Les Mille et une nuits

XXI NUIT.

Dinarzade ne fut pas paresseuse à réveiller lasultane sur la fin de cette nuit. Ma chère sœur, lui dit-elle, sivous ne dormez pas, je vous prie, en attendant le jour, qui vaparaître bientôt, de nous raconter ce qui se passa dans ce beauchâteau où vous nous laissâtes hier. Scheherazade reprit aussitôtle conte du jour précédent ; et s’adressant toujours àSchahriar : Sire, dit-elle, le sultan ne voyant donc personnedans la cour où il était, entra dans de grandes salles, dont lestapis de pied étaient de soie, les estrades et les sofas couvertsd’étoffe de la Mecque, et les portières, des plus riches étoffesdes Indes, relevées d’or et d’argent. Il passa ensuite dans unsalon merveilleux, au milieu duquel il y avait un grand bassin avecun lion d’or massif à chaque coin. Les quatre lions jetaient del’eau par la gueule, et cette eau, en tombant, formait des diamantset des perles ; ce qui n’accompagnait pas mal un jet d’eauqui, s’élançant du milieu du bassin, allait presque frapper le fondd’un dôme peint à l’arabesque.

Le château, de trois côtés, était environnéd’un jardin, que les parterres, les pièces d’eau, les bosquets etmille autres agréments concouraient à embellir ; et ce quiachevait de rendre ce lieu admirable, c’était une infinitéd’oiseaux, qui y remplissaient l’air de leurs chants harmonieux, etqui y faisaient toujours leur demeure, parce que des filets tendusau-dessus des arbres et du palais les empêchaient d’en sortir.

Le sultan se promena longtemps d’appartementen appartement, où tout lui parut grand et magnifique. Lorsqu’ilfut las de marcher, il s’assit dans un cabinet ouvert qui avait vuesur le jardin ; et là, rempli de tout ce qu’il avait déjà vuet de tout ce qu’il voyait encore, il faisait des réflexions surtous ces différents objets, quand tout à coup une voix plaintive,accompagnée de cris lamentables, vint frapper son oreille. Ilécouta avec attention, et il entendit distinctement ces tristesparoles : « Ô fortune ! qui n’as pu me laisser jouirlongtemps d’un heureux sort, et qui m’as rendu le plus infortuné detous les hommes, cesse de me persécuter, et viens, par une promptemort, mettre fin à mes douleurs. Hélas ! est-il possible queje sois encore en vie après tous les tourments que j’aisoufferts ? »

Le sultan, touché de ces pitoyables plaintes,se leva pour aller du côté d’où elles étaient parties. Lorsqu’ilfut à la porte d’une grande salle, il ouvrit la portière, et vit unjeune homme bien fait et très-richement vêtu, qui était assis surun trône un peu élevé de terre. La tristesse était peinte sur sonvisage. Le sultan s’approcha de lui et le salua. Le jeune homme luirendit son salut, en lui faisant une inclination de tête fortbasse ; et comme il ne se levait pas : « Seigneur,dit-il au sultan, je juge bien que vous méritez que je me lève pourvous recevoir et vous rendre tous les honneurs possibles ;mais une raison si forte s’y oppose, que vous ne devez pas m’ensavoir mauvais gré. – Seigneur, lui répondit le sultan, je voussuis fort obligé de la bonne opinion que vous avez de moi. Quant ausujet que vous avez de ne vous pas lever, quelle que puisse êtrevotre excuse, je la reçois de fort bon cœur. Attiré par vosplaintes, pénétré de vos peines, je viens vous offrir mon secours.Plût à Dieu qu’il dépendît de moi d’apporter du soulagement à vosmaux, je m’y emploierais de tout mon pouvoir ! Je me flatteque vous voudrez bien me raconter l’histoire de vos malheurs ;mais, de grâce, apprenez-moi auparavant ce que signifie cet étangqui est près d’ici, et où l’on voit des poissons de quatre couleursdifférentes ; ce que c’est que ce château ; pourquoi vousvous y trouvez, et d’où vient que vous y êtes seul. » Au lieude répondre à ces questions, le jeune homme se mit à pleureramèrement : « Que la fortune est inconstante !s’écria-t-il ; elle se plaît à abaisser les hommes qu’elle aélevés. Où sont ceux qui jouissent tranquillement d’un bonheurqu’ils tiennent d’elle, et dont les jours sont toujours purs etsereins ? »

Le sultan, touché de compassion de le voir encet état, le pria très-instamment de lui dire le sujet d’une sigrande douleur : « Hélas ! seigneur, lui répondit lejeune homme, comment pourrais-je n’être pas affligé ? et lemoyen que mes yeux ne soient pas des sources intarissables delarmes ? » À ces mots ; ayant levé sa robe, il fitvoir au sultan qu’il n’était homme que depuis la tête jusqu’à laceinture, et que l’autre moitié de son corps était de marbrenoir…

En cet endroit, Scheherazade interrompit sondiscours pour faire remarquer au sultan des Indes que le jourparaissait. Schahriar fut tellement charmé de ce qu’il venaitd’entendre, et il se sentit si fort attendri en faveur deScheherazade, qu’il résolut de la laisser vivre pendant un mois. Ilse leva néanmoins à son ordinaire, sans lui parler de sarésolution.

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