Une Fille du Régent

Chapitre 16SON EXCELLENCE LE DUC D’OLIVARÈS.

Cependant Dubois, en quittant le chevalier, admirait, comme ilavait déjà eu si souvent l’occasion de le faire, le hasardprovidentiel qui lui mettait encore une fois entre les mains toutl’avenir du régent et de la France.

En traversant la salle commune, il reconnut l’Éveillé, quicausait avec Tapin, et lui fit signe de le suivre : c’étaitl’Éveillé, on se le rappelle, qui avait été chargé de fairedisparaître le vrai la Jonquière.

Arrivé dans la rue, Dubois s’informa avec intérêt de ce qu’étaitdevenu le digne capitaine. Dûment garrotté et bâillonné, il avaitété conduit au donjon de Vincennes, pour ne gêner aucune desmanœuvres du gouvernement.

Il y avait, à cette époque, une manière de système préventifadmirablement commode pour les ministres.

Éclairé sur ce point important, Dubois continua son chemin toutpensif ; la moitié de la besogne seulement était faite, etc’était la plus facile. Maintenant il fallait décider le régent àse remettre violemment dans un genre d’affaires qu’il avait enhorreur : la politique du guet-apens.

Dubois commença par s’informer de l’endroit où était le régent,et de ce que faisait le régent.

Le prince était dans son cabinet, non pas d’affaires, mais detravail, non pas de régent, mais d’artiste, achevant une gravure àl’eau forte, préparée par Humbert, son chimiste, lequel, à unetable voisine, embaumait un ibis par le procédé des Égyptiens,qu’il prétendait avoir retrouvé.

En même temps, un secrétaire lisait au prince une correspondancedont le chiffre était connu du régent seul.

Tout à coup, la porte s’ouvrit, au grand étonnement du régent,dont ce cabinet était le refuge, et, d’une voix sonore, l’huissierannonça :

– Monsieur le capitaine la Jonquière !

Le régent se retourna.

– La Jonquière ! dit-il, qu’est-ce que cela ?

Humbert et le secrétaire se regardèrent, étonnés qu’onintroduisît ainsi un étranger dans leur sanctuaire.

Au même moment, une tête pointue et allongée, assez semblable àcelle d’une fouine, se glissa dans l’entre-bâillement de laporte.

Le régent fut un instant sans reconnaître Dubois, tant il étaitbien déguisé ; mais enfin, ce nez pointu, qui n’avait pas sonsecond dans le royaume, le trahit.

L’expression d’une suprême hilarité remplaçait sur le visage duduc l’étonnement qui y avait apparu d’abord.

– Comment ! c’est toi, l’abbé ! dit Son Altesseen éclatant de rire. Et que signifie ce nouveaudéguisement ?

– Cela signifie, monseigneur, que je change de peau :de renard je me fais lion. Et maintenant, monsieur le chimiste etmonsieur le secrétaire, faites-moi le plaisir, vous, d’allerempailler votre oiseau ailleurs, vous, d’aller achever votre lettreautre part.

– Pourquoi cela ? demanda le régent.

– Parce que j’ai à parler à Votre Altesse d’affairesimportantes.

– Va-t’en au diable avec tes affaires ! l’heure estpassée, tu reviendras demain, dit le régent.

– Monseigneur, reprit Dubois, ne voudrait pas m’exposer àrester jusqu’à demain sous cette vilaine enveloppe ; jen’aurais qu’à mourir subitement. Fi donc ! je ne m’enconsolerais jamais !

– Arrange-toi comme tu voudras ; j’ai décidé que lereste de la journée serait consacré au plaisir.

– Eh bien, cela tombe à merveille : je viens vousproposer, à vous aussi, un déguisement.

– Un déguisement, à moi !… Que veux-tu dire,Dubois ? continua le régent, qui crut qu’il était questiond’une de ses mascarades ordinaires.

– Allons ! voilà l’eau qui vous vient à la bouche,monsieur Alain.

– Parle, qu’as-tu arrangé ?

– Renvoyez d’abord votre chimiste et votre secrétaire.

– Tu y tiens ?

– Absolument.

– Alors, puisque tu le veux…

Le régent congédia Humbert d’un geste amical, et le secrétaired’un signe de commandement. Tous deux sortirent.

– Et maintenant, voyons, dit le régent, que meveux-tu ?

– Je veux vous présenter, monseigneur, un jeune homme quiarrive de Bretagne, et qui m’est particulièrement recommandé ;un garçon charmant.

– Et comment l’appelles-tu ?

– Le chevalier Gaston de Chanlay.

– De Chanlay… reprit le régent en cherchant à rappeler sessouvenirs ; ce nom ne m’est pas tout à fait inconnu.

– Vraiment !

– Non, il me semble l’avoir entendu prononcerautrefois ; mais je ne me rappelle plus dans quellecirconstance. Et que vient faire à Paris ton protégé ?

– Monseigneur, je ne veux pas vous ôter la surprise de ladécouverte ; il vous le dira tout à l’heure à vous-même, cequ’il vient faire à Paris.

– Comment à moi-même ?

– Oui ; c’est-à-dire à Son Excellence le ducd’Olivarès, dont vous allez, s’il vous plaît, prendre la place. –Ah ! c’est un conspirateur fort discret que mon protégé ;et bien m’en a pris, grâce à ma police, toujours la même,monseigneur, qui vous a suivi à Rambouillet ; bien m’en apris, dis-je, d’être au courant des choses. Il était adressé, àParis, à un certain la Jonquière, lequel devait le présenter à SonExcellence le duc d’Olivarès. Vous comprenez maintenant, n’est-cepas ?

– Aucunement, je te l’avoue.

– Eh bien, j’ai été le capitaine la Jonquière ; maisje ne puis pas être à la fois le capitaine la Jonquière et SonExcellence.

– Et alors, tu as réservé ce rôle…

– À vous, monseigneur.

– Merci ! Ainsi tu veux qu’à l’aide d’un faux nom jesurprenne les secrets…

– De vos ennemis, interrompit Dubois. Pardieu ! lebeau crime ! Et puis, comme cela vous coûte beaucoup, à vous,de changer de nom et d’habits ! Comme vous n’avez pas déjà,grâce à de pareils moyens, surpris bien autre chose que dessecrets !… Mais rappelez-vous donc, monseigneur, que, grâce aucaractère aventureux dont le ciel vous a fait don, notre vie, àtous les deux, est une espèce de mascarade continuelle. Quediable ! monseigneur, après vous être appelé M. Alain etmaître Jean, vous pouvez bien, sans déroger, ce me semble, vousappeler le duc d’Olivarès.

– Mon cher, je ne demande pas mieux que de me déguiser,quand cette plaisanterie doit me procurer une distractionquelconque ; mais…

– Mais vous déguiser, continua Dubois, pour conserver lerepos à la France, pour empêcher des intrigants de bouleverser leroyaume, pour empêcher des assassins de vous poignarderpeut-être ! allons donc ! la chose est indigne devous ! je comprends cela !… Ah ! si c’était pourséduire cette petite quincaillière du pont Neuf, ou cette jolieveuve de la rue Saint-Augustin, je ne dis pas… Peste ! cela envaudrait la peine !

– Mais enfin, reprit le régent, voyons. Si, comme toujours,je cède à ce que tu me demandes, qu’en résultera-t-il ?

– Il en résultera que vous conviendrez peut-être, à la fin,que je ne suis pas un visionnaire, et que vous permettrez alorsqu’on veille sur vous, puisque vous ne voulez pas y veillervous-même.

– Mais, une fois pour toutes, si la chose n’en vaut pas lapeine, serai-je délivré de tes obsessions ?

– Sur l’honneur, je m’y engage.

– L’abbé, si cela t’était égal, j’aimerais mieux un autreserment.

– Oh ! que diable ! monseigneur, aussi, vous êtestrop difficile ; on jure par ce qu’on peut.

– Il est écrit que ce drôle-là n’aura jamais ledernier.

– Monseigneur consent ?

– Encore cette maussaderie !

– Peste ! vous verrez si c’en est une.

– Je crois, Dieu me pardonne, que tu en fais pourm’effrayer, des complots.

– Alors, ils sont bien faits ; vous verrezcelui-là.

– Tu en es content ?

– Je le trouve fort agréable.

– Si je n’ai pas peur, gare à toi !

– Monseigneur exige trop.

– Tu me flattes, tu n’es pas sûr de ta conspiration,Dubois.

– Eh bien, je vous jure, monseigneur, que vous jouirezd’une certaine émotion, et que vous vous trouverez heureux deparler par la bouche de Son Excellence.

Et Dubois, qui craignait que le régent ne revînt sur sa décisionencore mal consolidée, s’inclina et sortit.

Il n’était pas dehors depuis cinq minutes, qu’un courrier entraprécipitamment dans l’antichambre et remit une lettre à un page. Cepage le congédia et entra aussitôt chez le régent, qui, à la simpleinspection de l’écriture, laissa échapper un mouvement desurprise.

– Madame Desroches ! dit-il ; voyons, il y a doncdu nouveau !

Et, brisant précipitamment le cachet, il lut ce quisuit :

« Monseigneur,

« La jeune dame que vous m’avez confiée ne me paraît pas ensûreté ici. »

– Bah ! s’écria le régent.

Puis il continua :

« Le séjour de la ville, que Votre Altesse redoutait pourelle, vaut cent fois mieux que l’isolement, et je ne me sens pas laforce de défendre comme je le voudrais, ou plutôt comme il lefaudrait, la personne que Votre Altesse m’a fait l’honneur de meconfier. »

– Ouais ! fit le régent, les choses s’embrouillent, seme semble.

« Un jeune homme, qui avait déjà écrit hier à mademoiselleHélène, un instant avant votre arrivée, s’est présenté, ce matin,au pavillon ; je l’ai voulu éconduire ; mais mademoisellem’a ordonné si péremptoirement d’obéir et de me retirer, que, dansce regard enflammé, dans ce geste de reine, j’ai reconnu, n’endéplaise à Votre Altesse Royale, le sang qui commande. »

– Oui, oui ; dit le régent en souriant malgré lui,c’est bien ma fille !

Puis il ajouta :

– Quel peut être ce jeune homme ? un muguet qui l’auravue au parloir de son couvent ; si elle me disait son nomencore, cette folle de madame Desroches !

Et il reprit :

« Je crois, monseigneur, que ce jeune homme et mademoisellese sont déjà vus ; je me suis permis d’écouter, pour leservice de Votre Altesse, et, malgré la double porte, à un momentoù il haussait la voix, j’ai pu distinguer ces mots :

« Vous voir comme par le passé. »

« Que Votre Altesse Royale soit donc assez bonne pour mesauver du danger réel que court ma surveillance, et je la suppliede me transmettre un ordre positif, par écrit même, à l’abri duquelje puisse me retirer pendant les colères demademoiselle. »

– Diable ! continua le régent, voilà qui complique lasituation ; déjà de l’amour ; mais non, cela n’est paspossible ; élevée si sévèrement, si isolément, dans le seulcouvent de France peut-être où les hommes ne passent jamais leparloir, dans une province où l’on dit l’air des mœurs sipur ! non, c’est quelque aventure que ne comprend pas cetteDesroches, habituée aux roueries de la cour, et surexcitée sisouvent par les espiègleries de mes autres filles. Mais voyons, queme dit-elle encore ?

« P. S. Je viens de faire prendre des informations àl’hôtel du Tigre royal ; le jeune homme estarrivé hier, à sept heures du soir, c’est-à-dire trois quartsd’heure avant mademoiselle. Il venait par la route de Bretagne,c’est-à-dire par le chemin qu’elle suivait. Il voyage sous le nomde M. de Livry. »

– Oh ! oh ! fit le régent, ceci devient plusdangereux ; c’est tout un plan arrêté d’avance. Pardieu !Dubois rirait bien si je lui parlais de cette circonstance ;comme il me retournerait mes dissertations sur la pureté des jeunesfilles loin de Versailles ou de Paris ! Il faut espérer que,malgré sa police, le drôle ne saura rien de tout ceci. –Holà ! page.

Le page qui avait apporté la lettre rentra.

Le duc écrivit à la hâte quelques lignes.

– Le messager qui arrive de Rambouillet ?demanda-t-il.

– Attend la réponse, monseigneur, répondit le jeunehomme.

– C’est bien ; rendez-lui ce message, et qu’il reparteà l’instant même ; allez.

Le courrier, un instant après, faisait retentir dans la cour lesfers sonores de son cheval.

Quant à Dubois, tout en préparant l’entrevue de Gaston avec lafausse Excellence, il faisait in petto ce petitcalcul :

– Je tiens le régent par lui-même et par sa fille. Cetteintrigue de la jeune personne est sans conséquence ou sérieuse. Sielle est sans conséquence, je la brise en l’exagérant. Si elle estsérieuse, j’ai le mérite réel auprès du duc de l’avoir découverte.Seulement il ne faut pas frapper les deux coups à lafois : Bis repetita placent. Bon !voilà encore une citation ! cuistre que tu es, tu ne pourrasdonc jamais t’en déshabituer ! C’est dit, sauvons le ducd’abord, sa fille ensuite, et il y aura deux récompenses. Voyons,est-ce bien cela ? le duc d’abord ; oui, qu’une jeunefille succombe, personne n’en souffre ; qu’un homme meure, ettout un royaume est perdu : commençons par le duc.

Et, sur cette résolution, Dubois expédia un courrier très-presséà M. de Montaran, à Nantes.

Nous avons déjà dit que M. de Montaran était l’anciengouverneur de la Bretagne.

Quant à Gaston, son parti était pris : honteux d’avoir euaffaire à un homme de la trempe de la Jonquière, et d’être placévis-à-vis d’un pareil maraud dans une position subordonnée, il sefélicitait de communiquer désormais avec le chef plus digne del’entreprise, résolu, s’il trouvait dans ce rang la même bassesseet la même vénalité, de retourner à Nantes pour raconter à ses amisce qu’il avait vu et leur demander ce qu’il devait faire.

Pour Hélène, il n’hésitait plus, il connaissait le courageindomptable de cette enfant, son amour et sa loyauté. Il savait, àn’en pas douter, qu’elle mourrait plutôt que d’avoir à rougir, mêmeinvolontairement, devant son ami le plus cher. Il voyait avec joieque le bonheur de retrouver un père n’avait pas altéré sonaffection si dévouée et que la fortune présente ne lui avait pasfait oublier le passé. Mais aussi, d’un autre côté, ses craintes àl’égard de cette paternité mystérieuse ne le quittaient plus depuisqu’il était séparé d’Hélène. Quel roi, en effet, n’eût avoué unetelle fille, à moins que quelque chose de honteux n’y mîtobstacle ?

Gaston s’habilla avec soin. Il y a la coquetterie du plaisir etla coquetterie du danger. Il embellit sa jeunesse, si fraîche et sigracieuse déjà, de tout ce que le costume avantageux de l’époquepouvait donner d’attraits à un visage mâle encadré de beaux cheveuxnoirs. Sa jambe fine et nerveuse se dessinait sous la soie ;ses épaules et sa poitrine jouaient à l’aise sous le velours ;une plume blanche, après s’être arrondie sous la forme de sonchapeau, retombait sur son épaule ; et, en se regardant dansla glace, Gaston se sourit à lui-même et se trouva un conspirateurde fort bon air.

De son côté, le régent avait, par le conseil de Dubois, pris uncostume de velours noir, et enseveli dans une vaste cravate demalines la moitié de son visage, que le jeune homme eût pureconnaître d’après les portraits multipliés de l’époque. Quant àl’entrevue, elle devait avoir lieu dans une petite maison dufaubourg Saint-Germain, qui était occupée par une de sesmaîtresses, et qu’il avait invitée à l’évacuer. Entre les deuxcorps de logis était un pavillon isolé, fermé complètement à lalumière, et garni de lourdes tapisseries. C’est-là que le régent,transporté dans une berline fermée, qui sortit du Palais-Royal parles derrières, arriva vers les cinq heures, c’est-à-dire à la nuittombante.

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