Le Capitaine Pamphile

Chapitre 19Comment le cacique des Mosquitos donna une constitution à sonpeuple, pour se faciliter un emprunt de douze millions.

Quatre mois environ après les événements quenous venons de raconter, un joli brick, portant un pavillon tiercéen fasce de sinople, d’argent et d’azur, abaissé au-dessous dupavillon royal d’Angleterre, qui se déployait fièrement au-dessusde lui en signe de suzeraineté, saluait de vingt coups de canon laforteresse de Portsmouth, qui lui rendait sa politesse par unnombre de coups égal !

C’était le Soliman, navire fin voilier,détaché de la nombreuse marine militaire du cacique des Mosquitos,et qui amenait à Londres et à Édimbourg les consuls de Son Altesse,lesquels venaient, munis de l’acte de cession fait par legouvernement anglais à leur maître, se faire reconnaître de SaMajesté Guillaume IV.

La curiosité avait été grande dès qu’on avaitsignalé dans la rade de Portsmouth un pavillon inconnu ; maiscette curiosité augmenta encore lorsque l’on sut quels importantspersonnages il annonçait. Chacun se précipita aussitôt sur le portpour voir descendre les deux illustres envoyés du nouveau souverainque la Grande-Bretagne venait de ranger au nombre de ses vassaux.Il semblait aux Anglais, si avides de choses nouvelles, que lesdeux consuls devaient avoir quelque chose d’étrange, et qui sentitl’état sauvage dont allait les tirer le bienfaisant patronage del’Angleterre. Mais, sur ce point, les prévisions des curieux furentcomplètement trompées : la chaloupe mit à terre deux hommes,dont l’un, déjà âgé de cinquante à cinquante-cinq ans, court,replet et haut en couleur, était le consul d’Angleterre ;l’autre, âgé de vingt-deux à vingt-trois ans, grand et sec, étaitle consul d’Édimbourg ; tous deux étaient revêtus d’ununiforme de fantaisie qui tenait le milieu entre le costumemilitaire et l’habit civil. Au reste, leur teint bruni par lesoleil, leur accent méridional fortement accentué, indiquaient dupremier coup, à l’œil et à l’oreille, des enfants del’équateur.

Les nouveaux débarqués s’informèrent de lademeure du commandant de place, auquel ils firent leur visite, quidura une heure, à peu près ; puis ils retournèrent à bord duSoliman, toujours accompagnés de la même affluence. Le même soir,le bâtiment remit à la voile, et, huit jours après, on apprit parle Times, le Standard et le Sund leur heureuse arrivée à Londres,où ils avaient produit, disaient ces journaux, une grandesensation. Cela ne surprit point le gouverneur de Portsmouth, quiavait été étonné, disait-il à qui voulait l’entendre, del’instruction variée des deux envoyés du cacique des Mosquitos, quitous deux parlaient un français fort passable, et dont l’un, leconsul d’Angleterre, possédait d’excellentes idées commerciales etmême une légère teinte de médecine, tandis que l’autre, le consuld’Édimbourg, brillait surtout par un esprit très vif et uneconnaissance approfondie de la science culinaire des différentspeuples du monde, que, tout jeune qu’il était, ses parents luiavaient fait parcourir, dans la prévision, sans doute, des hautescharges auxquelles la Providence l’avait appelé.

Les deux consuls mosquitos avaient eu le mêmesuccès auprès des autorités de Londres qu’auprès du gouverneur dePortsmouth. Les ministres auxquels ils s’étaient présentés avaientremarqué en eux, il est vrai, une ignorance complète des usages dumonde ; mais cette absence de fashion, qu’on ne pouvaitconsciencieusement pas exiger d’hommes nés sous le 10edegré de latitude, était bien rachetée par les connaissancesdiverses qu’ils possédaient, et qui sont quelques fois parfaitementétrangères aux agents des nations les plus civilisées.

Par exemple, le lord chancelier étant revenu,un soir, très enroué d’une séance de la chambre basse, où il avaitété obligé de discuter contre O’Connell un nouveau projet d’impôtssur l’Irlande, le consul de Londres, qui se trouvait là par hasardà son retour, demanda à milady un jaune d’œuf, un citron, un petitverre de rhum et quelques clous de girofle, prépara de ses propresmains une boisson agréable au goût et fort en usage, dit-il, àComayagua pour ces sortes d’indispositions, boisson qu’ayant avaléde confiance le lord chancelier, il se trouva radicalement guéri lelendemain. Cette aventure fit, du reste, tant de bruit dans lemonde diplomatique, que, depuis ce temps, on n’appelle plus leconsul de Londres que le docteur.

Une autre chose, non moins extraordinaire,arriva à M. le consul d’Édimbourg, sir Édouard Twomouth. Unjour que l’on causait chez le ministre de l’instruction publiquedes différents mets des différentes nations, sir Édouard Twomouthdéploya une si vaste connaissance de la matière, depuis la carrickà l’indienne, fort en usage à Calcutta, jusqu’au pâté de bosse debison, si généralement apprécié à Philadelphie, qu’il en fit venirl’eau à la bouche à toute l’honorable assemblée ; ce quevoyant le consul, il offrit avec une obligeance sans égale àM. le ministre de l’instruction publique de diriger un de cesprochains dîners dans lequel on ne servirait aux convives que desplats parfaitement inconnus en Europe. Le ministre de l’instructionpublique, confus de tant de bonté, refusa longtemps d’accepter unepareille offre ; mais sir Édouard Twomouth insista de tellefaçon et avec une si grande franchise, que Son Excellence finit parcéder et invita tous ses collègues à cette solennité culinaire. Eneffet, au jour dit, le consul d’Édimbourg, qui avait donné lasurveille à ses ordres pour les achats, arriva dès le matin, et,sans morgue, sans fierté, descendant à la cuisine, il se mit enchemise, au milieu des cuisiniers et des marmitons, qu’il dirigeacomme s’il n’avait pas fait autre chose de toute sa vie. Puis, unedemi-heure avant le dîner, il détacha la serviette qu’il avaitnouée autour de ses reins, reprit son habit de consul, et, avec lasimplicité du mérite réel, il entra au salon avec la mêmetranquillité que s’il descendait de son équipage.

C’est ce dîner, lequel fit révolution dans lecabinet anglais, qui fut comparé au festin de Balthasar par leConstitutionnel, dans un article foudroyant intitulé PerfideAlbion.

Aussi, sir Édouard Twomouth souleva-t-il lesplus vifs regrets dans le club gastronomique de Piccadilly,lorsque, impérieusement appelé par son devoir, il fut forcé dequitter Londres pour Édimbourg. Le docteur resta donc seul àLondres. Au bout de quelque temps, il notifia au corps diplomatiquel’arrivée prochaine de son auguste maître, Son Altesse don Gusman yPamphilos, ce qui produisit une grande sensation dans le mondearistocratique.

En effet, un matin, on signala un bâtimentétranger qui remontait la Tamise, portant à sa corne le pavillonmosquitos, et, à son mât d’artimon, l’étendard de laGrande-Bretagne ; c’était le brick le Mosquitos, du même portet de la même force que le Soliman, mais tout éclatant de dorures,et, le même jour, il mouilla dans les Docks. Il amenait à LondresSon Altesse le cacique en personne.

Si l’affluence avait été déjà considérable audébarquement des consuls, on comprend ce qu’elle dut être audébarquement du maître. Londres tout entier était dans ses rues, etce fut à grand-peine si le corps diplomatique parvint à se faireplace, tant la foule était pressée, pour venir recevoir le nouveausouverain.

C’était un homme de quarante-cinq àquarante-huit ans, chez lequel on reconnut à l’instant même levéritable type mexicain, avec ses yeux vifs, son teint hâlé, sesfavoris noirs, son nez aquilin et ses dents de chacal. Il étaitvêtu d’un habit de général mosquitos, et portait pour tout ornementla plaque de son ordre ; il parlait passablement l’anglais,mais avec un accent provençal très prononcé. Cela tenait à ce quele français était la première langue qu’il eût apprise, et qu’ill’avait apprise d’un maître marseillais ; au reste, ilrépondit aux compliments avec aisance, parla à chaque ministre et àchaque chargé d’affaires dans sa langue : Son Altesse lecacique étant polyglotte au premier degré.

Le lendemain, Son Altesse fut reçue par SaMajesté Guillaume IV.

Huit jours après, les murs de Londres setapissèrent de lithographies représentant les différents uniformesde l’armée de terre et de mer du cacique des Mosquitos ; puisde paysages représentant la baie de Carthago et le cap Garcias àDios, à l’endroit où la rivière d’or se jette à la mer.

Enfin parut une vue exacte de la placepublique de la ville capitale, avec le palais du cacique au fond,le théâtre sur un côté et la bourse sur l’autre.

Tous les soldats étaient gras et bienportants, et l’on expliquait ce phénomène par une note placée aubas des gravures et qui indiquait la paye que recevait chaquemilitaire ; c’était trois francs par jour pour les simplessoldats, cinq francs pour les caporaux, huit francs pour lessergents, quinze francs pour les sous-officiers, vingt-cinq francspour les lieutenants et cinquante francs pour les capitaines. Quantà la cavalerie, elle touchait double paye, parce qu’elle étaitobligée de nourrir ses chevaux ; cette magnificence, qu’on eûttraitée de prodigalité à Londres et à Paris, était toute simple àMosquitos, l’or roulant dans les fleuves et germant littéralementsous terre ; de sorte qu’on n’avait qu’à se baisser et à leprendre.

Quant aux paysages, c’étaient bien les plusriches points de vue qui se pussent voir : l’ancienne Sicilequi nourrissait Rome et l’Italie du superflu de ses douze millionsd’habitants n’était qu’un désert auprès des plaines de Panamakas,de Caribania et de Tinto ; c’étaient des champs de maïs, deriz, de cannes à sucre et de café, au milieu desquels les cheminsétaient à peine tracés pour la circulation des exploitants ;toutes ces terres rapportaient naturellement, et sans que l’hommes’en occupât le moins du monde. Cependant les naturels leslabouraient, parce qu’il arrivait souvent qu’avec le soc de leurcharrue, ils découvraient des lingots d’or de deux ou trois livres,et des diamants de trente à trente-cinq carats.

Enfin, autant qu’on pouvait en juger par lestrois magnifiques palais qui s’élevaient sur la place principaledes Mosquitos, la ville était bâtie dans un style mélangé, quiparticipait à la fois de l’antique simplicité grecque, de lacapricieuse ornementation du moyen âge et de la noble impuissancemoderne ; ainsi le palais du cacique était fait sur le modèledu Parthénon, le théâtre avait une façade dans le goût de celle dudôme de Milan, et la bourse ressemblant à l’église Notre-Dame deLorette. Quant à la population, elle était vêtue d’habitsmagnifiques, tout resplendissants d’or et de pierreries. Desnégresses suivaient les femmes avec des parasols de plumes detoucan et de colibri ; les laquais faisaient l’aumône avec despièces d’or, et il y avait dans un coin du tableau un pauvre quinourrissait son chien avec des saucisses.

Quinze jours après l’arrivée du cacique àLondres, il n’était bruit, depuis Dublin jusqu’à Édimbourg, que del’Eldorado mosquitos ; le peuple s’arrêtait devant cesmagnifiques prospectus en telle affluence, que la baguette duconstable devint insuffisante pour dissiper lesattroupements : ce que voyant le cacique, il alla trouver lelord maire, en le priant de défendre l’exposition d’aucune gravureou gouache représentant quoi que ce soit de son royaume. Le lordmaire, qui, jusqu’à présent, ne l’avait pas fait dans la seulecrainte de désobliger Son Altesse don Gusman y Pamphilos, ordonna,le jour même, la saisie des objets désignés chez tous les marchandsde gravures ; mais, s’ils étaient loin de la vue, ilsn’étaient pas hors de la mémoire, et, le lendemain de cetteexécution sans exemple dans un pays aussi libre que l’est laGrande-Bretagne, plus de cinquante personnes se présentèrent chezle consul, déclarant qu’elles étaient prêtes à émigrer, si lesrenseignements qu’elles venaient chercher étaient en harmonie avecce qu’elles attendaient.

Le consul leur répondit qu’il y avait aussiloin de l’idée qu’elles avaient pu prendre de cette bienheureuseterre, à ce qu’elle était en effet, qu’il y a loin de la nuit aujour et de la tempête au beau temps ; que la lithographieétait, comme chacun sait, un moyen très impuissant de traduire lanature, puisqu’elle n’avait qu’un ton gris et terne pour rendre nonseulement toutes les couleurs, mais encore les milliers de nuancesqui font le charme et l’harmonie de la création ; que, parexemple, les oiseaux qui voltigeaient dans les paysages et quiavaient sur ceux de l’Europe l’avantage inappréciable de se nourrird’insectes malfaisants, et de ne pas sentir le grain, semblaienttous sous les crayons du lithographe des moineaux francs ou desalouettes, tandis qu’ils brillaient en réalité de couleurs sifraîches et si vives, qu’ils semblaient des rubis animés et destopazes vivantes ; que, d’ailleurs, s’ils voulaient se donnerla peine de passer dans son cabinet, il leur montrerait ces mêmesoiseaux, qu’ils reconnaîtraient, non pas à leur plumage, mais à laforme de leur bec et à la longueur de leur queue, et qu’en lescomparant à l’ignoble ressemblance que le peintre avait cruatteindre, ils pourraient juger de tout le reste sur un seuléchantillon.

Les braves gens entrèrent dans le cabinet, et,comme le docteur, grand amateur d’histoire naturelle, avait, dansses différentes courses, réuni une collection précieuse de toutesles fleurs volantes qu’on appelle des colibris, des oiseaux-moucheset des bengalis, ils en sortirent parfaitement convaincus.

Le lendemain, un bottier se présenta chez leconsul et demanda si, à Mosquitos, les industries étaient libres.Le consul répondit que le gouvernement y était si paternel, quel’on n’y payait même pas de patente ; ce qui établissait uneconcurrence qui tournait à la fois au profit des industriels et desconsommateurs, attendu que tous les peuples environnants venaients’approvisionner dans la capitale du caciquat, où ils trouvaientchaque chose tellement au-dessous du cours de leur paye, que rienque par cette différence ils étaient défrayés et au delà desdépenses de leur voyage ; que les seuls privilèges qui dussentexister, car ils n’existaient pas encore, et c’était ce qu’il avaitvu en Angleterre qui en avait donné l’idée au cacique, était lafourniture spéciale de sa personne sérénissime et de sa maison. Lebottier demanda aussitôt s’il y avait à Mosquitos un bottier de lacouronne. Le consul répondit que beaucoup de demandes avaient étéfaites, mais qu’aucune n’avait encore été distinguée ; qued’ailleurs, le cacique comptait soumissionner les charges, ce quiépargnerait toujours un grand embarras, attendu que cette mesuredéjouait toutes les brigues et tuait la vénalité, ce vicefondamental des gouvernements européens. Le bottier demanda à queltaux était cotée la charge de bottier de la couronne. Le docteurconsulta ses registres et répondit que la charge de bottier de lacouronne était cotée à deux cent cinquante livres sterling. Lebottier bondit de joie : c’était pour rien ! puis, tirantde sa poche cinq billets de banque qu’il présenta au consul, il lepria dès ce moment de le considérer comme seul et uniquesoumissionnaire, ce qui était d’autant plus juste qu’il y avaitrempli la condition demandée, c’est-à-dire le paiement comptant etintégral de la soumission. Le consul trouva la demande siéminemment raisonnable, qu’il n’y répondit qu’en remplissant unbrevet qu’il remit séance tenante au pétitionnaire, signé de samain et revêtu du sceau de Son Altesse. Le bottier sortit duconsulat sûr de sa fortune et enchanté d’avoir fait pour l’assurerun si mince sacrifice.

Dès lors il y eut queue au bureau duconsulat ; au bottier succéda un tailleur, au tailleur unpharmacien ; au bout de huit jours, chaque branche del’industrie, du commerce ou de l’art eut son représentant breveté.Puis ensuite vinrent les achats de grades et de titres ; lecacique fit des colonels et créa des barons, vendit des titres denoblesse personnelle et de la noblesse héréditaire. Un monsieur,qui avait déjà l’Éperon d’or et l’ordre d’Hohenlohe, lui fit mêmedes propositions pour acheter l’Étoile de l’équateur, qu’il avaitfondée pour récompenser le mérite civil et le couragemilitaire ; mais le cacique répondit que, sur ce pointseulement, il s’écarterait de l’exemple donné par les gouvernementseuropéens, et qu’il faudrait gagner sa croix pour l’obtenir. Malgréce refus, qui lui fit, au reste, le plus grand honneur dansl’esprit des radicaux anglais, le cacique encaissa dans son moisune recette de soixante mille livres sterling.

Vers ce temps, et après un dîner à la cour, lecacique se hasarda à parler d’un emprunt de quatre millions. Lebanquier de la couronne, qui était un juif prêtant de l’argent àtous les souverains, sourit de pitié à cette demande et répondit aucacique qu’il ne trouverait pas à emprunter moins de douzemillions, toute affaire commerciale au-dessous de ce chiffre étantabandonnée aux carotteurs et aux courtiers marrons. Le caciquerépondit que ce n’était pas cela qui empêcherait la chose de sefaire, et que, quant à lui, il prendrait aussi bien douze millionsque quatre. Le banquier lui dit alors de passer dans son bureau, etqu’il y trouverait son commis qui était chargé des empruntsau-dessous de cinquante millions ; qu’il aurait reçu desordres, et qu’il pourrait traiter avec ce jeune homme ; que,quant à lui, il ne s’occupait que des spéculations qui dépassaientun milliard.

Le lendemain, le cacique passa au bureau dubanquier ; tout avait été préparé comme celui-ci l’avait dit.L’emprunt se faisait à six pour cent ; M. Samuel émettaitd’abord tous les fonds ; puis il se chargeait ensuite detrouver des soumissionnaires. Cependant c’était à une conditionsine qua non. Le cacique frémit et demanda quelle était cettecondition. Le commis répondit que cette condition était de donnerune constitution à son peuple.

Le cacique resta étourdi de la demande, nonpas qu’il rechignât le moins du monde sur la constitution ; ilconnaissait la valeur de ces sortes d’écrits et en aurait donnédouze pour mille écus, à plus forte raison une pour douzemillions ; mais il ne savait pas que M. Samuel entreprîtla liberté des peuples en partie double : il lui avait mêmeentendu professer dans son patois, moitié allemand, moitiéfrançais, une profession de foi politique qui était si peu enharmonie avec la demande qu’il lui faisait faire à cette heure,qu’il ne put s’empêcher d’en manifester son étonnement au troisièmecommis.

Celui-ci répondit au cacique que Son Altessene s’était point trompée à l’endroit des opinions de sonpatron ; mais que, dans les gouvernements absolus, c’était leprince qui répondait des dettes de l’État, tandis que, dans lesgouvernements constitutionnels, c’était l’État qui répondait desdettes du prince, et que, quelque fonds que fit M. Samuel surla parole des rois, il avait encore plus de confiance dans lesengagements des peuples.

Le cacique, qui était un homme de jugement,fut forcé d’avouer que ce que lui disait ce troisième commis nemanquait pas de raison, et que M. Samuel, qu’il avait prispour un turcaret, était, au contraire, un homme fort sensé :il promit, en conséquence, de rapporter le lendemain uneconstitution aussi libérale que celles qui avaient cours en Europe,et dont le principal article serait conçu en ces termes :

De la dette publique

« Les dettes qui, jusqu’au jour de laprochaine convocation du parlement, ont été contractées par SonAltesse le cacique, sont déclarées dettes de l’État, et garantiespar tous les revenus et toutes les propriétés de l’État.

Une loi sera présentée à la prochaine cessiondu parlement, pour déterminer la portion des revenus publics quisera affectée au service des intérêts et au rachat successif ducapital de la dette actuelle. »

C’était la rédaction même deM. Samuel.

Le cacique n’y changea point une virgule, et,le lendemain, il rapporta la constitution entière, telle qu’on peutla voir aux pièces justificatives : elle était signée de samain et scellée de son sceau. Le troisième commis la jugeaconvenable et la porta à M. Samuel. M. Samuel mit aubas : Bon à tirer, déchira un feuillet de son agenda, écrivitau-dessous : « Bon pour douze millions payables fincourant », et signa Samuel.

Huit jours après, la constitution de la nationmosquitos avait paru dans tous les journaux anglais, et étaitreproduite par tous les journaux européens ; ce fut à cetteoccasion que le Constitutionnel fit cet article remarquable qui estencore dans tous les souvenirs, intitulé Noble Angleterre.

On comprend qu’une pareille largesse de lapart d’un prince à qui on ne la demandait pas, redoubla laconfiance qu’on avait en lui et tripla le nombre des émigrants. Lenombre s’éleva à seize mille six cent trente-neuf, et le consulsignait le seize mille six cent trente-neuvième passeport, lorsque,remettant le susdit papier au seize mille six cent trente-neuvièmeémigrant, le consul lui demanda quel argent lui et ses compagnonsemportaient. L’émigrant répondit qu’ils emportaient des billets debanque et des guinées. À ceci le consul répondit qu’il croyaitdevoir prévenir l’émigrant que les bank-notes perdaient à la banquemosquitos six pour cent, et l’or deux schellings par guinée, etcette perte était une chose qui se devait comprendre, à cause del’éloignement des deux pays et de la rareté des relations, tout lecommerce se faisant en général à Cuba, Haïti, la Jamaïque,l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud.

L’émigrant, qui était un homme de sens,comprit parfaitement cette raison ; mais, désolé du déficitque devait produire dans sa petite fortune le change qu’il seraitobligé de subir une fois arrivé au lieu de sa destination, ildemanda à Son Excellence le consul si, par faveur spéciale, il nepourrait pas lui donner de l’argent ou de l’or mosquitos en échangede ses guinées et de ses bank-note. Le consul répondit qu’ilgardait son or et son argent, parce qu’étant purs de tout alliage,ils gagnaient sur l’argent et sur l’or anglais, mais qu’il pouvaitlui donner, moyennant une simple commission d’un demi pour cent,des billets de la banque du cacique, qui, une fois arrivé àMosquitos, lui seraient échangés sans retenue contre de l’or et del’argent du pays. L’émigrant demanda à embrasser les pieds duconsul ; mais celui-ci lui répondait avec une dignité vraimentrépublicaine que tous les hommes étaient égaux, et lui donna samain à baiser.

Dès ce jour, le change commença. Il dura unesemaine. Au bout d’une semaine, le change avait produitquatre-vingt mille livres sterling, sans compter l’escompte.

Vers le même temps, sir Édouard Twomouth,consul à Édimbourg, prévint son collègue de Londres qu’il avaitencaissé, par des moyens à peu près analogues à ceux qui avaientété mis en usage dans la capitale des trois royaumes, une somme decinquante mille livres sterling. Le docteur trouva d’abord quec’était bien peu ; mais il réfléchit que l’Écosse était unpays pauvre qui ne pouvait pas rendre comme l’Angleterre.

De son côté, Son Altesse le cacique don Gusmany Pamphilos, toucha, fin courant, les douze millions du banquierSamuel.

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