Une Fille du Régent

Chapitre 17MONSEIGNEUR, NOUS SOMMES BRETONS.

Gaston était resté dans la chambre du rez-de-chaussée, ets’habillait, comme nous l’avons dit, tandis que maître Tapincontinuait de faire son apprentissage.

Aussi, vers le soir, savait-il aussi bien mesurer une chopineque son prédécesseur, et mieux même, car il avait compris que, dansles dédommagements qu’on payerait à maître Bourguignon, legaspillage figurerait au compte ; il comprenait donc que moinson gaspillerait, plus, lui Tapin, ferait des bénéfices. Aussi lapratique du matin fut-elle très-mal servie le soir, et seretira-t-elle fort mécontente.

Une fois habillé, Gaston, pour achever de se fixer sur lecaractère du capitaine la Jonquière, fit l’inventaire de sabibliothèque.

Elle se composait de trois sortes de livres : livresobscènes, livres d’arithmétique, livres de théorie. Parmi cesderniers, le Parfait Sergent Major était reliéd’une façon toute particulière, et paraissait avoir été énormémentlu ; puis venaient les mémoires du capitaine, mémoires dedépenses, bien entendu, tenus avec tout l’ordre d’un fourrier derégiment. – Tant de futilité ! – Il pensa que c’était unmasque à la Fiesque pour couvrir le visage du conspirateur.

Pendant que Gaston se livrait consciencieusement à cetinventaire appréciateur, un homme entra, introduit par Tapin, quil’annonça et le laissa aussitôt discrètement seul avec lechevalier. Aussitôt que la porte fut refermée, l’homme s’approchade Gaston, lui annonça que le capitaine la Jonquière, ne pouvantpas venir, l’avait envoyé à sa place. Gaston lui demanda la preuvede cette mission. L’inconnu tira d’abord une lettre du capitaineexactement dans les mêmes termes et de la même écriture que lespécimen qu’il avait entre les mains, puis, après la lettre, lamoitié de la pièce d’or ; Gaston reconnut dès lors que c’étaitbien l’envoyé attendu, et ne fit aucune difficulté de le suivre.Tous deux montèrent dans un carrosse exactement fermé, ce quin’avait rien d’étonnant, vu le motif de la course. Gaston vit qu’iltraversait la rivière au pont Neuf, et qu’il descendait lesquais ; mais, une fois entré dans la rue du Bac, il ne vitplus rien, car, au bout d’un instant, la voiture s’arrêta dans unecour, en face d’un pavillon. Alors, sans même que Gaston ledemandât, son compagnon tira de sa poche le papier taillé surlequel se trouvait le nom du chevalier, de sorte que, si celui-cieût conservé quelques doutes, ces doutes se fussent dissipés.

La portière s’ouvrit : Gaston et son compagnondescendirent, montèrent les quatre marches d’un perron, et setrouvèrent dans un vaste corridor circulaire, lequel enveloppait laseule pièce dont se composait le pavillon. Avant de soulever laportière, qui masquait une des entrées, Gaston se retourna pourchercher son guide, mais son guide avait déjà disparu. Le chevalierétait resté seul.

Le cœur lui battit violemment : ce n’était plus à un hommevulgaire qu’il allait parler. Il ne s’agissait plus de l’instrumentgrossier mis en œuvre : c’était la pensée du complot elle-mêmequ’il allait voir en face ; c’était l’idée de la rébellionfaite homme ; c’était le représentant d’un roi devant lequelil allait se trouver, lui représentant de la France ; ilallait parler, bouche à bouche, avec l’Espagne, et porter àl’étranger les offres d’une guerre commune contre sa patrie. Iljouait un royaume de moitié avec un autre royaume.

Une sonnette retentit au dedans.

Le bruit de cette sonnette fit frissonner Gaston. Il se regardadans une glace, il était pâle ; il s’appuya contre le mur, carses genoux fléchissaient ; mille pensées, qui ne lui étaientjamais venues, l’assaillirent en ce moment ; le pauvre garçonn’était pas au bout de ses souffrances.

La porte s’ouvrit, et Gaston se trouva devant un homme qu’ilreconnut pour la Jonquière.

– Encore ! murmura-t-il avec dépit.

Mais le capitaine, malgré son œil vif et exercé, ne parut pass’apercevoir du nuage qui obscurcissait le front du chevalier.

– Venez, chevalier, lui dit-il, on nous attend.

Alors Gaston, rassuré par l’importance même de l’action qu’ilentreprenait, s’avança d’un pas assez ferme sur le tapis quiassourdissait le bruit de ses pas. Il se fit l’effet d’une ombrecomparaissant devant une autre ombre.

En effet, muet et immobile, un homme, le dos tourné à la porte,un homme était assis ou plutôt enseveli dans un vastefauteuil ; on n’entrevoyait que ses jambes croisées l’une surl’autre. La lumière de la bougie unique, placée sur une table dansun candélabre de vermeil, et recouverte d’un abat-jour, n’éclairaitque la partie inférieure de son corps ; la tête et lesépaules, protégées par le jeu d’un écran, restaient dans lapénombre.

Gaston trouva les traits franchement accusés et le visage noble.C’était un gentilhomme qui se connaissait en gens de race, et ilcomprit tout de suite que celui-là n’était pas un capitaine laJonquière. La bouche était bienveillante, l’œil grand, hardi etfixe comme celui des rois et des oiseaux de proie ; il lut dehautes pensées sur ce front, une grande prudence et quelque fermetédans les contours fins de la partie inférieure du visage ;tout cela cependant au milieu de l’obscurité, et malgré la cravatede malines.

– Au moins, voilà l’aigle, se dit-il ; l’autre n’étaitque le corbeau, ou tout au plus que le vautour.

Le capitaine la Jonquière se tint respectueusement debout, en sefaisant gros des hanches pour avoir l’attitude martiale. L’inconnu,après avoir regardé quelque temps Gaston, qui le saluait ensilence, et cela avec la même attention que Gaston l’avait regardélui-même, se leva et salua à son tour fort dignement de la tête, etalla s’adosser à la cheminée.

– Monsieur est la personne dont j’ai eu l’honneur de parlerà Votre Excellence, dit la Jonquière ; monsieur le chevalierGaston de Chanlay.

L’inconnu s’inclina légèrement de nouveau, mais ne réponditpas.

– Mordieu ! lui souffla tout bas Dubois à l’oreille,si vous ne lui parlez pas, il ne répondra rien.

– Monsieur arrive de Bretagne, je crois ? réponditfroidement le duc.

– Oui, monseigneur, mais que Votre Excellence daigne mepardonner ; M. le capitaine la Jonquière lui a dit monnom, mais moi je n’ai pas encore l’honneur de savoir le sien ;excusez mon impolitesse, monseigneur, mais ce n’est pas moi quiparle, c’est le pays qui m’envoie.

– Vous avez raison, monsieur, dit vivement la Jonquière entirant d’un portefeuille placé sur la table un papier au bas duquels’étalait une large signature avec le sceau du roi d’Espagne.

Voici le nom, dit-il.

« Duc d’Olivarès, » lut Gaston.

Gaston se recula de deux pas par discrétion.

Puis, se retournant vers celui qu’on lui présentait, sansremarquer la légère rougeur qui colorait ses joues, il s’inclinarespectueusement.

– Et maintenant, monsieur, dit l’inconnu, vous n’hésiterezplus à parler, je présume.

– Je croyais avoir à écouter d’abord, répondit Gaston setenant encore sur la défensive.

– C’est vrai, monsieur ; toutefois c’est un dialogueque nous commençons, ne l’oubliez pas : chacun parle à sontour dans une conversation.

– Monseigneur, Votre Excellence me fait trop d’honneur, etje vais lui donner l’exemple de la confiance.

– J’écoute, monsieur.

– Monseigneur, les états de Bretagne…

– Les mécontents de Bretagne, interrompit en souriant lerégent, malgré un signe terrible de Dubois.

– Les mécontents sont si nombreux, reprit Gaston, qu’ilsdoivent être regardés comme les représentants de la province :cependant j’emploierai la locution que m’indique VotreExcellence ; les mécontents de Bretagne m’ont envoyé à vous,monseigneur, pour savoir les intentions de l’Espagne dans cetteaffaire.

– Sachons d’abord celles de la Bretagne, reprit lerégent.

– Monseigneur, l’Espagne peut compter sur nous ; ellea notre parole, et la loyauté bretonne est proverbiale.

– Mais à quoi vous engagez-vous vis-à-vis del’Espagne ?

– À seconder de notre mieux les efforts de la noblessefrançaise.

– Mais n’êtes-vous donc pas Français vous-mêmes ?

– Monseigneur, nous sommes Bretons. La Bretagne, réunie àla France par un traité, doit se regarder comme séparée d’elle dumoment où la France ne respecte pas le droit qu’elle s’étaitréservé par ce traité.

– Oui, je sais, la vieille histoire du contrat d’Anne deBretagne ; il y a bien longtemps que ce contrat a été signé,monsieur.

Le faux la Jonquière poussa le régent de toute sa force.

– Qu’importe, dit Gaston, si chacun de nous le sait parcœur ?

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