Les Frères Corses

Chapitre 15

 

En ce moment, le valet de chambre annonça le baron GiordanoMartelli.

C’était, comme Louis de Franchi, un jeune Corse de la provincede Sartène ; il servait dans le 11e régiment, oùdeux ou trois faits d’armes admirables l’avaient fait nommercapitaine à l’âge de vingt-trois ans. Il va sans dire qu’il étaitvêtu en bourgeois.

– Eh bien, lui dit-il, après m’avoir salué, la chose en estdonc arrivée enfin où elle en devait venir, et, d’après ce que tum’écris, tu auras, selon toute probabilité, la visite des témoinsde M. de Château-Renaud dans la journée.

– Je l’ai eue, dit Louis.

– Ont-ils laissé leurs noms et leurs adresses ?

– Voici leurs cartes.

– Bien ! Ton valet de chambre m’a dit que nous étionsservis, déjeunons, et nous irons ensuite leur rendre leurvisite.

Nous passâmes dans la salle à manger, et il ne fut plus questionde l’affaire qui nous réunissait.

Ce fut alors seulement que Louis m’interrogea sur mon voyage enCorse, et que je trouvai l’occasion de lui raconter tout ce que lelecteur sait déjà.

À cette heure que l’esprit du jeune homme était calmé par l’idéequ’il se battait le lendemain avec M. de Château-Renaud,tous les sentiments de patrie et de famille lui revenaient aucœur.

Il me fit vingt fois répéter ce que m’avaient dit son frère etsa mère. Il était surtout fort touché, connaissant les mœursvéritablement corses de Lucien, des soins qu’il avait mis à apaiserla querelle des Orlandi et des Colona.

Midi sonna.

– Je crois, sans vous chasser le moins du monde, messieurs,dit Louis, qu’il serait temps de rendre à ces messieurs leurvisite ; en tardant davantage, ils pourraient croire que nousy mettons de la négligence.

– Oh ! sur ce point, rassurez-vous, repartis-je ;ils sortent d’ici il y a deux heures à peine, et il vous a fallu letemps de nous prévenir.

– N’importe, dit le baron Giordano, Louis a raison.

– Maintenant, dis-je à Louis, il faut cependant que noussachions quelle arme vous préférez de l’épée ou du pistolet.

– Oh ! mon Dieu, je vous l’ai dit, cela m’estparfaitement égal, attendu que je ne suis familier ni avec l’une niavec l’autre. D’ailleurs, M. de Château-Renaudm’épargnera l’embarras du choix. Il se regardera sans doute commel’offensé, et, à ce titre, il pourra prendre l’arme qui luiconviendra.

– Cependant l’offense est discutable. Vous n’avez rien faitautre chose que présenter le bras qu’on réclamait de vous.

– Écoutez, me dit Louis : toute discussion, à monavis, pourrait prendre la tournure d’un désir d’arrangement. J’aides goûts fort paisibles, comme vous le savez ; je suis loind’être duelliste, puisque c’est la première affaire que j’ai ;mais c’est justement à cause de toutes ces raisons que je veux êtrebeau joueur.

– Cela vous est bien aisé à dire, mon cher ; vous nejouez que votre vie, vous, et vous nous laissez à nous, en face detoute votre famille, la responsabilité de ce qui arrivera.

– Oh ! quant à cela, soyez tranquilles, je connais mamère et mon frère. Ils vous demanderont : « Louiss’est-il conduit en galant homme ? » et, quand vous aurezrépondu : « Oui », ils diront : « C’estbien. »

– Mais enfin, que diable ! Faut-il cependant que noussachions quelle arme vous préférez.

– Eh bien, si l’on propose le pistolet, acceptez-le tout desuite.

– C’était mon avis aussi, dit le baron.

– Va donc pour le pistolet, répondis-je, puisque c’estvotre avis à tous deux. Mais le pistolet est une vilaine arme.

– Ai-je le temps d’apprendre à tirer l’épée d’ici àdemain ?

– Non. Cependant, avec une bonne leçon de Grisier,peut-être arriveriez-vous à vous défendre.

Louis sourit.

– Croyez-moi, dit-il, ce qui arrivera de moi demain matinest déjà écrit là-haut, et, quelque chose que nous y puissionsfaire, vous et moi, nous n’y changerons rien.

Sur ce, nous lui serrâmes la main et nous descendîmes.

Notre première visite fut naturellement pour le témoin de notreadversaire qui se trouvait le plus proche de nous.

Nous nous rendîmes donc chez M. René de Châteaugrand, quidemeurait, comme nous l’avons dit, rue de la Paix, n° 12.

La porte était interdite à quiconque ne se présenterait point dela part de M. Louis de Franchi.

Nous déclinâmes notre mission, présentâmes nos cartes, et fûmesintroduits à l’instant même.

Nous trouvâmes dans M. de Châteaugrand un homme dumonde parfaitement élégant. Il ne voulut point que nous nousdonnassions la peine de passer chez M. de Boissy, nousdisant qu’ils étaient convenus ensemble que le premier chez lequelnous nous présenterions enverrait chercher l’autre.

Il envoya donc aussitôt son laquais prévenir M. Adrien deBoissy que nous l’attendions chez lui.

Pendant ce moment d’attente, il ne fut pas une seconde questionde l’affaire qui nous amenait. On parla courses, chasse, opéra.

M. de Boissy arriva au bout de dix minutes.

Ces messieurs ne mirent pas même en avant la prétention du choixdes armes : l’épée ou le pistolet étant également familiers àM. de Château-Renaud, ils s’en remettaient du choix àM. de Franchi lui-même ou au hasard. On jeta un louis enl’air, face pour l’épée, pile pour le pistolet ; le louisretomba pile.

Il fut donc décidé que le combat aurait lieu le lendemain à neufheures du matin, au bois de Vincennes ; que les adversairesseraient placés à vingt pas de distance ; qu’on frapperaittrois coups dans les mains, et qu’au troisième coup, ilstireraient.

Nous allâmes rendre cette réponse à de Franchi.

Le même soir, je trouvai en rentrant chez moi les cartes deMM. de Châteaugrand et de Boissy.

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