Les Mille et une nuits

LXXIII NUIT.

Sire, dit-elle, le grand vizir Giafarcontinuant l’histoire qu’il racontait au calife : « Lesseigneurs, poursuivit-il, qui s’étaient assemblés chez le grandvizir de Balsora, n’eurent pas plus tôt témoigné à ce ministre lajoie qu’ils avaient du mariage de sa fille avec Noureddin Ali,qu’on se mit à table ; on y demeura très-longtemps. Sur la findu repas on servit des confitures, dont chacun, selon la coutume,ayant pris ce qu’il put emporter, les cadis entrèrent avec lecontrat de mariage à la main. Les principaux seigneurs lesignèrent, après quoi toute la compagnie se retira.

« Lorsqu’il n’y eut plus personne que lesgens de la maison, le grand vizir chargea ceux qui avaient soin dubain qu’il avait commandé de tenir prêt, d’y conduire NoureddinAli, qui y trouva du linge qui n’avait point encore servi, d’unefinesse et d’une propreté qui faisaient plaisir à voir, aussi bienque toutes les autres choses nécessaires. Quand on eut décrassé,lavé et frotté l’époux, il voulut reprendre l’habit qu’il venait dequitter ; mais on lui en présenta un autre de la dernièremagnificence. Dans cet état, et parfumé d’odeurs les plus exquises,il alla retrouver le grand vizir son beau-père, qui fut charmé desa bonne mine, et qui, l’ayant fait asseoir auprès de lui :« Mon fils, lui dit-il, vous m’avez déclaré qui vous êtes, lerang que vous teniez à la cour d’Égypte ; vous m’avez dit mêmeque vous avez eu un démêlé avec votre frère, et que c’est pour celaque vous vous êtes éloigné de votre pays ; je vous prie de mefaire la confidence entière, et de m’apprendre le sujet de votrequerelle. Vous devez présentement avoir une parfaite confiance enmoi et ne me rien cacher. »

« Noureddin Ali lui raconta toutes lescirconstances de son différend avec son frère. Le grand vizir neput entendre ce récit sans éclater de rire : « Voilà,dit-il, la chose du monde la plus singulière ! Est-ilpossible, mon fils, que votre querelle soit allée jusqu’au pointque vous dites pour un mariage imaginaire ? Je suis fâché quevous vous soyez brouillé pour une bagatelle avec votre frèreaîné ; je vois pourtant que c’est lui qui a eu tort des’offenser de ce que vous ne lui avez dit que par plaisanterie, etje dois rendre grâces au ciel d’un différend qui me procure ungendre tel que vous. Mais, ajouta le vieillard, la nuit est déjàavancée, et il est temps de vous retirer. Allez, mon fils, votreépouse vous attend. Demain je vous présenterai au sultan ;j’espère qu’il vous recevra d’une manière dont nous aurons lieud’être tous deux satisfaits. »

« Noureddin Ali quitta son beau-père pourse rendre à l’appartement de sa femme. Ce qu’il y a de remarquable,continua le grand vizir Giafar, c’est que le même jour que sesnoces se faisaient à Balsora, Schemseddin Mohammed se mariait aussiau Caire ; et voici le détail de son mariage :

« Après que Noureddin Ali se fut éloignédu Caire, dans l’intention de n’y plus retourner, SchemseddinMohammed, son aîné, qui était allé à la chasse avec le sultand’Égypte, étant de retour au bout d’un mois, car le sultan s’étaitlaissé emporter à l’ardeur de la chasse et avait été absent duranttout ce temps-là, courut à l’appartement de Noureddin Ali ;mais il fut fort étonné d’apprendre que, sous prétexte d’allerfaire un voyage de deux ou trois journées, il était parti sur unemule le jour même de la chasse du sultan, et que depuis ce temps-làil n’avait point paru. Il en fut d’autant plus fâché qu’il ne doutapas que les duretés qu’il lui avait dites ne fussent la cause deson éloignement. Il dépêcha un courrier qui passa par Damas et allajusqu’à Alep ; mais Noureddin était alors à Balsora. Quand lecourrier eut rapporté à son retour qu’il n’en avait appris aucunenouvelle, Schemseddin Mohammed se proposa de l’envoyer chercherailleurs, et, en attendant, il prit la résolution de se marier. Ilépousa la fille d’un des premiers et des plus puissants seigneursdu Caire, le même jour que son frère se maria avec la fille dugrand vizir de Balsora.

« Ce n’est pas tout, poursuivitGiafar ; commandeur des croyants, voici ce qui arrivaencore : Au bout de neuf mois, la femme de SchemseddinMohammed accoucha d’une fille au Caire, et le même jour celle deNoureddin mit au monde, à Balsora, un garçon qui fut nomméBedreddin Hassan[41]. Legrand vizir de Balsora donna des marques de sa joie par de grandeslargesses et par les réjouissances publiques qu’il fit faire pourla naissance de son petits-fils. Ensuite, pour marquer à son gendrecombien il était content de lui, il alla au palais suppliertrès-humblement le sultan d’accorder à Noureddin Ali la survivancede sa charge, afin, dit-il, qu’avant sa mort, il eût la consolationde voir son gendre grand vizir à sa place.

« Le sultan, qui avait vu Noureddin Aliavec bien du plaisir lorsqu’il lui avait été présenté après sonmariage, et qui depuis ce temps-là en avait toujours ouï parlerfort avantageusement, accorda la grâce qu’on demandait pour luiavec tout l’agrément qu’on pouvait souhaiter. Il le fit revêtir ensa présence de la robe de grand vizir.

« La joie du beau-père fut comblée lelendemain lorsqu’il vit son gendre présider au conseil en sa place,et faire toutes les fonctions de grand vizir. Noureddin Ali s’enacquitta si bien qu’il semblait avoir, toute sa vie, exercé cettecharge. Il continua dans la suite d’assister au conseil toutes lesfois que les infirmités de la vieillesse ne permirent pas à sonbeau-père de s’y trouver. Ce bon vieillard mourut quatre ans aprèsce mariage, avec la satisfaction de voir un rejeton de sa famillequi promettait de la soutenir longtemps avec éclat.

« Noureddin Ali lui rendit les derniersdevoirs avec toute l’amitié et la reconnaissance possibles, etsitôt que Bedreddin Hassan son fils eut atteint l’âge de sept ans,il le mit entre les mains d’un excellent maître qui commença del’élever d’une manière digne de sa naissance. Il est vrai qu’iltrouva dans cet enfant un esprit vif, pénétrant et capable deprofiter de tous les enseignements qu’il lui donnait. »

Scheherazade allait continuer ; maiss’apercevant qu’il était jour, elle mit fin à son discours. Elle lereprit la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :

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