Mansfield Park

Chapitre 9

 

Fanny n’avait que trop raison de ne rien attendre de MlleCrawford, maintenant, à la rapide cadence avec laquelle leurcorrespondance avait commencé ; la prochaine lettre de Maryarriva après un intervalle bien plus long que la précédente, maiselle se trompait en pensant qu’un tel intervalle eût été d’un grandsoulagement pour elle. Ici il y avait un étrange changementd’esprit !

Elle était vraiment contente de recevoir la lettre quandcelle-ci arriva. Dans son exil présent de la bonne société, et àdistance de tout ce qui aurait pu l’intéresser, une lettre de ceuxappartenant au cercle où son cœur vivait, écrite avec affection etquelque élégance était parfaitement acceptable. L’excuse habituelled’engagements mondains toujours plus nombreux était invoquée pourexpliquer le retard de la lettre ; « et maintenant quej’ai commencé » continua-t-elle « ma lettre ne vaudra pasla peine d’être lue, car elle n’offrira que peu d’amour à la fin,et trois ou quatre lignes passionnées de votre plus dévoué au mondeH. C, car Henry est à Norfolk ; il dut aller pour affaires àEvringham il y a dix jours ; peut-être n’était-ce qu’unprétexte invoqué pour pouvoir voyager pendant que vous le faisiez,mais son absence peut facilement expliquer toute négligence de sasœur à vous écrire, car il n’y a pas eu de « Bien, Mary, quandécrivez-vous à Fanny ? — N’est-il pas temps pour vous d’écrireà Fanny ? » pour m’encourager. Enfin après plusieursessais pour nous rencontrer, j’ai vu vos cousins, la chère Julia etla très chère Mme Rushworth ; ils me trouvèrent à la maisonhier, et nous fûmes contents de nous revoir. Nous parûmestrès contents de nous revoir et je crois que réellement nousl’étions un peu.

Nous avions beaucoup à nous dire. Vous dirais-je quel air avaitMme Rushworth quand votre nom fut mentionné ? Je n’ai jamaiscru qu’elle eût besoin de savoir se dominer, mais hier elle à dûfaire un effort considérable. En somme, Julia avait la meilleuremine des deux, du moins quand on parla de vous. Il ne fut plusquestion pour elle de reprendre ses couleurs du moment où je parlaide Fanny, et je parlai d’elle comme une sœur le doit. Mais le jourviendra où Mme Rushworth reprendra sa bonne mine ; nous avonsdes invitations pour sa première « party », le 28.

Alors elle sera dans tout son avantage, car elle ouvrira une desmeilleures maisons de Wimpole Street. J’y étais il y a deux ans,quand elle appartenait à Lady Lascelles, et je la préfère à presquetout ce que je connais à Londres. Elle sentira alors — pouremployer une phrase vulgaire — qu’elle a reçu la valeur d’un pennypour chaque penny. Henry n’aurait pas pu lui procurer les moyensd’avoir une telle maison. J’espère qu’elle s’en souviendra et serasatisfaite, autant qu’elle le peut, en faisant partir la reine d’unpalais, quoique le roi pût bien apparaître dans le fond ; etje n’ai aucun désir de la taquiner et je ne lui imposeraiplus jamais votre nom. Elle se calmera petit à petit. De tout ceque j’entends et suppose, les attentions du Baron Wildenheim pourJulia continuent, mais je ne sais pas s’il est fort encouragé. Elledevrait trouver mieux. Un pauvre honorable n’est pas grand’chose,et je ne puis voir aucune inclinaison dans le cas présent, car àpart ses rodomontades le pauvre baron n’a rien.

Quelle différence une voyelle peut faire ! Si ses« rents » (ses revenus) étaient seulement égaux à ses« rants » (déclamations) !

Votre cousin Edmond se déplace difficilement ; il estretenu sans doute par les devoirs paroissiaux. Il y a peut-êtrequelque vieille femme à convertir à Thornton Lacey. Je ne voudraispas m’imaginer être négligée pour une jeune femme. Adieu,ma chère et douce Fanny, ceci est une longue lettre deLondres ; écris m’en une gentille pour réjouir les yeuxd’Henry quand il revient, et envoie-moi une description de tous lesbrillants jeunes capitaines que tu dédaignes pour lui. »

Il y avait grandement matière à méditation dans cette lettre, etsurtout à de la méditation désagréable ; et encore avec toutle malaise qu’elle apportait, elle la mettait en rapport avec lesabsents, elle leur parlait de gens et de choses dont elle n’avaitjamais été aussi curieuse que maintenant, et elle aurait étécontente d’être certaine de recevoir une pareille lettre chaquesemaine.

Sa correspondance avec sa tante Bertram était la seulepréoccupation d’intérêt majeur.

Quant à des gens de la société à Portsmouth qui auraient pucompenser ce qui lui manquait chez elle, il n’y en avait pas dansle cercle des connaissances de son père et de sa mère pour luidonner la moindre satisfaction : elle ne voyait personne enfaveur de qui elle pouvait souhaiter de surmonter sa timidité et saréserve. Tous les hommes lui parurent grossiers, les femmes toutesimpertinentes, tout le monde mal éduqué ; et elle rendaitaussi peu de satisfaction qu’elle en recevait des vieilles ounouvelles connaissances qui lui étaient présentées.

Les jeunes dames qui l’approchèrent d’abord avec quelquerespect, en considération du fait qu’elle venait de la famille d’unbaronet, étaient bientôt offensées par ce qu’elles appelaient des« airs » ; et comme elle ne jouait pas du piano etne portait pas de belles pelisses, elles ne pouvaient pas, enl’observant mieux, admettre en sa faveur un droit desupériorité.

La seule solide consolation que Fanny reçut pour tous les mauxde la maison, la première que son jugement pût pleinement approuveret qui offrît quelque promesse d’avenir, fut une connaissance plusapprofondie de Suzanne et l’espoir de lui pouvoir être utile.Suzanne s’était toujours aimablement comportée avec elle, mais lecaractère déterminé de ses manières l’avait étonnée et alarmée, etce ne fut qu’après quinze jours, au moins, qu’elle commença àcomprendre une disposition si totalement différente de la sienne.Suzanne remarquait que beaucoup de choses allaient de travers à lamaison et voulait y remédier ; qu’une fillette de quatorze ansse basant uniquement et sans guide sur la raison, se trompât dansses méthodes de réforme, n’était pas étonnant ; et bientôtFanny fut plus disposée à admirer la clairvoyance naturelle qui àun si jeune âge parvenait à distinguer le bien et le mal avec tantde justesse. Suzanne agissait au nom des mêmes principes, enpoursuivant le même système que son propre jugement approuvait,mais que son tempérament plus doux et plus accommodant l’empêchaitd’exprimer. Suzanne essayait de porter de l’aide là où ellen’aurait pu que partir et pleurer ; et que Suzanne fût utile,elle le voyait ; que les choses mauvaises comme elles étaient,eussent été pires sans son intervention, et que tant sa mère queBetsy étaient revenues de certains excès d’indulgence et devulgarité très blessants.

Dans chaque discussion avec sa mère, Suzanne avait l’avantage dela raison et jamais elle ne se laissait dévier par les cajoleriesde sa mère. L’aveugle tendresse qui autour d’elle produisaittoujours du mal, elle ne l’avait jamais connue. Il n’y avait pas degratitude pour une affection passée ou présente, pour lui fairemieux supporter les excès de celle-ci chez les autres.

Tout cela devint peu à peu évident, et plaça graduellementSuzanne devant sa sœur comme un objet de compassion mélangée derespect. Que ses façons de faire fussent blâmables et qu’elles lefussent parfois très fort, ses mesures souvent déplacées etintempestives, et son aspect et son langage très souventindéfendables, Fanny ne pouvait s’empêcher de le sentir ; maiselle commençait à espérer que ces défauts pourraient êtreamendés.

Suzanne, trouvait-elle, avait les yeux tournés vers elle etdésirait qu’elle eût une bonne opinion d’elle ; et toutenouvelle que fût pour Fanny l’autorité, toute nouvelle que fût pourelle l’idée de se croire capable de guider et de conseillerquelqu’un, elle se décida à donner occasionnellement des avis àSuzanne, et à essayer à mettre en pratique pour son édification desnotions plus justes de ce qui était dû à chacun, et que sa propreéducation plus favorisée avait fixées en elle.

Son influence commença à se manifester par un acte degentillesse pour Suzanne, quelle se décida enfin à faire aprèsbeaucoup d’hésitations dues à son souci de délicatesse. Dès ledébut elle avait remarqué qu’une petite somme d’argent aurait pu,peut-être, rétablir la paix pour toujours sur le sujet sensible ducanif d’argent, maintenant toujours discuté, et l’argent qu’ellepossédait, son oncle lui ayant donné 10 $ au départ, elle pouvaiten faire bon usage. Mais elle était si peu habituée à conférer desfaveurs, si ce n’est à des gens très pauvres, si peu versée dansl’art d’éloigner les maux, ou dans celui de faire des largesses àses égaux, et elle avait tellement peur de sembler s’éleverelle-même au rang d’une grande dame aux yeux des siens, qu’il luifallut quelque temps pour déterminer que ce ne serait pas malséantde sa part de donner un tel cadeau. Elle s’y décida enfin ; uncanif d’argent fut acheté pour Betsy, et reçu avec grand plaisir,sa nouveauté lui donnant tout l’avantage voulu sur l’autre ;Suzanne prit pleine possession du sien. Betsy déclarantgracieusement que maintenant qu’elle en avait un bien plus beauelle-même, elle ne voudrait jamais plus l’autre — et aucunreproche ne sembla avoir été adressé à la mère égalementsatisfaite, chose dont Fanny avait presque craint qu’elle fûtimpossible. L’acte était couronné de succès ; une source dedisputes domestiques avait complètement été éliminée et ce fut lemoyen de s’ouvrir le cœur de Suzanne et de lui donner quelque chosede plus à aimer.

Suzanne sut prouver qu’elle avait de la délicatesse :satisfaite qu’elle était d’être la propriétaire d’une chose pourlaquelle elle avait lutté pendant deux ans au moins, elle craignaitcependant que sa sœur la blâmât et lui destinât un reproche pouravoir tant lutté jusqu’à rendre cet achat indispensable à latranquillité dans la maison.

Elle avait un caractère ouvert. Elle reconnut ses craintes, seblâma d’avoir fait tant de contestations et depuis cette heure,Fanny, saisissant la valeur de ses dispositions et voyant combienelle était portée à rechercher sa bonne opinion et à s’en référer àson jugement, commença à sentir de nouveau les bénédictions del’affection et à entretenir l’espoir de pouvoir rendre service à unesprit qui avait besoin de tant d’aide, et qui la méritait tant.Elle donna des conseils — conseils trop bons pour ne pas êtresuivis une fois bien compris, et donnés si doucement avec tant decirconspection, pour ne pas irriter un caractère qui avait sesdéfauts ; et elle avait la satisfaction d’en observer biensouvent les bons effets ; c’était le maximum pour quelqu’unqui voyant toute l’obligation et la convenance de la soumission etde la patience, voyait aussi avec une acuité sympathique desentiments tout ce qui devait heurter continuellement une fillecomme Suzanne. Son plus grand étonnement dans la matière devintbientôt — non le fait que Suzanne aurait été provoquée à êtreirrespectueuse et impatiente malgré elle — mais que tant deconscience, tant de bonnes notions eussent été les siennes quandmême ; et qu’élevée au milieu de la négligence et de l’erreur,elle eût pu se former des notions si claires sur ce qui devait être— elle qui n’avait pas de cousin Edmond pour diriger ses pensées oufixer ses principes.

L’intimité ainsi commencée entre elles fut un avantage matérielpour les deux. En restant assises en haut elles évitaient en grandepartie les dérangements de la maison, Fanny était en paix etSuzanne apprenait à savoir que ce n’était pas un malheur que d’êtretranquillement occupée. Elles n’avaient pas de feu ; mais celaétait une privation familière pour Fanny même, et elle en souffritmoins parce que cela lui rappelait sa chambre de l’est. C’était leseul point commun. En espace, lumière, mobilier et vue, il n’yavait rien de comparable dans les deux appartements ; etsouvent elle soupirait au souvenir de ses livres et de ses malleset de tout le confort de là-bas. Graduellement les jeunes filles envinrent à passer presque toute la matinée en haut, d’abord entravaillant et causant ; mais après quelques jours, lesouvenir des livres en question devint si puissant et stimulant queFanny trouva impossible de ne pas tâcher d’avoir de nouveau deslivres. Il n’y en avait pas dans la maison de son père ; maisla richesse est exubérante et audacieuse ; et une partie de lascience trouva son emploi dans une bibliothèque. Elle devint unsouscripteur ; étonnée d’être tout in propriapersona, étonnée de suivre en tout ses propres voies ;d’être un propriétaire et un censeur de livres ! Et d’avoir leperfectionnement de quelqu’un en vue. Mais c’était bien ainsi.Suzanne n’avait rien lu et Fanny avait hâte de lui faire goûter sespropres premiers plaisirs, et de lui inspirer du goût pour lesbiographies et les poésies dans lesquelles elle-même s’étaitconfiée.

Elle espérait, ainsi occupée, enterrer quelques souvenirs deMansfield qui n’étaient que trop aptes à saisir ses pensées quandses doigts seuls étaient occupés ; et surtout en ce moment-ci,cela l’aiderait à détourner ses idées de suivre Edmond à Londres,où au témoignage de la dernière lettre de sa tante, elle savaitqu’il était allé. Elle ne doutait plus de ce qui allait suivre.L’avis promis lui pendait au-dessus de la tête. Le coup du facteursur les portes, dans le voisinage, était le signal de ses terreursjournalières, et si la lecture pouvait bannir cette idée, ne fût-ceque pour une demi-heure, c’était toujours cela de gagné.

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