Mansfield Park

Chapitre 17

 

Laissons d’autres plumes insister sur la culpabilité et lamisère. Je quitte d’aussi odieux sujets aussitôt que je le puis,impatiente de rendre à tous, pas toujours en faute eux-mêmes, unevie tolérable, et d’en finir avec tout le reste.

Ma Fanny, véritablement, à ce moment précis, j’ai lasatisfaction de le savoir, devait être heureuse malgré tout. Elledevait être une créature heureuse en dépit de tout ce qu’elleressentait, ou pensait qu’elle ressentait, pour la détresse de ceuxqui l’entouraient. Elle possédait des sources de joie qui devaientjaillir. Elle était rentrée à Mansfield Park, elle était utile,elle était aimée ; elle était à l’abri de M. Crawford ;et quand Sir Thomas revint, elle eut toutes les preuves qu’ilpouvait donner dans son état d’esprit mélancolique, de sa parfaiteapprobation et de sa grande considération ; et heureuse commetout ceci devait la rendre, elle l’aurait été tout autant sanscela, car Edmond n’était plus la dupe de Mlle Crawford.

Il est vrai qu’Edmond était loin d’être heureux lui-même. Ilsouffrait de désappointement et de regret, se chagrinant de ce quiétait, et désirant ce qui ne pouvait être. Elle savait qu’il enétait ainsi, et en était triste ; mais c’était d’une tristessetellement basée sur la satisfaction, et tellement en harmonie avectoutes ses plus chères sensations, qu’il y en a peu quin’échangeraient pas leur plus grande gaîté pour elle.

Sir Thomas, le pauvre Sir Thomas, père conscient de ses erreursde conduite en tant que père, souffrit le plus. Il se rendaitcompte qu’il n’eût pas dû permettre le mariage ; que lessentiments de sa fille lui avaient été suffisamment connus pour lerendre coupable en l’autorisant ; que ce faisant, il avaitsacrifié le droit à l’expédient, et avait été gouverné par desmotifs égoïstes et la sagesse mondaine. Ces réflexions demandaientquelque temps pour s’adoucir ; mais le temps fait presquetout, et quoique peu de réconfort vînt de la part de Mme Rushworthpour la misère qu’elle avait occasionnée, un réconfort plus grandqu’il ne le supposait, lui vint de ses autres enfants. Le mariagede Julia devint une affaire moins désespérée qu’il ne l’avait crud’abord. Elle s’humiliait, et désirait être oubliée ; et M.Yates, désirant être vraiment reçu dans la famille, était disposé àlui demander son avis et à être guidé. Il n’était pas très pondéré,mais il y avait de l’espoir qu’il devînt moins léger, qu’il fût aumoins tolérablement familial et tranquille, et, en tous cas, ilétait réconfortant de constater que ses propriétés étaient plutôtconsidérables, et ses dettes beaucoup moindres qu’il n’avaitcraint, et il était consulté et traité comme un ami qui en vaut lapeine. Tom aussi était réconfortant, il regagnait graduellement lasanté, sans retrouver son insouciance et l’égoïsme de ses ancienneshabitudes. Sa maladie l’avait amélioré pour toujours. Il avaitsouffert, et avait appris à penser, deux avantages qu’il n’avaitjamais connus : et le remords provenant du déplorableévénement de la rue Wimpole, auquel il se sentait lié par toute ladangereuse intimité de son injustifiable théâtre, avait fait unetelle impression sur son esprit qui devait lui faire un effetdurable. Il devint ce qu’il devait être, utile à son père, constantet calme, et ne vivant pas uniquement pour soi. Ceci était unvéritable réconfort, et Sir Thomas put placer sa confiance enlui.

Edmond contribuait à l’aise de son père en améliorant le seulpoint par lequel il lui avait fait de la peine auparavant, enaméliorant son humeur. Après s’être promené et s’être assis sousles arbres avec Fanny tous les soirs d’été, il avait si bien réduitson esprit à la soumission qu’il était à nouveau assez gai.

Tels étaient les circonstances et les espoirs qui graduellementapportaient leur soulagement à Sir Thomas, amortissant saperception de ce qui était perdu, et le réconciliant en partie aveclui-même, quoique l’angoisse provenant de la conviction de sespropres erreurs dans l’éducation de ses filles ne s’éteignît jamaiscomplètement.

Il se rendit compte trop tardivement combien peu favorable pourle caractère de n’importe quels jeunes gens devait être letraitement totalement opposé que Maria et Julia avaient subi chezlui, où l’indulgence excessive et la flatterie de leur tanteavaient contrasté continuellement avec sa propre sévérité. Ils’aperçut combien il s’était trompé, en pensant corriger ce quiétait défectueux en Mme Norris ; en faisant l’opposé, ils’aperçut clairement qu’il n’avait fait qu’augmenter le mal, leurapprenant à se refréner en sa présence, ce qui lui dissimula leursvéritables dispositions et les porta à s’adresser pour tous leurscaprices à une personne qui ne leur étaient attachées que parl’aveuglement de son affection et ses louanges excessives,

Ceci avait été une grave maladresse ; mais, aussi grave quecela fût, il sentit peu à peu que là n’avait pas été la faute laplus grave de son plan d’éducation. Quelque chose devait avoirmanqué à l’intérieur, sinon le temps en aurait effacé laplupart des mauvais effets. Il craignait que le principe, leprincipe actif eût fait défaut ; qu’elles n’avaient jamaisbien appris à contrôler leurs tendances et leurs humeurs, par cesens du devoir qui seul peut suffire. Elles avaient été instruitesthéoriquement de leur religion, mais on ne leur avait jamaisdemandé de la mettre en pratique. Être distinguées par leurélégance et leurs talents — chose permise à leur jeunesse — n’avaitpu avoir aucune influence utile dans ce sens-là, aucun effet moralsur leur esprit. Il avait eu l’intention qu’elles soient bonnes,mais ses soins avaient été dirigés vers l’intelligence et lesbonnes manières, et non vers le caractère ; et de la nécessitédu renoncement et de l’humilité, il craignait qu’elles n’en avaientjamais entendu parler par une bouche qu’elles auraient pu entendre.Il regrettait amèrement une déficience qu’il pouvait à peine,maintenant, croire possible. Il sentait misérablement qu’avec toutle prix et les soins d’une éducation soignée et coûteuse, il avaitélevé ses filles sans qu’elles comprennent leurs premiers devoirs,et sans avoir la connaissance de leurs caractères et de leurshumeurs. L’esprit audacieux et les passions violentes de MmeRushworth, spécialement, ne lui furent connus que par leur tristerésultat. On ne pouvait la persuader de quitter M. Crawford. Elleespérait l’épouser et ils continuèrent à vivre ensemble jusqu’à cequ’elle fut obligée de reconnaître qu’un tel espoir était vain, etjusqu’à ce que le désappointement et la tristesse résultant decette conviction, rendit son humeur déplorable et son sentimentpour lui réellement semblable à de la haine, ce qui les renditquelque temps comme une punition l’un pour l’autre, et aboutit àune séparation volontaire. Elle avait vécu avec lui pour recevoirle reproche d’avoir ruiné son bonheur avec Fanny, et n’emporta pasde meilleure consolation, en le quittant, que celle de les avoirséparés. Y a-t-il un état d’esprit plus malheureux dans une tellesituation !

M. Rushworth n’eut pas de difficulté à obtenir le divorce :et ainsi se termina un mariage contracté dans des circonstancestelles qu’une meilleure fin aurait été le fruit de la chance, surlaquelle on ne doit jamais compter. Elle l’avait méprisé, et avaitaimé un autre — et il s’en était fort bien rendu compte.

Les indignités de la stupidité, et les désappointements d’unepassion égoïste, excitent peu de pitié. Son châtiment fut appropriéà sa conduite, ainsi qu’un châtiment plus lourd punit laculpabilité plus grande de sa femme. Il fut libéré de sonengagement, mortifié et triste, jusqu’à ce qu’une autre jolie fillepût l’attirer à nouveau au mariage, et qu’il pût faire un secondet, c’est à espérer, un plus heureux essai de cet état — étantdupé, dupé au moins avec bonne humeur et bonne chance ; tandisqu’elle devait se retirer avec des sentiments infiniment plus fortsdans la solitude et le remords, qui ne permettaient pas un secondespoir ou une meilleure réputation.

Où on pourrait bien la placer, devint un sujet des plusmélancoliques et des plus brûlants. Mme Norris, dont l’affectionsemblait croître en raison des fautes de sa nièce, voulait larecevoir à la maison et la voir protégée par eux tous. Sir Thomasne voulait pas en entendre parler, et la colère de Mme Norrisenvers Fanny en fut augmentée, car elle croyait que le motif étaitsa présence. Elle persista à croire que ces scrupules lui étaientdus, quoique Sir Thomas lui assurât très solennellement, que, n’yeût-il aucune jeune femme en question, n’y eût-il aucune jeunepersonne de l’un ou l’autre sexe qui puisse être mise en danger parla société, ou blessée par le caractère de Mme Rushworth, il nevoudrait pas faire l’insulte à ses voisins, d’espérer qu’ils yfassent attention. Comme sa fille — il espérait qu’elle était unefille repentante — elle serait protégée par lui et aurait toutconfort, et serait encouragée de toutes façons à bien faire ce queleurs situations respectives admettaient ; mais il n’irait pasplus loin. Maria avait détruit sa propre réputation, et il nevoulait pas, dans le vain effort de rétablir ce qui ne pouvaitjamais l’être, donner sa sanction au vice, en essayant d’endiminuer la disgrâce, être complice d’une telle misère, qu’il avaitéprouvée lui-même, dans la famille d’un autre.

Tout se termina par la résolution de Mme Norris de quitterMansfield et de se dévouer à son infortunée Maria, et unétablissement leur étant possible dans un autre pays, écarté etsecret, où confinées ensemble avec un peu de société, d’un côtéaucune affection et, de l’autre, aucun jugement, on pouvaitraisonnablement supposer que leur humeur devint leur châtimentmutuel. Le départ de Mme Norris de Mansfield fut le plus grandréconfort de la vie de Sir Thomas. Son opinion d’elle avait été depis en pis depuis leur retour d’Antigua ; dans chacun de leurscontacts depuis cette période, dans leurs rapports journaliers, enaffaires, ou en conversation, elle avait baissé régulièrement dansson estime, et l’avait convaincu que, ou bien le temps lui avaitrendu mauvais service, ou qu’il avait considérablement surestiméson intelligence, et supporté merveilleusement ses manièresauparavant. Il avait ressenti une peine continuelle. Et il nesemblait pas que cette peine cessât avant sa vie ; ellesemblait une part de lui-même, à supporter toujours. D’en êtredébarrassé, par conséquent, était un tel bonheur, que n’eût-ellepas laissé derrière elle d’amers souvenirs, il y aurait eu risquequ’il ne fût porté à presque approuver le mal qui avait produit untel bienfait.

Elle ne fut regrettée par personne à Mansfield. Elle n’avaitjamais su s’attacher même ceux qu’elle aimait le mieux ; etdepuis la fuite de Mme Rushworth son humeur avait été dans un telétat d’irritation jusqu’à la rendre partout un objet de tourment.Fanny elle-même n’eut pas de larmes pour Mme Norris, pas même quandelle fut partie pour toujours.

Que Julia ait moins souffert que Maria, était dû, dans unecertaine mesure, à une différence favorable de disposition et decirconstances, mais dans une mesure plus grande au fait d’avoir étémoins la favorite de cette tante, moins flattée et moins gâtée. Sabeauté et ses talents n’avaient obtenu qu’une seconde place. Elles’était habituée à se croire un peu inférieure à Marie. Soncaractère était naturellement le plus facile des deux ; sessentiments, quoique vifs, étaient plus faciles à maîtriser :et son éducation ne lui avait pas donné à un degré aussi nuisiblele sens de son importance personnelle.

Elle s’était soumise facilement au désappointement que lui avaitcausé Henry Crawford. Après la première amertume d’avoir étédédaignée, elle s’était assez rapidement habituée à ne plus penserà lui ; et quand ils eurent fait de nouvelles relations enville, et que la maison de M. Rushworth devint le but de Crawford,elle avait eu le mérite de s’en éloigner, et de choisir ce momentpour visiter d’autres de ses amis, de manière de ne pas être tropattirée de nouveau par lui. Ceci avait été le motif de sa visite àses cousins. Le désir de plaire à M. Yates n’avait rien à faireavec elle. Elle lui avait permis de lui payer quelques attentions,mais très peu avec l’idée de l’accepter ; et si la conduite desa sœur n’avait pas été exposée aussi brusquement qu’elle le fut,et si la crainte de son père et de sa famille ne s’était pas accrue— alors qu’elle imaginait que la conséquence pour elle-même seraitune plus grande sévérité de leur part — et ne l’avait faitbrusquement se décider à éviter à tout prix de si immédiateshorreurs, il est probable que M. Yates n’aurait jamais réussi. Ellene s’était pas enfuie avec des sentiments pires que ceux d’uneterreur égoïste. Cela lui apparaissait comme la seule chose àfaire. La faute de Marie avait occasionné la folie de Julia.

Henry Crawford, ruiné par une indépendance trop précoce et parle mauvais exemple familial, se plut un peu trop longtemps dans lesfrasques d’une vanité indifférente. Une fois, par hasard, ellel’avait placée sur le chemin du bonheur.

S’il avait pu se satisfaire de la conquête des affections d’unefemme aimable, s’il avait pu trouver assez d’exaltation et vaincrela répugnance de Fanny, en se forgeant un chemin vers son estime etsa tendresse, il aurait eu pour lui toute probabilité de succès etde félicité. Son affection avait déjà quelque chose. Son influencesur lui avait déjà causé quelque influence sur elle. S’il avait pumériter davantage, il n’y a pas de doute qu’il ne l’eûtobtenu ; spécialement lorsque ce mariage aurait eu lieu, quilui aurait donné l’assistance de sa conscience en subjuguant sapremière inclination et en les mettant souvent en présence. S’ilavait persévéré, et cela avec droiture, Fanny aurait été sarécompense — et une récompense accordée très volontiers — lorsqu’untemps raisonnable se fût écoulé après le mariage d’Edmond et deMary. Eût-il agi ainsi qu’il en avait l’intention, et comme ilsavait qu’il le devait, en allant à Everingham après son retour dePortsmouth, il aurait pu décider lui-même de son heureuse destinée.Mais il fut engagé à rester pour la réunion de Mme Fraser ;son délai était fait de suffisance vaniteuse, et il devait yrencontrer Mme Rushworth. La curiosité et la vanité étaient toutesdeux en cause, et la tentation d’un plaisir immédiat fut trop fortepour un cerveau qui n’était pas habitué à faire un sacrifice audevoir ; il résolut de remettre son voyage à Norfolk, décidantqu’écrire serait aussi bien, ou que son but n’avait pasd’importance, et resta. Il rencontra Mme Rushworth, fut reçue parelle avec une froideur qui eût dû être désagréable et qui aurait dûmettre entre eux une indifférence apparente pour toujours ;mais il se sentit blessé, il ne pouvait supporter d’être rejeté parla femme dont il commandait les sourires ; il se devait desubjuguer un aussi fier ressentiment ; c’était de la colère àcause de Fanny ; il devait vaincre et faire de Mme Rushworthune Marie Bertram dans sa conduite envers lui.

C’est dans cet état d’esprit qu’il déclencha l’attaque ; etpar une persévérance animée il eut vite rétabli l’échange familierde galanterie et de flirt qui limitait ses vues ; mais entriomphant de la discrétion, qui, bien qu’elle ne fût pas sanscolère, aurait pu les sauver tous deux, il s’était placé sous lecoup de ses sentiments à elle, plus forts qu’il ne les avaitsupposés. Elle l’aimait : il n’y avait pas moyen de luirefuser des attentions qu’elle avouait lui être chères. Il s’étaitembrouillé par sa propre vanité, avec aussi peu d’excuses quepossible, et sans aucune constance d’esprit envers sa cousine.Empêcher que Fanny et les Bertram ne sachent ce qui ce passaitdevint sa première pensée. Le secret n’était pas moins désirablepour la réputation de Mme Rushworth que pour la sienne. Quand ilrevint de Richmond, il aurait été heureux de ne plus voir MmeRushworth. Tout ce qui suivit fut le résultat de sonimprudence ; et il s’en alla avec elle à la fin, parce qu’ilne pouvait faire autrement, regrettant Fanny, même à ce moment,mais la regrettant encore infiniment davantage, lorsque toutel’agitation de l’intrigue se fut calmée, et que quelques mois luieurent enseigné, par la loi des contrastes, à trouver encore plusde valeur à sa douceur de caractère, à la pureté de son esprit et àl’excellence de ses principes.

Que le châtiment, le châtiment public de la disgrâce, s’attachâtdans une juste mesure à sa part de la faute, n’est pas, nous lesavons, une de ces protections que la société donne à la vertu. Ence monde, la peine est moins bien ajustée qu’on ne pourrait ledésirer, mais sans vouloir obtenir un meilleur ajustement àl’avenir, nous pouvons considérer qu’un homme d’un jugement commeHenry Crawford, se soit pourvu d’une part non négligeable devexation et de remords — vexation qui se muait parfois en reprochespersonnels et d’un remords qui se changeait en misère — en ayantainsi répondu à l’hospitalité, en ayant blessé la paix familiale,perdu sa meilleure, sa plus estimable, et sa plus chèreconnaissance, et perdu ainsi la femme qu’il avait à la foisraisonnablement et passionnément aimée.

Après ce qui s’était passé et qui divisait les deux familles, leséjour des Bertram et des Grant dans le même voisinage aurait étédes plus pénibles, mais l’absence des seconds, prolongée à desseinde quelques mois, se termina fort heureusement par la nécessité, oudu moins la facilité d’un départ brusque. Le Dr. Grant, par unevoie dans laquelle il avait presque perdu tout espoir, obtint unestalle à Westminster, ce qui lui fournit une occasion de quitterMansfield, une excuse pour habiter Londres et un accroissement derevenus pour parer aux dépenses du changement, et qui était trèsacceptable par ceux qui partaient et par ceux qui restaient.

Mme Grant, qui possédait un caractère aimant et aimable, quittaavec quelques regrets, les scènes et les gens auxquels elle s’étaitaccoutumée ; mais son caractère heureux devait, en n’importequel endroit et en n’importe quelle société, lui procurer beaucoupde jouissances, et elle avait de nouveau un toit à offrir àMary ; et celle-ci s’était assez fatiguée de ses amis, de lavanité, de l’ambition, de l’amour et du désappointement dans lecours des derniers six mois, pour avoir besoin de la vraie bonté decœur de sa sœur et de la tranquillité raisonnable de sa vie. Ellesvécurent ensemble ; et quand le Dr. Grant mourut d’uneapoplexie causée par trois grands dîners universitaires ayant lieula même semaine, elles continuèrent à vivre ensemble ; carMary, quoique parfaitement résolue à ne plus s’attacher à nouveau àun frère plus jeune, mit du temps à trouver parmi les brillantsreprésentants, ou les oisifs héritiers présomptifs, qui étaient auxpieds de sa beauté et des vingt mille livres, quelqu’un dont lecaractère et les manières puissent satisfaire le meilleur goûtqu’elle avait acquis à Mansfield et qui pût autoriser l’espoird’une félicité familiale qu’elle avait appris à y estimer, ou quipuisse chasser suffisamment de sa tête Edmond Bertram.

Edmond avait sur elle l’avantage en ce domaine. Il n’avait pas àattendre et à désirer un objet digne de lui succéder. À peineavait-il fini de regretter Mary Crawford, et d’avoir fait remarquerà Fanny combien il était impossible qu’il puisse rencontrer unetelle autre femme, qu’il fut frappé par l’idée qu’une autre femmepourrait aussi bien lui convenir, ou même mieux ; que Fannyelle-même lui était devenue aussi chère, aussi importants pour luitous ses sourires, et dans toutes ses façons de faire, que MaryCrawford l’ait jamais été ; et que ce n’était pas uneentreprise impossible, sans espoir, de lui persuader que sa chaudeet fraternelle estime pour lui ne soit une base suffisante pour unmariage d’amour.

Je m’abstiens à dessein de fixer des dates à cette occasion, defaçon que chacun puisse fixer la sienne, sachant bien que la curede passions ingouvernables et le transfert d’attachementsinaltérables, doit varier quant au temps d’un individu à l’autre.Je demande seulement à tous de croire qu’exactement au moment ou ilétait naturel qu’il en soit ainsi, et pas une semaine avant, Edmondrenonça à Mlle Crawford et commença à désirer épouser Fanny avecautant de gravité que Fanny pouvait le désirer.

Avec une telle estime pour elle, en effet, comme avait été lasienne depuis longtemps, estime basée sur les droits les plusattachants de l’innocence et de la faiblesse, qui ne cessaitd’augmenter, le changement pouvait-il être plus naturel ?L’aimant, la guidant, la protégeant, comme il l’avait fait toujoursdepuis qu’elle avait dix ans, son intelligence formée en grandepartie par ses soins, et son confort dépendant de sa bonté, qu’yavait-il à ajouter, pour qu’il apprenne à préférer de clairs yeuxdoux à d’étincelants yeux noirs ? Étant toujours avec elle, etlui parlant toujours confidentiellement, et ses sentiments étanttoujours dans cet état favorable que donne une désappointementrécent, ces clairs yeux doux ne furent pas long à obtenir lapréférence.

S’étant donc mis en route, et sentant qu’il était parti sur lechemin du bonheur, il n’y avait rien du côté de la prudence qui pûtl’arrêter ou retarder son progrès ; aucun doute de son mérite,aucune crainte d’opposition de goûts, aucun besoin de chercher del’espoir, aucune crainte de dissentiments. Son intelligence, sesdispositions, ses opinions et ses habitudes n’avaient besoind’aucune dissimulation, d’aucune déception à présent, d’aucuneassurance d’amélioration à l’avenir. Même au milieu de sa dernièreaventure, il avait admis la supériorité d’esprit de Fanny. Quelledevait donc être son opinion à présent ? Elle était évidemmenttrop bien pour lui ; mais comme personne ne regrette d’avoirce qui lui est bon, il persistait dans la poursuite de cetteaubaine et il n’était pas possible que de l’encouragement de sapart fût long à se faire attendre. Timide, anxieuse, hésitantecomme elle l’était, il était encore possible que sa tendresse luifît douter parfois de sa plus grande chance de succès, quoiqu’unepériode ultérieure dût lui apprendre la vérité délicieuse etétonnante.

Son bonheur de se savoir depuis si longtemps l’aimé d’un telcœur était une garantie suffisante de sa force d’expression quandil lui en parlait ; ce devait être un délicieux bonheur. Maisil y avait du bonheur ailleurs, que nulle déception ne pouvaitatteindre. Que personne ne croie pouvoir rendre les sentimentsd’une jeune femme lorsqu’elle reçoit l’assurance de l’affectiondont elle se permettait à peine d’entretenir l’espoir.

Leurs propres inclinations assurées, il n’y avait aucunedifficulté, aucun empêchement de pauvreté ou de parenté. C’étaitune union telle qu’elle dépassait même les désirs de Sir Thomas.Écœuré des mariages ambitieux ou mercenaires, prisant de plus enplus le bien pur du principe et du caractère et anxieux avant toutde nouer par les liens les plus sûrs tout ce qui lui restait defélicité domestique, il avait réfléchi avec une véritablesatisfaction à la probabilité presque certaine que les deux jeunesamis ne trouvent leur consolation l’un chez l’autre dudésappointement qu’ils avaient eu ; et le consentement joyeuxqui avait répondu à l’application d’Edmond, le sentiment très vifd’avoir réalisé une grande acquisition dans la promesse de Fanny dedevenir sa fille, faisait un grand contraste avec son opinion surce sujet à l’arrivée de la pauvre petite fille, tel que le tempsproduit continuellement entre les plans et les décisions desmortels, pour leur instruction et pour l’amusement de leurvoisin.

Fanny était vraiment la fille qu’il désirait. Sa charitablebonté lui avait procuré un réconfort de choix. Sa libéralité avaitété largement récompensée et la bonté continuelle de ses intentionsà son égard le méritait. Il aurait pu rendre sa jeunesse plusheureuse ; mais c’était une erreur de jugement qui l’avaitfait paraître dur, et l’avait privé de son premier amour ; etmaintenant, se connaissant vraiment, leur attachement mutuel devinttrès fort. Après l’avoir établie à Thornton Lacey avec toutes lesplus gentilles attentions pour son confort, son but de presquechaque jour était de l’y voir, ou de l’en arracher. Égoïstementchère comme elle l’avait été longtemps à Lady Bertram, elle nepouvait être quittée volontiers par elle. Le bonheur deson fils ou de sa nièce ne pouvait lui faire désirer ce mariage.Mais il lui était possible de se séparer d’elle, puisque Suzannerestait pour la remplacer. Suzanne devenait la nièce définitive —enchantée de l’être — et aussi bien adaptée à cet emploi par uneprésence d’esprit et un penchant à être utile, que Fanny par ladouceur de son caractère et ses forts sentiments de gratitude. LadyBertram ne pouvait se passer d’elle. D’abord, comme réconfort pourFanny, puis comme auxiliaire, et enfin comme son double, elleétait, selon toute apparence, établie à Mansfield pour toujours. Sadisposition moins timide et ses nerfs plus stables lui rendaienttoutes choses faciles. Rapide à comprendre l’humeur de ceux aveclesquels elle était en rapport et n’étant pas suffisamment timidepour ne pouvoir satisfaire un désir de quelque importance, elle futvite la bienvenue, et fut utile à tous ; et après le départ deFanny, lui succéda tout naturellement, au point de devenirgraduellement, peut-être, la plus chérie des deux. Dans sonutilité, dans l’excellence de Fanny, dans la bonne conduitecontinue de Guillaume et dans sa réputation croissante, et dans lesuccès des autres membres de la famille, chacun assistant l’autredans son avancement, et lui faisant crédit pour son aide, SirThomas vit une raison répétée, et pour toujours répétée, de seréjouir de ce qu’il avait fait pour chacun d’eux, admit lesavantages d’un début difficile et de la discipline, et eutconscience que l’on naissait pour lutter et vaincre.

Avec tant de vrai mérite et de véritable amour, et sansprivation de fortune ou d’amis, le bonheur des cousins mariéssemble être aussi assuré qu’un bonheur terrestre puisse l’être.Également préparé à la vie de famille, et attaché aux plaisirs dela campagne, leur maison était celle de l’affection et duconfort ; et, pour compléter leur bonheur, l’acquisition de lachaire de Mansfield libérée par la mort du Dr. Grant, eut lieujuste au moment où ils avaient été mariés depuis assez longtempspour désirer un accroissement de leurs revenus, et trouver troplointaine la maison paternelle.

À cette occasion ils allèrent vivre à Mansfield ; et lePresbytère, dont Fanny n’avait jamais pu approcher, sousl’occupation de ses deux précédents propriétaires, sans unesensation pénible de crainte ou d’alarme, devint vite cher à soncœur, et aussi parfait à ses yeux que tout ce qui était en vue etsous le patronage de Mansfield Park avait été depuis longtemps.

 

 

FIN

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