Les Mille et une nuits

XLVI NUIT.

Sur la fin de la nuit, Dinarzade ayant appeléla sultane, lui dit : Ma sœur, si vous ne dormez pas, je vousprie de continuer l’histoire que vous ne pûtes achever hier. – Jele veux, répondit Scheherazade ; et, sans perdre de temps,vous saurez que le second calender poursuivit ainsi :

« Ne croyez pas, madame, que jem’approchai de la belle princesse de l’île d’Ébène pour être leministre de la barbarie du génie ; je le fis seulement pourlui marquer par mes gestes, autant qu’il me l’était permis, quecomme elle avait la fermeté de sacrifier sa vie pour l’amour demoi, je ne refusais pas d’immoler aussi la mienne pour l’amourd’elle. La princesse comprit mon dessein. Malgré ses douleurs etson affliction, elle me le témoigna par un regard obligeant, et mefit entendre qu’elle mourait volontiers et qu’elle était contentede voir que je voulais aussi mourir pour elle. Je reculai alors, etjetant le sabre par terre : « Je serais, dis-je au génie,éternellement blâmable devant tous les hommes si j’avais la lâchetéde massacrer, je ne dis pas une personne que je ne connais point,mais même une dame comme celle que je vois, dans l’état où elleest, près de rendre l’âme. Vous ferez de moi ce qu’il vous plaira,puisque je suis à votre discrétion ; mais je ne puis obéir àvotre commandement barbare.

« – Je vois bien, dit le génie, que vousme bravez l’un et l’autre, et que vous insultez à ma jalousie. Maispar le traitement que je vous ferai, vous connaîtrez tous deux dequoi je suis capable. » À ces mots le monstre reprit le sabre,et coupa une des mains de la princesse, qui n’eut que le temps deme faire un signe de l’autre, pour me dire un éternel adieu, car lesang qu’elle avait déjà perdu et celui qu’elle perdit alors ne luipermirent pas de vivre plus d’un moment ou deux après cettedernière cruauté dont le spectacle me fit évanouir.

« Lorsque je fus revenu à moi, je meplaignis au génie de ce qu’il me faisait languir dans l’attente dela mort. « Frappez, lui dis-je, je suis prêt à recevoir lecoup mortel ; je l’attends de vous comme la plus grande grâceque vous me puissiez faire. » Mais au lieu de mel’accorder : « Voilà me dit-il, de quelle sorte lesgénies traitent les femmes qu’ils soupçonnent d’infidélité. Ellet’a reçu ici ; si j’étais assuré qu’elle m’eût fait un plusgrand outrage, je te ferais périr dans ce moment ; mais je mecontenterai de te changer en chien, en âne, en lion ou enoiseau : choisis un de ces changements ; je veux bien telaisser maître du choix. »

« Ces paroles me donnèrent quelqueespérance de le fléchir. Ô génie ! lui dis-je, modérez votrecolère, et puisque vous ne voulez pas m’ôter la vie,accordez-la-moi généreusement. Je me souviendrai toujours de votreclémence si vous me pardonnez, de même que le meilleur homme dumonde pardonna à un de ses voisins qui lui portait une enviemortelle. » Le génie me demanda ce qui s’était passé entre cesdeux voisins, en disant qu’il voulait bien avoir la patienced’écouter cette histoire. Voici de quelle manière je lui en fis lerécit. Je crois, madame, que vous ne serez pas fâchée que je vousla raconte aussi.

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