Une Fille du Régent

Chapitre 21LE SANG SE RÉVÈLE.

Lorsque Gaston, de retour de la barrière de la Conférence,rentra dans sa chambre de la rue des Bourdonnais, il vit laJonquière installé près du poêle, et dégustant une bouteille de vind’Alicante qu’il venait de décoiffer.

– Eh bien, chevalier, dit-il en apercevant Gaston, commenttrouvez-vous ma chambre, hein ? Elle est assez commode,n’est-ce pas ? Asseyez-vous donc, et goûtez de ce vin ;il vaut les meilleurs de Rousseau. Avez-vous connu Rousseau,vous ? Non, vous êtes de province, et l’on ne boit pas de vinen Bretagne ; on y boit du cidre, de la piquette, de la bière,je crois. Je n’ai pu y boire que de l’eau-de-vie, moi, c’est toutce que j’ai pu y trouver.

Gaston ne répondit rien, car Gaston n’avait pas même écouté ceque lui disait la Jonquière, tant il était préoccupé d’une seuleidée. Il se laissa tomber tout effaré sur une chaise en froissantdans la poche de son habit la première lettre d’Hélène.

– Où est-elle ? se demandait-il. Ce Paris immense,illimité, va peut-être me la garder éternellement. Oh ! c’esttrop de difficultés à la fois pour un homme qui n’a ni le pouvoirni l’expérience.

– À propos, dit la Jonquière, qui avait suivi dans le cœurdu jeune homme ses idées aussi facilement que si le corps quil’enveloppait eût été de verre ; à propos, chevalier, il y aici une lettre pour vous.

– De Bretagne ? demanda en tremblant le chevalier.

– Non pas, de Paris ; d’une charmante petite écriture,qui m’a tout l’air d’une écriture de femme, mauvaissujet !

– Où est-elle ? s’écria Gaston.

– Demandez cela à notre hôte. Quand je suis entré tout àl’heure, il la roulait entre ses doigts.

– Donnez, donnez ! s’écria Gaston en s’élançant dansla chambre commune.

– Que désire monsieur le chevalier ? demanda Tapinavec sa politesse accoutumée.

– Mais cette lettre.

– Quelle lettre ?

– La lettre que vous avez reçue pour moi.

– Ah ! pardon, monsieur ; c’est vrai, et moi quil’avais oubliée !

Et il tira la lettre de sa poche et la donna à Gaston.

– Pauvre imbécile ! disait pendant ce temps-là le fauxla Jonquière ; et ces niais-là se mêlent de conspirer !C’est comme ce d’Harmental. Ils veulent faire à la fois de lapolitique et de l’amour. Triples sots ! que ne vont-ils toutbonnement faire l’un chez la Fillon, ils n’iraient pas acheverl’autre en Grève. Au reste, mieux vaut qu’ils soient ainsi pournous, dont ils ne sont pas amoureux.

Gaston rentra tout joyeux, lisant, relisant, épelant la lettred’Hélène.

« Rue du faubourg Saint-Antoine, une maison blanche,derrière des arbres, des peupliers, je crois ; quant aunuméro, je n’ai pas pu le voir, mais c’est la trente et unième oula trente-deuxième maison à gauche en entrant, après avoir laissé àdroite un château flanqué de tours, qui ressemble à uneprison. »

– Oh ! s’écria Gaston, je le trouverai bien ; cechâteau, c’est la Bastille.

Il dit ces derniers mots de manière que Dubois les entendit.

– Parbleu ! je le crois bien que tu le trouveras, dità part lui Dubois, quand je devrais t’y conduire moi-même.

Gaston regarda sa montre : il avait encore plus de deuxheures à lui avant son rendez-vous à la maison de la rue duBac ; il reprit son chapeau, qu’il avait posé en entrant surune chaise, et s’apprêta à sortir.

– Eh bien, nous nous envolons donc ? demandaDubois.

– Une course indispensable.

– Et notre rendez-vous de onze heures ?

– Il n’en est pas neuf encore ; soyez tranquille, jeserai de retour.

– Vous n’avez pas besoin de moi ?

– Merci.

– Si vous prépariez quelque petit enlèvement, par hasard,je m’y entends assez bien, et je pourrais vous aider.

– Merci, dit Gaston en rougissant malgré lui, il n’est pasquestion de cela.

Dubois sifflota un air entre ses dents, en homme qui prend lesréponses pour ce qu’elles valent.

– Vous retrouverai-je ici ? demanda Gaston.

– Je ne sais ; peut-être ai-je aussi à rassurerquelque jolie dame qui s’intéresse à ma personne ; mais, entout cas, à l’heure dite, vous trouverez ici l’homme d’hier, avecla même voiture et le même cocher.

Gaston prit hâtivement congé de son compagnon. Au coin ducimetière des Innocents, il trouva un fiacre, monta dedans et sefit conduire rue Saint-Antoine.

À la vingtième maison, il descendit, ordonnant au cocher de lesuivre, puis il s’avança, explorant tout le côté gauche de la rue.Bientôt il se trouva en face d’un grand mur, que surmontait la cimede hauts et touffus peupliers. Cette maison correspondait si bienau signalement que lui avait donné Hélène, qu’il ne douta plus quece ne fût celle qui renfermait la jeune fille.

Mais là, la difficulté commençait : il n’y avait à cesmurailles aucune ouverture, il n’y avait à la porte ni marteau nisonnette. C’était chose inutile pour les gens du bel air quiavaient des coureurs galopant devant eux, lesquels frappaient lesportes qu’ils voulaient se faire ouvrir du pommeau d’argent deleurs cannes. Gaston se serait bien passé de coureur, et auraitbien frappé soit avec le pied, soit avec une pierre ; mais ilcraignait que des ordres n’eussent été donnés, et qu’il ne fûtconsigné à la porte. Il ordonna donc au cocher de s’arrêter, et,voulant prévenir, par un signal bien connu, Hélène qui était là, illongea une petite ruelle sur laquelle donnait le flanc de lamaison, et, se rapprochant le plus possible d’une fenêtre ouvertequi donnait sur le jardin, il porta ses mains à sa bouche, etimita, avec toute la force qu’il put lui donner, le cri duchat-huant.

Hélène tressaillit, elle reconnut ce cri, qui retentit à une oudeux lieues de distance dans les genêts de la Bretagne ; illui sembla qu’elle était encore au couvent des augustines deClisson, et que la barque, montée par le chevalier, et glissantsous l’effort silencieux, de l’aviron, allait aborder au-dessous desa fenêtre au milieu des roseaux et des nénufars ; ce cri, quimontait le long des murs, et qui parvenait jusqu’à son oreille, luiannonçait la présence attendue de Gaston ; aussi courut-elleaussitôt à la fenêtre : le jeune homme était là.

Hélène et lui échangèrent un signe qui voulait dire d’unepart : « Je vous attendais, » et de l’autre :« Me voilà ! » Puis, rentrant dans la chambre, elleagita une sonnette, qu’elle tenait de la munificence de madameDesroches, laquelle la lui avait donnée sans doute pour un toutautre usage, avec tant de force que non-seulement madame Desroches,mais encore la camérière et le valet de chambre accoururentprécipitamment.

– Allez ouvrir la porte de la rue, dit impérieusementHélène, il y a à cette porte quelqu’un que j’attends.

– Restez, dit madame Desroches au valet de chambre qui sepréparait à obéir, je veux voir moi-même quelle est cettepersonne.

– Inutile, madame, je sais qui elle est, et je vous ai déjàdit que je l’attendais.

– Mais cependant, si mademoiselle ne devait pas larecevoir ? reprit la duègne essayant de tenir bon.

– Je ne suis plus au couvent, madame, et ne suis pas encoreen prison, répondit Hélène, je recevrai qui bon me semblera.

– Mais au moins puis-je savoir quelle est cettepersonne ?

– Je ne vois aucun inconvénient à cela ; c’est la mêmepersonne que j’ai déjà reçue à Rambouillet.

– Monsieur de Livry ?

– Monsieur de Livry.

– J’ai reçu l’ordre positif de ne jamais laisser pénétrerce jeune homme jusqu’à vous.

– Et moi je vous donne celui de me l’amener à l’instantmême.

– Mademoiselle, vous désobéissez à votre père, reprit laDesroches, moitié colère, moitié respectueuse.

– Mon père n’a rien à voir ici, et surtout par vos yeux,madame.

– Cependant, qui est maître de votre sort ?

– Moi ! moi seule ! s’écria Hélène se révoltant àl’aspect de cette domination qu’on voulait exercer sur elle.

– Mademoiselle, je vous jure cependant que monsieur votrepère…

– Mon père m’approuvera, s’il est mon père.

Ce mot, lancé avec tout l’orgueil d’une impératrice, courbamadame Desroches sous l’accent de domination qu’ilrenfermait ; elle se retrancha dès lors dans un silence et uneimmobilité qu’imitèrent les valets présents à cette scène.

– Eh bien, dit Hélène, j’ai ordonné d’ouvrir laporte ; n’obéit-on pas quand je commande ?

Personne ne bougea, on attendait les ordres de lagouvernante.

Hélène sourit dédaigneusement, et, ne voulant pas commettre sonautorité avec cette valetaille, elle fit de la main un geste siimpérieux, que madame Desroches démasqua la porte devant laquelleelle se trouvait, et lui livra passage ; Hélène alorsdescendit, lente et digne, les escaliers, suivie de madameDesroches, pétrifiée de trouver une pareille volonté dans une jeunefille sortie depuis douze jours de son couvent.

– Mais c’est une reine ! dit la femme de chambre ensuivant madame Desroches ; quant à moi, je sais bien quej’allais ouvrir la porte si elle n’y était pas allée elle-même.

– Hélas ! dit la vieille gouvernante, voilà commeelles sont toutes dans la famille :

– Vous avez donc connu la famille ? demanda la femmede chambre tout étonnée.

– Oui, dit madame Desroches, qui s’aperçut qu’elle avaitété trop loin ; oui, j’ai connu autrefois le marquis sonpère.

Pendant ce temps, Hélène avait descendu les degrés du perron,avait traversé la cour, et s’était fait ouvrir la ported’autorité ; sur le seuil était Gaston.

– Venez, mon ami, lui dit Hélène.

Gaston la suivit ; la porte se referma derrière eux, et ilsentrèrent ensemble dans les appartements du rez-de-chaussée.

– Vous m’avez appelé, Hélène, et je suis accouru, lui ditle jeune homme ; avez-vous quelque chose à craindre ?quelque danger vous menace-t-il ?

– Regardez autour de vous, lui dit Hélène, et jugez.

Les deux jeunes gens étaient dans l’appartement où nous avonsintroduit le lecteur à la suite du régent et de Dubois, lorsquecelui-ci voulut le rendre témoin de la mise hors de page de sonfils. C’était un charmant boudoir, attenant à la salle à manger,avec laquelle, on s’en souvient, il communiquait, non-seulement pardeux portes, mais encore par une ouverture cintrée, toute masquéede fleurs des plus rares, des plus magnifiques, des plusparfumées ; le petit boudoir était tendu de satin bleu,parsemé de roses au feuillage d’argent ; les dessus de porte,de Claude Audran, représentaient l’histoire de Vénus, divisée enquatre tableaux : sa naissance, où elle surgit nue au sommetd’une vague ; ses amours avec Adonis ; sa rivalité avecPsyché, qu’elle faisait battre de verges ; et enfin, sonréveil dans les bras de Mars, sous les filets tendus par Vulcain.Les panneaux formaient d’autres épisodes de la même histoire ;mais tous si suaves de contours, si voluptueux d’expression, qu’iln’y avait pas à se tromper sur la destination de ce petitboudoir.

Les peintures que Nocé, dans l’innocence de son âme, avaitassuré au régent du pur Maintenon, avaient suffi cependant àeffaroucher la jeune fille.

– Gaston, dit-elle, aviez-vous donc raison de me dire de medéfier de cet homme qui se présentait à moi comme mon père ?En vérité, j’ai plus peur encore ici qu’à Rambouillet.

Gaston examina toutes ces peintures l’une après l’autre,rougissant et pâlissant successivement à l’idée qu’il y avait unhomme qui avait cru à la possibilité de surprendre les sensd’Hélène par de pareils moyens ; puis il passa dans la salle àmanger, l’examina dans tous ses détails comme il avait examiné leboudoir : c’était la continuation des mêmes peinturesérotiques et des mêmes intentions voluptueuses. Puis, de là, tousdeux descendirent au jardin, tout peuplé de statues et de groupesqui semblaient des épisodes de marbre oubliés dans les tableaux dupeintre. En rentrant, ils passèrent devant madame Desroches, qui neles avait pas perdus de vue, qui leva les mains au ciel d’un airdésespéré, et à qui il échappa de dire :

– Oh ! mon Dieu ! que penseramonseigneur !

Ces mots firent éclater l’orage longtemps contenu dans lapoitrine de Gaston.

– Monseigneur ! s’écria-t-il ; vous l’avezentendu, Hélène : monseigneur ! Vous aviez raison decraindre, et votre chaste instinct vous avertissait du danger. Noussommes ici dans la petite maison de quelqu’un de ces grandspervertis, qui achètent le plaisir aux dépens de l’honneur. Jamaisje n’ai vu ces demeures de perdition, Hélène ; mais je lesdevine. Ces tableaux, ces statues, ces fresques, ce demi-jourmystérieux qui se glisse à peine dans les chambres ; ces toursménagés pour le service, afin que la présence des valets ne gênepas les plaisirs du maître : voilà, croyez-moi, plus qu’iln’en faut pour me tout dire. Au nom du ciel, ne vous laissez pastromper davantage, Hélène. J’avais raison de prévoir le danger àRambouillet ; ici vous avez raison de le craindre.

– Mon Dieu ! dit Hélène, et si cet homme allaitvenir ; si, avec l’aide de ses valets, il allait nous retenirde force !

– Soyez tranquille, Hélène, dit Gaston ; ne suis-jepas là ?

– Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! renoncer àcette douce idée d’un père, d’un protecteur, d’un ami !

– Hélas ! et dans quel moment ! lorsque vousallez être seule au monde, dit Gaston, livrant, sans y songer, unepartie de son secret.

– Que dites-vous là, Gaston ! et que signifient cesparoles sinistres ?

– Rien… rien… reprit le jeune homme ; quelques motssans suite, qui me sont échappés et auxquels il ne faut attacheraucun sens.

– Gaston, vous me cachez quelque chose de terrible sansdoute, puisque au moment même où je perds mon père vous parlez dem’abandonner !

– Oh ! Hélène, je ne vous abandonnerai qu’avec lavie !

– Oh ! c’est cela, reprit la jeune fille ; vouscourez péril de la vie, et c’est en mourant que vous craignez dem’abandonner ! Gaston, vous vous trahissez ; vous n’êtesplus le Gaston d’autrefois. Me retrouver aujourd’hui vous a causéune joie contrainte ; m’avoir perdue hier ne vous a pas faitune immense douleur ; vous avez dans l’esprit des projets plusimportants que ceux que vous avez dans le cœur. Il y a quelquechose en vous, orgueil ou ambition, qui l’emporte sur votre amour.Tenez, en ce moment même vous pâlissez ! Vous me brisez lecœur par votre silence.

– Rien, rien, Hélène, je vous le jure. En effet, n’est-cepoint assez, pour me troubler, de tout ce qui nous arrive, de voustrouver seule et sans défense dans cette maison perfide, et de nesavoir comment vous protéger ? car, sans doute, cet homme estun homme puissant. En Bretagne, j’aurais des amis et deux centspaysans pour me défendre ; ici, je n’ai personne.

– N’est-ce que cela, Gaston ?

– C’est trop, ce me semble.

– Non, Gaston, car à l’instant même nous quitterons cettemaison.

Gaston pâlit ; Hélène baissa les yeux, et, laissant tombersa main entre les mains froides et humides de son amant :

– Devant tous ces gens qui nous regardent, dit-elle, sousles yeux de cette femme vendue, qui ne peut comploter contre moiqu’une trahison, Gaston, nous allons sortir ensemble.

Les yeux de Gaston lancèrent un éclair de joie ; puis, àl’instant même, une sombre pensée les voila comme un nuage.

– Ne suis-je pas votre femme, Gaston ? dit-elle ;mon honneur n’est-il point le vôtre ? Partons.

– Mais que faire, dit Gaston, où vous loger ?…

– Gaston, répondit Hélène, je ne sais rien, je ne puisrien ; j’ignore Paris, j’ignore le monde, je ne connais quemoi et vous. Eh bien, vous m’avez ouvert les yeux ; j’aidéfiance de tout et de tous, excepté de votre loyauté et de votreamour.

Le cœur de Gaston se brisait. Six mois auparavant, il eût payéde sa vie le généreux dévouement de la courageuse jeune fille.

– Hélène, réfléchissez, dit Gaston. Si nous nous trompions,si cet homme était véritablement votre père…

– Gaston, c’est vous qui m’avez appris à me défier de cepère ; vous l’oubliez.

– Oh ! oui, Hélène, oui ! s’écria le jeunehomme ; à tout prix, partons !

– Où allons-nous ? dit Hélène ; vous n’avez pasbesoin de répondre, Gaston ; que vous le sachiez, cela suffit.Une dernière prière cependant. Voici un Christ et une Vierge,singulièrement placés au milieu de ces fresques impures. Jurez surces saintes images de respecter l’honneur de votre femme.

– Hélène, répondit Gaston, je ne vous ferai pas l’injure defaire un pareil serment. L’offre que vous me faites la premièreaujourd’hui, j’ai hésité longtemps à vous la faire. Riche, heureux,sûr du présent, fortune, richesse, bonheur, j’eusse tout mis à vospieds, m’en rapportant à Dieu du soin de l’avenir ; mais, à cemoment suprême, je dois vous le dire : non, vous ne vous étiezpas trompée ; oui, il y a entre aujourd’hui et demain lachance d’un événement terrible. Ce que je puis vous offrir, je puisdonc vous le dire, Hélène : c’est, si je réussis, haute etpuissante position peut-être ; mais, si j’échoue, c’est lafuite, l’exil, la misère peut-être. M’aimez-vous assez, Hélène, ouaimez-vous assez votre honneur pour braver tout cela ?…

– Je suis prête, Gaston ; dites-moi de vous suivre, etje vous suis.

– Eh bien, Hélène, votre confiance ne sera pas trompée,soyez tranquille. Ce n’est pas chez moi que vous venez, mais chezune personne qui vous protégera, s’il en est besoin, et qui, en monabsence, remplacera le père que vous avez cru avoir retrouvé, etque vous avez, au contraire, perdu une seconde fois.

– Quelle est cette personne, Gaston ?… Ce n’est pas dela défiance, ajouta la jeune fille avec un charmant sourire, c’estde la curiosité.

– Quelqu’un qui ne peut rien me refuser, Hélène, dont lesjours sont attachés aux miens, dont la vie dépend de la mienne, etqui trouvera que je me fais payer bien peu en exigeant votre reposet votre sûreté.

– Encore des obscurités, Gaston ! En vérité, vous mefaites peur pour l’avenir.

– Ce secret est le dernier, Hélène. À partir de ce moment,toute ma vie sera pour vous à découvert.

– Merci, Gaston.

– Et maintenant je suis à vos ordres, Hélène.

– Allons !…

Hélène prit le bras du chevalier et traversa le salon.

Dans ce salon était madame Desroches, toute crispéed’indignation et griffonnant une lettre dont nous pouvons déjàpréjuger la destination.

– Mon Dieu ! mademoiselle, s’écria-t-elle, oùallez-vous ? que faites-vous ?

– Où je vais ?… je pars… Ce que je fais ?… jefuis une maison où mon honneur est menacé.

– Comment ! s’écria la vieille dame comme si unressort l’eût dressée sur ses jambes, vous sortez avec votreamant !

– Vous vous trompez, madame, répondit Hélène avec un accentplein de dignité, c’est avec mon mari.

Madame Desroches laissa tomber de terreur ses deux bras contreses flancs décharnés.

– Et maintenant, continua Hélène, si la personne que vousconnaissez me demande pour quelque entrevue, vous lui direz que,toute provinciale et pensionnaire que je suis, j’ai deviné lepiége, que j’y échappe, et que, si l’on me cherche, on trouvera dumoins à mes côtés un défenseur.

– Vous ne sortirez pas, mademoiselle ! s’écria madameDesroches, quand je devrais employer la violence.

– Essayez, madame, dit Hélène de ce ton royal qui semblaitlui être naturel.

– Holà ! Picard ! Couturier !Blanchot !

Les valets appelés accoururent.

– Le premier qui me barre la porte, je le tue ! ditfroidement Gaston en dégainant son épée bretonne.

– Quelle infernale tête ! s’écria la Desroches.Ah ! mesdemoiselles de Chartres et de Valois, que je vousreconnais bien là !

Les deux jeunes gens entendirent cette exclamation, mais sans lacomprendre.

– Nous partons, dit Hélène. N’oubliez point, madame, derépéter mot pour mot ce que je vous ai dit.

Et, suspendue au bras de Gaston, rouge de plaisir et de fierté,brave comme une amazone antique, la jeune fille commanda qu’onouvrît la porte de la rue. Le suisse n’osa résister ; Gastonprit Hélène par la main, ferma la porte, fit avancer le fiacre danslequel il était venu ; et, comme il vit qu’on s’apprêtait à lesuivre, il fit, quelques pas vers les assaillants en disant à hautevoix :

– Deux pas de plus, et je dis toute cette histoire, et jeme mets, moi et mademoiselle, sous la sauvegarde de l’honneurpublic.

La Desroches crut que Gaston connaissait le mystère, et craignitqu’il ne nommât les masques. Elle eut peur, et rentraprécipitamment, suivie de toute la valetaille.

Le fiacre intelligent partit au galop.

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