La Louve – Tome I

Chapitre 7RAOUL ET CÉLESTE

En achevant le second couplet de son Noël, lajeune fille avait franchi la tête du Pont-Joli. Elle traversait letertre en se dirigeant vers le sentier couvert. Raoul ne la voyaitplus, mais il la sentait venir.

Au moment où elle sortait du sentier pourentrer dans la petite clairière qui précédait les ruines du moulin,Céleste s’arrêta ; elle se croyait seule.

– Les fleurs que j’ai mises aux pieds deNotre-Dame de Mi-Forêt, dit-elle, je ne les regrette pas ;mais la Sorcière saura bien que j’ai donné un autre bouquet…

– La Sorcière ! pensa Raoul, quiétait aux écoutes.

– Elle sait tout, reprit Céleste pensiveet un peu inquiète ; j’ai eu tort de laisser tomber mesfleurs… grand tort ! Et si la Sorcière me demande pourquoij’ai fait cela, que dire ?

Raoul souriait dans sa cachette ; ilentendit la robe de la jeune fille qui frôlait les rudes tiges desajoncs. Elle faisait un détour pour s’approcher de ce terriblemoulin qu’elle n’osait pas regarder en face. Les taillis de l’ouestse détachaient en noir sur le ciel couleur de feu. Le soleil nelançait plus que de rouges étincelles à travers la feuillée ;le soir venait ; Céleste était en retard.

– Comme ces ruines doivent êtreeffrayantes après la brune tombée ! murmurait-elle. Pas uneâme aux alentours ! Si seulement je voyais quelqu’un là-bas,sur la route, il me semble que j’aurais moins peur.

Raoul crut l’occasion bonne et voulut enprofiter. Il fit un pas hors de son abri, et dit de sa voix la plusdouce :

– Mademoiselle Céleste…

La jeune fille poussa un grand cri et faillittomber à la renverse.

– Seigneur Dieu ! dit-elle enfaisant un mouvement pour s’enfuir. Monsieur Raoul ! Il nemanquait plus que cela !

– Il n’y a donc que moi dont la présencene vous rassure pas, mademoiselle Céleste ? demanda Raoultristement.

Il n’osait pas avancer. La fillette sedétournait de lui, et semblait toute triste, elle si gaie tout àl’heure.

Raoul murmura :

– Si ma rencontre vous cause du chagrin,vous ne me verrez plus.

Dire que Céleste était au dessous de son âgepar l’intelligence ne serait peut-être point s’exprimer bien, maisil est certain que son regard comme sa voix était d’un enfant. Ellene baissa point les yeux et dit :

– J’aimerais mieux mourir que decommettre un péché.

– Un péché ! répéta Raoul toutsurpris.

– Oui, fit-elle ; mentir est unpéché ; de ne plus vous voir jamais, cela me causerait de lapeine. Il y a si longtemps que je vous connais.

– Moi de même, dit Raoul, et c’estpourtant la première fois que je vous parle.

– Vous étiez encore enfant et moi j’étaistoute petite, quand on m’amena dans une maison où vous étiezmalade.

– C’est donc bien vrai, cela ? ditRaoul, je ne l’ai pas rêvé, il y avait une femme qui pleurait…

– Oui…, et qui dit : ces deuxenfants là ne se reverront peut-être jamais !

– Je fus bien du temps sans vous revoiren effet… Si longtemps que j’eus peine à vous reconnaître.

– Moi, dit Céleste, je vous reconnus toutde suite, et un idée me vint qui me rendait heureuse : je crusavoir un frère… Depuis lors, quelqu’un m’a dit que je n’étais pasvotre sœur.

Raoul voulut savoir qui était ce quelqu’un,mais la fillette secoua sa tête bouclée et répondit :

– Curieux !

Puis elle ajouta en devenantsérieuse :

– Ce quelqu’un dit encore que vous medéfendrez, si on m’attaque, mais qui donc m’attaquerait ? Vousn’osez plus demander, et pourtant vous avez grande envie de savoir…Eh bien ! ce quelqu’un là, c’est une belle dame… et elle ditencore autre chose.

– Quoi donc ?

– Que je vous aimerai sans perdre lagrâce de Dieu.

Raoul joignit les mains comme s’il eutremercié quelqu’un dans le ciel.

– Mais, reprit la fillette, les bellesdames, peuvent bien se tromper et c’est ce que j’ai dit à lacomtesse Isaure.

– Vous connaissez la comtesseIsaure ! demanda vivement Raoul qui marchait de surprise ensurprise.

Céleste répondit :

– Un soir de l’autre semaine, lesdemoiselles Feydeau étaient à danser chez le lieutenant de roi.Moi, on m’avait laissée au logis, comme toujours, et je m’étaisendormie sous la tonnelle, dans le jardin de l’hôtel de Rohan. Jesentis qu’on me baisait sur le front, et je m’éveillai. La bellecomtesse était debout auprès de moi. Je me frottai les yeux :je croyais rêver encore.

– Est-ce vous qui m’avez embrassée ?lui demandai-je…

Elle se mit à rire et me répondit :

– Ce n’est pas la première fois.

Raoul écoutait bouche béante ; ilpensait :

– C’est pour cela que je l’aimais tant,la belle comtesse !

– Elle s’assit auprès de moi, continuaCéleste ; et ajouta toujours en riant ; « Fillette,il y a des bergères qui épousent des princes… »

– Hélas ! soupira le pauvre Raoul,si j’étais prince !

– Laissez donc dire, ce n’est pas fini…« Va trouver la Sorcière de la forêt de Rennes, qu’on appellela Meunière, et prie-la qu’elle te dise ton passé avec ton présentet ton avenir. »

– Vous aviez dit, prononça Raoultimidement ; du moins, j’avais cru comprendre…

– Curieux ! fit pour la seconde foisCéleste ; eh bien ! oui ! la comtesse Isaure m’aparlé de vous, voici comme : Je regardais, sans savoir, lemédaillon d’opale qu’elle porte dans ses beaux cheveux ; elleme dit tout à coup : « Le veux-tu, fillette ? »Je répondis : « Madame, qu’en ferais-je ?… »Elle sourit bien doucement, et sa main caressa ma joue. « Tuas raison, ma fille, reprit-elle, il ne t’en trouverait pas plusjolie ! » J’ouvris de grands yeux, et je demandai :« Qui donc, madame ? » Vous passiez justement sur lerempart ; elle étendit sa blanche main vers vous enmurmurant : « Celui que tu aimeras pour son bonheur etpour le tien, si Dieu veut qu’une pauvre malheureuse mère soitpayée de toutes ses peines… »

Raoul se redressa de toute sa hauteur.

– Le premier qui devant moi prononceraune parole contre la comtesse Isaure, dit-il le rouge au front etl’éclair dans les yeux, fût-il duc et pair ou prince du sang royal,fera connaissance avec mon épée !

La jeune fille le regardait avec une naïveadmiration.

– La belle comtesse, murmura-t-elle, mequitta trop tôt ou trop tard. Elle m’avait bien dit que j’aimerais,mais elle s’en alla sans me dire si je serais aimée.

Raoul sourit et repartit :

– Elle le savait pourtant bien, car, moiaussi, je lui ai parlé, une fois, à la belle comtesse Isaure.C’était à la revue du commandant pour le roi ; elle me fitsigne d’approcher par la portière de son carrosse ; je ne laconnaissais point, mais un instinct secret me força d’obéir. Lacomtesse Isaure me regarda longtemps, puis elle me dit d’un ton queje n’oublierai jamais, dussé-je vivre cent ans : Cela vousportera bonheur de l’aimer !

– Elle ne prononça pas mon nom ?demanda Céleste.

– Vous étiez à une fenêtre de l’hôtel deRohan ; les yeux de la comtesse Isaure suivirent mon regard,et son sourire vous désigna aussi clairement qu’aurait pu faire sabouche.

– Ensuite ? demanda Céleste.

– Ensuite, elle me montra les rangs dessoldats du roi en ajoutant : « Mon gentilhomme voici oùserait votre place. »

Céleste eut un mouvement d’effroi.

– Soldat ! murmura-t-elle, lessoldats s’en vont !

– Elle me dit enfin, poursuivit Raoul« Allez trouver la Sorcière de la forêt… »

– Tout comme moi ! interrompit lajeune fille.

– Non pas comme vous, Céleste. LaSorcière doit vous parler de votre passé, de votre présent, devotre avenir ; vous saurez tout ce que vous ignorez… Moi,personne n’éclairera la nuit qui m’entoure. La Sorcière ne doit medonner qu’un talisman pour faire mon chemin dans l’armée.

Il y avait en vérité un sourire sceptique soussa moustache naissante.

– Croyez-vous à la Sorcière ?demanda Céleste plus bas.

– Non, répondit Raoul sans hésiter.

– Et pourtant vous êtes venu…

Un bruit léger se fit du côté des ruines dumoulin. Les fraîches couleurs de Céleste s’évanouirent comme parenchantement. Raoul lui-même ne put retenir un mouvementd’inquiétude ; ils prêtèrent l’oreille. Le bruit ne serenouvela point.

– Est-il possible, dit Raoul, qu’unecréature humaine puisse habiter ces ruines !

– Est-ce une créature humaine ?…répliqua Céleste, dont la voix tremblait.

Elle écouta encore, puis se rapprochant tout àcoup de Raoul, elle lui dit à l’oreille avec mystère :

– La Meunière n’est pas seulelà-dedans.

– Comment ?…

– Chut ! j’ai entendu souvent unevoix grave et sourde qui semblait sortir des décombres… Une fois, àla brune, j’ai vu se dresser parmi les pierres un grandfantôme…

– Un fantôme :

– Un vieil homme tout maigre et toutblême, avec de longs cheveux blancs épars. J’aurais voulu fuir,mais je ne pouvais pas, et mes yeux se fixaient sur le vieillardmalgré moi. Il marchait d’un pas chancelant ; sa barbe tombaitjusque sur sa poitrine ; ses regards se perdaient dans levide. Il m’aperçut ; il s’arrêta devant moi ; il me ditd’une voix qui glaça mon sang dans mes veines :

– Fais-moi place, jeune fille, je suissur mes terres ; j’attends ici le Régent de France pour letuer en combat singulier.

– Le Régent de France ! répétaRaoul, à cent lieues de Paris ! Il y a ici quelquemystère…

– En ce lieu où nous sommes, repartit lajeune fille ; tout est mystère… Mais la nuit approche, et vousvoilà tout pâle… Si vous tremblez, vous qui êtes un homme, quevais-je devenir, moi, pauvre fillette ?

– Je ne tremble pas, dit Raoul.

– Alors vous avez bien du courage !Quant à moi, je n’oserai jamais pénétrer dans ces ruines touteseule.

– Voulez-vous y venir avec moi ?

Céleste ne répondit point, mais elle dit enmontrant du doigt l’angle oriental de la petite clairière.

– Par ici !

Raoul écarta les pousses de ronces avec sonépée, et ils s’engagèrent tous deux au plus épais des broussailles.Le moulin en ruines se dressait au centre même de cet inextricablefourré ; sa toiture seule faisait saillie au-dessus dufeuillage. Le corps de la tour restait dans l’ombre, et l’on voyaitçà et là parmi les ronces noires de grandes pierres blanches quiressemblaient à des tombes.

Un silence profond régnait dans les ruines. Aubout de quelques pas, Raoul et Céleste aperçurent la porte dumoulin et au-devant de la porte une masse sombre qui restaitimmobile. La pauvre Céleste frémissait de tous ses membres.

– Près de moi vous n’avez rien àcraindre, lui dit Raoul pour la rassurer.

– Près de vous, non, balbutia Céleste,mais si la Meunière allait nous séparer ?

Elle se fût bien gardée à cette heure terriblede l’appeler la Sorcière !

La masse sombre s’agita au-devant de la porte.Les deux enfants purent entendre une voix grave et douce quidisait :

– Pourquoi séparer ceux que la providencede Dieu a réunis dès le berceau ?

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