Une Fille du Régent

Chapitre 19LA PETITE MAISON.

Ce n’était plus une illusion pour le chevalier. Un jour encore,deux peut-être, il allait falloir se mettre à l’œuvre, et quelleœuvre !

L’envoyé espagnol avait produit une profonde impression surGaston ; il y avait en lui un air de grandeur qui étonnaitcelui-ci. Gaston en était sûr, c’était bien un gentilhomme.

Puis une réminiscence étrange lui passait par l’esprit ; ily avait, entre ce front sévère et ces yeux étincelants et le frontpur et les doux yeux d’Hélène une de ces ressemblances vagues etlointaines qui donnent, à la pensée qui s’arrête sur elle,l’incohérence d’un songe. Gaston, sans s’en rendre compte,assimilait ces deux figures dans son souvenir, et, malgré lui, nepouvait les séparer.

Au moment où il allait se coucher, fatigué des émotions du jour,le pas d’un cheval retentit dans la rue ; la porte de l’hôteldu Muids-d’Amour s’ouvrit, et Gaston, de sonrez-de-chaussée, crut entendre un colloque animé ; maisbientôt la porte se referma, le bruit s’évanouit, et Gastons’endormit, comme on s’endort à vingt-cinq ans, lors même qu’on estamoureux et conspirateur.

Cependant Gaston ne s’était pas trompé : le cheval entenduavait bien réellement piétiné et henni ; le colloque avait eulieu ; la porte, s’était ouverte et refermée. Celui quiarrivait à cette heure était un bon paysan de Rambouillet, à quiune jeune et jolie femme avait donné deux louis pour porter unbillet en toute hâte à monsieur le chevalier Gaston de Chanlay, ruedes Bourdonnais, à l’hôtel du Muids-d’Amour.

La jeune et jolie femme, nous la connaissons.

Tapin prit la lettre, la retourna, la flaira ; puis,dénouant le tablier blanc serré autour de sa taille d’hôtelier, ilremit la garde de l’hôtel du Muids-d’Amour à sonpremier cuisinier, qui était un drôle fort intelligent, et courut,avec la vitesse de ses deux longues jambes, chez Dubois, quirentrait aussi de la maison de la rue du Bac.

– Oh ! oh ! dit Dubois, une lettre ! voyonscela.

Il décacheta, comme un habile escamoteur, à l’aide d’une vapeurbouillante, l’épître qu’on venait de lui remettre, et, en lisant lebillet, puis la signature, il éclata dans une joie immodérée.

– Bon ! excellent ! dit-il ; et voilà quimarche à merveille. Laissons aller les enfants, ils vont grandtrain ; mais nous tenons la bride, et ils n’iront que tant quenous voudrons.

Puis, se tournant vers le messager après avoir artistementrecacheté l’épître :

– Tiens, dit-il, rends cette lettre.

– Quand cela ? demanda Tapin.

– Tout de suite, dit Dubois.

Tapin fit un pas vers la porte.

– Non pas ; je réfléchis… reprit Dubois ; demainmatin, ce sera assez tôt.

– Maintenant, dit Tapin en saluant une seconde fois aumoment de sortir, m’est-il permis de faire à monseigneur uneobservation toute personnelle ?

– Parle, drôle.

– Comme agent de monseigneur, je gagne trois écus parjour.

– N’est-ce point assez, maroufle ?

– C’est assez comme agent, et je ne me plains pas ;mais, en vérité, Dieu ! ce n’est pas assez comme marchand devins. Oh ! le sot métier !

– Bois pour te distraire, animal.

– Depuis que j’en vends, je déteste le vin.

– Parce que tu vois comment on le fait ; mais bois duchampagne, bois du muscat, bois du vin de raisin, s’il en existe,c’est Bourguignon qui paye. À propos, il a eu une vraie attaque,ainsi ton mensonge n’est qu’une affaire de chronologie.

– Vraiment ! monseigneur ?

– Oui, la peur que tu lui as faite en est la cause ;tu voulais hériter de son fonds, pendard !

– Non, ma foi, monseigneur ; le métier est trop peudivertissant.

– Eh bien, j’ajoute trois écus par jour à ta solde, tantque tu le rempliras ; et après je te donne la boutique pourdoter ta fille aînée. Va, et apporte-moi souvent des lettrespareilles, tu seras le bienvenu.

Tapin revint à l’hôtel du Muids-d’Amour dumême pas qu’il avait été au Palais-Royal ; et, comme la choselui était recommandée, il attendit au lendemain pour remettre lalettre.

À six heures Gaston était sur pied. Il faut rendre cette justiceà maître Tapin, aussitôt qu’il entendit du bruit dans la chambre,il entra et remit la lettre à celui à qui elle était adressée.

En reconnaissant l’écriture, Gaston rougit et pâlit à lafois ; mais, à mesure qu’il lut, ce fut sa pâleur quiaugmenta.

Tapin faisait mine de ranger et le regardait du coin de l’œil.En effet, la nouvelle était sérieuse, voici ce que contenait lalettre :

« Mon ami, je reviens à votre avis, et peut-être aviez-vousraison ; en tout cas, j’ai peur. Une voiture vientd’arriver ; madame Desroches commande le départ ; j’aivoulu résister, on m’a enfermée dans ma chambre. Par bonheur, unpaysan passe pour faire abreuver son cheval ; je lui remetsdeux louis, et il promet de porter ce billet chez vous. J’entendsfaire les derniers préparatifs : dans deux heures, nouspartirons pour Paris.

« Une fois arrivée, je vous ferai tenir ma nouvelleadresse, dussé-je, si l’on me résiste, sauter par une fenêtre.

« Soyez tranquille : la femme qui vous aime se garderadigne d’elle et de vous. »

– Ah ! c’est cela, s’écria Gaston en achevant lalettre ; Hélène, je ne m’étais pas trompé. Huit heures dusoir, mon Dieu ! mais elle est partie ; mais elle estmême arrivée. Monsieur Bourguignon, pourquoi ne m’a-t-on pasapporté cette lettre tout de suite ?

– Son Excellence dormait, et l’on a attendu qu’elle seréveillât, répondit Tapin avec la plus exquise politesse.

Il n’y avait rien à répondre à un homme qui savait si bienvivre ; d’ailleurs, Gaston réfléchit qu’en s’emportant ilrisquait de révéler son secret ; il contint donc sa colère.Seulement une idée lui vint : il voulut alors guetter à labarrière l’entrée d’Hélène, qui pouvait n’être point encore arrivéeà Paris. Il s’habilla donc promptement, accrocha son épée, etpartit après avoir dit à Tapin :

– Au cas où monsieur le capitaine la Jonquière viendraitpour me chercher, dites-lui que je serai de retour à neufheures.

Gaston arriva tout en sueur à la barrière ; il n’avaitrencontré aucun fiacre, et avait fait la course à pied.

Pendant qu’il attend inutilement Hélène, qui était entrée àParis à deux heures du matin : jetons un coup d’œil enarrière.

Nous avons vu le régent recevant la lettre de madame Desroches,et renvoyant la réponse par le même messager ; en effet, ilétait urgent de prendre de promptes mesures et de soustraire Hélèneaux tentatives de ce monsieur de Livry.

Mais que pouvait être ce jeune homme ? Dubois seul sauraitle lui dire ; aussi, quand Dubois reparut pour accompagner,vers les cinq heures du soir, Son Altesse Royale à la rue duBac :

– Dubois, dit le régent, qu’est-ce qu’est monsieur de Livryde Nantes ?

Dubois se gratta le nez, car il voyait venir le régent.

– Livry… Livry… dit-il, attendez donc.

– Oui, Livry.

– C’est quelque Matignon, enté sur de la province.

– Bon ! ceci n’est pas une explication, l’abbé :c’est tout au plus une hypothèse.

– Et qui connaît cela, Livry ? ce n’est pas un nom.Faites venir M. d’Hozier.

– Imbécile !

– Mais, monseigneur, reprit Dubois, je ne m’occupe pas degénéalogie, moi ; je suis roturier indigne.

– C’est bien assez de niaiseries comme cela.

– Diable ! monseigneur ne plaisante pas sur les Livry,à ce qu’il paraît ; est-ce qu’il s’agirait de donner l’ordre àquelqu’un de la famille ? en ce cas, c’est autre chose, et jevais tâcher de vous trouver une belle origine.

– Va-t’en au diable ! et en y allant, envoie-moiNocé.

Dubois fit son sourire le plus agréable et sortit.

Dix minutes après, la porte s’ouvrit et Nocé parut.

C’était un homme de quarante ans, d’ailleurs extrêmementdistingué, grand, beau, froid, sec, spirituel et railleur ; undes compagnons, au reste, les plus fidèles et les plus aimés durégent.

– Monseigneur m’a fait demander, dit-il.

– Ah ! c’est toi, Nocé ! bonjour.

– Tous mes hommages à monseigneur, reprit Nocé ens’inclinant. Puis-je être bon à quelque chose à Son AltesseRoyale ?

– Oui, prête-moi ta maison du faubourg Saint-Antoine, maisbien vide, bien propre ; j’y mettrai des gens à moi ;surtout pas trop galante, entends-tu ?

– Pour une prude, monseigneur ?

– Oui, Nocé, pour une prude.

– Alors que ne louez-vous une maison en ville,monseigneur ? Les maisons du faubourg ont une atroceréputation, je vous en préviens.

– La personne que j’y veux mettre ne connaît pas même cesréputations-là, Nocé.

– Peste ! recevez-en mes compliments bien sincères,monseigneur.

– Mais silence, n’est-ce pas, Nocé ?

– Absolu.

– Ni fleurs ni emblèmes ; fais-moi décrocher toutesles peintures un peu trop agréables. Les trumeaux et les panneauxcomment sont-ils ?

– Les trumeaux et les panneaux peuvent rester, monseigneur,c’est très-décent.

– Vrai ?

– Oui, vrai ; c’est du Maintenon tout pur.

– Laissons donc les panneaux ; mais tu m’enréponds ?

– Monseigneur, je ne voudrais pas cependant prendre unepareille responsabilité ; je ne suis pas une prude, moi, etpeut-être serait-il plus prudent de tout faire gratter.

– Bah ! pour un jour, Nocé, ce n’est pas lapeine ; quelques mythologies, n’est-ce pas ?

– Heu ! fit Nocé.

– D’ailleurs, cela nous prendrait du temps, et à peineai-je quelques heures. Donne-moi les clefs tout de suite.

– Le temps de retourner chez moi, et, dans un quartd’heure, Votre Altesse Royale les aura.

– Adieu, Nocé ; ta main. Pas de guet, pas decuriosité, je te le recommande, je t’en prie.

– Monseigneur, je pars pour la chasse, et ne reviendrai quelorsque Votre Altesse Royale me rappellera.

– Tu es un digne compagnon. Adieu, à demain.

Sûr maintenant d’avoir une maison convenable où la fairedescendre, le régent écrivit aussitôt une seconde lettre à laDesroches, et lui envoya une berline avec ordre de ramener Hélène,après lui avoir lu, sans la lui montrer, la lettre qu’il venaitd’écrire.

Voici ce que contenait cette lettre :

« Ma fille, j’ai réfléchi, et veux vous avoir près de moi.Faites-moi le plaisir de suivre madame Desroches sans perdre uneseconde. À votre arrivée à Paris, vous recevrez de mesnouvelles.

« Votre pèreaffectionné. »

Hélène, à la lecture de cette lettre communiquée par madameDesroches, résista, pria, pleura ; mais cette fois, tout futinutile, et force lui fut d’obéir. Ce fut alors qu’elle profitad’un moment de solitude pour écrire à Gaston la lettre que nousavons lue, et pour la faire porter par le paysan à cheval. Puiselle partit, laissant encore une fois, avec douleur, cettehabitation qui lui était chère, parce qu’elle avait cru y retrouverun père, et qu’elle y avait reçu son amant.

Quant à Gaston, il s’était, comme nous l’avons dit, aussitôt lalettre reçue, empressé de courir à la barrière ; il faisaitpetit jour quand il y arriva. Plusieurs voitures passèrent, maisaucune ne renfermait Hélène. Peu à peu, le froid devenait plus vifet l’espoir s’en allait du cœur du jeune homme ; il reprit lechemin de l’hôtel, n’ayant plus d’autre chance que de trouver unelettre à son retour. Comme il traversait le jardin des Tuileries,huit heures sonnaient. Au même moment, Dubois entrait dans lachambre à coucher du régent, un portefeuille sous le bras et lamine triomphante.

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