L’Arme invisible – Les Habits Noirs – Tome IV

Chapitre 4Le colonel

 

Elles riaient auprès du piano, où l’onbabillait sur n’importe quoi. Autour du foyer, la conversationlanguissait un peu parce qu’on attendait la table de whist. Çà etlà, dans le reste du salon, les groupes ressassaient la chroniquedu jour.

Dans la serre, où l’on voyait paraître etdisparaître de rares promeneurs, l’entretien de Remy d’Arx et de lacomtesse Corona allait s’animant de plus en plus.

Le jeune juge d’instruction était très pâle etparlait avec une chaleur contenue ; la belle comtesses’arrêtait parfois pour l’écouter, tantôt riant aux éclats, tantôtémue et comme stupéfaite.

Soit par hasard, soit à dessein, Valentine,dont les doigts blancs se jouaient avec distraction sur les touchesdu piano, s’était placée de manière à ne rien perdre de ce qui sepassait derrière les châssis de la serre.

Ces demoiselles, de leur côté, ne perdait riende ce qui se passait sur les traits charmants de Valentine.

On pouvait dire ce qu’on voulait, les parolesne signifiaient rien, puisque l’intérêt de la comédie étaitailleurs : Valentine ne relevait-elle pas malgré elle sesgrands yeux qu’elle eût voulu tenir baissés ? une rougeurfugitive ne montait-elle pas tout à coup à sa joue ? etn’avait-on pas surpris le froncement de ses sourcilsdélicats ?

Marie de Tresme, un blond amour, conclut unediscussion musicale en disant :

– C’est égal, moi, j’aime mieux Schubert.Le Roi des Aulnes,voyez-vous, c’est un délice.

Elle ajouta du bout des lèvres :

– Mais comme M. Remy d’Arx a de l’esprit cesoir avec la comtesse !

Valentine ferma le piano et tourna le dos à laserre.

On entendit la voix un peu cassée deMme la marquise qui disait :

– Alors, nous avons encore une cause célèbrece mois-ci ?

– Un succès colossal, repartit Mmede Tresme, la mère de cette blonde Marie ; on ne parle plus nide Rachel, ni de Duprez, ni de Mario, ni de Grisi, tout est auxHabits Noirs !

Un gros homme, assis auprès de la marquise,ajouta :

– Nous nous en occupons aussi à Saumur.

– Et qu’est-ce que c’est donc que ces HabitsNoirs ? demanda d’un ton indolent M. de Saint-Louis de l’autrecôté de la cheminée.

Ce fut à ce moment que le valet annonça M. lebaron de la Perrière, qui fit son entrée rondement et en hommesuffisamment appris.

– Voici la vingtième fois pour le moins quej’entends faire cette question aujourd’hui, dit-il, après avoirsalué la marquise ; les Parisiens en deviendront fous, etjamais, depuis la girafe, on ne vit une vogue pareille !

Il y eut des groupes qui se rapprochèrent etle gracieux conciliabule réuni auprès du piano se mit àécouter.

– J’ai peine à croire, reprit le gros homme,qui était un cousin de la marquise, habitant la province ets’occupant d’améliorations agricoles, j’ai peine à croire que cesHabits Noirs aient l’importance de la bande Châtelain et surtoutdes Escarpes dont la Gazette des Tribunaux nous a racontéles méfaits à Saumur.

– Vous avez l’air très fort, à Saumur,monsieur de Champion, dit M. de la Perrière, qui lui offrit la mainen souriant, sur la Gazette des Tribunaux.

– La Bourse va bien, répondit le gros homme,mes bitumes ont monté de trois francs. C’est bon signe pour la paixde l’Europe.

Puis, prenant tout à coup cet accent oratoire,qui se gagne dans la pratique des comices agricoles, ilajouta :

– La Gazette des Tribunaux, monsieurle baron, répond à un besoin de notre époque. Je cherchais depuislongtemps pour ma fille un organe qui ne parlât ni politique, nireligion, ni morale, ni surtout littérature, car c’est la ruine desfamilles. La Gazette des Tribunaux remplit admirablementces diverses conditions.

– Elle a évidemment été fondée pour ledélassement des demoiselles, murmura M. de la Perrière en gardantson grand sérieux.

– Avant de m’abonner, continua le cousin deSaumur, j’ai fait prendre des renseignements par mon notaire, carj’avais été la victime de plusieurs publicistes qui avaient mis laclef sous la porte après avoir encaissé mon argent.

– On dit, interrompit encore M. de laPerrière, que les Habits Noirs avaient un journalofficiel !

– La Gazette des Tribunaux, repartittrès ingénument le gros homme, ne fait pas mention de cettecirconstance. Les renseignements fournis furent excellents, j’eusla preuve que l’entreprise était dans une situation florissante, etdepuis dix-huit mois nous recevons cette feuille véritablementintéressante dont Mlle de Champion nous lit les articlesaprès le dîner.

– Ce doit être une jeune personne instruite,fit observer Mme de Tresme avec son bienveillantsourire.

Le cousin de Saumur la regarda d’un air un peuinquiet.

– Il est bien entendu, madame, ajouta-t-il enbaissant la voix, que je marque au crayon, pour n’être point lus,les articles spécialement faits pour notre sexe, tels que lesaffaires d’infanticides et les attentats à la pudeur.

Le groupe du piano ne bougea pas plus que sil’on eût parlé latin. La marquise eut une quinte de toux etMme de Tresme joua de l’éventail.

– Vous autres, Parisiens, s’écria M. deChampion pendant qu’un rire discret faisait à bas bruit le tour dessalles, vous aimez mieux lire des romans, toujours inutiles quandils ne sont pas dangereux, ou dévorer les attaques incendiaires queles plumes de l’opposition dirigent contre le gouvernement. Chacunson goût ! À Saumur, nous respectons les mœurs et nous savonsapprécier les bienfaits de l’ordre public.

– Je suis entièrement de l’avis de M. deChampion, dit le fils méconnu de Louis XVI, à qui la marquiseoffrait une carte pour le whist. La province est le dernier espoirde notre civilisation malade.

La marquise revint au cousin de Saumur et luidit tout bas en lui présentant le jeu de cartes :

– Il est la sagesse même et vous voyez qu’ilpartage les opinions de Saumur.

M. de la Perrière s’était rapproché du colonelBozzo.

– Pas de whist ce soir, murmura-t-ilrapidement, soyez tout entier à votre mécanique : il faitjour.

Les longues paupières du vieillards’abaissèrent pour cacher l’étincelle qui s’allumait dans sesyeux.

– Monsieur l’abbé, dit-il de sa voix câline etdouce, soyez assez charitable pour me débarrasser de cette carte.L’habitude est une seconde nature ; quand on m’offre unepartie de whist, j’accepte toujours sans songer à ma vue, qui n’enveut plus. Prenez, c’est sans compliment, vous me rendrezservice.

Il s’appuya sur le bras du baron et l’entraînavers la serre.

Sur le passage, tout le monde causait de labande des Habits Noirs.

Il n’y a pas à établir de catégories entre lesdiverses classes de la société parisienne, quand il s’agit d’unecause célèbre ; cela intéresse et passionne tout le monde aumême degré. La conversation avait pris feu comme une traînée depoudre ; jolies filles, jeunes gens et personnages graves yallaient avec le même entrain.

Assurément le cousin de Saumur était beaucoupmoins naïf qu’il n’en avait l’air quand il disait que laGazette des Tribunaux répond à un besoin de notreépoque : nous sommes fous de crimes, et l’on connaîtl’histoire de cet éditeur qui disait à ses manœuvres littéraires.« Nous n’avons plus besoin de livres qui ait deux ou troisassassinats dans chaque chapitre. »

Il se trouvait que tout le monde avait uneprovision de ces renseignements qui se ramassent chez nous àpoignées dans les journaux, dans les cafés, dans les salons ;chacun savait les noms de ces misérables, obscurs la veille etqu’entourait aujourd’hui une sorte de gloire populaire.

On dit que dans leur geôle fermée, le bruit decette hideuse célébrité parvient toujours jusqu’à eux et que leursauvage orgueil s’en exalte jusqu’au délire.

– Est-ce vrai ? demanda cette blondeMarie, prononçant le nom du chef de la bande, comme si elle eûtparlé d’un vaillant soldat ou d’un poète à la mode, est-ce vrai queM. Mack Labussière est un joli homme ?

– Très joli, lui fut-il répondu ; il estdanois d’origine et de la meilleure noblesse. Il se faisaithabiller chez Haumann, il était habitué des coulisses de l’Opéra,et on prétend que deux de nos lionnes les plus à la mode se sontrencontrées à la porte de sa prison…

– Voyez ces curieuses ! ditMme de Tresme essayant de moraliser l’anecdote.

– Et monsieur Mayliand ?

– Oh ! celui-là allait à la cour, toutuniment !

– Bien plus, il collaborait avec M.Scribe !

– J’ai sa marchande de gants ; il enusait une douzaine et demie par semaine.

– Mme Mayliand se mettait àravir…

– Il y a donc une MmeMayliand ?

– Oui, très liée avec la femme d’un députéqu’on nomme.

– Et dame de charité.

– Hébert, celui qu’on appelle le comte deCastres, quand on l’a arrêté, était sur le point d’épouser quinzecent mille francs et des espérances.

– C’est M. Mayliand, demanda Marie, qui étaitconnu sous le sobriquet de Cancan ?

Elle s’arrêta, confuse parce queMme de Tresme la foudroyait du regard.

– Et qui le dansait ! s’écria un échappéde collège avec l’accent de l’enthousiasme ; je l’ai vul’année dernière au bal Musard…

– Comment ! monsieur Ernest, vous allezau bal Musard !

Au milieu de ce feu croisé, Valentine restaitsilencieuse.

Écoutait-elle ?

Ses lèvres avaient un pâle sourire, et à lavoir de loin, les yeux baissés à demi, la tête inclinée, vouseussiez dit une adorable statue. Elle tressaillit faiblement parcequ’une voix dit derrière elle :

– Quelqu’un qui en sait long sur tout cela,c’est M. Remy d’Arx.

Elle releva les yeux et vit fixés sur elleceux de la marquise, qui la regardait affectueusement.

– Soyons au jeu, madame, dit à cette dernièreM. de Saint-Louis, vous avez coupé mon sept de carreaux qui étaitroi.

La marquise s’excusa en souriant. Avant dequitter le salon le colonel lui avait parlé à l’oreille, et depuislors, elle restait toute rêveuse.

– Fillette, dit-elle de loin à Valentine,quand tu voudras, tu arrangeras une contredanse.

– À Saumur, fit observer le cousin, onn’oserait danser devant un membre du clergé. Il n’y a plus d’atout,et mes trèfles sont maîtres. Est-ce joué, monsieur lechanoine ?

Il étendit ses trois cartes sur la table.

– À Paris, pour ce qui regarde la danse,répondit le vieux prêtre, nous faisons comme nous pouvons. Maisvous n’avez pas bien compté les atouts, cher monsieur, ajouta-t-ilen coupant, et vous venez de perdre deux levées par votrefaute.

Valentine et Marie, assises au piano,attaquaient déjà un quadrille à quatre mains.

– C’est vrai, pourtant, dit Mlle deTresme pendant le prélude, M. d’Arx doit savoir bien des choses,car c’est lui qui avait commencé l’instruction. Mais c’est l’hommedu mystère, on n’en peut jamais rien tirer.

Dans la serre, il n’y avait plus que deuxcouples ; le colonel Bozzo et M. le baron de la Perrière,auprès de la porte d’entrée, Remy d’Arx et la comtesse Corona toutà l’autre bout et cachés derrière un massif de yucca.

M. le baron avait quitté cette apparence derespect qu’il gardait naguère vis-à-vis du vieillard, et luiparlait avec une familiarité presque effrontée.

Le colonel, lui, ne changeait jamais ;c’était toujours la même placidité discrète et douce.

– Voilà ! dit le baron, toutes voshistoires s’arrangent toujours avec la main ; vous avez unechance de possédé, papa !

– Monsieur Lecoq, répondit le colonel, leshistoires ne s’arrangent jamais d’elles-mêmes, on les arrange. Tesyeux ne sont pas mauvais, mais il te faudrait des lunettes que tun’as point pour voir où et comment j’attache les fils de ma trame.Dans ma jeunesse, je te ressemblais, j’allais comme une corneillequi abat des noix, mais vers l’âge de quarante ans, un matin, auCastel-Vecchio de Naples, où j’étais prisonnier, il m’arriva deregarder travailler une araignée. Ce sont des bêtes fortintelligentes, et crois-moi, quand elles attrapent une mouche, iln’y a ni bonne ni mauvaise chance, c’est du talent et voilàtout.

– Alors, s’écria Lecoq avec impatience, vousvoulez me faire croire que tout cela était arrangé delongueur ; le jeune homme d’Algérie, la jeune fille de lafoire et le reste, pour pincer de seconde main les diamants deCarlotta Bernetti !

Le colonel eut un rire silencieux.

– Quand je ne serai plus là, murmura-t-il,vous me regretterez. Je me moque des diamants de la Carlotta commed’une guigne ; s’il ne s’agissait que de faire une rafled’argent, Mme la marquise d’Ornans est mûre, on pourraitla cueillir d’aujourd’hui à demain ; mais nous n’en sommes paslà, mon bijou ; dans la partie qui est engagée, nous jouonsplus gros jeu que cela : c’est une question de vie ou de mort,non pas pour les autres, comme à l’ordinaire, mais pour nous-mêmes,cette fois. Me comprends-tu ?

– Pas encore, fit Lecoq.

La voix du vieillard s’était raffermie ;il parlait bas, mais net.

– Il y a un limier sur nos traces, dit-il, unfin limier. Ne cherche pas à deviner, celui-là n’est pas de tonmonde et tu ne l’as jamais rencontré dans les corridors de la ruede Jérusalem, M. de la Perrière.

– Ah bah ! fit Lecoq avec un vaniteuxsourire, je fréquente plus d’une sorte de monde, papa, et il nefaudrait pas croire non plus que vous êtes le seul pour voir plusloin que le bout de votre nez.

Le colonel le regarda par-dessous sespaupières demi-baissées.

– Tu as de la capacité, mon chéri,prononça-t-il tout bas, et d’un ton de caresse, beaucoup decapacité ; c’est toi que j’aime le mieux, tu le sais bien, etje te garde mon héritage. Voyons si tu as touché juste : oùprends-tu le limier dont je parle ?

– Parbleu ! fit Lecoq, le voilà qui causelà-bas avec Fanchette.

Son doigt tendu montrait M. Remy d’Arx, aubras de qui la belle Francesca Corona s’appuyait maintenant,sérieuse et attentive.

– Tiens ! tiens ! murmura levieillard du ton d’un maître que les progrès de son élèvesurprennent agréablement, j’ai toujours dit que tu étais un jolisujet, mon fils. Tu as mis dans le blanc du premier coup.

– Et si j’étais à votre place, interrompitLecoq, ce bel oiseau-là ne m’inquiéterait guère, c’est moi qui vousle dis.

Les sourcils du colonel étaient froncéslégèrement ; un sourire dédaigneux se jouait dans les rides desa bouche.

– Je suis bien vieux, dit-il avec lenteur,c’est quand je ne serai plus là qu’on saura ce que je valais. Cebel oiseau, comme tu l’appelles, est le plus terrible danger, leseul danger véritable, pour mieux dire, qui ait jamais menacél’association depuis que je l’ai fondée. Il a du sang corse dansles veines et il a juré la vendetta contre nous. Voilà dix ansqu’il travaille en silence. C’est un chercheur, c’est presque unsorcier. Si le hasard n’avait placé sur sa route un homme plus fortque lui (et cet homme-là c’est moi), nous serions tous morts àl’heure qu’il est.

Lecoq ouvrit ses yeux tout grands.

– Vous ne plaisanteriez pas avec moi sur unsujet pareil, papa, grommela-t-il ; pourquoi n’avez-vous pasprévenu le conseil ?

– Le conseil est convoqué pour demain. Ne medemande pas d’autres comptes : je veillais et je suis leMaître.

– Mais, de par tous les diables ! s’écriaLecoq, il en sait donc bien long ?

– Il en sait plus long que toi, il en saitpresque aussi long que moi, et si je n’avais pas été là, placécomme un obstacle au devant de ses yeux et trompant tous sescalculs par le respect qu’il me porte, il connaîtrait dès longtempsles hommes comme il connaît déjà les choses.

– Il suffirait donc d’un hasard ?…commença Lecoq, dont l’accent était inquiet.

– Il n’y a pas besoin de hasard interrompit lecolonel, la logique même de son travail rigoureux et implacabledoit le conduire à la vérité.

– Mais alors… dit Lecoq, qui regarda levieillard en face.

Il n’acheva pas : son geste brutalementexpressif traduisit sa pensée. Le colonel était assis et tournaitses pouces d’un air bénin.

– Voilà le hic ! murmura-t-il ensoupirant, on ne peut pas empêcher ces diables d’auteursdramatiques de faire leur état, mais ils ont quelquefois des idéesbien dangereuses. Il y a dans La Tour de Nesle,à l’acte dela prison, une invention tout à fait agaçante pour les personnesqui, comme nous, ont quelquefois besoin de se défaire de quelqu’un.La précaution de Buridan est simple et à la portée de tout lemonde, un enfant peut s’en servir : il a les mains liées, lefin matois, et le carcan autour du cou, on vient lui mettre lecouteau sous la gorge, ça semble aller tout seul, pas dutout ! il avait prévu le cas et déposé en lieu sûr une armequi partira si on le tue. Mon ami d’Arx ne s’est pas mis en fraisd’imagination, il a fait tout uniment comme Buridan et siaujourd’hui pour demain, il était supprimé par notre industriel, lamine qu’il a creusée éclaterait et nous sauterions comme un bouchonde Champagne. Voilà !

Pendant le silence qui suivit cettedéclaration faite d’un ton sec et péremptoire, on put entendre, àtravers le grêle feuillage des plantes tropicales, la voix de lacomtesse Corona qui disait :

– Mais c’est inimaginable ! je vousécoute comme on lirait un roman. Vous êtes plus extraordinairequ’un collégien et plus timide qu’une jeune fille !

Remy d’Arx répondit :

– Je l’aime comme jamais femme ne fut aimée.Tant que je n’ai pas parlé, mon espoir me reste, et il me sembleque si je perdais mon espoir, je mourrais.

Le colonel se frotta les mains tout doucement,pendant que sa tête battait la mesure du quadrille qu’on dansaitdans le salon voisin.

– Le capitaine Buridan, reprit-il avec sagaieté sénile et doucette, n’avait affaire qu’à Marguerite deBourgogne, une femme de bien mauvaise conduite. Le bon colonelBozzo n’était pas dans tout cela. Pour un habile prévôt d’armes, etj’étais un assez fin tireur dans le temps, il n’y a point de bottequi n’ait sa parade. Revenons à nos moutons, l’Amitié : tu asvisité toi-même les deux chambres contiguës ?

– C’est comme si on les avait faites exprès.Je les connaissais d’avance.

– Qui as-tu chargé du travail d’art pourl’effraction ?

– Cocotte.

– J’ai vu de son ouvrage, il va bien… et pourexécuter, qui as-tu choisi ?

– Le marchef.

Le colonel eut un petit frisson de femme etdit entre ses dents :

– Une bête brute qui me fait peur, mais qui nerate jamais la besogne !

– Et avec cela, demanda Lecoq, dont l’accentexprimait une curiosité mêlée de crainte, vous comptez arrêtervotre homme ?

– Qui ? le Buridan ? s’écriagaillardement le colonel ; tant que je suis là, mon trésor,n’aie jamais peur ; je suis fort sur la loi comme Thalberg surle piano. Nous mettons en branle, cette nuit, une petite mécaniqueà compartiments et à ressorts dont je t’expliquerai les détails uneautre fois. Avec ce système mignon, je suis sûr de fourrer leBuridan dans ma poche.

– Je comprends à moitié, dit Lecoq ; sila jeune fille accepte…

– Il est perdu, mon fils.

– Mais si elle refuse ?

– Mon fils, il est perdu !

Lecoq lui jeta un regard où il y avait del’envie et de l’admiration. Le colonel surprit ce coup d’œil et sonantique visage s’épanouit en une expression de naïfcontentement.

– Ce sera ma dernière affaire, dit-il, et jeveux que ce soit mon chef-d’œuvre !

Il s’interrompit pour consulter sa montre ets’écria :

– Onze heures ! Cocotte doit avoir achevéson travail préparatoire, et le marchef attend déjà dans sonbûcher ; il est temps que j’entame ma scène avec le Buridan.Rentrez au salon, monsieur de la Perrière, et, s’il vous plaît,dites à la marquise que le mariage de Mlle de Villanove…Non, dites-lui seulement que tout va comme sur des roulettes.

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