Les Mille et une nuits

CIII NUIT.

Sire, dit-elle, le pourvoyeur du sultan deCasgar s’étant accusé lui-même publiquement d’être l’auteur de lamort du bossu, le lieutenant de police ne put se dispenser derendre justice au marchand. « Laisse, dit-il au bourreau,laisse aller le chrétien, et pends cet homme à sa place, puisqu’ilest évident par sa propre confession qu’il est coupable. Lebourreau lâcha le marchand, mit aussitôt la corde au cou dupourvoyeur, et dans le temps qu’il allait l’expédier, il entenditla voix du médecin juif, qui le priait instamment de suspendrel’exécution, et qui se faisait faire place pour se rendre au piedde la potence.

Quand il fut devant le juge de police :« Seigneur, lui dit-il, ce musulman que vous voulez fairependre n’a pas mérité la mort : c’est moi seul qui suiscriminel. Hier, pendant la nuit, un homme et une femme, que je neconnais pas, vinrent frapper à ma porte avec un malade qu’ilsm’amenaient : ma servante alla ouvrir sans lumière et reçutd’eux une pièce d’argent pour me venir dire de leur part de prendrela peine de descendre pour voir le malade. Pendant qu’elle meparlait, ils apportèrent le malade au haut de l’escalier et puisdisparurent. Je descendis sans attendre que ma servante eût alluméune chandelle, et, dans l’obscurité, venant à donner du pied contrele malade, je le fis rouler jusqu’au bas de l’escalier ; enfinje vis qu’il était mort et que c’était le musulman bossu dont onveut aujourd’hui venger le trépas. Nous prîmes le cadavre, ma femmeet moi, nous le portâmes sur notre toit, d’où nous passâmes surcelui du pourvoyeur, notre voisin, que vous alliez faire mouririnjustement, et nous le descendîmes dans sa chambre par lacheminée. Le pourvoyeur l’ayant trouvé chez lui, l’a traité commeun voleur, l’a frappé, et a cru l’avoir tué ; mais cela n’estpas, comme vous le voyez par ma déposition. Je suis donc le seulauteur du meurtre, et, quoique je le sois contre mon intention,j’ai résolu d’expier mon crime pour n’avoir pas à me reprocher lamort de deux musulmans en souffrant que vous ôtiez la vie, aupourvoyeur du sultan, dont je viens de vous révéler l’innocence.Renvoyez-le donc, s’il vous plaît, et me mettez à sa place, puisquepersonne que moi n’est cause de la mort du bossu. »

La sultane Scheherazade fut obligéed’interrompre son récit en cet endroit, parce qu’elle remarquaqu’il était jour. Schahriar se leva, et le lendemain, ayanttémoigné qu’il souhaitait d’apprendre la suite de l’histoire dubossu, Scheherazade satisfit ainsi sa curiosité :

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