Les Mille et une nuits

CXXVIII NUIT.

Le lendemain, Scheherazade reprenant la suitede son discours de la nuit précédente : Le médecin juif,dit-elle, continuant de parler au sultan de Casgar : « Lejeune homme de Moussoul, ajouta-t-il, poursuivit ainsi sonhistoire :

« J’étais déjà grand, et je commençais àfréquenter le monde, lorsqu’un vendredi je me trouvai à la prièrede midi avec mon père et mes oncles dans la grande mosquée deMoussoul. Après la prière, tout le monde se retira, hors mon pèreet mes oncles, qui s’assirent sur le tapis qui régnait par toute lamosquée. Je m’assis aussi avec eux, et, s’entretenant de plusieurschoses, la conversation tomba insensiblement sur les voyages. Ilsvantèrent les beautés et les singularités de quelques royaumes etde leurs villes principales ; mais un de mes oncles dit que sil’on en voulait croire le rapport uniforme d’une infinité devoyageurs, il n’y avait pas au monde un plus beau pays que l’Égypteet le Nil, et ce qu’il en raconta m’en donna une si grande idée quedès ce moment je conçus le désir d’y voyager. Ce que mes autresoncles purent dirent pour donner la préférence à Bagdad et auTigre, en appelant Bagdad le véritable séjour de la religionmusulmane et la métropole de toutes les villes de la terre, nefirent pas la même impression sur moi. Mon père appuya le sentimentde celui de ses frères qui avait parlé en faveur de l’Égypte, cequi me causa beaucoup de joie : « Quoiqu’on en veuilledire, s’écria-t-il, qui n’a pas vu l’Égypte n’a pas vu ce qu’il y ade plus singulier au monde ! La terre y est toute d’or,c’est-à-dire si fertile qu’elle enrichit ses habitants. Toutes lesfemmes y charment ou par leur beauté ou par leurs manièresagréables. Si vous me parlez du Nil y a-t-il un fleuve plusadmirable ! Quelle eau fut jamais plus légère et plusdélicieuse ! Le limon même qu’il entraîne avec lui dans sondébordement n’engraisse-t-il pas les campagnes, qui produisent sanstravail mille fois plus que les autres terres, avec toute la peineque l’on prend à les cultiver ! Écoutez ce qu’un poète obligéd’abandonner l’Égypte, disait aux Égyptiens : « Votre Nilvous comble tous les jours de biens, c’est pour vous uniquementqu’il vient de si loin. Hélas ! en m’éloignant de vous, meslarmes vont couler aussi abondamment que ses eaux : vous allezcontinuer de jouir de ses douceurs, tandis que je suis condamné àm’en priver malgré moi. »

« Si vous regardez, ajouta mon père, ducôté de l’île que forment les deux branches du Nil les plusgrandes, quelle variété de verdure ! quel émail de toutessortes de fleurs ! Quelle quantité prodigieuse de villes, debourgades, de canaux et de mille autres objets agréables ! Sivous tournez les yeux de l’autre côté, en remontant versl’Éthiopie, combien d’autres sujets d’admiration ! Je ne puismieux comparer la verdure, de tant de campagnes arrosées par lesdifférents canaux de l’île, qu’à des émeraudes brillantesenchâssées dans de l’argent. N’est-ce pas la ville de l’univers laplus vaste, la plus peuplée et la plus riche que le grandCaire ? Que d’édifices magnifiques, tant publics queparticuliers ! Si vous allez jusqu’aux pyramides, vous serezsaisis d’étonnement, vous demeurerez immobiles à l’aspect de cesmasses de pierres d’une grosseur énorme qui s’élèvent jusqu’auxcieux : vous serez obligés d’avouer qu’il faut que lesPharaons, qui ont employé à les construire tant de richesses ettant d’hommes, aient surpassé tous les monarques qui sont venusaprès eux non-seulement en Égypte, mais sur la terre même, enmagnificence et en invention, pour avoir laissé des monuments sidignes de leur mémoire. Ces monuments, si anciens que les savantsne sauraient convenir entre eux du temps qu’on les a élevés,subsistent encore aujourd’hui et dureront autant que les siècles.Je passe sous silence les villes maritimes du royaume d’Égypte,comme Damiette, Rosette, Alexandrie, où je ne sais combien denations vont chercher mille sortes de grains et de toiles et milleautres choses pour la commodité et les délices des hommes. Je vousen parle avec connaissance : j’y ai passé quelques années dema jeunesse, que je compterai tant que je vivrai pour les plusagréables de ma vie. »

Scheherazade parlait ainsi lorsque la lumièredu jour, qui commençait à naître, vint frapper ses yeux. Elledemeura aussitôt dans le silence ; mais sur la fin de la nuitsuivante, elle reprit le fil de son discours de cettesorte :

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