La Louve – Tome I

Chapitre 4REPAS SUR L’HERBE

Magloire regardait l’étranger par-dessusl’épaule de Raoul. C’était un homme de grande taille et d’apparencevigoureuse, malgré sa maigreur. Les traits de son visage fièrementdessinés manquaient un peu de chair. Les arêtes de son nez,recourbé en bec d’aigle, étaient presque tranchantes ; ilavait le teint basané, la moustache noire comme une plume decorbeau ; ses yeux étincelaient sous l’arcade profonde de sessourcils.

– Camarades ! camarades !grommela Magloire, peu satisfait de son examen ; je n’aime pasces gens qui vous appellent comme cela camarades du premiercoup ! que diable ! nous n’avons rien gardéensemble !

– Cette route qui tourne la montagne, ditRaoul répondant à la question de l’étranger, mène au château deM. l’intendant royal. Pour aller au manoir de Rohan, il vousfaut suivre le bois et gagner le chemin de Bouëxis-en-Forêt.

Le cavalier s’inclina, mais au lieu de pousserson cheval, il mit sa main au-devant de ses yeux comme pourregarder plus attentivement nos jeunes gens.

– L’insolent ! fit Magloire entreses dents. Ah çà ! il me semble que j’ai vu déjà quelque partcette figure de tranche-montagne !

Raoul souriait et semblait attendre.

– Eh mais ! s’écria le cavalier, quimit pied à terre vivement et rejeta la bride sur le cou de soncheval, je ne me trompe pas ! c’est mon jeune défenseur decette nuit !

Il s’avança vers Raoul et lui tendit lamain.

– Mon vaillant champion, poursuivit-ilgaîment, j’ai frappé ce matin à votre porte pour vous rendregrâces. L’oiseau envolé avait laissé la cage vide ! Voici, surma parole, un heureux hasard, et, s’il y avait seulement uneauberge dans ce pays perdu, nous fêterions, cette fois, notrerencontre le verre à la main.

– Ce doit être un Gascon, pensa Magloire.Il dit cela parce qu’il n’y a point d’auberge.

Raoul, cependant, lui avait rendu son étreinteavec cordialité. Cette affaire du guet dont Magloire nous a déjàdit un mot, n’était pas une bien grande histoire. Le guet avaitrencontré dans la haute ville, vers l’extrémité de cette vieilleplace des Lices où le connétable Bertrand du Guesclin fit jadis sespremières armes, un homme qui escaladait la terrasse d’un hôtelnoble. Il était heure indue ; le guet avait arrêté l’homme.Celui-ci n’était point d’humeur à se laisser faire ; il y eutdébat tout le long du chemin ; on rencontra maître Raoul quirôdait, au clair de lune, sous les fenêtres de l’intendant Feydeau.Les sergents du guet n’étaient que trois : Raoul, voyant qu’onentraînait un gentilhomme, se mit de la partie et Magloire, éveillépar le bruit, assistait au combat de la fenêtre de sa soupente.

Le guet lâcha pied ; c’était la coutume,tous les vaudevilles l’affirment.

Le prisonnier remercia son libérateur et s’enalla paisiblement recommencer son escalade. Il avait,paraîtrait-il, grand intérêt à grimper sur cette terrasse del’hôtel voisin de la place des Lices. Ce n’était point un larron.L’hôtel voisin de la place des Lices appartenait à la comtesseIsaure.

Raoul ne connaissait pas ce détail. S’il avaitsu en quel lieu le guet avait arrêté ce gentilhomme, peut-être nese fût-il point mêlé de cette affaire.

– En l’absence d’une auberge, reprit lecavalier, nous allons faire comme nous pourrons : à la guerrecomme à la guerre Quand je voyage, j’ai toujours quelquesprovisions en croupe, car il ne me plaît pas d’accepterl’hospitalité du premier venu.

– C’est sage, dit Magloire.

Depuis que l’étranger parlait de provisions,il ne lui trouvait plus si mauvaise mine. Le cheval noir, docile,était resté à la tête du sentier ; l’étranger mit le bras deRaoul sous le sien et l’entraîna en disant :

– Je marche depuis ce matin et j’ai bonappétit : voulez-vous partager mon repas ?

Comme Raoul ne répondait pas tout de suite,Magloire lui pinça le bras par derrière.

– C’est sans compliment, dit-il, nefaites pas de façons.

L’étranger lâcha les courroies d’une petitevalise qui était sur la croupe de son cheval. Magloire s’empressade lui prêter son aide pour tirer de la valise un pain à la croûteferme et dorée, un saucisson de taille respectable et quelquesautres vivres à l’avenant. Magloire mit le couvert sur l’herbe,sans oublier une belle grande gourde toute pleine.

– À table ! dit l’étranger ens’asseyant le premier.

Raoul l’imita. Magloire dévorait des yeux lemenu de cette bombance improvisée. Personne ne songeait àl’inviter ; il commençait à trouver de nouveau que l’étrangeravait une mauvaise figure.

– Ces aventuriers n’ont pasd’usage ! pensait-il.

Il s’approcha tout doucement et s’assit à sontour, en disant d’un air patelin :

– Comme cela, je serai plus à portée devous servir, mes maîtres.

L’étranger arracha deux ou trois poignéesd’herbe fraîche, et disposa dessus une tranche de jambon qu’iloffrit à son hôte.

– Je voudrais savoir enfin, dit-il, lenom du brave chevalier qui m’a tiré de peine cette nuit ?

– L’avez-vous donc oublié ? demandaRaoul, qui rougit légèrement.

– Je connais votre nom de baptême… repritl’étranger.

– C’est tout, interrompit Raoul avec unpeu de sécheresse. Mon nom de baptême est, jusqu’à nouvel ordre,mon nom de famille. Cela ne m’empêche pas d’êtregentilhomme !

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