La Louve – Tome I

Chapitre 5LA TOUR DE L’OUEST

Morvan de Saint-Maugon portait bien un peuplus de vingt-deux ans sur son visage fatigué déjà par lesdésordres de sa vie, mais c’était un brillant soldat ; lemystère de son union avec mademoiselle de Rohan lui avait laisséles allures cavalières de l’homme qui n’a point engagé sadestinée ; mais ceux-là se trompaient qui croyaient que soncaractère était resté frivole.

Saint-Maugon aimait sérieusement sa femme,nous pourrions dire qu’il l’aimait douloureusement ; car ilavait peur de n’être pas aimé.

Un soir, après souper, pour tuer le temps, lesofficiers de La Ferté avaient été aux voix sur la question desavoir qui était parmi eux le plus favorisé par le destin ;les votes unanimes s’étaient portés sur Saint-Maugon, vainqueur detous ses rivaux et possédant l’amitié d’un prince.

Saint-Maugon, pendant le scrutin joyeux, avaitla tête entre ses mains ; il se releva tout pâle etdit :

– Je vous donne mon bonheur pour lapierre que vous m’attacherez au cou en me jetant au fond de larivière !

Mais il prend parfois à ces heureux fantaisiede se plaindre, et d’ailleurs, en d’autres moments, Saint-Maugonpoussait la gaieté jusqu’à la folie.

 

Valentine et lui étaient assis non loin duberceau. Valentine avait réussi à sourire. Saint-Maugon lacontemplait avec un mélange d’admiration et de tristesse.

– Il y a longtemps que je ne vous ai vue,murmura-t-il en prenant sa main qu’il effleura d’un baiser.

– Trois jours ; réponditValentine.

– Un siècle !… Monseigneur, depuisun mois ou deux, a pris tout à la fois le goût de la chasse, de ladanse et de la table : c’est un revirement complet !

– Ah !… fit Valentine avecdistraction. Elle ajouta, en relevant les yeux surSaint-Maugon :

– Personne ne vous a vu traverser ladouve ?

– Personne. Je n’ai rencontré âme quivive sur ma route, sinon ce plaisant compère… vous savez, celuiqu’on appelle le joli sabotier ?

– Yaumy ? fit la jeune femme quitressaillit faiblement. Vous a-t-il reconnu ?

– Je ne sais : qu’importecela ?… N’avez-vous rien autre chose à me dire, Valentine,après trois jours d’absence ?

Elle lui tendit la main et l’attira vers leberceau en disant au lieu de répondre :

– Vous n’avez pas encore embrassé votrefille :

Saint-Maugon fronça le sourcil malgré lui etdéposa un baiser froid sur le front de l’enfant. Ilsouffrait ; deux ou trois fois sa bouche s’ouvrit comme s’ileût voulu faire une question, mais la parole rebelle semblaits’arrêter dans sa gorge.

– Morvan, dit la jeune femme, quoiquevous ne m’interrogiez point, je vais vous répondre : vous nevous êtes pas trompé : c’est moi que vous avez rencontrée surla lisière de la forêt.

– Avez-vous donc des secrets pour votremari, Valentine ! demanda Saint-Maugon avec tendresse.

– Des secrets trop lourds pour lafaiblesse d’une femme, oui, répliqua mademoiselle de Rohan à voixbasse. Pourquoi mon père n’a-t-il plus de fils ?

– Valentine ! Valentine !s’écria Saint-Maugon au désespoir, votre souffrance vient de moi,et vous vous repentez d’être ma femme… Répondez, je vous ensupplie, et ne craignez pas de me déchirer le cœur. À seize ans, etc’est l’âge que vous aviez quand je me crus le plus heureux deshommes, à seize ans on est presque un enfant ; peut-êtrefûtes-vous entraînée, peut-être César, notre pauvre frère,plaida-t-il auprès de vous ma cause avec trop de chaleur… Répondez,Valentine, si vous n’eussiez point été ma femme devant Dieu quandle comte, votre père, vous défendit de choisir parmi ceux qu’ilappelle des Bretons déshonorés, m’auriez-vous donné votremain ?

– J’ai trois tendresses en ce monde,murmura Valentine, qui évitait l’œil ardent de Morvan : mafille, mon père et mon mari.

Saint-Maugon se leva et fit le tour de lachambre à grand pas.

– Je n’ai que la troisième place !prononça-t-il avec amertume.

Puis il ajouta :

– J’ai offensé Dieu beaucoup et souvent,ma jeunesse n’a pas été celle d’un chrétien, je suis puni…Ah ! je ne crains rien de vous, Valentine ; et je vousrespecte encore plus que je vous aime… Mais c’est le martyre,voyez-vous, que d’aimer seul et de trouver devant soi une mère, unefille, pas d’épouse !

Il s’arrêta tout à coup devant la jeune femmequi avait les larmes aux yeux.

– Ne pleurez pas, reprit-il en tâchantd’assurer sa voix qui tremblait. On dit qu’en Espagne ou en Italie,la fortune n’est jamais rebelle à qui possède un bras fort et unevaillante épée. Si vous voulez, Valentine, je partirai pourl’Italie ou pour l’Espagne ; vous serez libre et vousn’entendrez plus jamais parler de moi.

Les deux larmes qui tremblaient aux paupièresde mademoiselle de Rohan coulèrent lentement sur ses joues ;elle prit l’enfant dans le berceau et le mit entre les bras deSaint-Maugon. La petite Marie, éveillée en sursaut, mais souriantdéjà, tendit ses jolies mains roses et tâcha de se pendre au cou deson père.

Celui-ci sembla hésiter ; un élan detendresse passionnée l’entraînait vers l’enfant, mais un autresentiment, inexplicable selon la raison, une sorte de jalousiebizarre et touchant à l’extravagance, le fit détourner la tête.

– Elle toujours elle ! dit-il enfrappant du pied. Ah ! vous l’aimez bien, celle-là !

La tête blonde de Marie était déjà sur le seinde sa mère qui la pressait tout effrayée contre son cœur.

– Vous lui avez fait peur, murmura-t-elleen lissant les doux cheveux de l’enfant. M’enviez-vous donc mapauvre joie ? Sans elle, je serais seule ici, et la maison deRohan est bien triste ! vous ne savez pas cela, vous,Morvan ; vous êtes jeune, et votre vie est une victoire ;vous ne pouvez même pas deviner les découragements du vieillardvaincu. Vous êtes à Rennes, au milieu de cette cour brillante quientoure le fils de Louis XIV, tandis que nous…

Elle s’arrêta comme si une idée subite eûttraversé son esprit.

– C’est un noble cœur, n’est-ce pas,Morvan, que le comte de Toulouse ? reprit-elle d’un accentétrange.

– Assurément, répliqua Saint-Maugonétonné.

– Sa renommée est venue jusqu’en nossolitudes, continua Valentine toute rêveuse. Nos paysans, quidétestent les gens de France, parlent de lui avec respect… On ditqu’il est bon, généreux, brave comme un lion…

– Dit-on cela, madame ? fitSaint-Maugon. Je ne dois pas trouver ces louanges exagérées, moiqui suis l’ami et le serviteur de Son Altesse Sérénissime.

– Oui, oui, pensa tout haut Valentine, jesais que le comte de Toulouse est votre bienfaiteur.

Saint-Maugon changea de visage.

– Le comte de Toulouse aura sa pageglorieuse dans l’histoire, dit il d’un air contraint. C’étaitpresque un enfant quand il a commencé à vaincre sous les yeux dugrand roi, son père… Le comte de Toulouse est un héros !

Les lèvres de Valentine s’agitèrent comme sielle eût répété cette dernière parole ; puis elle baissa lesyeux et demanda :

– Il est tout jeune n’est-cepas ?

– Tout jeune, réponditM. de Saint-Maugon.

Valentine ne prenait pas garde. L’irrésistibledésir de savoir l’emportait.

– Tous ceux qui l’ont vu, continuaValentine, s’accordent à dire que son visage est comme le miroird’un grand cœur.

– Ne l’avez-vous jamais vu, madame ?dit Saint-Maugon entre ses dents serrées.

– Jamais, répondit Valentine.

Saint-Maugon cachant son agitation sous uneapparence glaciale, dit :

– Le comte de Toulouse est beau.

– Mais, ajouta-t-il en se levantbrusquement, faites-moi la grâce de me donner le mot de cetteénigme ? quel intérêt Valentine de Rohan, dame deSaint-Maugon, peut-elle porter à la générosité, à la bravoure, à labeauté de monseigneur le comte de Toulouse ?

La porte du corridor s’ouvrit à ce moment, etla tête effarée de dame Michon Guitan se montra.

– Rohan descend le grand escalier,dit-elle en pressant ses paroles. Il vous a déjà demandée deuxfois, notre demoiselle.

La dernière question de Saint-Maugon avaitfait tressaillir Valentine, qui venait de parler comme en un rêve,et dont le visage exprimait une douloureuse préoccupation.

– Embrassez votre fille, Morvan, dit-elled’une voix très-altérée, passez par l’oseraie pour n’être point vuen traversant la douve, et que Dieu vous conduise !

Saint-Maugon la retint par le bras.

– On dit bien des choses en quelquessecondes, Valentine, répliqua-t-il ; vous avez le temps de merépondre, si vous voulez.

Dans le regard qu’elle jeta sur luiSaint-Maugon vit de la détresse et de l’égarement.

– Écoutez ! s’écria dame MichonGuitan à la porte du corridor, la voix de Rohan doit arriverjusqu’à vous ; voici la troisième fois qu’il appelle notredemoiselle.

– Sur mon honneur, Morvan, dit Valentineen se dégageant, vous saurez tout demain, je vous lepromets !

Elle mit sa fille dans les bras de dame Michonet traversa le corridor en courant. Saint-Maugon se laissa choirsur un siége et resta quelques secondes absorbé. Un chaos depensées s’agitait dans son cerveau.

– Le comte de Toulouse est bien changédepuis un mois ! dit-il enfin sans savoir qu’il parlait. Je mesouviens à présent ! Il m’a demandé plusieurs fois siValentine de Rohan méritait sa réputation de beautéincomparable…

Une main toucha son épaule ; il seredressa et vit devant lui le visage sévère de la vieille MichonGuitan. Le regard de la bonne femme s’abaissait vers lui avec unedédaigneuse compassion.

– Ah ! ah ! fit Saint-Maugondans le premier mouvement de surprise ; ai-je parlé ?

– Vous avez parlé, répliqua Michon.

Saint-Maugon tira sa bourse et fit couler danssa main trois ou quatre louis d’or.

– Prenez ceci, bonne dame, dit-il, etcontinuez d’avoir soin de l’enfant.

Michon Guitan recula de plusieurs pas.

– Rohan nourrit ses serviteurs,répliqua-t-elle avec une fierté calme. J’aime l’enfant pour le sangde Rohan qu’elle a dans les veines. C’est grande pitié qu’elle aitpour père un si mince gentilhomme que vous. Gardez votre argent. Jene dirai rien à Valentine de Rohan : Son frère est mort dedouleur, elle pourrait bien mourir de honte !

– Sur mon âme ! s’écriaSaint-Maugon, qui ne songea même pas à s’offenser de ces rudesparoles, je ne soupçonne pas Valentine !

– Bien vous faites, répliqua séchement lalionne femme.

– Dites-lui, reprit Saint-Maugon avecprière, dites lui que j’ai pressé notre chère petite Marie sur moncœur ; dites lui que je l’aime… hélas ! dites-lui que jesuis fou !

Il dévorait de baisers l’enfant qu’il avaitrepoussée tout à l’heure. Michon regardait cela d’un œilimpassible.

Saint-Maugon s’élança vers la porte etdisparut par l’escalier qui conduisait aux douves.

Michon remit l’enfant au berceau endisant :

– Rohan s’alliait autrefois à Rieux, àGoyon, à Clisson, à Valois… à Bourbon ! le comte de Toulouseest Bourbon. Dors, enfant, je donnerais les cinq doigts de ma mainpour que ton père s’appelât Bourbon au lieu de s’appelerSaint-Maugon, et pour qu’il fût le maître au lieu d’être levalet !

 

Saint-Maugon sortait en ce moment par lapoterne, la tête nue et les cheveux en désordre. Il allait auhasard, perdu qu’il était dans le trouble de ses pensées. Comme iltournait l’angle du rempart pour gagner le bouquet de hêtres où soncheval était attaché, il entendit prononcer son nom.

Maître Alain Polduc se promenait, les mainsderrière le dos au bord des anciens fossés. Maître Alain n’étaitaustère qu’avec Rohan et n’avait de grimaces rébarbatives que pourles vassaux de Rohan. Il suffisait de voir ce gros petit homme à lafigure pleine et rougeaude, pour deviner que son rôle de puritainqu’il remplissait lui pesait ; mais ce rôle était songagne-pain, et il le jouait de son mieux, en attendant l’heuredésirée où le rideau tomberait sur le dénoûment de la comédie.

Nous pouvons affirmer que maître Alain n’avaitpoint dirigé sa promenade de ce côté par hasard.

– Dieu me pardonne ! s’écria-t-ilpourtant avec une joyeuse surprise, je ne m’attendais guère àrencontrer ici M. de Saint-Maugon !

– Monsieur… balbutia celui-ci, unaccident de chasse…

Maître Alain l’avait parfaitement vu sortir del’oseraie.

– Auriez-vous quelque blessure ?demanda-t-il vivement.

– Non, répliqua Saint-Maugon de plus enplus embarrassé, car il commençait à entrevoir les conséquencespossibles de cette rencontre ; une chute… sans gravitéaucune.

Le regard de maître Alain était fixé surl’écharpe qui voltigeait encore aux barreaux du balcon.

– Vous me voyez ravi, capitaine, dit-ilen se rapprochant. J’ai eu peur un instant… mais béni soit lehasard qui vous amène de nos côtés ! Je ne partage pas dutout, croyez-le bien, les préjugés de mon noble parent, et je mesens attiré vers vous d’une sympathie naturelle.

Saint-Maugon s’inclina en silence. MaîtreAlain poursuivit en s’échauffant :

– Ceci à cause de vous d’abord, quiportez comme il faut un des meilleurs noms de notre Basse-Bretagne,ensuite à cause de votre maître, notre jeune, illustre et vaillantgouverneur !

– Mon maître mérite tous les hommages,dit Saint-Maugon très-froidement.

– J’y pense, reprit Alain Polduc :est-ce dans la douve même que vous avez fait cette chute ?Non ? vous serez descendu là pour vous reposer, parce quel’herbe y est plus épaisse… J’aime cet endroit, moi, c’est sauvage,on n’y rencontre guère d’importuns…

Saint-Maugon ne pouvait pas être de cetavis.

– Et puis, continua maître Alain, dont lesourire avait, ma foi ! une petite pointe d’aimable raillerie,ces vieux murs ont quelque chose de poétique ! Vous voyez cebalcon de pierre où pend un chiffon (et Dieu sait qui a pu mettrelà ce chiffon !), il n’y a pas d’endroit plus légendaire dansnos contrées ; on ferait des volumes avec les vieux récits ducoin du feu qui se rapportent à ce balcon ! Mais c’est denotre gouverneur que je voulais vous parler. Quelle gloire, moncher pays ! Vous permettez ? nous sommes tous deux de laBretagne bretonnante. Quels exploits ! si jeune encore !Vainqueur à Mons et à Namur ! vainqueur à Palerme, à Messine,à Alicante ! que sais-je, moi ? On ne compte déjà plusses triomphes ! Vous qui l’approchez de très-près, son cœura-t-il parlé, que vous sachiez ?

– Non, répliqua Saint-Maugon en faisantun mouvement pour prendre congé : pas que je sache.

Alain Polduc se mit à rire.

– Tout haut, peut-être, poursuivit, maistout bas ?… Il est certains bruits, vous savez, qu’on entendmieux de loin que de près… Tenez, franchement, les équipages dufils de Louis-le-Grand parcourent bien souvent nos pauvres forêtsdepuis quelques semaines ! Encore aujourd’hui…

– Aujourd’hui, interrompit Saint-Maugond’un ton de colère, Son Altesse Sérénissime n’a pas cru pouvoirrefuser l’invitation de l’intendant royal.

– Un galant homme, ce bonM. Feydeau ! s’écria Polduc, et qui arrondit ses domainesà mesure que les nôtres maigrissent !… Quant au comte deToulouse, ajouta-t-il, en jetant son chapeau sous le bras et en sedonnant des airs de gentilhomme, mettons que le hasard seul l’amènedans nos taillis, je ne demande pas mieux ; pourtant lesperles fines se trouvent au fond de l’océan ; les diamantssont, dit-on, les cailloux du désert. Nous avons ici, dans ce paysperdu, un diamant sans prix, une perle inestimable…

– Valentine de Rohan et le comte deToulouse ne se sont jamais vus, interrompit étourdimentSaint-Maugon.

Polduc le regardait en ricanant.

– Devant témoins, peut-être, murmura-t-ilmais autrement…

– Que voulez-vous dire ? s’écria lejeune capitaine, pâle d’indignation.

– Moi ! fit Polduc avec bonhomie,rien qui puisse vous offenser bien certainement ; qu’y a-t-ilde commun entre vous et Mlle de Rohan, monpays ! Et, après tout, vous savez mieux que moi pourquoi leséquipages du prince gouverneur s’égarent si souvent dans nostaillis…

Ils arrivaient au bouquet de hêtres oùSaint-Maugon avait caché son cheval avant de pénétrer au Manoir.Alain Polduc avait achevé sa besogne : il savait ce qu’ilvoulait savoir, et il avait piqué le cœur de son paysprécisément à l’endroit sensible, double et précieux résultat quidevait porter fruit en temps et lieu. Maître Alain se taisaitdésormais.

Saint Maugon venait de s’arrêter à quelquespas de son cheval, qui battait du sabot sous le couvert. Il gardaun instant le silence. Quand il parla enfin, sa voix altérée trahitl’effort qu’il faisait pour se contenir.

– Selon le bruit public, dit-il on setournant vers maître Alain, vous mangez ici le pain del’aumône.

Polduc voulut se redresser.

– Là, paix ! ordonna Saint-Maugondurement. Si je connaissais Rohan, je lui dénoncerais le mendiantqui insulte son bienfaiteur ; si je n’étais soldat etgentilhomme, je châtierais le mendiant moi-même. Vous êtes averti,vous serez prudent ; au cas contraire, j’ai mes valets.

Il détacha son cheval, sauta en selle etpartit au galop.

Maître Alain Polduc n’était pas ce qu’onappelle un lâche, car, avant même de savoir que le dédain du jeunehomme lui serait un bouclier, il n’avait pas reculé d’une semelle.Maître Alain Polduc était un homme de sang-froid, car pas un musclede son visage ne tressaillit à cette insultante menace. Il regardaSaint-Maugon s’éloigner sans perdre son sourire.

– S’il avait fait mine de tirer son épée,se dit-il en raisonnant d’un sens rassis, comme un philosophe qu’ilétait, je lui aurais brûlé la cervelle. J’avais des témoins pourprouver son entrée clandestine au manoir, et Rohan m’eût donné ducoup la moitié de sa fortune… À quoi sert cette épée de gentilhommeet de soldat, qui ne doit frapper que le soldat et legentilhomme ?

Un sourire de souverain mépris était autour deses lèvres.

– Moi, je ne suis pas fier,reprit-il ; on ne me prendra jamais à laisser vivre l’insectequi pique, sous prétexte qu’il est trop vil ou trop petit !…Où es-tu, Yaumy ?

Les tiges des osiers s’agitèrent, et le jolisabotier montra sa tête cynique au fond de la douve.

Alain Polduc tira ses tablettes de sa poche ettraça quelques mots au crayon ; il déchira ensuite la page,s’en servit pour envelopper un écu de six livres, et jeta le tout àYaumy dans le fossé.

– Il faut que tu trouves l’intendantFeydeau, dit-il. Si tu me rapportes sa réponse avant une heure, tuauras un autre écu.

Yaumy saisit au vol la pièce d’argent, avecson enveloppe, et partit comme un trait.

Maître Alain fit le tour des douves pourrentrer au manoir par la maîtresse porte. Il marchait, suivant sonhabitude, d’un pas de promenade et les mains derrière le dos. Lelong de la route, il se disait :

– La moitié de la fortune de Rohan !je compte, pardieu, bien avoir le tout !… Mais qu’est-ce queRohan ? une corde à mon arc. J’en ai d’autres… Eh !eh ! je n’ai pas trop maigri en mangeant le pain de l’aumône.Le mendiant sera millionnaire avant de mourir !

Il passa le seuil du manoir en se frottant lesmains.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer