Une Fille du Régent

Chapitre 37NANTES.

La commission nommée par Dubois s’était constituée enpermanence. Investie de pouvoirs illimités, ce qui, dans certainscas, veut dire fixés d’avance, elle siégea au château, soutenue parde forts détachements de troupes, qui s’attendaient à chaqueinstant à être attaqués par les mécontents.

Depuis l’arrestation des quatre gentilshommes, Nantes, terrifiéed’abord, s’était émue en leur faveur. La Bretagne entière attendaitun soulèvement ; mais, en attendant, elle ne se soulevaitpas.

Cependant les débats approchaient. La veille de l’audiencepublique, Pontcalec eut avec ses amis une conversationsérieuse.

– Voyons, dit Pontcalec, avons-nous fait, en paroles ou enaction, quelque imprudence ?

– Non ! dirent les trois gentilshommes.

– L’un de vous a-t-il fait l’aveu de nos projets à safemme, à son frère, à un ami ! Vous, Mont-Louis ?

– Non, sur l’honneur.

– Vous, Talhouët ?

– Non.

– Vous, du Couëdic ?

– Non.

– Alors ils n’ont contre nous ni preuves ni accusations.Personne ne nous a surpris, personne ne nous veut du mal.

– Mais, dit Mont-Louis, en attendant on nous juge.

– Sur quoi ? demanda Pontcalec.

– Sur des renseignements cachés, reprit Talhouët ensouriant.

– Et bien cachés, ajouta du Couëdic, puisqu’on n’enarticule pas un seul mot.

– Ils en seront pour leur courte honte, repritPontcalec ; et eux-mêmes, une belle nuit, nous forceront denous évader pour n’être pas forcés de nous libérer un beaujour.

– Je n’en crois rien, dit Mont-Louis, qui était celui desquatre amis qui avait toujours vu l’affaire sous son jour le plussombre, peut-être parce qu’il avait le plus à perdre d’eux tous,ayant une jeune femme et deux enfants qui l’adoraient ; jen’en crois rien : j’ai vu Dubois en Angleterre, j’ai causéavec lui. C’est une figure de fouine qui se lèche le museau quandelle a soif ; Dubois a soif, et nous sommes pris,messieurs : Dubois se désaltérera dans notre sang.

– Mais, répliqua du Couëdic, le parlement de Bretagne estlà, ce me semble.

– Oui, pour nous regarder trancher la tête, réponditMont-Louis.

Mais, à tout cela, il y avait un des quatre amis qui souriaittoujours : c’était Pontcalec.

– Messieurs, disait-il, messieurs, tranquillisez-vous. SiDubois a soif, tant pis pour Dubois, il deviendra enragé, voilàtout ; mais, cette fois encore, je vous en réponds, Dubois negoûtera pas de notre sang.

Et, en effet, dès l’abord, la tâche de la commission parutdifficile : pas d’aveux, pas de preuves, pas detémoignages ; la Bretagne riait au nez des commissaires, et,quand elle ne riait pas, c’était encore pis, elle menaçait.

Le président expédia un courrier à Paris pour exposer l’état deschoses et demander de nouvelles instructions.

« Jugez sur les projets, répondit Dubois ; on peutn’avoir rien fait, parce qu’on a été empêché, mais avoir projetébeaucoup : l’intention, en matière de rébellion, est réputéepour le fait. »

Armée de ce levier terrible, la commission renversa bientôttoute l’espérance de la province. Il y eut une séance terrible,dans laquelle les accusés passèrent tour à tour de la raillerie àl’accusation ; mais une commission bien composée, comme Duboisles savait faire quand il voulait s’en mêler, est cuirassée contreles rieurs et les gens fâchés.

En rentrant dans la prison, Pontcalec se félicitait des véritésque lui surtout avait dites aux juges.

– N’importe, dit Mont-Louis, nous sommes dans une mauvaiseaffaire : la Bretagne ne se révolte point.

– Elle attend notre condamnation, répondit Talhouët.

– Alors elle se révoltera trop tard, dit Mont-Louis.

– Mais notre condamnation ne peut avoir lieu, ditPontcalec. Voyons, franchement, pour nous, nous sommescoupables ; oui, mais sans preuves ; qui osera porter unarrêt contre nous ? la commission ?

– Non pas la commission, mais Dubois.

– Moi, j’ai grande envie de faire une chose, dit duCouëdic.

– Laquelle ?

– C’est, à la première séance, de crier : « Ànous, Bretons ! » J’ai, chaque fois, vu dans la salle bonnombre de figures amies. Eh bien, nous serons délivrés ou tués,mais, au moins, tout sera fini. J’aime mieux la mort qu’unepareille attente.

– Mais pourquoi risquer de se faire blesser par quelquesbire ? dit Pontcalec.

– Parce qu’on guérit de la blessure que fait un sbire, ditdu Couëdic, et qu’on ne guérit pas de celle que fait lebourreau.

– Bien dit, du Couëdic ! s’écria Mont-Louis, et je merange à ton avis.

– Mais, soyez donc tranquille, Mont-Louis, dit Pontcalec,vous n’aurez pas plus affaire au bourreau que moi.

– Ah ! oui, toujours la prédiction, reprit Mont-Louis.Vous savez que je ne m’y fie pas, Pontcalec.

– Et vous avez tort.

Mont-Louis et du Couëdic hochèrent la tête, mais Talhouëtapprouva.

– Mais cela est sûr, mes amis, continua Pontcalec. On nouscondamnera à l’exil ; nous serons forcés de nous embarquer, etje ferai naufrage en chemin. Voilà mon sort, mais le vôtre peutêtre différent ; demandez à faire la traversée sur un autrebâtiment que moi. Ou bien encore vous avez une autre chance, c’estque je tomberai du pont ou que je glisserai en montant un escalier.Bref, je périrai par la mer, vous le savez, voilà ce qui estpositif ; et je serais condamné à mort, on me conduirait àl’échafaud, que, si l’échafaud est dressé en terre ferme, vous meverrez, au pied de l’échafaud, aussi tranquille que me voilà.

Ce ton d’assurance donnait à penser aux trois amis ; on estsuperstitieux quand on espère : l’espoir n’est qu’unesuperstition.

Ils en vinrent à rire de l’effroyable rapidité avec laquelle onpoussait les débats. Ils ne savaient pas que Dubois expédiait deParis courrier sur courrier pour presser la marche de laprocédure.

Enfin le jour vint où le tribunal se déclara suffisammentéclairé.

Cette déclaration redoubla la belle humeur des amis, qui, cejour-là, furent plus mordants, plus railleurs et plus spirituelsqu’ils n’avaient jamais été.

La commission se retira en séance secrète pour délibérer.

Jamais débat ne fut plus orageux ; l’histoire a pénétré lessecrets de ces délibérations : quelques-uns des conseillers,moins hardis dans le mal ou moins ambitieux, se révoltèrent àl’idée de condamner des gens sur des présomptions ; car, àpart les révélations transmises par Dubois et de la véracitédesquelles ils pouvaient douter, aucune révélation n’avait étéfaite ; ceux-là exprimèrent hautement leur avis, mais lamajorité était dévouée à Dubois, et l’on en vint, dans le sein ducomité, à des querelles, à des injures, presque à un combat. Lesdébats durèrent onze heures, au bout desquelles la majoritéprononça.

La veille du jugement, une commission des notables habitants,des officiers bretons, des membres du parlement, était alléetrouver le bureau de la commission ministérielle, et développadevant elle des conclusions tendant à prouver que les Bretons nes’étaient pas révoltés de fait, que le choix du roi d’Espagne aupréjudice du duc d’Orléans était un droit ressortant de laconstitution même de l’État, qui préfère le petit-fils du roi auparent collatéral, et que la province, en matière de régence, avaitplus de droit de prononcer qu’un simple parlement.

La commission ministérielle, qui sentait qu’elle n’avait pointde bonne réponse à donner, ne répondit pas, et les députés seretirèrent pleins d’espoir.

Mais le jugement n’en fut pas moins rendu, non pas surl’instruction faite à Nantes, mais sur les instructions reçues deParis. Les commissaires joignirent, aux quatre chefs emprisonnés,seize autres gentilshommes contumaces, et déclarèrent :

« Que les accusés, reconnus coupables de projets de crimeset de lèse-majesté et de plans de félonie, seraient décapités, lesprésents de fait, les absents en effigie ; que les murailleset fortifications de leurs châteaux seraient démolies, leursmarques de seigneurie abattues, et leurs bois de haute futaie etavenues taillées à la hauteur de neuf pieds. »

Une heure après que cette sentence fut rendue, on donna augreffier l’ordre de la signifier aux condamnés.

L’arrêt avait été rendu à la suite de cette séance si orageusedont nous avons parlé, et où les accusés avaient trouvé de si vivesmarques de sympathie dans le public. Aussi, ayant battu les jugesen brèche sur tous les points de l’accusation, jamais n’avaient-ilseu si bon espoir.

Ils étaient assis dans la chambre commune et soupaient, serappelant tous les détails de la séance, lorsque tout à coup leurporte s’ouvrit, et que, dans l’ombre, se dessina la figure pâle etsévère du greffier.

L’apparition solennelle changea au même instant les proposplaisants en battements de cœur.

Le greffier s’avança lentement, tandis que le geôlier se tenaità la porte, et que, dans l’ombre du corridor, on voyait étincelerles canons des mousquets.

– Que nous voulez-vous, monsieur, demanda Pontcalec, et quesignifie ce sinistre appareil ?

– Messieurs, dit le greffier, je suis porteur de lasentence du tribunal ; agenouillez-vous pour l’entendre.

– Mais ce sont des sentences de mort seulement qu’on écouteà genoux, dit Mont-Louis.

– Agenouillez-vous, messieurs, répondit le greffier.

– C’est bon pour des coupables et des gens de peu des’agenouiller, dit du Couëdic. Nous sommes gentilshommes etinnocents, nous entendrons la sentence debout.

– Comme vous voudrez, messieurs ; seulementdécouvrez-vous, car je parle au nom du roi.

Talhouët, le seul qui eût son chapeau sur la tête, sedécouvrit.

Tous quatre se tinrent debout et découverts, appuyés les uns auxautres, le front pâle, mais le sourire sur les lèvres.

Le greffier lut toute la sentence sans qu’un seul murmure, unseul geste d’étonnement, le vînt interrompre.

Quand il eut fini :

– Pourquoi m’a-t-on dit, demanda Pontcalec, de déclarer lesdesseins de l’Espagne contre la France, et qu’on me laisseraitaller ? L’Espagne était pays ennemi, j’ai déclaré ce que jecroyais savoir de ses projets, et voilà qu’on nous condamne.Pourquoi cela ? La commission n’est donc composée que delâches qui tendaient des piéges aux accusés ?

Le greffier ne répondit pas.

– Mais, ajouta Mont-Louis, le régent a épargné tout Paris,complice de la conspiration de Cellamare. Pas une goutte de sangn’a coulé. Cependant ceux qui voulaient enlever le régent, le tuerpeut-être, étaient aussi coupables, au moins, que des gens contrelesquels aucune accusation sérieuse n’a pu être articulée. Noussommes donc choisis pour expier cette indulgence envers lacapitale ?

Le greffier ne répondit rien.

– Comprends donc une chose, Mont-Louis, dit duCouëdic ; il y a là-bas une vieille haine de famille contre laBretagne, et le régent, pour faire croire qu’il est de la famille,veut donner la preuve qu’il nous hait. Ce n’est pas nouspersonnellement que l’on frappe, c’est une province qui, depuistrois cents ans, réclame inutilement ses droits et ses priviléges,et que l’on veut faire coupable pour se débarrasser d’elle unebonne fois.

Le greffier gardait toujours le silence.

– Voyons, finissons-en, dit Talhouët. Nous sommescondamnés, c’est bien. Maintenant, y a-t-il ou n’y a-t-il pasl’appel ?

– Il n’y en a pas, messieurs, dit le greffier.

– Alors vous pouvez vous retirer, dit du Couëdic.

Le greffier salua et se retira, suivi des gardes quil’escortaient, et la porte de la prison se referma, lourde etbruyante, sur les quatre gentilshommes.

– Eh bien, dit Mont-Louis lorsqu’ils se retrouvèrentseuls.

– Eh bien ! nous sommes condamnés, dit Pontcalec. Jen’ai jamais dit, moi, qu’il n’y aurait pas arrêt, j’ai dit qu’iln’y aurait pas exécution, voilà tout.

– Je suis de l’avis de Pontcalec, dit Talhouët ; cequ’ils en ont fait, c’est pour effrayer la province et mesurer sapatience.

– D’ailleurs, dit du Couëdic, ils ne nous exécuteront passans que le régent ait ratifié la condamnation. Or, à moins decourrier extraordinaire, il faut deux jours pour aller à Paris, unjour pour examiner l’affaire et deux jours pour revenir, cela faitcinq jours. Nous avons donc cinq jours devant nous ; en cinqjours, il arrive bien des choses : la province, en apprenantnotre arrêt, se soulèvera.

Mont-Louis hocha la tête.

– Puis il y a Gaston, continua Pontcalec, que vous oublieztoujours, messieurs.

– J’ai bien peur que Gaston ne soit arrêté, messieurs, ditMont-Louis. Je connais Gaston, et, s’il était en liberté, nousaurions déjà entendu parler de lui.

– Tu ne nieras pas au moins, prophète de malheur, ditTalhouët, que nous n’ayons quelques jours devant nous.

– Qui sait encore ? dit Mont-Louis.

– Et puis la mer, dit Pontcalec ; la mer, quediable ! messieurs, vous oubliez toujours que je ne dois périrque par la mer.

– Eh bien, donc, messieurs, remettons-nous à table, dit duCouëdic, et un dernier verre à notre santé.

– Nous n’avons plus de vin, dit Mont-Louis, c’est mauvaissigne.

– Bah ! il en reste encore dans la cave, ditPontcalec.

Et il appela le geôlier.

Celui-ci, en entrant, trouva les quatre amis à table. Il lesregarda d’un air étonné.

– Eh bien, qu’y a-t-il donc de nouveau, maîtreChristophe ? dit Pontcalec.

Maître Christophe était de Guer et avait une vénération touteparticulière pour Pontcalec, son oncle Crysogon ayant été sonseigneur.

– Rien autre chose que ce que vous savez, messieurs,dit-il.

– Alors va nous chercher du vin.

– Ils veulent s’étourdir, dit le geôlier en sortant.Pauvres gentilshommes !

Mont-Louis seul entendit ce que venait de dire Christophe, etsourit tristement.

Un instant après, ils entendirent des pas qui se rapprochaientvivement de leur chambre. La porte s’ouvrit, et Christophe reparutsans aucune bouteille à la main.

– Eh bien, dit Pontcalec, le vin que nous t’avons demandé,où est-il ?

– Bonne nouvelle ! s’écria Christophe sans répondre àl’interpellation de Pontcalec. Bonne nouvelle, messieurs !

– Laquelle ? dit Mont-Louis en tressaillant.

– Le régent est mort ?

– La Bretagne se révolte ? ajouta du Couëdic.

– Non, messieurs, non ; car je n’oserais point appelercela de bonnes nouvelles.

– Eh bien, qu’y a-t-il donc ? dit Pontcalec.

– Il y a que M. de Châteauneuf vient dedécommander cent cinquante hommes qui stationnaient en armes sur laplace du Marché, ce qui avait effrayé tout le monde ; mais cescent cinquante hommes viennent de recevoir contre-ordre et rentrentdans leur caserne.

– Allons ! dit Mont-Louis, je commence à croire que cene sera pas pour ce soir.

En ce moment, six heures sonnaient.

– Eh bien, dit Pontcalec, une bonne nouvelle n’est pas uneraison pour que nous restions sur notre soif. Retourne nouschercher du vin.

Christophe sortit, et revint, dix minutes après, une bouteille àla main.

Les amis, qui étaient restés à table, remplirent les verres.

– À la santé de Gaston ! dit Pontcalec en échangeantun regard d’intelligence avec ses amis, pour lesquels ce toast seulétait compréhensible.

Et ils vidèrent leurs verres, excepté Mont-Louis, qui, au momentoù il portait le sien à sa bouche, s’arrêta.

– Eh bien, demanda Pontcalec, qu’y a-t-il ?

– Le tambour ! dit Mont-Louis en étendant la main dansla direction où il entendait le bruit.

– Eh bien ! dit Talhouët, n’as-tu pas entendu ce qu’adit maître Christophe ? Ce sont les troupes qui rentrent.

– Non pas, au contraire, ce sont les troupes quisortent ; ce n’est pas la retraite, c’est la générale.

– La générale ! dit Talhouët ; que diable celaveut-il dire ?

– Rien de bon, reprit Mont-Louis en secouant la tête.

– Christophe ? dit Pontcalec en se tournant vers legeôlier.

– Oui, messieurs, vous allez savoir ce que c’est, réponditcelui-ci ; dans un instant je reviens.

Il s’élança hors de la chambre, non pas cependant sans avoirsoigneusement fermé la porte derrière lui.

Les quatre amis demeurèrent dans le silence de l’anxiété. Aubout de dix minutes, la porte s’ouvrit et le geôlier reparut pâlede terreur.

– Un courrier vient d’entrer dans la cour du château,dit-il ; il arrivait de Paris, il a remis ses dépêches, etaussitôt les postes ont été doublés, et le tambour a battu danstoutes les casernes.

– Oh ! oh ! dit Mont-Louis, cela nousregarde.

– On monte l’escalier, dit le geôlier, plus tremblant etplus effrayé que ceux auxquels il s’adressait.

En effet, on entendit la crosse des mousquets retentir sur lesdalles du corridor, et, en même temps, les voix de plusieurspersonnes empressées se firent entendre.

La porte se rouvrit et le greffier reparut.

– Messieurs, dit-il, combien de temps désirez-vous pourmettre ordre à vos affaires en ce monde et subir votrecondamnation ?

Une profonde terreur glaça jusqu’aux assistants.

– Je veux, dit Mont-Louis, le temps que l’arrêt aille àParis et en revienne avec l’approbation du régent.

– Moi, dit Talhouët, je ne veux que le temps nécessaire àla commission pour se repentir de son iniquité.

– Quant à moi, dit du Couëdic, je voudrais qu’on laissât auministre de Paris le temps de commuer cette peine en celle de huitjours de détention, que nous méritons pour avoir agi un peulégèrement.

– Et vous, monsieur, dit gravement le greffier à Pontcalecqui gardait le silence, que demandez-vous ?

– Moi, dit Pontcalec parfaitement calme, je ne demandeabsolument rien.

– Alors, messieurs, dit le greffier, voici la réponse de lacommission : « Vous avez deux heures à vous pour songer àvos affaires spirituelles et temporelles ; il est six heureset demie, il faut, dans deux heures et demie, que vous soyez rendussur la place du Bouffay, où aura lieu l’exécution. »

Il se fit un grand silence ; les plus braves sentaient laterreur les prendre à la racine des cheveux.

Le greffier sortit sans que personne ait eu un mot à luirépondre ; seulement, les condamnés se regardèrent et seserrèrent la main.

Ils avaient deux heures.

Deux heures, dans le cours ordinaire de la vie, semblent parfoisdes siècles ; dans d’autres moments, deux heures semblent uneseconde.

Les prêtres arrivèrent, puis les soldats, puis lesbourreaux.

La situation devenait terrible. Pontcalec seul ne se démentaitpas, non que les autres manquassent de courage, mais ils manquaientd’espoir ; cependant Pontcalec les rassurait par le calme aveclequel il répondait, non-seulement aux prêtres, mais encore auxexécuteurs, qui s’étaient déjà saisis de leur proie.

On régla les préparatifs de cette terrible chose qu’on appellela toilette des condamnés. Les quatre patients devaient aller àl’échafaud vêtus de manteaux noirs, pour qu’aux yeux du peuple,dont on craignait toujours la rébellion, ils demeurassent confondusparmi les prêtres chargés de les exhorter.

Puis on agita la question de leur lier les mains ; questionsuprême !

Pontcalec répondit avec son sourire de sublimeconfiance :

– Eh ! pardieu ! laissez-nous les mains libres,nous irons sans nous révolter.

– Cela ne nous regarde pas, répondit l’exécuteur qui avaitaffaire à Pontcalec ; à moins d’ordre particulier, toutes lesdispositions sont les mêmes pour tous les condamnés.

– Et qui donne ces ordres ? demanda Pontcalec enriant ; est-ce le roi ?

– Non, monsieur le marquis, répondit l’exécuteur étonnéd’un pareil sang-froid dont jamais il n’avait vu d’exemple, cen’est pas le roi, c’est notre chef.

– Et où est votre chef ?

– C’est celui qui cause là-bas avec le geôlierChristophe.

– Faites-le venir alors, dit Pontcalec.

– Eh ! maître Lamer, cria l’exécuteur, voulez-vouspasser de ce côté ? il y a un de ces messieurs qui vousdemande.

La foudre tombant au milieu des quatre condamnés n’eût pasproduit un effet plus terrible que ce nom.

– Que dites-vous ? s’écria Pontcalec palpitant deterreur ; comment avez-vous dit ? quel nom avez-vousprononcé ?

– Lamer, monsieur, c’est notre chef.

Pontcalec, pâle et glacé, tomba sur une chaise, en attachant unindicible regard sur ses compagnons atterrés ; personne,autour d’eux, ne comprenait rien à ce muet abattement qui succédaitsi rapidement à cette grande confiance.

– Eh bien ! dit Mont-Louis s’adressant à Pontcalecavec un accent de doux reproche.

– Oui, messieurs, vous aviez raison, dit Pontcalec ;mais moi j’avais raison de croire à cette prédiction, car cetteprédiction s’accomplira comme les autres. Seulement, cette fois, jeme rends, et j’avoue que nous sommes perdus.

Et, par un mouvement spontané, les quatre condamnéss’embrassèrent en priant Dieu.

– Qu’ordonnez-vous ? demanda l’exécuteur.

– Inutile de lier les mains à ces messieurs, s’ils veulentdonner leur parole ; ils sont soldats et gentilshommes.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer