Scène première
Lysandre,Aronte
Lysandre
Tu me donnes, Aronte, un étrange remède.
Aronte
Souverain toutefois au mal qui vouspossède,
Croyez-moi, j’en ai vu des succèsmerveilleux
À remettre au devoir ces espritsorgueilleux :
Quand on leur sait donner un peu dejalousie,
Ils ont bientôt quitté ces traits defantaisie ;
Car enfin tout l’éclat de ces emportements
Ne peut avoir pour but de perdre leursamants.
Lysandre
Que voudrait donc par là mon ingratemaîtresse ?
Aronte
Elle vous joue un tour de la plus hauteadresse.
Avez-vous bien pris garde au temps de sesmépris ?
Tant qu’elle vous a cru légèrement épris,
Que votre chaîne encor n’était pas assezforte,
Vous a-t-elle jamais gouverné de lasorte ?
Vous ignoriez alors l’usage dessoupirs ;
Ce n’étaient que douceurs, ce n’étaient queplaisirs :
Son esprit avisé voulait par cette ruse
Établir un pouvoir dont maintenant elleuse.
Remarquez-en l’adresse ; elle faitvanité
De voir dans ses dédains votre fidélité.
Votre humeur endurante à ces rigueursl’invite.
On voit par là vos feux, par vos feux sonmérite ;
Et cette fermeté de vos affections
Montre un effet puissant de sesperfections.
Osez-vous espérer qu’elle soit plushumaine,
Puisque sa gloire augmente, augmentant votrepeine ?
Rabattez cet orgueil, faites-luisoupçonner
Que vous vous en piquez jusqu’àl’abandonner.
La crainte d’en voir naître une si justesuite
À vivre comme il faut l’aura bientôtréduite ;
Elle en fuira la honte, et ne souffrirapas
Que ce change s’impute à son manqued’appas.
Il est de son honneur d’empêcher qu’onprésume
Qu’on éteigne aisément les flammes qu’elleallume.
Feignez d’aimer quelque autre, et vous verrezalors
Combien à vous reprendre elle ferad’efforts.
Lysandre
Mais peux-tu me juger capable d’unefeinte ?
Aronte
Pouvez-vous trouver rude un moment decontrainte ?
Lysandre
Je trouve ses mépris plus doux àsupporter.
Aronte
Pour les faire finir, il faut les imiter.
Lysandre
Faut-il être inconstant pour la rendrefidèle ?
Aronte
Il faut souffrir toujours, ou déguiser commeelle.
Lysandre
Que de raisons, Aronte, à combattre moncœur,
Qui ne peut adorer que son premiervainqueur !
Du moins auparavant que l’effet en éclate,
Fais un effort pour moi, va trouver moningrate :
Mets-lui devant les yeux mes servicespassés,
Mes feux si bien reçus, si malrécompensés,
L’excès de mes tourments et de sesinjustices ;
Emploie à la gagner tes meilleursartifices.
Que n’obtiendras-tu point par tadextérité,
Puisque tu viens à bout de mafidélité ?
Aronte
Mais, mon possible fait, si cela nesuccède ?
Lysandre
Je feindrai dès demain qu’Aminte mepossède.
Aronte
Aminte ! Ah ! commencez la feintedès demain ;
Mais n’allez point courir au faubourgSaint-Germain.
Et quand penseriez-vous que cette âmecruelle
Dans le fond du Marais en reçût lanouvelle ?
Vous seriez tout un siècle à lui vouloir dubien,
Sans que votre arrogante en apprît jamaisrien.
Puisque vous voulez feindre, il faut feindre àsa vue,
Qu’aussitôt votre feinte en puisse êtreaperçue,
Qu’elle blesse les yeux de son espritjaloux,
Et porte jusqu’au cœur d’inévitablescoups.
Ce sera faire au vôtre un peu deviolence ;
Mais tout le fruit consiste à feindre en saprésence.
Lysandre
Hippolyte, en ce cas, serait fort àpropos ;
Mais je crains qu’un ami en perdît lerepos.
Dorimant, dont ses yeux ont charmé lecourage,
Autant que Célidée en aurait de l’ombrage.
Aronte
Vous verrez si soudain rallumer son amour,
Que la feinte n’est pas pour durer plus d’unjour ;
Et vous aurez après un sujet de risée
Des soupçons mal fondés de son âme abusée.
Lysandre
Va trouver Célidée, et puis nousrésoudrons,
En ces extrémités, quel avis nousprendrons.