Les Frères Corses

Chapitre 8

 

– Vous n’êtes pas seul, monsieur Lucien ? dit lebandit.

– Ne vous inquiétez pas de cela, Orlandi ; monsieurest un ami à moi qui a entendu parler de vous et qui désirait vousfaire visite. Je n’ai pas cru devoir lui refuser ce plaisir.

– Monsieur est le bienvenu à la campagne, dit le bandit ens’inclinant et en faisant ensuite quelques pas vers nous.

Je lui rendis son salut avec la plus ponctuelle politesse.

– Vous devez déjà être arrivés depuis quelque temps ?continua Orlandi.

– Oui, depuis vingt minutes.

– C’est cela : j’ai entendu la voix de Diamante quihurlait au Mucchio, et déjà, depuis un quart d’heure, il est venume rejoindre. C’est une bonne et fidèle bête, n’est-ce pas,monsieur Lucien ?

– Oui, c’est le mot, Orlandi, bonne et fidèle, repritLucien en caressant Diamante.

– Mais, puisque vous saviez que M. Lucien était là,demandai-je, pourquoi n’êtes-vous pas venu plus tôt ?

– Parce que nous n’avions rendez-vous qu’à neuf heures,répondit le bandit, et que c’est être aussi inexact d’arriver unquart d’heure plus tôt que d’arriver un quart d’heure plustard.

– Est-ce un reproche que vous me faites, Orlandi ? diten riant Lucien.

– Non, monsieur ; vous pouviez avoir vos raisons pourcela, vous ; d’ailleurs, vous êtes en compagnie, et c’estprobablement à cause de monsieur que vous avez faussé voshabitudes ; car, vous aussi, monsieur Lucien, vous êtes exact,et je le sais mieux que personne ; vous vous êtes, Dieumerci ! dérangé assez souvent pour moi.

– Ce n’est pas la peine de me remercier de cela,Orlandi ; car cette fois-ci sera probablement la dernière.

– N’avons-nous pas quelques mots à échanger à ce sujet,monsieur Lucien ? demanda le bandit.

– Oui, et si vous voulez me suivre…

– À vos ordres.

Lucien se retourna vers moi.

– Vous m’excuserez, n’est-ce pas ? me dit-il.

– Comment donc ! faites.

Tous deux s’éloignèrent, et, montant sur la brèche par laquelleOrlandi nous était apparu, s’arrêtèrent là debout, se détachant envigueur sur la lueur de la lune, qui semblait baigner les contoursde leurs deux silhouettes sombres d’un guide d’argent.

Alors seulement, je pus regarder Orlandi avec attention.

C’était un homme de haute taille, portant la barbe dans toute salongueur et vêtu exactement de la même façon que le jeune deFranchi, à l’exception cependant que ses habits portaient la traced’un fréquent contact avec le maquis dans lequel vivait leurpropriétaire, les ronces à travers lesquelles plus d’une fois ilavait été obligé de fuir, et la terre sur laquelle il couchaitchaque nuit.

Je ne pouvais entendre ce qu’ils disaient, d’abord parce qu’ilsétaient à une vingtaine de pas de moi, ensuite parce qu’ilsparlaient le dialecte corse.

Mais je m’apercevais facilement à leurs gestes que le banditréfutait, avec une grande chaleur, une suite de raisonnements quele jeune homme exposait avec un calme qui faisait honneur àl’impartialité qu’il mettait dans cette affaire.

Enfin, les gestes d’Orlandi devinrent moins fréquents et plusénergiques ; sa parole elle-même sembla s’alanguir ; surune dernière observation, il baissa la tête ; puis enfin, aubout d’un instant, tendit la main au jeune homme.

La conférence, selon toute probabilité, était finie car tousdeux revinrent vers moi.

– Mon cher hôte, me dit le jeune homme, voici Orlandi quidésire vous serrer la main pour vous remercier.

– Et de quoi ? lui demandai-je.

– Mais de vouloir bien être un de ses parrains. Je me suisengagé pour vous.

– Si vous vous êtes engagé pour moi, vous comprenez quej’accepte sans même savoir de quoi il est question.

Je tendis la main au bandit, qui me fit l’honneur de la toucherdu bout des doigts.

– De cette façon, continua Lucien, vous pourrez dire à monfrère que tout est arrangé selon ses désirs, et même que vous avezsigné au contrat.

– Il y a donc un mariage ?

– Non, pas encore ; mais peut-être celaviendra-t-il.

Un sourire dédaigneux passa sur les lèvres du bandit.

– La paix, dit-il, puisque vous la voulez absolument,monsieur Lucien, mais pas d’alliance : ceci n’est point portéau traité.

– Non, dit Lucien, c’est seulement écrit, selon touteprobabilité, dans l’avenir. Mais parlons d’autre chose. N’avez-vousrien entendu pendant que je causais, avec Orlandi ?

– De ce que vous disiez ?

– Non, mais de ce que disait un faisan dans les environsd’ici.

– En effet, il me semble que j’ai entendu coqueter ;mais j’ai cru que je me trompais.

– Vous ne vous trompiez pas : il y a un coq branchédans le grand châtaignier que vous savez, monsieur Lucien, à centpas d’ici. Je l’ai entendu tout à l’heure en passant.

– Eh bien, mais, dit gaiement Lucien, il faut le mangerdemain.

– Il serait déjà à bas, dit Orlandi, si je n’avais pascraint qu’on ne crût au village que je tirais sur autre chose qu’unfaisan.

– J’ai prévenu, dit Lucien. À propos, ajouta-t-il en seretournant vers moi et en rejetant sur son épaule son fusil qu’ilvenait d’armer, à vous l’honneur.

– Un instant ! Je ne suis pas si sûr que vous de moncoup, moi ; et je tiens beaucoup à manger ma part de votrefaisan : ainsi, tirez-le.

– Au fait, dit Lucien, vous n’avez pas comme nousl’habitude de la chasse de nuit, et vous tireriez certainement tropbas ; d’ailleurs, si vous n’avez rien à faire demain dans lajournée, vous prendrez votre revanche.

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