Mansfield Park

Chapitre 4

 

L’importance de Fanny augmenta par suite du départ de sescousines. Devenant, de par ce fait la seule jeune femme du salon,la seule représentante de cette intéressante partie d’une familledont elle n’avait été jusqu’ici que l’humble troisième membre, ilétait impossible qu’elle n’attirât pas davantage l’attention, qu’onne pensât pas d’avantage à elle et qu’on ne s’y intéressât pas plusqu’on ne l’aurait jamais fait. « Où est Fanny ? »devint une question générale, même lorsque l’on ne la cherchait paspour aider quelqu’un.

Sa valeur n’augmenta pas seulement à la maison, mais aussi à lacure. Dans cette maison où elle n’était entrée que difficilementdeux fois l’an depuis la mort de M. Norris, elle devint une invitéebienvenue et désirée, et dans l’obscurité et la noirceur d’un jourde novembre, des plus acceptable pour Marie Crawford. Ses visiteslà-bas, ayant commencé par la chance, continuèrent par lasollicitation. Mme Grant réellement désireuse du moindre changementpour sa sœur, put, en se persuadant le plus facilement du monde,croire qu’elle accomplissait l’action la plus gentille enversFanny, et lui donnait les meilleures possibilités d’amélioration enl’appelant fréquemment.

Fanny, ayant été envoyée au village pour quelque commission parsa tante Norris, fut surprise par une forte averse tout près duPresbytère et, ayant été aperçue par l’une des fenêtres alorsqu’elle essayait de trouver un abri sous les branches et lefeuillage bas d’un chêne, juste au-delà du bâtiment, fut forcéed’entrer, quoique non sans une certaine modeste résistance de sapart. Elle résista à une servante polie, mais quand le Dr. Grantlui-même sortit avec un parapluie il n’y avait plus rien à fairequ’à être vraiment confuse et à entrer dans la maison aussirapidement que possible ; et pour la pauvre Mlle Crawford quiavait justement contemplé la lugubre pluie dans un état d’espritvraiment découragé, soupirant sur la ruine de ses projetsd’exercice pour le matin, et de chaque chance de voir n’importequelle simple créature à part eux-mêmes pendant les prochainesvingt-quatre heures, le bruit d’un simple mouvement à la ported’entrée et la vue de Mlle Price s’engouffrant toute mouillée dansle vestibule, étaient délicieux. La valeur d’un événement seproduisant à la campagne par un jour de pluie était des plusimportante pour elle. Directement, elle se trouva de nouveau touteéveillée et l’une des plus actives à aider Fanny, à découvrirqu’elle était plus mouillée qu’il n’était possible à première vueet à lui fournir des vêtements secs et Fanny, après avoir étéobligée de se soumettre à toutes attentions, et d’être aidée etservie par la maîtresse et les servantes fut aussi obligée, enredescendant au rez-de-chaussée, de s’installer dans leur salonpour une heure, pendant que la pluie continuait, ayant ainsil’occasion de voir quelque chose de nouveau et de penser, ainsiétendue, à Mlle Crawford jusqu’au moment de s’habiller et dedîner.

Les deux sœurs furent si gentilles pour elle, si plaisantes queFanny aurait certainement pu se réjouir de la visite si ellen’avait cru ne pas être à sa place, et si elle avait pu prévoir quele temps s’éclaircirait avant la fin de l’heure, la sauvant de laconfusion de devoir voir sortir les chevaux et la voiture du Dr.Grant qui la reconduiraient chez elle, ce dont elle était menacée.Quant à l’anxiété pour quelque alarme que son absence par un teltemps pouvait apporter à la maison elle n’avait rien à endurer à cepropos, car sa sortie n’étant connue que de ses deux tantes, elleétait absolument certaine que rien ne serait éprouvé et que, quelque soit le cottage que tante Norris pût choisir pour l’y établirdurant la pluie, sa présence dans ce cottage-ci serait indubitablepour tante Bertram.

Le temps commençait à s’éclaircir quand Fanny, remarquant uneharpe dans la chambre, posa quelques questions à son sujet quidonnaient rapidement à connaître son vif désir de l’entendre etl’aveu, qui pouvait réellement être difficilement cru, qu’ellel’avait jamais entendu depuis qu’elle se trouvait à Mansfield. PourFanny elle-même, cela semblait une circonstance toute simple ettoute naturelle. Elle n’était presque jamais venue au Presbytèredepuis l’arrivée de l’instrument, et il n’y avait eu aucune raisonque cela fût ; mais Mlle Crawford rappelant à sa mémoire unvœu exprimé précédemment, était consternée de sa propre négligence,et « Vais-je jouer pour vous maintenant ? » et« Que désirez-vous ? » furent les questions quisuivirent immédiatement, posées avec la bonne humeur la plusprompte.

Elle joua donc ; heureuse d’avoir un nouvel auditeur, et unauditeur qui semblait si reconnaissant, si émerveillé del’exécution, et qui ne montrait pas d’autres désirs que les siens.Elle joua jusqu’à ce que les yeux de Fanny, constatant par lafenêtre que de toute évidence le temps devenait clair, parla de cequ’elle sentait devoir faire.

— Encore un quart d’heure, dit Mlle Crawford, et nous verrons cequi arrivera. Ne vous sauvez pas dès le premier moment de sonrétablissement. Ces nuages semblent alarmants.

— Mais ils sont passés outre, dit Fanny, je les ai surveillés.Le temps est au sud.

— Sud ou nord, je sais reconnaître un nuage dès que je le vois,et vous ne devez pas vous sauver pendant que le temps est encoreaussi menaçant. Et d’ailleurs, je désire vous jouer encore quelquechose — un très joli morceau — et le préféré de votre cousinEdmond, vous devez rester et écouter le morceau comme le fait votrecousin Edmond.

Fanny sentit qu’elle le devait ; et bien qu’elle n’eût pasattendu cette phrase pour penser à Edmond, une telle comparaison larendit particulièrement attentive à cette idée et elle sereprésenta le jeune homme, assis dans cette chambre, encore etencore, peut-être exactement au même endroit où elle était assisemaintenant, écoutant avec un plaisir constant l’air favori joué,comme il lui sembla, avec le maximum d’accent etd’expression ; et bien qu’heureuse de l’écouter, et contented’aimer ce qu’il aimait, elle était sincèrement plus impatiente des’en aller quand il fut fini qu’elle ne l’avait étéauparavant ; et cela devenant évident, elle fut si gentimentpriée de revenir, de les prendre pour but de ses promenades quandelle le pourrait, de venir encore écouter la harpe, qu’elle sentitqu’elle devrait nécessairement le faire, si aucune objectionn’était élevée à la maison.

Telle fut l’origine de cette sorte d’intimité qui prit placeentre eux dans la première quinzaine qui suivit le départ de MlleBertram, une intimité résultant principalement du désir de MlleCrawford de quelque chose de neuf, et qui n’avait que peu deréalité dans les sentiments de Fanny. Fanny lui rendit visite tousles deux ou trois jours : cela semblait une sorte defascination : elle n’aurait pu se sentir à l’aise sans yaller, et cependant elle ne l’aimait pas, elle ne pensait pas commeelle, et ne tirait de sa conversation aucun autre plaisir qu’unedistraction occasionnelle, et cela souvent à cause de son jugementcar il était alimenté par des plaisanteries sur le peuple ou surdes sujets qu’elle aurait voulu voir respectés. Elle allait chezelle, cependant, et elles flânèrent ensemble pendant de nombreusesdemi-heures dans les bosquets de Mme Grant, la température étantexceptionnellement douce pour ce moment de l’année ; ets’aventurant même quelquefois à s’asseoir sur l’une des branchesmaintenant plutôt dépouillées, restant peut-être là jusqu’à cequ’au milieu d’une des tendres exclamations de Fanny, à propos desdouceurs d’un automne si clément, elles soient forcées, par unefroide rafale s’élevant soudainement et faisant tomber autourd’elles les dernières feuilles jaunes, de descendre et de marcherpour se réchauffer.

— Ceci est beau, très beau, disait Fanny regardant autour d’ellealors qu’elle s’étaient ainsi assisses ensemble un jour, chaquefois que je viens dans ce bosquet je me sens plus impressionnée parson aspect touffu et sa beauté. Il y a trois ans, ce n’était rienqu’une haie rude le long du côté supérieur du champ, on n’auraitrien pu y voir, ni penser que le coin pourrait devenir unepromenade et il est difficile de dire s’il est plus apprécié commecommodité que comme ornement, et peut-être que dans trois autresannées, nous aurons oublié — presque oublié ce qu’il étaitprécédemment. Combien étonnants, combien merveilleux les opérationsdu temps et les changements de l’esprit humain !

Et suivant l’évolution de sa pensée, elle ajoutabientôt :

— Si l’une des facultés de notre nature peut être appeléeplus merveilleuse que les autres, je crois que c’est lamémoire. Il semble y avoir quelque chose de plus incompréhensibledans les pouvoirs, les défauts, les inégalités de la mémoire quedans aucune autre activité de notre intelligence. La mémoire estparfois si fidèle, si serviable, si utile pour d’autres, si égaréeet si faible, et pour d’autres encore, si tyrannique et hors decontrôle. Nous sommes, c’est certain, un miracle à tous points devue, mais nos pouvoirs de nous souvenir et d’oublier semblent êtreparticulièrement au delà de tout ce qu’on peut trouver.

Mlle Crawford, indifférente et inattentive, n’avait rien à dire,et Fanny, s’en apercevant, ramena son propre esprit vers ce quipouvait l’intéresser.

— Il peut sembler impertinent pour moi de louanger, cependant jedois admirer le goût que Mme Grant a montré dans tout ceci. Il y aune telle simplicité tranquille dans le plan de cettepromenade ! Aucun désir de recherche.

— Oui, répliqua Mlle Crawford négligemment, c’est très bien pourun endroit de cette sorte, on ne pense pas à l’étendue ici, etentre nous, jusqu’à mon arrivée à Mansfield, je ne m’étais jamaisimaginé un curé de campagne aspirant à un bosquet, ni à aucunechose de ce genre.

— Je suis si heureuse de voir la luxuriance de cette verdure,dit Fanny en réponse, le jardinier de mon oncle dit toujours que lesol d’ici est meilleur que le sien, et il semble en être ainsid’après la croissance des lauriers et de tous les arbustes verts engénéral. Le feuillage perpétuel ! Comme ce feuillage est beau,bien venu et merveilleux ! Quand on y pense, quelle étonnantevariété de la nature ! Dans certaines régions, nous savons quetous les arbres à peu près perdent leurs feuilles, mais cela nerend pas moins étonnant le fait que le même sol et le même soleilnourrissent différemment les plantes dans la première règle et lapremière loi de leur existence. Vous allez me croire lyrique, maisquand je suis à l’extérieur, spécialement quand je suis assise àl’extérieur, je me sens très apte à éprouver une sorte de tendreadmiration. On ne peut pas fixer ses yeux sur la plus communeproduction de la nature sans que l’imagination y trouve matière àerrer !

— Pour dire la vérité, répliqua Mlle Crawford, je suis quelquepeu pareille au fameux doge à la cour de Louis XIV, et je peuxdéclarer que je ne vois, dans ce bosquet, aucune merveille égale aufait de m’y voir. Si quelqu’un m’avait dit, il y a un an, que cetendroit serait ma maison, que je passerais ici un mois aprèsl’autre, comme je l’ai fait, je ne l’aurais certainement pas cru.Il y aura maintenant bientôt cinq mois que je suis ici et, de plus,ce sont les cinq mois les plus tranquilles que j’aie jamaisvécus.

— Trop tranquilles pour vous, je crois !

— J’aurais dû penser ainsi moi-même en théorie, mais — et sesyeux s’éclairèrent quand elle parla — je n’ai jamais vécu un étéaussi heureux. Mais alors — avec un air plus soucieux et une voixplus basse — je ne peux dire à quoi il peut me conduire.

Le cœur de Fanny battait rapidement et elle ne se sentait pas àmême de soupçonner ou de solliciter quelque chose de plus. MlleCrawford, cependant, continua avec une animationrenouvelée :

— Je suis consciente d’être de loin plus réconciliée avec unevie à la campagne que je n’avais jamais supposé l’être. Je peuxmême supposer qu’il est plaisant de passer la moitié de l’année àla campagne et, suivant certaines circonstances, très plaisant. Unemaison élégante, modeste, au centre de relations familiales ;des réunions continuelles parmi elles ; être à la tête de lameilleure société du voisinage, être considérée, peut-être, commela conduisant même plus que ceux qui ont une fortune plusconséquente ; se détourner d’un joyeux cercle de telsamusements pour rien de pire qu’un tête-à-tête avec la personne quel’on trouve la plus agréable au monde. Il n’y a rien d’effrayantdans cette image, n’est-ce pas, Mlle Price ? On n’a pas besoind’envier la nouvelle Mme Rushworth avec une maisonpareille !

— Envier Mme Rushworth ! fut tout ce que Fanny réussit àdire.

— Allons ! allons ! Ce serait très incorrect de notrepart d’être sévères envers Mme Rushworth, car je prévois que nouslui devrons beaucoup d’heures gaies, brillantes et joyeuses. Jeprésume que, tous, nous serons souvent à Sotherton l’autre année.Un mariage tel que celui que fit Mlle Bertram est une bénédictionpublique. Car les premiers plaisirs de l’épouse de M. Rushworthdoivent être d’emplir sa maison et de donner les meilleurs bals detoute la région.

Fanny se taisait, et Mlle Crawford était retombée dans sespensées, quand, soudain, levant les yeux après quelques minutes,elle s’exclama :

— Oh ! le voici…

Ce n’était pas M. Rushworth, cependant, mais Edmond, quiapparut, marchant vers elle avec Mme Grant.

— Ma sœur et M. Bertram. Je suis si contente que votre cousinaîné soit parti, de façon à ce qu’il puisse de nouveau être M.Bertram. Il y a quelque chose dans le son de M. EdmondBertram, si formel, si pitoyable, si « jeune frère », queje le déteste.

— Comme nous sentons différemment ! s’écria Fanny. Pourmoi, le son de Monsieur Bertram est si froid, sanssignification ; il est sans aucune chaleur et sans aucuncaractère ! Cela convient juste à un gentleman, et c’est tout.Mais il y a de la noblesse dans le nom de Edmond. C’est un nomd’héroïsme et de renommée, de rois, de princes et dechevaliers ; il est plein d’esprit de chevalerie et de chaudeaffection.

— Je vous accorde que le nom est bon en lui-même, etLord Edmond ou Sir Edmond ont un son délicieux,mais si vous le considérez en lui-même, l’annonce de M. et MmeEdmond n’est pas supérieure à celle de M. John ou M. Thomas. Bon,allons les rejoindre et les désappointer au milieu de leursconsidérations sur le fait de s’asseoir à l’extérieur à ce momentde l’année, en étant debout avant qu’ils puissentcommencer !

Edmond les retrouvait avec un plaisir particulier. C’était lapremière fois qu’il les voyait depuis le début de ces meilleuresrelations dont il avait entendu parler avec grande satisfaction.Une amitié entre deux personnes qui lui étaient si chères étaitexactement ce qu’il pouvait souhaiter. Et si toute l’influence decette affectueuse compréhension eût pu être mesurée, il n’auraitpu, en aucune façon, considérer Fanny comme étant la seule, ou mêmela grande bénéficiaire d’une telle amitié.

— Bon, dit Mlle Crawford, et ne nous grondez-vous pas pour notreimprudence ? Croyez-vous que nous sommes venues nous asseoirici rien que pour vous entendre en parler, et être suppliées de neplus jamais le faire ?

— Peut-être aurais-je pu vous gronder, dit Edmond, si chacune devous avait été assise seule, mais tant que vous êtes fautivesensemble, je peux pardonner beaucoup.

— Elles ne peuvent pas avoir été assises longtemps, s’écria MmeGrant, car lorsque je suis montée prendre mon châle, je les ai vuesde la fenêtre de l’escalier et elles se promenaient.

— Et réellement, ajouta Edmond, le jour est si doux que le faitque vous vous soyez assises pour quelques minutes peutdifficilement être considéré comme une imprudence. Notretempérature ne peut pas toujours être jugée d’après le calendrier.Nous pouvons quelquefois prendre de plus grandes libertés ennovembre qu’en mai.

— Ma parole, s’écria Mlle Crawford, vous êtes les deux amis lesplus décevants et les plus insensibles que j’aie jamaisrencontrés ! Il n’y a pas moyen de vous causer un momentd’inquiétude. Vous ne savez pas combien nous avons souffert,combien nous avons été glacées ! Mais j’ai longtemps considéréM. Bertram comme l’un des plus mauvais sujets à émouvoir, et qui nese laisse pas attendrir par ces petites manœuvres contre le bonsens qu’une femme pourrait commettre. Je n’avais fondé qu’un toutpetit espoir sur lui, d’ailleurs, mais vous, Mme Grant, ma sœur, mapropre sœur, je pense que j’avais le droit de vous voir un peualarmée !

— Ne vous flattez pas vous-même, ma très chère Mary. Vous n’avezpas la moindre chance de m’émouvoir. J’ai mes inquiétudes, maiselles sont dans un tout autre domaine, et si j’avais pu influencerla température, vous auriez eu un vent d’est bien glacé, soufflantvers vous tout le temps, car il y a certaines de mes plantes queRobert veut laisser dehors à cause de la douceur des nuits, et jesais comment cela va finir, car nous allons avoir un brusquechangement dans la température, une forte gelée survenant tout d’uncoup, surprenant tout le monde (au moins Robert) et je les perdraitoutes ; et, ce qui est pire, le cuisinier vient juste de medire que la dinde que je souhaitais particulièrement ne paspréparer avant dimanche, car je sais combien le Dr. Grant s’enserait plus réjoui alors, après les fatigues de la journée, nepourra pas être gardée plus tard que demain. Ces choses ressemblentà des griefs et me font penser que la température est tout à faithors de saison.

— Les douceurs de la conduite d’un ménage à la campagne… ditMlle Crawford malicieusement. Recommandez-moi au pépiniériste et aumarchand de volailles.

— Ma chère enfant, recommandez le Dr. Grant au doyenné deWestminster et de Saint-Paul et je serai aussi heureuse de votrepépiniériste et de votre marchand de volailles que vous pourriezl’être.

— Oh ! ne pouvez-vous rien faire d’autre que ce que vousfaites généralement : être ennuyée assez souvent et ne pasperdre votre sang-froid ?

— Merci, mais l’on ne peut éviter ces petits ennuis, Mary. Quel’on vive où l’on peut ! et quand vous serez installée enville et que je viendrai vous voir, j’ose dire que je voustrouverai, avec les vôtres, regrettant le pépiniériste ou lemarchand de volailles. Leur éloignement et leur manque deponctualité ou leurs prix exorbitants et leurs fraudes,entraîneront tous les quatre les plus amères lamentations.

— J’ai l’intention d’être trop riche pour me lamenter ou pouréprouver la moindre chose de cette sorte. Un large revenu est lameilleure recette du bonheur, d’après ce que j’ai toujours entendudire. Il m’assurera certainement toute la myrte et une bonne partde dindon.

— Vous avez l’intention d’être très riche ? dit Edmond,avec un regard qui, aux yeux de Fanny, avait une grandesignification.

— Certainement. Vous pas ? Ne le désirons-nous pastous ?

— Je ne peux faire aucun projet qu’il soit tellement en dehorsde mon pouvoir de réaliser. Mlle Crawford peut choisir son degré derichesse. Elle a seulement à établir le nombre de milliers qu’elledésire pour l’année et il n’y a pas de doute sur leur venue. Mesintentions sont seulement de ne pas être pauvre.

— Par la modération et l’économie, et en proportionnant vosdésirs à votre revenu, et tout cela ! Je vous comprends, etc’est un plan vraiment bon pour une personne de votre époque, avecdes moyens tellement limités et des relations sans importance. Quepouvez-vous désirer, sinon vous maintenir décemment ? Vousn’avez pas beaucoup de temps devant vous, et vos relations ne sontmême pas en mesure de pouvoir faire quelque chose pour vous, ou devous mortifier par le contraste de leur propre richesse et de sesconséquences. Soyez honnête et pauvre, par tous les moyens, mais jene vous envierai pas. J’ai un beaucoup plus grand respect pour ceuxqui sont honnêtes et riches.

— Votre degré de respect pour l’honnêteté, pauvre ou riche, estprécisément une chose avec laquelle je n’ai aucun rapport. Je neveux pas dire que je serai pauvre. La pauvreté est exactement cecontre quoi j’ai décidé d’être. L’honnêteté, entre les deux, dansl’état intermédiaire des convenances sociales, est ce que je suisle plus décidé à respecter.

Mais je me considère comme étant en dessous, si j’aurais pu êtreplus haut ! Je dois considérer comme inférieure toutesituation obscure quand j’aurais pu m’élever à la distinction.

— Mais comment peut-il s’élever ? Comment mon honnêtetépeut-elle s’élever jusqu’à n’importe quelle distinction ?

Ceci n’était pas une question à laquelle on pût répondrefacilement, et occasionna un « Oh » de certaine longueurchez la bonne dame avant qu’elle pût ajouter :

— Vous devriez être au Parlement, ou vous devriez être entré àl’armée depuis dix ans.

— Quant à mon entrée au Parlement, je crois que je devraiattendre jusqu’à ce qu’il y ait une assemblée spéciale pour lareprésentation des fils cadets qui n’ont que peu pour vivre. Non,Mlle Crawford, ajouta-t-il, dans un ton plus sérieux, il y a desdistractions auxquelles je ne pourrais jamais m’attendre sans mesentir bien misérable — sans absolument aucune possibilité de lesobtenir — mais elles sont d’un caractère différent.

Un regard conscient, tandis qu’il parlait, et ce qui semblaitêtre une vive attention pour ses manières de la part de MlleCrawford tandis qu’elle répondait en riant, étaient une source desoucis pour Fanny, et se sentant complètement incapable de prendresoin, comme elle aurait dû, de Mme Grant, à côté de qui elle setrouvait maintenant, comme les autres, elle avait presque résolu derentrer immédiatement chez elle, et n’attendait plus que le couragede le dire, lorsque le son de la grande cloche de Mansfield Parksonnant trois heures, lui rappela qu’elle avait réellement étéabsente plus longtemps que d’habitude et solutionna le problèmequ’elle se posait, pour savoir si oui ou non elle allait quitterMansfield maintenant, et comment, et l’amena à une rapide issue.Sans plus tarder, elle commença directement ses adieux, et Edmondcommença, au même moment, à faire savoir que sa mère s’étaitenquise d’elle et qu’il était venu jusqu’au presbytère dans le butde la ramener avec lui.

La hâte de Fanny augmenta, et sans supposer qu’au moins Edmondl’attendit, elle se serait dépêchée seule, mais l’allure de tousétait rapide et ils l’accompagnèrent tous dans la maison, à traverslaquelle il était nécessaire de passer. Le Dr. Grant était dans levestibule, et comme ils s’arrêtaient pour lui parler, elles’aperçut, d’après les manières d’Edmond, qu’il avait voulu direqu’il l’accompagnerait. Lui aussi prenait congé. Elle ne pouvaitpas ne pas être reconnaissante. Au moment du départ, Edmond futinvité par le Dr. Grant à venir manger avec lui le joursuivant ; et Fanny eut à peine le temps d’éprouver unsentiment déplaisant à cette occasion, que Mme Grant, avec unsoudain mouvement, se tourna vers elle et lui demanda également leplaisir de sa compagnie.

C’était une attention si nouvelle, une circonstance siparfaitement nouvelle dans les événements de la vie de Fanny,qu’elle en fut toute surprise et embarrassée, et pendant qu’ellebredouillait sa grande gratitude et : « Mais elle nesupposait pas que cela serait en son pouvoir », elle regardaitvers Edmond, attendant son opinion et son aide. Mais Edmond,heureux de lui voir offerte une telle possibilité de bonheur, etcertifiant, d’un demi-regard et d’une demi-phrase, qu’elle n’auraitaucune objection à faire, mais que du côté de sa tante, iln’imaginait pas que sa mère pût faire aucune difficulté pour laretenir et, d’avance, donnait son avis, décida que l’invitationdevrait être acceptée ; et, quoique Fanny ne voulût pass’aventurer, même avec ses encouragements, à montrer une siaudacieuse indépendance, il fut vite décidé, si aucun aviscontraire n’était perçu, que Mme Grant pouvait compter surelle.

— Et vous savez ce que sera votre dîner, dit Mme Grant,souriant : le dindon — et, je vous assure, une très bonnepièce ; car, mon cher — se tournant vers son mari — lecuisinier insiste pour que le dindon soit préparé demain.

— Très bien, très bien, cria le Dr. Grant, tout est pour lemieux. Je suis content de savoir que nous ayons une aussi bonnechose dans la maison. Mais Mlle Price et M. Edmond Bertram, j’osele dire, tenteront leur chance. Aucun de nous ne désire connaîtrela note des frais. Une amicale réunion, et non un fin dîner, esttout ce que nous avons en vue. Un dindon ou une oie, ou un gigot demouton, ou quoi que votre cuisinier choisisse de nous donner.

Les deux cousins marchèrent ensemble vers la maison, et exceptél’immédiate discussion pour l’invitation, dont Edmond parla avec laplus chaude satisfaction, comme particulièrement désirable pourl’intimité dans laquelle il la voyait établie avec tant de plaisir,ce fut une promenade silencieuse ; car, ayant épuisé ce sujet,il devint pensif et ne s’intéressa à aucun autre.

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