Une Fille du Régent

Chapitre 2DÉCIDÉMENT LA FAMILLE SE RANGE.

Madame la duchesse de Berry, chez laquelle se rendait le régent,était, quoi qu’il en eût dit, la fille bien-aimée de son cœur.Prise, à l’âge de sept ans, d’une maladie que les médecins avaientjugée mortelle et abandonnée par eux, elle était retombée entre lesmains de son père, qui faisait un peu de médecine, comme on lesait, et qui, en la traitant à sa manière, était parvenu à lasauver. Dès lors, cet amour paternel du régent pour elle étaitdevenu de la faiblesse. À partir de cet âge, il avait laissé faireà cette enfant volontaire et hautaine tout ce qu’elle avait voulu.Son éducation, fort négligée, s’était ressentie de cet abandon à sapropre volonté ; ce qui n’avait pas empêché que Louis XIVne la choisît pour devenir la femme de son petit-fils le duc deBerry.

On sait comment la mort fondit tout à coup sur la triplepostérité royale, et comment moururent, en quelques années, legrand dauphin, le duc et la duchesse de Bourgogne et le duc deBerry.

Restée veuve à vingt ans, aimant son père d’une tendressepresque égale à celle qu’il lui avait vouée, ayant à choisir entrela société de Versailles et celle du Palais-Royal, la duchesse deBerry, belle, jeune, ardente au plaisir, n’avait pas hésité. Elleavait partagé les fêtes, les plaisirs et même quelquefois lesorgies du duc ; et soudain d’étranges calomnies, sortant à lafois de Saint-Cyr et de Sceaux, venant de madame de Maintenon et demadame du Maine, s’étaient répandues sur les relations du père etde la fille. Le duc d’Orléans, avec son insouciance ordinaire,avait laissé ces bruits devenir ce qu’ils pouvaient, et ces bruitsétaient devenus et sont restés de belles et bonnes accusationsd’inceste, qui, pour n’avoir aucun caractère historique aux yeuxdes hommes qui connaissent à fond cette époque, n’en sont pas moinsune arme aux mains des gens qui ont intérêt à noircir la conduitede l’homme privé pour diminuer la grandeur de l’hommepolitique.

Ce n’était pas tout. Par sa faiblesse sans cesse croissante, leduc d’Orléans avait encore accrédité ces bruits. Il avait donné àsa fille, qui avait déjà six cent mille livres de rente, quatrecent mille francs sur sa propre fortune, ce qui portait son revenuà un million. Il lui avait, en outre, abandonné leLuxembourg ; il avait attaché une compagnie de gardes à sapersonne ; enfin, ce qui avait exaspéré les prôneurs de lavieille étiquette, il n’avait fait que hausser les épaules lorsquela duchesse de Berry avait traversé Paris précédée de cymbales etde trompettes, ce qui avait scandalisé tous les honnêtes gens, etque rire lorsqu’elle avait reçu l’ambassadeur vénitien sur un trôneélevé de trois marches, ce qui avait manqué nous brouiller avec larépublique de Venise.

Il y avait plus : il était sur le point de lui accorder uneautre demande non moins exorbitante, qui, certainement, eût amenéun soulèvement dans la noblesse : c’était un dais à l’Opéra,lorsque, heureusement pour la tranquillité publique etmalheureusement pour le bonheur du régent, la duchesse de Berrys’était prise d’amour pour le chevalier de Riom.

Le chevalier de Riom était un cadet d’Auvergne, neveu oupetit-neveu du duc de Lauzun, qui était venu, en 1715, à Paris pourchercher fortune, et qui l’avait trouvée au Luxembourg. Introduitprès de la princesse par madame de Mouchy, dont il était l’amant,il n’avait pas tardé à exercer sur elle cette influence de familleque son oncle, le duc de Lauzun, avait, cinquante ans auparavant,exercée sur la grande Mademoiselle, et bientôt il avait été déclaréamant en titre, malgré l’opposition de son prédécesseur Lahaie,qu’on avait alors envoyé comme attaché à l’ambassade deDanemark.

La duchesse de Berry n’avait donc eu, de compte fait, que deuxamants, ce qui, on en conviendra, était presque de la vertu pourune princesse de ce temps-là : Lahaie, qu’elle n’avait jamaisavoué, et Riom, qu’elle proclamait tout haut. Ce n’était doncvéritablement point une cause suffisante à l’acharnement aveclequel on poursuivait la pauvre princesse. Mais il ne faut pointoublier que cet acharnement avait une autre cause, que noustrouvons consignée, non-seulement dans Saint-Simon, mais encoredans toutes les histoires de l’époque : c’est cette fatalepromenade dans Paris avec cymbales et clairons, ce malheureux trôneà trois marches sur lequel elle avait reçu l’ambassadeur deVenise ; enfin cette exorbitante prétention, ayant déjà unecompagnie de gardes, d’avoir encore un dais à l’Opéra.

Mais ce n’était pas cette indignation générale, soulevée par laprincesse, qui avait fort ému contre sa fille le duc d’Orléans,c’était l’empire qu’elle avait laissé prendre à son amant :Riom, élève de ce même duc de Lauzun, qui écrasait le matin la mainde la princesse de Monaco avec le talon des bottes qu’il se faisaittirer le soir par la fille de Gaston d’Orléans, et qui avait, àl’endroit des princesses, donné à son neveu de terriblesinstructions que celui-ci avait suivies à la lettre « Lesfilles de France, avait-il dit à Riom, veulent être menéesle bâton haut ; » et Riom, plein deconfiance dans l’expérience de son oncle, avait en effet si biendressé la duchesse de Berry, que celle-ci n’osait plus donner unefête sans son avis, paraître à l’Opéra sans sa permission, etmettre une robe sans son conseil.

Il en était résulté que le duc, qui aimait fort sa fille,s’était pris pour Riom, qui l’éloignait de lui, d’une haine aussiforte que celle que son caractère insoucieux lui permettait deressentir. Sous prétexte de servir les vues de la duchesse, ilavait donné un régiment à Riom, puis le gouvernement de la ville deCognac, puis enfin l’ordre de se rendre dans songouvernement ; ce qui commençait, pour toutes les personnesqui y voyaient un peu clair, à changer sa faveur en disgrâce.

Aussi la duchesse ne s’y était pas trompée ; elle étaitaccourue au Palais-Royal, quoique relevant de couches, et là, elleavait prié et supplié son père, mais inutilement ; puis alorselle l’avait boudé, grondé, menacé, mais inutilement encore. Enfin,elle était partie, menaçant le duc de toute sa colère, et luiaffirmant que, malgré son ordre, Riom ne partirait pas.

Le duc, le lendemain matin, avait, pour toute réponse, réitéré àRiom l’ordre de partir, et Riom lui avait respectueusement faitdire qu’il obéissait à l’instant même.

En effet, le même jour, qui était la veille de celui où noussommes arrivés, Riom avait ostensiblement quitté le Luxembourg, etle duc d’Orléans avait été prévenu par Dubois lui-même que lenouveau gouverneur, suivi de ses équipages, était parti à neufheures du matin pour Cognac.

Tout cela s’était passé sans que le duc d’Orléans revît safille ; aussi, lorsqu’il parlait de profiter de sa colère pouraller en finir avec elle, c’était bien plutôt un pardon qu’ilallait lui demander qu’une querelle qu’il allait lui faire.

Dubois, qui le connaissait, n’avait point été la dupe de cetteprétendue résolution ; mais Riom était parti pour Cognac,c’était tout ce que demandait Dubois. Il espérait, pendantl’absence, glisser quelque nouveau secrétaire de cabinet ou quelqueautre lieutenant des gardes, qui effacerait le souvenir de Riomdans le cœur de la princesse. Alors Riom recevrait l’ordre derejoindre, en Espagne, l’armée du maréchal de Berwick, et il n’enserait plus davantage question qu’il n’était de Lahaie enDanemark.

Tout cela n’était peut-être pas un projet bien moral ; maisau moins c’était un plan fort logique.

Nous ne savons pas si le ministre avait mis son maître de moitiédans ce plan.

Le carrosse s’arrêta devant le Luxembourg, qui était éclairécomme d’habitude. Le duc descendit et monta le perron avec savivacité ordinaire. Quant à Dubois, que la duchesse exécrait, ilresta pelotonné dans un coin de la voiture.

Au bout d’un instant, le duc reparut à la portière le visagetout désappointé.

– Ah ! ah ! monseigneur, dit Dubois, est-ce queVotre Altesse serait consignée, par hasard ?

– Non ; mais la duchesse n’est point auLuxembourg.

– Et où est-elle, aux Carmélites ?

– Elle est à Meudon.

– À Meudon ! au mois de février, et par un temps commecelui-ci ! Monseigneur, cet amour de campagne me paraîtsuspect.

– Et à moi aussi, je te l’avoue ; que diable peut-ellefaire à Meudon ?

– C’est facile à savoir.

– Comment cela ?

– Allons à Meudon.

– Cocher, à Meudon ! dit le régent en sautant dans lavoiture. Vous avez vingt-cinq minutes pour y arriver.

– Je ferai observer à monseigneur, dit humblement lecocher, que ses chevaux ont déjà fait dix lieues.

– Crevez-les ; mais soyez à Meudon dans vingt-cinqminutes.

Il n’y avait rien à répondre à un ordre si explicite.

Le cocher enveloppa son attelage d’un énergique coup de fouet,et les nobles bêtes, étonnées que l’on crût avoir besoin derecourir vis-à-vis d’elles à une pareille extrémité, repartirentd’un trot aussi rapide que si elles sortaient de l’écurie.

Pendant toute la route, Dubois fut muet, et le régentpréoccupé ; de temps en temps, l’un ou l’autre jetait unregard investigateur sur le chemin ; mais le chemin n’offraitaucune chose qui fût digne d’attirer l’attention du régent et deson ministre ; et l’on arriva à Meudon sans que rien pûtguider le duc dans le dédale de pensées contradictoires où il étaitplongé.

Cette fois, tous deux descendirent : l’explication entre lepère et la fille pouvait être longue, et Dubois désirait enattendre la fin dans un endroit plus commode qu’une voiture.

Sous le perron, ils trouvèrent le suisse en grande livrée. Commele duc était enveloppé de sa redingote fourrée, et Dubois de sonmanteau, il les arrêta. Le duc alors se fit reconnaître.

– Pardon, dit le suisse, mais j’ignorais qu’on attendîtmonseigneur.

– C’est bien, dit le duc ; attendu ou non, j’arrive.Faites prévenir la princesse par un valet de pied.

– Monseigneur est donc de la cérémonie ? demanda lesuisse, qui paraissait visiblement embarrassé, enfermé qu’il était,sans doute, dans une consigne sévère.

– Eh ! sans doute, que monseigneur est de lacérémonie, répondit Dubois coupant la parole au duc d’Orléans, quiallait demander de quelle cérémonie il était question ; et moiaussi, j’en suis.

– Alors je vais faire conduire monseigneur directement à lachapelle ?

Dubois et le duc se regardèrent en hommes qui n’y comprennentplus rien.

– À la chapelle ? demanda le duc.

– Oui, monseigneur ; car la cérémonie est commencéedepuis près de vingt minutes.

– Ah çà ! dit le régent en se penchant vers l’oreillede Dubois, est-ce que celle-ci aussi se fait religieuse ?

– Monseigneur, dit Dubois, gageons bien plutôt qu’elle semarie ?

– Mille dieux ! s’écria le régent, il ne manqueraitplus que cela.

Et il s’élança sur l’escalier, suivi de Dubois.

– Monseigneur ne veut donc pas que je le fasseconduire ? dit le suisse.

– C’est inutile, cria le régent, déjà en haut del’escalier, je connais le chemin.

Effectivement, avec cette agilité, si étonnante dans un homme desa corpulence, le régent traversait chambre et corridors, suivi deDubois, qui, cette fois, prenait à l’aventure ce diabolique intérêtde la curiosité, qui faisait de lui le Méphistophélès de cet autrechercheur de l’inconnu, qu’on appelait, non pas Faust, maisPhilippe d’Orléans.

Ils arrivèrent ainsi à la porte de la chapelle, qui paraissaitfermée, mais qui s’ouvrit au premier effort qu’ils firent pour lapousser.

Dubois ne s’était pas trompé dans ses conjectures.

Riom, revenu en cachette, après être parti ostensiblement, étaitavec la princesse à genoux devant l’aumônier particulier de madamela duchesse de Berry ; tandis que M. de Pons, parentde Riom, et le marquis de la Rochefoucault, capitaine des gardes dela princesse, tenaient le poële sur leur tête ;MM. de Mouchy et de Lauzun se tenaient, l’un à la gauchede la duchesse, l’autre à la droite de Riom.

– Décidément la fortune est contre nous, monseigneur, ditDubois ; nous sommes arrivés trop tard de deux minutes.

– Mordieu ! s’écria le duc exaspéré en faisant un pasvers le chœur, c’est ce que nous verrons.

– Chut ! monseigneur, dit Dubois, en ma qualitéd’abbé, c’est à moi de vous empêcher de commettre un sacrilège.Ah ! s’il était utile, je ne dis pas ; mais celui-ciserait en pure perte.

– Ah çà ! mais ils sont donc mariés ? demanda leduc, se reculant, sous l’action de Dubois, à l’ombre d’unecolonne.

– Tout ce qu’il y a de plus mariés, monseigneur, etmaintenant le diable lui-même ne les démarierait pas sansl’assistance du saint-père.

– Eh bien ! j’écrirai à Rome, dit le duc.

– Gardez-vous-en bien, monseigneur ! s’écriaDubois ; n’usez pas votre crédit pour une pareille chose, vousen aurez besoin quand il sera question de me faire nommercardinal.

– Mais, dit le régent, une pareille mésalliance estintolérable.

– Les mésalliances sont fort à la mode, dit Dubois, et l’onn’entend parler que de cela aujourd’hui : Sa MajestéLouis XIV s’est mésalliée en épousant madame de Maintenon, àlaquelle vous faites encore une pension comme à sa veuve. La grandeMademoiselle s’est mésalliée en épousant M. de Lauzun.Vous vous êtes mésallié en épousant mademoiselle de Blois, et àtelle enseigne que, lorsque vous avez annoncé ce mariage à laprincesse palatine votre mère, elle vous a répondu par un soufflet.Enfin, moi-même, monseigneur, ne m’étais-je pas mésallié enépousant la fille du maître d’école de mon village ? Vousvoyez bien, monseigneur, qu’après tant d’augustes exemples laprincesse, votre fille, peut bien se mésallier à son tour.

– Tais-toi, démon, dit le régent.

– D’ailleurs, continua Dubois, voyez-vous, monseigneur, lesamours de madame la duchesse de Berry commençaient à faire, grâceaux criailleries de l’abbé de Saint-Sulpice, plus de bruit qu’il neconvient ; c’était un scandale public, que ce mariage secret,qui sera connu demain de tout Paris, va faire cesser ;personne n’aura plus rien à dire, ni vous non plus. Décidément,monseigneur, votre famille se range.

Le duc d’Orléans fit entendre une imprécation terrible, àlaquelle Dubois répondit par un de ces ricanements queMéphistophélès lui eût enviés.

– Silence là-bas ! cria le suisse, qui ignorait quifaisait ce bruit, et qui voulait que les époux ne perdissent pas unmot de la pieuse exhortation que leur faisait l’aumônier.

– Silence donc, monseigneur, répéta Dubois, vous voyez bienque vous troublez la cérémonie !

– Tu vas voir, reprit le duc, que, si nous ne nous taisonspas, elle va nous faire mettre à la porte.

– Silence donc ! répéta le suisse en frappant la dalledu chœur de sa hallebarde, tandis que la duchesse de Berry envoyaitM. de Mouchy savoir qui causait ce scandale.

M. de Mouchy obéit aux ordres de la princesse, et,apercevant dans l’ombre deux personnes qui semblaient se cacher, ils’approcha des interrupteurs, la tête haute, d’un pas hardi.

– Qui donc fait ce bruit ? dit-il, et qui vous apermis, messieurs, d’entrer dans la chapelle ?

– Celui qui aurait bonne envie de vous en faire sortir touspar la fenêtre, répondit le régent, mais qui se contente, pour lemoment, de vous charger de donner l’ordre à M. de Riom derepartir à l’instant même pour Cognac, et d’intimer à la duchessede Berry la défense de se représenter jamais au Palais-Royal.

Et, à ces mots, le régent sortit en faisant signe à Dubois de lesuivre, et en laissant le duc de Mouchy et son gros ventre atterrésde cette apparition.

– Au Palais-Royal ! dit le prince en s’élançant danssa voiture.

– Au Palais-Royal ? reprit vivement Dubois ; nonpas, monseigneur, vous oubliez nos conventions ; je vous aisuivi, à la condition que vous me suivriez à votre tour. Cocher, aufaubourg Saint-Antoine.

– Va-t’en au diable ! je n’ai pas faim.

– Soit, Votre Altesse ne mangera pas.

– Je ne suis pas en train de m’amuser ?

– Soit, Votre Altesse ne s’amusera pas.

– Et que ferai-je alors, si je ne mange ni ne m’amuse.

– Votre Altesse verra manger et s’amuser les autres, voilàtout.

– Que veux-tu dire ?

– Je veux dire que Dieu est en train de faire des miraclespour vous, monseigneur ; et que, comme la chose ne lui arrivepas tous les jours, il ne faut pas abandonner la partie en si beauchemin ; nous en avons déjà vu deux ce soir : nous allonsassister à un troisième.

– À un troisième ?

– Oui, numero Deus imparegaudet ; le nombre impair plaît à Dieu. J’espère quevous n’avez pas oublié votre latin, monseigneur ?

– Explique-toi, voyons, dit le régent dont l’humeur n’étaitpas, pour le moment, tournée le moins du monde à laplaisanterie ; tu es assez laid, certainement, pour te poseren sphinx ; mais moi je ne suis pas assez jeune pour jouer lerôle d’Œdipe.

– Eh bien ! je disais donc, monseigneur, qu’aprèsavoir vu vos deux filles, qui étaient trop folles, faire leurpremier pas vers la sagesse, vous allez voir votre fils, qui étaittrop sage, faire son premier pas vers la folie.

– Mon fils Louis ?

– Votre fils Louis en personne ; il se dégourdit cettenuit même, monseigneur, et c’est à ce spectacle, si flatteur pourl’orgueil d’un père, que je vous ai convié.

Le duc secoua la tête d’un air de doute.

– Oh ! secouez la tête tant que vous voudrez,monseigneur, cela est ainsi, dit Dubois.

– Et de quelle façon se dégourdit-il ? demanda lerégent.

– De toutes les façons, monseigneur ; et c’est lechevalier de M*** que j’ai chargé de lui faire faire ses premièresarmes ; il soupe à cette heure en partie carrée avec lui etdeux femmes.

– Et quelles sont les femmes ? demanda le régent.

– Je n’en connais qu’une, le chevalier s’est chargéd’amener l’autre.

– Et il y a consenti !

– À belles baise-mains.

– Sur mon âme ! Dubois, dit le duc, je crois que, situ avais vécu du temps du roi Saint-Louis, tu aurais fini par lemener chez la Fillon de l’époque.

Un sourire de triomphe passa sur la figure de singe deDubois.

– Voilà, monseigneur, continua-t-il ; vous vouliez quemonsieur Louis tirât une fois l’épée, comme vous le faisiezautrefois, et comme vous avez encore la rage de le faireaujourd’hui, mes précautions sont prises pour cela.

– Vraiment ?

– Oui, le chevalier de M*** lui cherchera, en soupant, unebonne petite querelle d’Allemand, rapportez-vous-en à lui pourcela. Vous vouliez que M. Louis courût quelque bonne chanceamoureuse : s’il résiste à la sirène que je lui ai lâchée,c’est un saint Antoine.

– C’est toi qui l’as choisie ?

– Comment donc, monseigneur, quand il s’agit de l’honneurde votre famille, Votre Altesse sait que je ne m’en rapporte qu’àmoi. À cette nuit donc l’orgie, à demain le duel. Et demain soir,au moins, notre néophyte pourra signer Louis d’Orléans, sanscompromettre la réputation de son auguste mère : car on verraque le jeune homme est de votre sang, ce dont, le diablem’emporte ! à la singulière conduite qu’il mène, on seraittenté de douter.

– Dubois, tu es un misérable ! dit le duc en riantpour la première fois depuis qu’il avait quitté Chelles, et tu vasperdre le fils comme tu as perdu le père.

– Tant que vous voudrez, monseigneur, réponditDubois ; il faut qu’il soit prince, oui ou non ; qu’ilsoit homme ou qu’il soit moine ; qu’il se décide à l’un oul’autre parti, il en est temps. Vous n’avez qu’un fils,monseigneur, un fils qui a bientôt seize ans, un fils que vousn’envoyez pas à la guerre, sous prétexte qu’il est votre filsunique, et, en réalité, parce que vous ne savez pas comment il s’yconduirait…

– Dubois ! dit le régent.

– Eh bien ! demain, monseigneur, nous seronsfixés.

– Pardieu ! la belle affaire, dit le régent.

– Ainsi, reprit Dubois, vous croyez qu’il s’en tirera à sonhonneur ?

– Ah çà ! maraud, sais-tu bien que tu finis parm’insulter. Il semble que ce soit une chose véritablementimpossible que de rendre amoureux un homme de mon sang, et unmiracle bien extraordinaire que de faire mettre l’épée à la main àun prince de mon nom. Dubois, mon ami, tu es né abbé et tu mourrasabbé.

– Non pas, non pas, monseigneur ! s’écriaDubois ; peste ! je prétends à mieux que cela.

Le régent se mit à rire.

– Au moins tu as une ambition, toi : ce n’est pascomme cet imbécile de Louis qui ne désire rien ; et cetteambition me divertit plus que tu ne peux te l’imaginer.

– Vraiment ! dit Dubois ; je ne croyais pascependant être si bouffon.

– Eh bien ! c’était de la modestie, car tu es la plusamusante créature de la terre, quand tu n’en es pas la plusperverse ; aussi je te jure que le jour où tu serasarchevêque…

– Cardinal ! monseigneur.

– Ah ! c’est cardinal que tu veux être ?

– En attendant que je sois pape.

– Bon, eh bien ! ce jour-là, je te le jure…

– Le jour où je serai pape.

– Non ; le jour où tu seras cardinal, on rira bien auPalais-Royal, je te jure.

– On rira bien autrement dans Paris, allez,monseigneur ; mais, comme vous l’avez dit, je suis parfoisbouffon et je veux faire rire, voilà pourquoi je tiens à êtrecardinal.

Et, comme Dubois manifestait cette prétention le carrosse cessade rouler.

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