Mansfield Park

Chapitre 1

 

Fanny n’avait pu oublier M. Crawford d’aucune façon quand elles’éveilla le matin suivant, mais elle se rappelait le contenu de sanote et n’était pas moins optimiste, quant à son effet, qu’ellel’avait été la nuit précédente. Si M. Crawford voulait seulements’en aller ! C’était ce qu’elle désirait le plus intensément —qu’il parte et qu’il emmène sa sœur avec lui, comme il avaitl’intention de faire, et dans l’intention de quoi il était revenu àMansfield. Et pourquoi ce n’était pas encore fait, elle ne pouvaitle dire car Mlle Crawford ne désirait certainement aucun délai.Fanny avait espéré, au cours de sa visite de la veille, entendreciter le jour du départ, mais il avait seulement parlé de leurvoyage comme s’il ne devait pas avoir lieu avant longtemps.

Ayant conclu d’une façon aussi satisfaisante la conviction quesa note transporterait, elle ne put qu’être étonnée de voir M.Crawford, comme elle le fit accidentellement, venant de nouveau àla maison et à une heure aussi matinale que la veille. Sa venuen’avait peut-être rien à faire avec elle, mais elle devait éviterde le voir autant que possible ; et étant alors sur le pointde remonter dans sa chambre, elle résolut d’y rester pendant toutela durée de sa visite, à moins qu’on ne l’envoie chercher ; etcomme Mme Norris était encore à la maison, il y avait peu de dangerpour qu’on la demande.

Elle resta assise un bon moment dans un grand état d’agitation,écoutant, tremblant, et craignant à chaque moment d’êtreappelée ; mais comme aucun pas ne s’approchait de la chambrede l’est, elle se calma peu à peu, put s’asseoir plusconfortablement, et fut capable de s’employer à quelque chose, etcapable d’espérer que M. Crawford était venu et s’en irait sansqu’elle fût obligée de rien savoir au sujet de sa visite.

Une demi-heure à peu près passa, et elle se sentait devenir trèsà l’aise, quand soudain s’entendit le bruit d’un pas approchantrégulièrement — un pas lourd, un pas inhabituel dans cette partiede la maison ; c’était celui de son oncle, elle le connaissaitaussi bien que sa voix ; elle avait tremblé si souvent à cebruit, et commença à trembler de nouveau, à l’idée qu’il venait luiparler, quel que fût le sujet de sa conversation. Ce fut en effetSir Thomas qui ouvrit la porte et demanda si elle était là, et s’ilpouvait entrer. La terreur occasionnée par ses visites précédentesdans cette chambre sembla renaître, et elle se sentit comme s’ilallait de nouveau lui faire passer un examen d’anglais ou defrançais.

Elle était pleine d’attentions, cependant, lui avançant unechaise, et essayant de paraître honorée et, dans son agitation,avait presque oublié les désagréments de son appartement quand lui,s’arrêtant dès qu’il entra, dit, avec une grandesurprise :

— Pourquoi n’avez-vous pas du feu aujourd’hui ?

Il y avait de la neige sur le sol et elle était assiseenveloppée dans un châle. Elle hésita :

— Je n’ai pas, froid, Monsieur, je ne m’assieds jamais longtempsici à ce moment de l’année.

— Mais vous avez du feu, généralement ?

— Non, Monsieur.

— Comment cela se fait-il ? Il doit y avoir quelque erreurici. Je pensais que vous pouviez utiliser cette chambre dansl’intention de vous rendre parfaitement à l’aise. Dans votrechambre à coucher, je sais que vous ne pouvez avoir du feu. Il y aici quelque grande erreur qui doit être rectifiée. C’est des plusinconfortable pour vous d’être assise — que ce soit une demi-heureou un jour — sans un feu. Vous n’êtes pas forte. Vous êtes gelée.Votre tante ne peut être au courant de cela.

Fanny aurait préféré garder le silence ; mais, étantobligée de parler, elle ne put s’empêcher, par justice pour latante qu’elle aimait le mieux, de dire quelque chose dans quoi lesmots « ma tante Norris » étaient perceptibles.

— Je comprends, s’écria son oncle, se ressaisissant, et nedésirant pas en entendre davantage, je comprends. Votre tanteNorris a toujours été une avocate, et très judicieuse, pour que lesjeunes enfants soient élevés sans douceurs superflues ; maisil faut de la modération en toute chose. Elle est aussi trèsrobuste elle-même, ce qui, évidemment, influence son opinion en cequi concerne les désirs d’autrui. À un autre point de vue aussi,que je comprends parfaitement, je sais ce que ses sentiments onttoujours été. Le principe était bon en lui-même, mais il peut avoirété, et je crois qu’il a été poussé trop loin dans votre cas. Jesais qu’il y a eu quelquefois, sur quelques points, une distinctionmal faite ; mais je pense trop de bien de vous, Fanny, pourcroire que vous éprouverez jamais du ressentiment à ce sujet. Vousavez une compréhension qui vous empêchera de recevoir les chosesd’après un seul point de vue, et de juger d’une façon troppartiale. Vous prendrez l’entièreté du passé, vous considérerez lestemps, personnes et probabilités, et vous sentirez qu’ils n’enétaient pas moins vos amis, ceux qui vous ont éduquée et préparéepour cette médiocre condition qui semblait devoir êtrevotre destinée. Bien que leurs précautions puissent avoir étécontinuellement inopportunes, l’intention était gentille, et vouspouvez être sûre de ceci, que chaque plaisir sera doublé par lespetites privations ou restrictions qui ont pu être imposées.J’espère que vous ne me décevrez pas en cessant, à n’importe quelmoment, de traiter votre tante Norris avec le respect etl’attention qui lui sont dus. Mais en voilà assez sur ce sujet.Asseyez-vous, ma chère, je dois vous parler pour quelques minutes,mais je ne vous retiendrai pas longtemps.

Fanny obéit, en baissant les yeux et en rougissant. Après unmoment de repos, Sir Thomas, essayant de réprimer un sourire,continua :

— Vous ne savez pas, peut-être, que j’ai eu un visiteur cematin. Je n’étais pas depuis longtemps dans ma propre chambre,après le déjeuner, quand M. Crawford y fut introduit. Vous vousdoutez probablement pourquoi ?

Le visage de Fanny se colorait de plus en plus, et son oncle,s’apercevant qu’elle était embarrassée à un tel degré qu’il luiétait complètement impossible de le regarder ou de parler, détournales yeux et, sans autre pause, commença son rapport de la visite deM. Crawford.

Le but de M. Crawford avait été de se déclarer le soupirant deFanny, de faire des propositions décisives à son sujet, et dedemander l’avis de son oncle qui semblait remplacer sesparents ; et il avait fait tout cela si bien, si ouvertement,si franchement, si proprement, que, sentant plus ou moins que sespropres réponses, et ses propres remarques, avaient été très enfaveur du projet, était extrêmement heureux de donner lesparticularités de leur conversation, et ne se doutant que peu de cequi se passait dans l’esprit de sa nièce, il croyait, par de telsdétails, lui plaire beaucoup plus qu’à lui-même. Il parla donc uncertain temps avant que Fanny osât l’interrompre. Elle se seraitmême difficilement résolue à le souhaiter. Son esprit était troptroublé. Elle avait changé de position, et avec ses yeux fixésintensément sur l’une des fenêtres, elle écoutait son oncle,troublée et effrayée au plus haut point. Il se tut pour un moment,mais elle s’en était à peine rendu compte que, se levant de sachaise, il dit :

— Et maintenant, Fanny, ayant accompli une part de mon devoir etvous ayant montré que chaque chose a une base sûre etsatisfaisante, j’exécute le reste de ma mission en vous demandantde m’accompagner au rez-de-chaussée où, bien que je ne puisseprésumer avoir été une trop désagréable compagnie moi-même, je doisvous prévenir que vous trouverez quelqu’un qui vaudra mieux lapeine d’être écouté. M. Crawford, comme vous l’avez sans doutedeviné, est encore dans la maison. Il est dans ma chambre, etespère vous y voir.

En entendant cela, Fanny eut un regard et une exclamation quiétonnèrent Sir Thomas ; mais ce qui augmenta son étonnementfut de l’entendre s’exclamer :

— Oh ! non, Monsieur, je ne peux pas, je ne peux vraimentpas descendre vers lui. M. Crawford devrait savoir — il doit savoircela — je lui en ai dit assez hier pour le convaincre. Il me parlade ce sujet hier, et je lui dis sans ambages que c’était trèsdésagréable pour moi, et tout à fait hors de mon pouvoir derépondre à ses bons sentiments.

— Je ne saisis pas votre pensée, dit Sir Thomas, s’asseyant denouveau. Hors de votre pouvoir de répondre à ses bonssentiments ? Qu’est-ce que tout ceci ? Je sais qu’il vousa parlé hier et (pour autant que je comprenne) qu’il a reçu, pourcontinuer, autant d’encouragement qu’une jeune femme bienveillantepuisse se permettre d’en donner. J’ai été très content d’entendrece qu’a été votre conduite à cette occasion ; elle montraitune discrétion hautement à recommander. Mais maintenant qu’il afait sa demande si franchement, si honorablement, quels sont vosscrupules, maintenant ?

— Vous faites erreur, Monsieur, s’écria Fanny — forcée par sonanxiété à ce moment de dire, même à son oncle, qu’il avait tort —vous faites complètement erreur. Comment M. Crawford a-t-il pu direune telle chose ? Je ne lui ai donné aucun encouragement,hier, au contraire ; je lui ai dit — je ne peux répéter mesparoles exactes — mais je suis certaine de lui avoir dit que je nevoudrais pas l’écouter, que c’était très déplaisant pour moi à tousles égards, et que je le priais de ne plus jamais me parler dedette manière. Je suis sûre d’avoir dit autant que cela etplus ; et j’en aurais dit encore plus, si j’avais étéparfaitement convaincue que son intention était sérieuse ;mais je n’aime pas — je ne pourrais supporter de comprendre plusque ce qu’on veut dire. Je croyais que tout cela pouvait compterpour rien avec lui.

Elle n’aurait pu en dire plus ; elle était presque à boutde souffle.

— Dois-je comprendre, dit Sir Thomas après quelques instants desilence, que vous avez l’intention de refuser M.Crawford ?

— Oui, Monsieur.

— Le refuser ?

— Oui, Monsieur.

— Refuser M. Crawford ? Quelle est votre défense ?Pour quelle raison ?

— Je… je ne peux l’aimer assez, Monsieur, pas assez pourl’épouser.

— Ceci est très étrange, dit Sir Thomas, sur un ton de calmemécontentement. Il y a quelque chose en ceci que ma compréhensionne saisit pas. Voici un jeune homme qui souhaite vous êtreagréable, chaque chose est en sa faveur, non pas simplement sasituation dans la vie, sa fortune et son caractère, mais il possèdeplus que la gentillesse ordinaire, ses manières et sa conversationplaisent à tout le monde. Et il n’est pas une connaissanced’aujourd’hui, vous le connaissez maintenant depuis quelque temps.Sa sœur, plus ou moins, est votre amie intime, et il a faitcela pour votre frère, ce que je supposerais être unerecommandation plus que suffisante pour vous, n’y eût-il riend’autre. Il n’est pas certain que l’intérêt que je porte à Williampuisse l’avoir aidé. Il l’a déjà fait.

— Oui, dit Fanny, d’une voix défaillante, et baissant les yeuxavec une honte nouvelle ; et elle se sentait honteuse de ceque, après le portrait qu’avait fait son oncle, elle n’aimât pas M.Crawford.

— Vous avez dû vous rendre compte, continuait Sir Thomas à cemoment, vous avez dû vous rendre compte, à un certain moment qu’ily avait quelque chose de particulier dans l’attitude de M. Crawfordenvers vous. Vous devez avoir remarqué ses attentions, et bien quevous les ayez toujours accueillies comme il se doit (je n’ai pas dereproche à vous faire à ce sujet) je n’ai jamais observé qu’ellesvous déplaisaient. Je suis presque porté à croire, Fanny, que vousne connaissez pas tout à fait vos propres sentiments.

— Oh ! si, Monsieur, je les connais parfaitement. Sesattentions ont toujours été ce que je n’aimais pas.

Sir Thomas la regarda avec une surprise accrue :

— Ceci me dépasse, dit-il. Ceci demande une explication. Jeunecomme vous l’êtes, et ayant rarement rencontré quelqu’un, il estdifficilement possible que vos affections…

Il s’arrêta et la regarda fixement. Il vit ses lèvres former lemot « non », bien que le non ne fût pas articulé, mais safigure était écarlate. Cela, cependant, chez une jeune fille simodeste, pouvait être très compatible avec de l’innocence ;et, choisissant au moins de paraître satisfait, il ajoutavivement :

— Non, non, je sais que cela est tout à fait hors de question —complètement impossible. Bon, il n’y a rien de plus à dire.

Et, pendant quelques minutes, il ne dit plus rien. Il étaitabsorbé par ses pensées. Sa nièce pensait profondément aussi,essayant de s’aguerrir et de se préparer contre un nouveauquestionnaire. Elle aurait préféré mourir que de révéler la vérité,et elle espérait se fortifier assez, en réfléchissant un peu, pourne pas se trahir.

— Indépendamment de l’intérêt que le choix de M. Crawfordsemblait justifier, dit Sir Thomas, recommençant avec un grandcalme, son désir de se marier si tôt est une recommandation à mesyeux. Je suis l’avocat des mariages précoces, quand les moyens lepermettent, et je voudrais que chaque jeune homme, ayant un revenusuffisant, soit marié aussitôt qu’il le peut après vingt-quatreans. C’est tellement mon opinion, que j’ai du regret à pensercombien peu mon fils aîné, votre cousin Bertram, semble vouloir semarier tôt ; mais jusqu’à présent, aussi loin que je peuxjuger, le mariage ne fait pas partie du plan de ses pensées, jesouhaite qu’il semble plus désireux de s’établir.

Ici il regarda Fanny.

— Je considère, d’après sa disposition et ses habitudes,qu’Edmond serait susceptible de se marier plus tôt que son frère.J’ai pensé, ces derniers temps, qu’il avait vu la femme qu’ilpourrait aimer ce qui j’en suis convaincu, n’est pas le cas de monfils aîné. N’ai-je pas raison ? N’êtes-vous pas de mon avis,ma chère ?

— Oui, Monsieur.

C’était dit d’une façon gentille mais calme, et Sir Thomas étaittranquille au sujet des cousins. Mais la suppression de son alarmene rendit aucun service à Fanny. Comme le mystère s’épaissit, sondéplaisir augmenta ; et se levant et se promenant à travers lapièce avec un froncement de sourcils que Fanny pouvait sereprésenter, bien qu’elle n’osât pas lever la tête, il dit peuaprès et d’une voix pleine d’autorité :

— Avez-vous quelque raison de penser du mal du caractère de M.Crawford, enfant ?

— Non, Monsieur.

Elle désirait ajouter : « mais bien de sesprincipes », mais son cœur se serrait devant l’épouvantableperspective de discussion, d’explication et probablement decontradiction. La mauvaise opinion qu’elle avait de lui était baséeprincipalement sur des observations qu’elle, pour l’honneur de sescousines, pouvait à grand’peine divulguer à leur père. Julia etMaria, surtout Maria, avaient été tellement impliquées dans laméconduite de M. Crawford, qu’elle ne pouvait trahir son caractère,comme elle présumait qu’il était, sans les livrer. Elle avaitespéré que pour un homme tel que son oncle, si clairvoyant, sihonorable, si bon, la simple constatation d’un aversion déterminéede sa part, aurait été suffisante. À son chagrin infini, elledécouvrit qu’il n’en était pas ainsi.

Sir Thomas vint vers la table où elle était assise dans unedétresse frissonnante et dit, avec une grande et froidesévérité :

— Je vois qu’il est inutile de parler avec vous. Nous ferionsmieux de terminer cette conférence mortifiante. Il ne faut pasfaire attendre M. Crawford davantage. Pour cette raison,j’ajouterai seulement que, comme j’estime qu’il est de mon devoirde vous dire mon opinion sur votre conduite, vous avez déçu tousmes espoirs et que vous avez prouvé que vous aviez un caractèretout à fait opposé à ce que j’avais cru. Car, Fanny, ainsi que maconduite a dû le prouver, j’avais formé une opinion très favorableà votre égard, depuis mon retour d’Angleterre. Je vous avais jugéedépourvue de tout entêtement, de toute suffisance et de toutetendance à cette indépendance d’esprit qui prévaut aujourd’hui mêmechez de jeunes femmes et qui offense et écœure au delà de lacommune mesure. Mais vous vous êtes montrée entêtée et corrompue,vous avez montré que vous pouvez et voulez décider par vous-mêmesans aucune considération ou déférence envers ceux qui ontcertainement quelques droits à vous guider, sans même leur demanderleur avis. Vous vous êtes montrée très, très différente de ce quej’imaginais. L’avantage ou le désavantage de votre famille — ou devos parents — de vos frères et sœurs ne semble pas avoir compté unmoment dans votre pensée à cette occasion. Vous ne comptez pourrien le bénéfice qu’ils auraient pu avoir, la joie qu’ils auraientpu éprouver d’un tel établissement pour vous. Vous ne pensez qu’àvous-même, et parce que vous ne ressentez pas pour M. Crawford cequ’une jeune fantaisie ardente imagine être nécessaire au bonheur,vous décidez instantanément de le refuser, sans même souhaiterprendre un peu de temps pour réfléchir, un peu plus de temps pourune froide considération, et pour examiner votre véritablepenchant, et vous refusez, dans un moment de folie, une telleoccasion d’être établie pour la vie, d’une façon libre, noble ethonorable comme jamais plus il ne s’en présentera pour vous. Voiciun jeune homme sensé, avec du caractère, modéré, de bonnes manièreset fortuné, excessivement attaché à vous et recherchant votre mainde la meilleure façon, et tout à fait désintéressé. Permettez-moide vous dire, Fanny, que vous pouvez vivre encore dix-huit ans dansle monde sans qu’un autre homme, ayant la moitié des biens de M.Crawford et la dixième partie de ses mérites, s’adresse à vous.C’est avec joie que je lui aurais accordé une de mes filles. Mariaest noblement mariée, mais si M. Crawford m’avait demandé la mainde Julia, je la lui aurais donnée avec une satisfaction supérieureet plus chaleureuse que lorsque j’accordai celle de Maria à M.Rushworth.

Après un moment de pause, il ajouta :

— Et j’aurais été très surpris si, à n’importe quel moment, unede mes filles avait refusé une proposition de mariage qui pûtprésenter seulement la moitié des avantages de celui-ci et donnerimmédiatement et péremptoirement, sans se donner la peine deconsulter mon opinion ou songer au respect qu’elles me devaient,une réponse négative. J’aurais été très surpris et très froissé parun tel procédé. Je l’aurais jugé comme une violation grossière dudevoir et du respect. Vous ne pouvez être jugée d’après la mêmeloi. Vous ne me devez pas la soumission d’un enfant. Mais Fanny,votre cœur peut-il vous acquitter d’une ingratitude ?

Il cessa. Fanny pleurait si amèrement à ce moment que, toutfurieux qu’il était, il ne put pousser les choses plus loin. Soncœur était près de se briser à l’image qu’il pourrait avoir d’elle,par des accusations si lourdes, si nombreuses, montant dans unetelle gradation. Elle était volontaire, obstinée, égoïste etingrate, voilà ce qu’il pensait d’elle. Elle avait déçu sonattente, elle avait perdu son estime. Qu’est-ce qu’elle allaitdevenir ?

— Je regrette beaucoup, put-elle à peine articuler, je regretteréellement beaucoup.

— Regretter ! Oui, j’espère que vous regrettez, et vousaurez probablement des raisons de regretter longtemps lesévénements de ce jour.

— S’il m’était possible d’agir différemment, dit-elle dans unviolent effort, mais je suis si parfaitement persuadée que je nepourrais jamais le rendre heureux et que je serai misérablemoi-même.

Un nouveau flot de larmes ; mais en dépit de ces larmes eten dépit de ce grand mot misérable, qui devança leslarmes. Sir Thomas se mit à croire que ce chagrin trahissait unepetit fléchissement et un léger changement de sentiment etd’augurer favorablement pour la supplique du jeune homme. Il lasavait très timide et excessivement nerveuse, et il pensait que sonesprit pouvait être dans un tel état, qu’en peu de temps, unelégère pression, un peu de patience et un peu d’impatience, unmélange judicieux de tout de la part de l’amoureux, pourrait avoirl’effet habituel. Si seulement le gentleman pouvait persévérer,s’il avait seulement assez d’amour pour persévérer. Sir Thomas eutde nouveaux espoirs, et ces réflexions ayant traversé et réconfortéson esprit :

— Bien, dit-il d’un ton,avantageusement grave, mais furieux,bien, enfant, séchez vos larmes. Elles n’ont aucune utilité, ellesne peuvent faire aucun bien. Vous devez descendre avec moi. Déjàvous n’avez laissé attendre M. Crawford que trop longtemps. Vousdevez lui donner vous-même votre réponse ; nous ne pouvons pasnous attendre à ce qu’il se contente de moins, et vous seule pouvezlui expliquer la raison de l’égarement de vos sentiments parlesquels, malheureusement pour lui, il a été obsédé. J’y suis toutà fait étranger.

Mais Fanny manifestait une telle répugnance, une telle détresse,à la pensée de descendre le rejoindre, que Sir Thomas, après un peude réflexion, jugea préférable de l’épargner. Ses espoirs pour legentleman et la lady durent subir une légère dépression, maislorsqu’il regarda sa nièce et lorsqu’il vit dans quel état leslarmes avaient mis les traits de son visage et de son teint, ilpensa qu’on pouvait plus perdre que gagner à une entrevueimmédiate. Après quelques mots sans signification particulière, ils’en alla tout seul, en abandonnant sa pauvre nièce qui pleurait,sur ce qui s’était passé, avec des sentiments désolés.

Son esprit n’était que désordre. Le passé, le présent, l’avenir,tout était terrifiant. Mais la colère de son oncle lui faisait laplus grande peine. Elle lui avait semblé être égoïste et ingrate.Il se pouvait qu’elle eût à entendre encore et encore cereproche ; il était possible qu’elle l’entendît ou qu’elle sûtqu’il existait pour toujours, en rapport avec elle. Elle ne puts’empêcher d’éprouver un certain ressentiment contre M.Crawford ; cependant, si réellement il l’aimait et s’il étaitmalheureux lui aussi ! Tout ceci était un désastre.

Un quart d’heure plus tard son oncle revint ; elle étaitprès de s’évanouir à sa vue. Cependant, il parla calmement, sansaustérité, sans reproches, et elle se mit à revivre un peu. Il yavait aussi du réconfort dans ses paroles, car il commençaainsi :

— M. Crawford est parti, il vient de me quitter. Je n’ai pas àrapporter ce qui s’est passé. Je ne veux rien ajouter qui puisseaggraver ce que vous éprouvez maintenant, par un récit de ce qu’ila senti. Il doit vous suffire de savoir qu’il s’est conduit d’unefaçon des plus chevaleresques et des plus généreuses ; il aaffermi en moi l’opinion la plus favorable quant à sacompréhension, son cœur et son caractère. Après que je lui eusreprésenté ce que vous souffriez, il a immédiatement, et avec laplus grande délicatesse, cessé de me presser pour vous voirprésentement.

Ici, Fanny, qui avait levé les yeux, les baissa de nouveau.

— Naturellement, continua son oncle, c’est qu’il demandera devous parler seule, ne fût-ce que pendant cinq minutes ; unerequête trop naturelle pour être rejetée. Mais le moment n’en a pasété fixé, ce sera peut-être demain, ou lorsque vous aurezentièrement retrouvé vos esprits. Pour le présent, vous n’avez qu’àvous calmer. Arrêtez ces pleurs, ils ne font que vous épuiser. Si,comme je suis tout prêt à le croire, vous désirez me montrerquelque obéissance, vous ne vous laisserez pas entraîner par lesémotions, mais vous tenterez en raisonnant de vous créer unedisposition d’esprit plus forte. Je vous conseille de sortir, l’airvous fera du bien ; sortez une heure dans le parc, vous serezseule dans le bosquet et vous vous sentirez mieux après.

Et comme il se retournait de nouveau pour un instant :

— Fanny, je ne dirai pas un mot de ce qui s’est passé, enbas ; je ne le raconterai même pas à Lady Bertram. Il n’y aaucune raison de répandre le mécontentement : n’en dites rienvous-même.

Ceci était un ordre qui fut suivi avec plaisir ; ceci étaitune preuve de gentillesse que Fanny ressentait jusqu’au fond ducœur. Être à l’abri des reproches interminables de tanteNorris ! — il la laissa rayonnante de gratitude. Tout plutôtque de supporter de tels reproches. Même voir M. Crawford seraitmoins accablant.

Elle s’en alla se promener, ainsi que son oncle le lui avaitrecommandé, suivant son avis, autant qu’il lui était possible,essaya sérieusement de calmer sa raison et de fortifier son esprit.Elle souhaitait lui prouver que réellement elle désirait sonbien-être et cherchait à regagner sa faveur ; et il lui avaitdonné un nouveau motif de faire effort dans ce sens, en cachanttoute l’affaire à ses tantes. L’objet digne d’efforts étaitmaintenant de ne pas éveiller de soupçons par son aspect et sesmanières ; et elle sentait de même envers presque tout ce quiput la sauver de sa tante Norris.

Elle était stupéfaite, très stupéfaite, quand, en revenant de sapromenade, elle entra de nouveau dans la pièce est, elle vit qu’unfeu brûlait. Un feu, c’était trop beau ! Qu’une telle douceurlui fut donnée à ce même moment excitait une gratitude presquedouloureuse. Elle s’étonnait que Sir Thomas ait encore eu le loisirde penser à une petite chose pareille ; mais elle appritbientôt spontanément de la servante, qui venait s’en occuper, qu’ildevrait brûler tous les jours. Sir Thomas avait donné des ordresdans ce sens.

« Je dois être une brute, en effet, si je puis êtreréellement ingrate ! » se dit-elle, « que le ciel mepréserve d’être ingrate ! »

Elle ne vit plus son oncle, ni sa tante Norris, jusqu’au momentdu dîner. L’attitude de son oncle à son égard approchait autant quepossible ce qu’elle était avant, elle était certaine qu’il étaitdans ses intentions de n’y rien changer, et que ce n’était que sapropre conscience qui voyait quelque différence, mais bientôt satante la gronda ; et quand elle découvrit combien sa tanteinsistait d’une façon déplaisante sur le fait qu’elle était sortiesans la prévenir, elle comprit toutes les raisons qu’elle avait debénir la gentillesse qui l’avait sauvée de ce même esprit dereproche pour un sujet plus important.

— Si j’avais su que vous sortiez, je ne vous aurais demandé qued’aller jusqu’à ma maison avec quelques ordres pour Nanny,dit-elle, que j’ai dû depuis, à mon grand dérangement, portermoi-même. Je pouvais très difficilement perdre ce temps, et vousauriez pu m’épargner ce dérangement si vous aviez eu seulement labonté de me faire savoir que vous sortiez. Je pense que cela nevous aurait pas dérangée d’aller chez moi, plutôt que de vouspromener dans le bosquet.

— J’ai conseillé le bosquet à Fanny comme étant l’endroit leplus sec, dit Sir Thomas.

— Oh, dit Mme Norris après un moment d’arrêt, c’était trèsgentil à vous, Sir Thomas ; mais vous ne savez pas combien lechemin vers ma maison est sec. Fanny aurait une aussi bonnepromenade par là, je vous assure ; avec cet avantage qu’ellese serait rendue utile et aurait obligé sa tante ; tout est desa faute. Si seulement elle nous avait laissé entendre qu’elleallait sortir, mais il y a quelque chose dans Fanny, je l’ai déjàsouvent remarqué précédemment — elle aime travailler de sa proprefaçon ; elle n’aime pas qu’on la guide ; elle prend sonallure indépendante aussi souvent qu’elle le peut ; elle estcertainement pourvue d’un peu de mystère, d’indépendance et desottise. Je lui conseillerais de les vaincre.

En tant que portrait général de Fanny, Sir Thomas pensait querien n’était plus injuste, quoique, dernièrement lui-même exprimâtles mêmes sentiments et il essayait de détourner laconversation ; il essaya plusieurs fois avant deréussir ; car Mme Norris n’avait pas assez de discernement,maintenant pas plus qu’à d’autres moments pour comprendre à queldegré il pensait du bien de sa nièce, ou combien il était loin desouhaiter faire briller les mérites de ses enfants par ladépréciation de Fanny. Elle parlait à Fanny et réprouva cettepromenade privée pendant la moitié du dîner.

À la fin, les reproches cessèrent, et la soirée débuta pluscalmement pour Fanny et avec plus de bonne humeur qu’elle eût pul’espérer après une matinée si orageuse ; mais premièrementelle avait conscience d’avoir bien agi, et de ne pas s’être laisséeégarer par son jugement ; car elle pouvait répondre de lapureté de ses intentions ; et elle était portée à espérer quele déplaisir de son oncle était en train de se calmer et qu’ildiminuerait encore plus lorsqu’il aurait considéré l’affaire avecplus d’impartialité, et senti, comme un homme doit le faire,combien il était déplorable, et impardonnable, et combien il étaitpervers de se marier sans affection.

Quand la rencontre dont elle était menacée, serait passée, ellene pourrait que se flatter de la conclusion finale de l’affaire, etquand M. Crawford, aurait quitté Mansfield, tout redeviendraitbientôt comme si jamais un tel sujet n’eût été soulevé. Ellen’aurait pas voulu, elle n’aurait pas pu croire que les sentimentsde M. Crawford le désoleraient longtemps ; son esprit n’étaitpas de cette sorte-là, et Londres le guérirait bientôt. À Londresil apprendrait vite à se lasser de son engagement, et seraitreconnaissant de son bon sens, qui l’aurait sauvé, lui, de toutessuites mauvaises.

Tandis que l’esprit de Fanny était engagé dans des esprits decet idée, son oncle fut appelé peu après la fin du thé ;c’était un fait trop courant pour la frapper et elle n’en pensarien jusqu’au moment où le valet réapparut dix minutes plus tard etavançant décidément vers elle, lui dit : « Sir Thomasveut vous parler, Madame, dans sa propre chambre. » Alors ellese rendit compte de ce qui pourrait bien se passer ; unsoupçon enleva toute couleur à ses joues, mais comme elle selevait, pour lui obéir, Mme Norris s’écria :

— Reste, reste, Fanny ! qu’as-tu l’intention de faire, nete dépêche pas tant. Tu peux t’y fier, ce n’est pas toi qui estdemandée. Tu peux avoir confiance, c’est moi que Sir Thomasdemande, dit-elle en regardant le valet ; mais tu es si avidede te pousser en avant. Pourquoi Sir Thomas aurait-il besoin detoi ? C’est moi, Baddeley, que vous voulez dire que Sir Thomasdemande, et non Mlle Price.

Mais Baddeley était ferme.

— Non, Madame, c’est Mlle Price, j’en suis tout à fait certain.Et dans un demi-sourire il dit : Je ne pense pas que fouspourriez convenir du tout.

Mme Norris très mécontente, fut obligée de se remettre à sonouvrage ; et Fanny s’en alla, la conscience en grandeagitation, et se trouva une minute après — comme elle l’avaitdeviné — seule avec M. Crawford.

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