtal.

– Oh! celui-là…

– En somme, voyez-vous messieurs, reprit Gévingey, tous ces genssont incapables d’obtenir dans la pratique un effet quelconque; leseul dans ce siècle qui, sans être alors un saint ou un diabolique,ait pénétré dans le mystère, c’est William Crookes.

Et comme Durtal paraissait douter de la vérité des apparitionsaffirmées par cet Anglais et déclarait qu’aucune théorie ne lespouvait expliquer, Gévingey pérora:

– Permettez, monsieur, nous avons le choix entre des doctrinesdiverses et, j’ose le dire, très nettes. – ou bien l’apparition estformée par le fluide dégagé du médium en transe et combiné avec lefluide des personnes présentes; -ou bien, il y a dans l’air desêtres immatériels, des élémentals comme on les nomme, qui semanifestent dans des conditions à peu près sues; – ou bien encore,et c’est là la théorie spirite pure, ces phénomènes sont dus auxâmes évoquées des morts.

– Je le sais, dit Durtal, et cela me fait horreur. Je sais aussiqu’il y a le dogme Hindou des migrations d’âmes qui errent après lamort. Ces âmes désincarnées vagabondent jusqu’à ce qu’elles seréincarnent et qu’elles parviennent, d’avatars en avatars, à unepureté complète. Eh bien, cela me paraît suffisant de vivre, unefois; j’aime mieux le néant, le trou, que toutes ces métamorphoses,ça me console plus! Quant à l’évocation des morts, la pensée seuleque le charcutier du coin peut forcer l’âme d’Hugo, de Balzac, deBaudelaire, à converser avec lui, me mettrait hors de moi, si j’ycroyais. Ah non, tout de même, si abject qu’il soit, lematérialisme est moins vil!

– Le spiritisme, c’est, sous un autre nom, l’anciennenécromancie condamnée, maudite par l’Eglise dit Carhaix.

Gévingey regarda ses bagues, puis il vida son verre.

– En tout cas, reprit-il, vous avouerez bien que ces théoriessont soutenables, celle des élémentals surtout qui, satanisme mis àpart, semble la plus véridique, la plus claire. L’espace est peupléde microbes; est-il plus surprenant qu’il regorge aussi d’espritset de larves? L’eau, le vinaigre, foisonnent d’animalcules, lemicroscope nous les montre; pourquoi l’air, inaccessible à la vueet aux instruments de l’homme, ne fourmillerait-il pas, comme lesautres éléments, d’êtres plus ou moins corporels, d’embryons plusou moins mûrs?

– C’est peut-être pour cela que les chats regardent tout à coup,avec curiosité dans le vide et suivent des yeux quelque chose quipasse et que nous ne pouvons voir, dit la femme de Carhaix.

– Non, merci, dit Gévingey, à Des Hermies qui lui offrait dereprendre d’une salade de pissenlits aux oeufs.

– Mes amis, fit le sonneur, vous n’oubliez qu’une doctrine – laseule – celle de l’église qui attribue à satan tous cesinexplicables phénomènes. Le catholicisme les connaît de longuedate. Il n’a pas eu besoin d’attendre les premières manifestationsdes esprits qui se sont produites, en 1847, je crois, auxEtats-unis, dans la famille Fox, pour décréter que les espritsfrappeurs relevaient du diable. Il y en a eu dans tous les temps.Vous en trouverez dans Saint Augustin la preuve, car il dut envoyerun prêtre pour faire cesser, dans le diocèse d’Hippone, des bruits,des bouleversements d’objets et de meubles analogues à ceux quesignale le spiritisme. Au temps de Théodoric aussi, Saint Césairedébarrassa une maison hantée par des lémures. Il n’y a, voyez-vous,que deux cités, celle de Dieu et celle du diable. Or, comme Dieuest en dehors de ces sales manigances, les occultistes, lesspirites, satanisent plus ou moins, qu’ils le veuillent ou non!

– N’empêche, dit Gévingey, que le spiritisme a accompli unetâche immense. Il a violé le seuil de l’inconnu, brisé les portesdu sanctuaire. Il a opéré dans l’extranaturel, une révolutionsemblable à celle qu’effectua, dans l’ordre terrestre, 1789 enFrance! Il a démocratisé l’évocation, il a ouvert toute une voie;seulement il a manqué de chefs initiés et il a remué au hasard,sans science, les bons et les mauvais esprits; il y a de toutdésormais en lui, c’est le gâchis du mystère, si l’on peutdire!

– Le plus triste de tout cela, fit Des Hermies, en riant, c’estque l’on ne voit rien. Je sais que des expériences ont réussi, maiscelles auxquelles j’assiste font long feu et ratent.

– Ce n’est pas surprenant, répondit l’astrologue, en étalant surson pain de la gelée d’orange confite et sure, la première loi àobserver dans la magie et dans le spiritisme, c’est d’éloigner lesincrédules, car bien souvent leur fluide contrarie celui de lavoyante ou du médium!

– Alors comment s’assurer de la réalité des phénomènes? se ditDurtal.

Carhaix se leva. – Je suis à vous, je reviens dans dix minutes;et il endossa sa houppelande et son pas se perdit dans l’escalierde la tour.

– C’est vrai, il est huit heures moins le quart, murmura Durtalen consultant sa montre.

Il y eut un moment de silence dans la pièce. Au refus de tous dereprendre du dessert, Mme Carhaix enleva la nappe, étendit unetoile cirée sur la table. L’astrologue faisait tourner autour deses doigts ses bagues, Durtal pétrissait une boulette de mie depain, Des Hermies, penché d’un côté, tirait de sa poche collée surla hanche, sa blague japonaise et roulait des cigarettes.

Puis tandis que la femme du sonneur souhaitait bonne nuit auxconvives et se retirait dans sa chambre, Des Hermies apporta labouillotte et la cafetière.

– Veux-tu que je t’aide? proposa Durtal.

– Oui, si tu veux chercher les petits verres et déboucher lesbouteilles de liqueurs, tu me rendras service.

Tout en ouvrant l’armoire, Durtal vacilla, étourdi par les coupsde cloches qui ébranlaient les murs et rebondissaient dans lapièce, en bôombant.

– S’il y a des esprits dans la chambre, ils doivent êtresingulièrement concassés, fit-il, en déposant sur la table lespetits verres.

– La cloche dissipe les fantômes et chasse les démons, réponditdoctoralement Gévingey qui bourra sa pipe.

– Tiens, dit Des Hermies à Durtal, verse lentement l’eau chaudedans le filtre, car il faut que je bourre le poêle; la températurebaisse ici, j’ai les pieds gelés.

Carhaix revint, souffla sa lanterne.

– La cloche était en voix, ce soir, par ce temps sec; – et il sedébarrassa de son passe-montagne et de son paletot.

– Comment le trouves-tu? questionna des Hermies, s’adressant àvoix basse à Durtal, et désignant l’astrologue perdu dans sa fuméede pipe.

– Au repos, il a l’air d’un vieux hibou et quand il parle, il mefait songer à un pion disert et triste.

– Un seul! fit des Hermies à Carhaix qui lui montrait au-dessusde son verre à café, un morceau de sucre.

– Vous vous occupez, monsieur, paraît-il, d’une histoire deGilles De Rais? Demanda Gévingey à Durtal.

– Oui, je suis plongé pour l’instant avec cet homme dans lesassassinats et les luxures du satanisme.

– Ah mais! s’écria Des Hermies, nous allons même faire appel, àce propos, à votre haute science. Vous seul pouvez renseigner monami sur l’une des questions les plus obscures du diabolisme!

– Laquelle?

– Celle de l’Incubat et du Succubat.

Gévingey ne répondit pas tout d’abord.

– Cela devient plus grave, fit-il enfin. Ici, nous abordons unsujet autrement redoutable que celui du spiritisme. Mais monsieur,est-il déjà au courant de cette question?

– Dame! il sait surtout que les avis diffèrent! Del Rio, Bodin,par exemple, considèrent les incubes comme des démons masculins quise couplent aux femmes et les succubes comme des démones qui fontavec l’homme oeuvre de chair.

D’après leurs théories, l’incube, prend la semence que l’hommeperd en songe et s’en sert. De sorte que deux questions se posent:la première, celle de savoir si un enfant peut naître de cetteunion; cette procréation a été jugée possible par les docteurs del’église qui affirment même que les enfants issus de ce commercesont plus pesants que les autres et qu’ils peuvent tarir troisnourrices sans engraisser; la seconde, celle de savoir quel est lepère de cet enfant, du démon qui a copulé avec la mère ou del’homme dont la semence fut prise. Ce à quoi, Saint Thomas répond,par des arguments plus ou moins subtils, que le vrai père est nonl’incube mais l’homme.

– Pour Sinistrari d’Ameno, observa Durtal, les incubes et lessuccubes ne sont pas précisément des démons, mais bien des espritsanimaux, intermédiaires entre le démon et l’ange, des sortes desatyres, de faunes, tels qu’en révéra le paganisme; des espèces defarfadets et de lutins tels qu’en exorcisa le moyen age. Sinistrariajoute qu’ils n’ont que faire de polluer l’homme endormi, attenduqu’ils possèdent des génitoires et sont doués de vertusprolifiques…

– Oui, et il n’y a pas autre chose, dit Gévingey. Goerres, sisavant, si précis, dans sa mystique naturelle et diabolique, passerapidement sur cette question, la néglige même, comme faitl’église, du reste, qui se tait, car elle n’aime pas à traiter cesujet et elle voit d’un mauvais oeil le prêtre qui s’en occupe.

– Pardon, dit Carhaix, toujours prêt à défendre l’église, ellen’a jamais hésité à se prononcer sur ces ordures. L’existence dessuccubes et des incubes est attestée par Saint Augustin, par SaintThomas, par Saint Bonaventure, par Denys Le Chartreux, par le papeInnocent VIII, par combien d’autres! Cette question est doncrésolument tranchée et tout catholique est tenu d’y croire; ellefigure aussi dans les vies de saints, si je ne me trompe; dans lalégende de Saint Hippolyte, Jacques de Voragine raconte qu’unprêtre, tenté par un succube nu, lui jeta son étole à la tête etqu’il ne resta devant lui que le cadavre de quelque femme morte quele diable avait animé pour le séduire.

– Oui, dit Gévingey, dont les yeux pétillèrent. L’églisereconnaît le succubat, j’en conviens; mais laissez-moi parler etvous verrez que mon observation a sa raison d’être!

– Vous savez très bien, messieurs, reprit-il, s’adressant à DesHermies et à Durtal, ce que les volumes enseignent; mais depuiscent ans, tout a changé et si les faits que je vais vous dévoilersont parfaitement connus par la curie du pape, ils sont ignorés parbien des membres du clergé et vous ne les trouverez, dans tous lescas, consignés dans aucun livre.

A l’heure actuelle, ce sont moins souvent les démons que desmorts évoqués qui remplissent l’imperdable rôle d’incube et desuccube. Autrement dit, jadis, dans le cas du succubat, il y avaitpour l’être vivant qui le subissait, possession. Par l’évocationdes morts qui joint au côté démoniaque le côté charnel atroce duvampirisme, il n’y a plus possession dans le sens strict du mot,mais c’est bien pis. Alors l’église n’a plus su que faire; ou ilfallait garder le silence ou révéler que l’évocation des morts,déjà défendue par Moïse, était possible et cet aveu étaitdangereux, car il vulgarisait la connaissance d’actes plus facilesà produire maintenant qu’autrefois, depuis que, sans le savoir, lespiritisme a tracé la route!

Aussi l’Eglise s’est tue. – Et Rome n’ignore point cependantl’effroyable développement qu’a pris de nos jours l’incubat dansles cloîtres!

– Cela prouve que la continence est dans la solitude terrible àsupporter, fit des Hermies.

– Cela prouve surtout que les âmes sont faibles et ne saventplus prier, dit Carhaix.

– Quoi qu’il en soit, pour vous édifier complètement, messieurs,sur cette matière, je dois diviser les êtres atteint d’incubat etde succubat en deux classes:

La première est composée de personnes qui se sont vouées,elles-mêmes et directement, à l’action démoniaque des Esprits.Celles-là sont assez rares; elles meurent, toutes, par le suicide,ou par l’une des formes de la mort violente.

La seconde est composée de gens auxquels l’on a imposé, par voiede maléfice, la visite de ces esprits. Ceux-là sont très nombreux,surtout dans les couvents que les sociétés démoniaques assiègent.Ordinairement, ces victimes finissent par la folie. Les maisonsd’aliénés en regorgent. Les médecins, la plupart des prêtres mêmene se doutent pas de la cause de leur démence, mais ces cas-là sontguérissables. Un thaumaturge que je connais a sauvé bien desmaléficiés qui hurleraient, sans lui, sous le fouet des douches! Ily a certaines fumigations, certaines exsufflations, certainscommandements portés en amulettes et écrits sur une feuille deparchemin vierge et par trois fois béni, qui presque toujoursfinissent par délivrer le malade!

– Une question, demanda des Hermies, la femme reçoit-elle lavisite de l’incube, pendant qu’elle dort ou pendant qu’elleveille?

– Il faut établir une distinction. Si cette femme n’est pasmaléficiée, si c’est elle qui a voulu s’accoler volontairement à unesprit de vice impur, elle est toujours éveillée lorsque l’actecharnel a lieu.

Si, au contraire, cette femme est victime d’un sortilège, lepéché se commet, soit pendant qu’elle sommeille, soit lorsqu’elleest parfaitement éveillée, mais alors elle est dans un étatcataleptique qui l’empêche de se défendre. Le plus puissant desexorcistes de ce temps, l’homme qui a le mieux approfondi cettematière, le docteur en théologie Johannès me disait avoir sauvé desreligieuses qui étaient chevauchées sans arrêt, ni trêve, pendantdeux, trois, pendant quatre jours, par des incubes!

– Oui, je le connais, ce prêtre, dit des Hermies.

– Et l’acte se passe de la même façon que dans la réalité?demanda Durtal.

– Oui et non. – Ici, l’immondice des détails m’arrête, ditGévingey, qui devint un peu rouge; ce que je puis vous raconter estplus qu’étrange. Sachez-le donc, l’organe de l’être incube sebifurque et, au même moment, pénètre dans les deux vases.

D’autres fois, il s’étend et pendant que l’une des branches agitpar les voies licites, l’autre atteint en même temps le bas de laface… vous pouvez vous figurer, messieurs, combien la vie doit êtreabrégée par ces opérations qui se multiplient dans tous lessens!

– Et vous êtes sûr que ces faits existent?

– Absolument.

– Mais enfin, voyons, vous avez des preuves? hasarda Durtal.

Gévingey se tut, puis: – Le sujet est trop grave et j’en ai tropdit pour ne pas aller jusqu’au bout. Je ne suis ni halluciné, nifou. Eh bien, messieurs, j’ai couché une fois, dans une chambrequ’habitait le plus redoutable maître que maintenant le satanismepossède…

– Le chanoine Docre, jeta des Hermies.

– Oui, et je ne dormais pas; il faisait grand jour; je vous jureque le succube est venu, irritant et palpable, tenace. Heureusementque je me suis rappelé les formules de délivrance, ce quin’empêche…

Enfin, j’ai couru, le jour même, chez le Dr Johannès dont jevous ai parlé. Il m’a aussitôt et pour toujours, je l’espère,libéré du maléfice.

– Si je ne craignais d’être indiscret, je vous demanderaiscomment était le succube dont vous repoussâtes l’attaque?

– Mais, il était comme sont toutes les femmes nues, dit enhésitant l’astrologue.

Ce qui serait curieux, c’est qu’il eût réclamé son petit cadeau,ses petits gants, se dit Durtal, en pinçant les lèvres.

– Et savez-vous ce qu’est devenu le terrible docre, fit desHermies?

– Non, Dieu merci; il doit être dans le Midi aux environs deNîmes, où il résidait jadis.

– Mais enfin que fait-il, cet abbé? questionna Durtal.

– Ce qu’il fait! Il évoque le diable, nourrit des sourisblanches avec des hosties qu’il consacre; sa rage du sacrilège esttelle qu’il s’est fait tatouer sous la plante des pieds l’image dela Croix, afin de pouvoir toujours marcher sur le Sauveur!

– Eh bien, murmura Carhaix dont la moustache en broussaille seretroussa, tandis que ses gros yeux flambaient, eh bien, si cetabominable prêtre se trouvait ici, dans cette pièce, je vous jureque je respecterais ses pieds, mais que je lui ferais descendrel’escalier avec sa tête!

– Et la messe noire? reprit des Hermies.

– Il la célèbre avec des femmes et des gens ignobles; onl’accuse aussi ouvertement d’héritages captés d’inexplicablesmorts. Malheureusement, il n’y a pas de lois qui répriment lesacrilège, et comment poursuivre en justice un homme qui envoie desmaladies à distance et tue lentement sans qu’à l’autopsie destraces de poisons paraissent?

– Le Gilles de Rais moderne! fit Durtal.

– Oui, moins sauvage, moins franc, plus hypocritement cruel.Celui-là n’égorge pas; il se borne sans doute à expédier dessortilèges ou à suggérer le suicide aux gens; car il est, je crois,de première force à ce jeu de la suggestion, dit des Hermies.

– Pourrait-il insinuer à une victime de boire peu à peu untoxique qu’il lui désignerait et qui feindrait les phases d’unemaladie? demanda Durtal.

– Mais évidemment; les enfonceurs de portes ouvertes que sontles médecins de l’heure actuelle, reconnaissent parfaitement lapossibilité de pareils faits. Les expériences de Beaunis, deLiégeois, de Liébaut et de Bernheim sont concluantes; on peut mêmefaire assassiner une personne que l’on désigne par une autre àlaquelle on suggère, sans qu’elle s’en souvienne, la volonté ducrime.

– Je songe à une chose, moi, jeta Carhaix qui réfléchissait,sans écouter cette discussion sur l’hypnose. Je songe àl’inquisition; elle avait décidément sa raison d’être, car elleseule pourrait atteindre ce prêtre déchu qu’a balayé l’Eglise.

– D’autant, fit des Hermies, avec son sourire en coin, qu’on abien exagéré la férocité des inquisiteurs. Sans doute lebienveillant Bodin parle d’introduire entre les ongles et la chairdes doigts des sorciers de longues pointes, ce qui constitue,dit-il, la plus excellente des géhennes; il prône également lesupplice du feu qu’il qualifie de la mort exquise, mais c’estuniquement pour détourner les magiciens de leur vie détestable etsauver leur âme! Puis Del Rio déclare qu’il ne faut appliquer laquestion aux démoniaques après qu’ils ont mangé, de peur qu’ils nevomissent. Il s’inquiétait de leurs estomacs, le brave homme.N’est-ce pas lui aussi qui décrète qu’il ne faut pas non plusréitérer la torture, deux fois en un même jour, afin de laisser àla peur et à la douleur le temps de se rasseoir… avouez qu’il étaittout de même délicat, ce bon jésuite!

– Docre, reprit Gévingey, sans entendre les paroles de DesHermies, est le seul individu qui ait retrouvé les anciens secretset qui obtienne des résultats dans la pratique. Il est un peu plusfort, je vous prie de le croire, que tous les nigauds et lesroublards dont nous avons causé. Au reste, ils le connaissent,l’affreux chanoine, car il a envoyé à plusieurs d’entre eux desérieuses ophtalmies que les oculistes ne peuvent guérir. Aussitremblent-ils, lorsque l’on prononce devant eux le nom deDocre!

– Mais enfin, comment un prêtre en vient-il là?

– Je l’ignore. Si vous voulez avoir de plus amplesrenseignements sur lui, reprit Gévingey, en s’adressant à DesHermies, questionnez votre ami Chantelouve.

– Chantelouve! s’écria Durtal.

– Oui, lui et sa femme l’ont beaucoup fréquenté jadis; maisj’espère pour eux qu’ils ont depuis longtemps cessé tout commerceavec ce monstre.

Durtal n’écoutait plus. Mme Chantelouve connaissait le chanoineDocre! Ah çà, est-ce qu’elle aussi était une satanique! Mais non,elle n’avait nullement l’allure d’une possédée. Décidément, cetastrologue est fêlé, se dit-il. – Elle! – Et il la revit, pensaque, le lendemain, elle s’abandonnerait sans doute. – Ah! ses yeuxsi bizarres, ses yeux en nues lourdes et qui crevaient enlueurs!

Elle revenait maintenant, le tenait tout entier comme avantqu’il ne fût monté dans la tour. « Mais si je ne vous aimais pas,est-ce que je serais venue? » cette phrase qu’elle avait prononcée,il l’entendait encore, avec l’inflexion câline de la voix, avec lavision de la physionomie railleuse et douce!

– Ah çà, tu rêves, toi! dit des Hermies qui lui frappa surl’épaule; nous partons, car dix heures sonnent.

Une fois dans la rue, ils serrèrent la main de Gévingey quidemeurait de l’autre côté de l’eau et ils firent quelques pas.

– Eh bien, et mon astrologue, t’a-t-il intéressé? demanda desHermies.

– Il est un peu fou, n’est-ce pas?

– Fou? peuh!

– Mais enfin toutes ces histoires sont invraisemblables!

– Tout est invraisemblable, fit placidement des Hermies, enrelevant le collet de son paletot.

– J’avoue, cependant, reprit-il, que Gévingey m’étonne,lorsqu’il assure avoir été visité par un succube. Sa bonne foin’est pas douteuse, car je le connais vaniteux et doctoral maisexact. Je sais, parbleu bien, qu’à la salpêtrière, ce cas n’est nioublié, ni rare. Des femmes atteintes d’hystéro-épilepsie voientdes fantômes à côté d’elles, en plein jour, besognent avec euxlorsqu’elles sont en l’état cataleptique et couchent, chaque nuitaussi, avec des visions qui rappellent à s’y méprendre les êtresfluidiques de l’incubat; mais ces femmes-là sont deshystéro-épileptiques et Gévingey dont je suis le médecin ne l’estpas!

Puis à quoi peut-on croire et que peut-on prouver? Lesmatérialistes se sont donné la peine de reviser les procès de lamagie d’antan. Ils ont retrouvé dans la possession des Ursulines deLoudun, des religieuses de Poitiers, dans l’histoire même desmiraculés de Saint-médard, les symptômes de la grande hystérie, sescontractures généralisées, ses résolutions musculaires, sesléthargies, enfin jusqu’au fameux arc de cercle.

Eh bien, qu’est-ce que cela démontre? Que ces démonomanesétaient hystéro-épileptiques? Mais à coup sûr; les observations duDr Richet, fort savant en ces matières, sont concluantes; mais enquoi cela infirme-t-il la possession? De ce fait que nombre demalades de la Salpêtrière ne sont pas possédées tout en étanthystériques, s’ensuit-il que d’autres femmes atteintes de la mêmemaladie qu’elles, ne le soient pas? Et puis, il faudrait démontreraussi que toutes les démonopathes sont hystériques et cela estfaux, car il est des femmes de sens rassis, de cervelle ferme, quile sont, sans s’en douter d’ailleurs!

Et en admettant même que ce dernier point soit controuvé, ilreste toujours à résoudre cette insoluble question: une femmeest-elle possédée parce qu’elle est hystérique, ou est-ellehystérique parce qu’elle est possédée? L’Eglise seule peutrépondre, la science pas.

Non, quand on y réfléchit, l’aplomb des positivistes déconcerte!Ils décrètent que le satanisme n’existe point; ils mettent tout surle compte de la grande hystérie et ils ne savent même pas ce qu’estcet affreux mal et quelles en sont les causes! Oui, sans doute,Charcot détermine très bien les phases de l’accès, note lesattitudes illogiques et passionnelles, les mouvements clowniques;il découvre les zones hystérogènes, peut, en maniant adroitementles ovaires, enrayer ou accélérer les crises, mais quant à lesprévenir, quant à en connaître les sources et les motifs, quant àles guérir, c’est autre chose! Tout échoue sur cette maladieinexplicable, stupéfiante, qui comporte par conséquent lesinterprétations les plus diverses, sans qu’aucune d’elles puissejamais être déclarée juste! Car il y a de l’âme là dedans, de l’âmeen conflit avec le corps, de l’âme renversée dans de la folie denerfs!

Tout ça, vois-tu, mon vieux, c’est la bouteille à l’encre; lemystère est partout et la raison bute dans les ténèbres, dèsqu’elle veut se mettre en marche.

– Peuh! fit Durtal qui était arrivé devant sa porte. Puisquetout est soutenable et que rien n’est certain, va pour le succubat!Au fond c’est plus littéraire et plus propre!

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