Les Frères Corses

Chapitre 2

 

Je me mis à escalader lestement l’échelle susdite, et fisquelques pas dans l’intérieur.

Au détour du corridor, je me trouvai en face d’une femme dehaute taille, vêtue de noir.

Je compris que cette femme, de trente-huit à quarante ans,encore belle, était la maîtresse de la maison, et je m’arrêtaidevant elle.

– Madame, lui dis-je en m’inclinant, vous devez me trouverbien indiscret ; mais l’usage du pays m’excuse et l’invitationde votre serviteur m’autorise.

– Vous êtes le bienvenu pour la mère, me répondit madame deFranchi, et vous serez tout à l’heure bienvenu pour le fils. Àpartir de ce moment, monsieur, la maison vous appartient ;usez-en donc comme si elle était la vôtre.

– Je viens vous demander l’hospitalité pour une nuitseulement, madame. Demain matin, au point du jour, je partirai.

– Vous êtes libre de faire ainsi qu’il vous conviendra,monsieur. Cependant, j’espère que vous changerez d’avis, et quenous aurons l’honneur de vous posséder plus longtemps.

Je m’inclinai une seconde fois.

– Maria, continua madame de Franchi, conduisez monsieur àla chambre de Louis. Allumez du feu à l’instant même, et portez del’eau chaude. – Pardon, continua-t-elle en se retournant de moncôté, tandis que la servante s’apprêtait à suivre ses instructions,je sais que le premier besoin du voyageur fatigué est l’eau et lefeu. Veuillez suivre cette fille, monsieur. Demandez-lui les chosesqui pourraient vous manquer. Nous soupons dans une heure, et monfils, qui sera rentré d’ici là, aura, d’ailleurs, l’honneur de vousfaire demander si vous êtes visible.

– Vous excuserez mon costume de voyage, madame.

– Oui, monsieur, répondit-elle en souriant, mais à lacondition que, de votre côté, vous excuserez la rusticité de laréception.

La servante montait l’escalier.

Je m’inclinai une dernière fois, et je la suivis.

La chambre était située au premier étage et donnait sur lederrière ; les fenêtres s’ouvraient sur un joli jardin toutplanté de myrtes et de lauriers-roses, traversé en écharpe par uncharmant ruisseau qui allait se jeter dans le Tavaro.

Au fond, la vue était bornée par une espèce de baie de sapinstellement rapprochés les uns des autres, qu’on eût dit unemuraille. Comme il en est de presque toutes les chambres desmaisons italiennes, les parois de celle-ci étaient blanchies à lachaux et ornées de quelques fresques représentant des paysages.

Je compris aussitôt qu’on m’avait donné cette chambre, qui étaitcelle du fils absent, comme la plus confortable de la maison.

Alors il me prit l’envie, tandis que Maria allumait mon feu etpréparait mon eau, de dresser l’inventaire de ma chambre et de mefaire par l’ameublement une idée du caractère de celui quil’habitait.

Je passai aussitôt du projet à la réalisation, en pivotant surle talon gauche, et en exécutant ainsi un mouvement de rotation surmoi-même qui me permit de passer en revue les uns après les autresles différents objets dont j’étais entouré.

L’ameublement était tout moderne ; ce qui, dans cettepartie de l’île où la civilisation n’est pas encore parvenue, nelaisse pas que d’être une manifestation de luxe assez rare. Il secomposait d’un lit de fer, garni de trois matelas et d’un oreiller,d’un divan, de quatre fauteuils, de six chaises, d’un double corpsde bibliothèque et d’un bureau ; le tout en bois d’acajou etsortant évidemment de la boutique du premier ébénisted’Ajaccio.

Le divan, les fauteuils et les chaises étaient recouvertsd’indienne à fleurs, et des rideaux d’étoffe pareille pendaientdevant les deux fenêtres et enveloppaient le lit.

J’en étais là de mon inventaire, lorsque Maria sortit et mepermit de pousser plus loin mon investigation.

J’ouvris la bibliothèque et je trouvai la collection de tous nosgrands poètes :

Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Ronsard, Victor Hugo etLamartine.

Nos moralistes :

Montaigne, Pascal, Labruyère.

Nos historiens :

Mézeray, Châteaubriand, Augustin Thierry.

Nos savants :

Cuvier, Beudant, Élie de Beaumont.

Enfin quelques volumes de romans, parmi lesquels je saluai avecun certain orgueil mes Impressions de voyage.

Les clefs étaient aux tiroirs du bureau ; j’en ouvrisun.

J’y trouvai des fragments d’une histoire de la Corse, un travailsur les moyens à employer pour abolir la vendette, quelques versfrançais, quelques sonnets italiens : le tout manuscrit.C’était plus qu’il ne m’en fallait, et j’avais la présomption decroire que je n’avais pas besoin de pousser plus loin mesrecherches pour me faire une opinion sur M. Louis deFranchi.

Ce devait être un jeune homme doux, studieux, et partisan desréformes françaises. Je compris alors qu’il fût parti pour Parisdans l’intention de se faire recevoir avocat.

Il y avait sans doute pour lui tout un avenir de civilisationdans ce projet. Je faisais ces réflexions tout en m’habillant. Matoilette, comme je l’avais dit à madame de Franchi, quoique nemanquant pas de pittoresque, avait besoin d’une certaineindulgence.

Elle se composait d’une veste de velours noir, ouverte auxcoutures des manches, afin de me donner de l’air dans les heureschaudes de la journée, et par ces espèces de crevés à l’espagnole,laissait passer une chemise de soie à raies ; d’un pantalonpareil, pris depuis le genou jusqu’au bas de la jambe dans desguêtres espagnoles fendues sur le côté et brodées en soie decouleur, et d’un chapeau de feutre prenant toutes les formes qu’onvoulait lui donner, mais particulièrement celle du sombrero.

J’achevais de revêtir cette espèce de costume, que je recommandeaux voyageurs comme un des plus commodes que je connaisse, lorsquema porte s’ouvrit, et que le même homme qui m’avait introduit parutsur le seuil.

Son entrée avait pour but de m’annoncer que son jeune maître,M. Lucien de Franchi, arrivait à l’instant même, et me faisaitdemander l’honneur, si toutefois j’étais visible, de venir mesouhaiter la bienvenue.

Je répondis que j’étais aux ordres de M. Lucien de Franchi,et que tout l’honneur serait pour moi.

Un instant après, j’entendis le bruit d’un pas rapide, et je metrouvai presque aussitôt en face de mon hôte.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer