Une Fille du Régent

Chapitre 5COMMENT LE HASARD ARRANGE QUELQUEFOIS LES CHOSES DE MANIÈRE À FAIREHONTE À LA PROVIDENCE.

Malgré les craquements de la glace, Gaston poursuivit hardimentson chemin ; car, à mesure qu’il approchait, il s’apercevaitd’une chose qui lui faisait battre le cœur : c’est que lespluies de l’hiver avaient fait hausser l’eau du petit lac, etqu’arrivé au pied de la muraille il allait sans doute pouvoiratteindre à cette fenêtre.

Il ne se trompait pas : arrivé au terme de son chemin, ilrapprocha ses mains l’une de l’autre, imita le cri du chat-huant,et la fenêtre s’ouvrit.

Aussitôt, douce récompense du danger qu’il avait couru, il vitapparaître, presque à la hauteur de la sienne, la charmante tête desa bien-aimée, tandis qu’une main douce et tiède cherchait etrencontrait sa main ; c’était la première fois : Gastonsaisit cette main avec transport et la couvrit de baisers.

– Gaston, vous voilà venu, malgré le froid et sans bateau,sur la glace, n’est-ce pas ? Je vous l’avais cependant biendéfendu dans ma lettre : à peine est-elle prise.

– Avec votre lettre sur mon cœur, Hélène, il me semblait necourir aucun danger. Mais qu’aviez-vous donc de si triste et de sisérieux à me dire ? Vous avez pleuré.

– Hélas ! mon ami, depuis ce matin je ne fais pasautre chose.

– Depuis ce matin, murmura Gaston avec un triste sourire,c’est étrange ! et moi aussi je pleurerais depuis ce matin sije n’étais pas un homme.

– Que dites-vous, Gaston ?

– Rien, mon amie. Voyons, revenons à vous, quels sont voschagrins, Hélène ? dites-moi cela.

– Hélas ! vous le savez, je ne m’appartiens pas ;je suis une pauvre orpheline élevée ici, n’ayant d’autre patrie,d’autre monde, d’autre univers que ce couvent ; je n’ai jamaisvu personne à qui je puisse appliquer le nom de père et demère ; je crois ma mère morte, et l’on m’a toujours dit monpère absent ; je dépends donc d’une puissance invisible quis’est révélée à notre supérieure seulement : ce matin, notrebonne mère m’a fait venir, et, les larmes aux yeux, m’a annoncé mondépart.

– Votre départ, Hélène ? vous quittez cecouvent ?

– Oui, ma famille me réclame, Gaston.

– Votre famille, mon Dieu ! que nous veut encore cenouveau malheur ?

– Oh ! oui, c’en est un, Gaston, quoique d’abord notrebonne mère m’en ait félicité comme d’une joie. Mais, moi, j’étaisheureuse dans ce couvent, je ne demandais pas davantage au Seigneurque d’y rester jusqu’au moment où je deviendrais votre femme. LeSeigneur dispose de moi autrement : que vais-jedevenir ?

– Et cet ordre qui vous enlève à votre couvent…

– N’admet ni discussion ni retard, Gaston. Hélas ! ilparaît que j’appartiens à une famille puissante ; il paraîtque je suis la fille d’un très-grand seigneur ; quand ma bonnemère m’a annoncé qu’il fallait la quitter, j’ai fondu en larmes, jeme suis jetée à ses genoux, je lui ai dit que je ne demandaisqu’une chose, c’était de ne la quitter jamais ; alors elles’est doutée qu’il y avait un autre motif que celui que je luidonnais, elle m’a pressée, interrogée. Pardonnez-moi, Gaston,j’avais besoin de confier mon secret à quelqu’un ; j’avaisbesoin d’être plainte et consolée ; je lui ai tout dit,Gaston : que je vous aimais et que vous m’aimiez, excepté lamanière dont nous nous voyons là ; j’avais peur, si je disaiscela, qu’on ne m’empêchât de vous voir une dernière fois, et jevoulais cependant bien vous dire adieu.

– Mais n’avez-vous pas dit, Hélène, quels étaient mesprojets sur vous, que, lié moi-même à une association qui disposede moi pour six mois, pour un an peut-être encore, le temps écoulé,le jour où je redevenais libre enfin, mon nom, ma main, ma fortune,toute ma vie enfin vous appartenait ?

– Je l’ai dit, Gaston, et voilà ce qui m’a fait penser quej’étais la fille de quelque grand seigneur, car alors la mèreUrsule m’a répondu : « Il faut oublier le chevalier, mafille ; car qui sait si votre nouvelle famille consentirait àcette union ? »

– Mais ne suis-je pas d’une des plus vieilles familles dela Bretagne ? et, sans que je sois riche, ma fortunen’est-elle pas indépendante ? Lui avez-vous fait, cetteobservation, Hélène ?

– Oh ! je lui ai dit : « Gaston me prenaitorpheline, sans nom, sans fortune ; on peut me séparer deGaston, ma mère, mais ce serait une cruelle ingratitude à moi del’oublier, je ne l’oublierai jamais. »

– Hélène, vous êtes un ange ! Et vous ne soupçonnezpas quels peuvent être les parents qui vous réclament, ce sortinconnu auquel vous êtes destinée ?

– Non, il paraît que c’est un secret profond, inviolable,d’où dépend tout mon bonheur à venir ; seulement, je vous ledis, Gaston, j’ai peur que ces parents ne soient de bien grandsseigneurs, car il m’a semblé, je me trompais sans doute, que notresupérieure elle-même me parlait, je ne sais comment vous dire,Gaston, me parlait avec respect.

– À vous, Hélène ?

– Oui.

– Allons, tant mieux, dit Gaston en poussant un soupir.

– Comment, tant mieux ! s’écria Hélène, Gaston, vousréjouiriez-vous de notre séparation ?

– Non, Hélène, mais je me réjouis de ce que vous trouvezune famille, au moment où vous alliez peut-être perdre un ami.

– Perdre un ami, Gaston ! mais je n’ai que vous d’ami,allais-je donc vous perdre ?

– J’allais du moins être forcé de vous quitter pour quelquetemps, Hélène.

– Que voulez-vous dire ?

– Je veux dire que le destin a mis à tâche de nous fairesemblables en tout, et que vous n’êtes pas la seule à ignorer ceque vous garde le lendemain.

– Gaston, Gaston, que signifie ce langageétrange ?

– Que moi aussi, Hélène, je suis poussé par une fatalité àlaquelle il faut que j’obéisse ; que moi aussi je suis soumisà une puissance supérieure et irrésistible.

– Vous ? ô mon Dieu !

– À une puissance qui me condamnera peut-être à vousabandonner dans huit jours, dans quinze jours, dans un mois ;non-seulement à vous abandonner, vous, mais encore à quitter laFrance.

– Ah ! que me dites-vous là, Gaston !

– Ce que dans mon amour, ou plutôt dans mon égoïsme, jen’avais pas osé vous dire encore ; j’allais au-devant del’heure où nous sommes arrivés, les yeux fermés ; ce matin mesyeux se sont ouverts : il faut que je vous quitte, Hélène.

– Mais pourquoi faire ? qu’avez-vous entrepris ?qu’allez-vous devenir ?

– Hélas ! nous avons chacun notre secret, Hélène, ditle chevalier en secouant tristement la tête ; que le vôtre nesoit pas aussi terrible que le mien, c’est tout ce que je demande àDieu.

– Gaston !

– N’avez-vous pas dit la première qu’il fallait nousséparer, Hélène ? la première n’avez-vous pas eu le courage derenoncer à moi ? eh bien, soyez bénie pour ce courage qui medonne l’exemple, car moi, oh ! moi, tenez, je ne l’avaispas.

Et, à ces mots, le jeune homme appuya de nouveau ses lèvres surla belle main qu’on n’avait pas songé à retirer un instant dessiennes ; et, malgré les efforts qu’il fit sur lui-même,Hélène s’aperçut qu’il pleurait amèrement.

– Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !murmura-t-elle ; qu’avons-nous donc fait au ciel pour être simalheureux ?

À cette exclamation, Gaston releva la tête.

– Voyons, dit-il, comme se parlant à lui-même ;voyons, du courage. Il y a dans la vie de ces nécessités contrelesquelles il est inutile de se roidir ; obéissons donc chacunde notre côté, Hélène, obéissons sans lutte, sans murmure :peut-être désarmerons-nous le sort à force de résignation.Pourrai-je vous revoir encore avant votre départ ?

– Je ne le crois pas, je pars demain.

– Et quelle route prenez-vous ?

– Celle de Paris.

– Comment ! vous allez donc ?…

– Je vais à Paris.

– Grand dieu ! s’écria Gaston, et moi aussi !

– Et vous aussi, Gaston ?

– Et moi aussi ! et moi aussi, il faut que je parte,Hélène ; nous nous trompions, nous ne nous quittons pas.

– Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! que me dites-vous là,Gaston ?

– Que nous avions tort d’accuser la Providence, et qu’ellese venge en nous accordant plus que nous n’eussions osé luidemander. Non-seulement nous pourrons nous voir tout le long de laroute, mais encore à Paris ; eh bien, à Paris, nous ne seronspas entièrement séparés. – Comment partez-vous ?

– Mais dans le carrosse du couvent, je crois, lequel doitvoyager par la poste ; mais à petites journées, pour ne pointme fatiguer.

– Avec qui partez-vous ?

– Avec une religieuse que l’on me donne pour m’accompagner,et qui reviendra au couvent lorsqu’elle m’aura remise aux mains despersonnes qui m’attendent.

– Alors tout va pour le mieux, Hélène ; moi, je suis àcheval, comme un voyageur étranger, inconnu ; chaque soir jevous parle, et, quand je ne parviens pas à vous parler, je vousvois du moins, Hélène ; nous ne sommes séparés qu’àmoitié.

Et les deux jeunes gens, avec cette impérissable confiance deleur âge dans l’avenir, après s’être abordés les larmes dans lesyeux et le trouble dans l’esprit, se quittèrent le sourire sur leslèvres et l’espérance dans le cœur.

Gaston traversa une seconde fois, et avec le même bonheur que lapremière, l’étang glacé, et s’achemina vers l’arbre où étaitattachée sa monture ; mais, au lieu de son cheval blessé, iltrouva celui de Montlouis, et, grâce à cette attention de son ami,il fut de retour à Nantes en moins de trois quarts d’heure, sansavoir fait aucune mauvaise rencontre.

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