Une Française captive chez les Peaux Rouges – Chez les Sioux – Voyages, explorations, aventures -16

Chapitre 12LES OURS GRIZLY

 

Mlle de Pelhouër n’étaitpas complètement satisfaite au point de vue chasse.

Il manquait quelque chose à son bonheur ;elle n’avait jamais tué d’ours grizly et cet animal est plusredoutable que l’ours blanc par sa férocité.

Qu’il ait faim ou non, s’il rencontre un hommeil l’attaque.

Aucun autre animal, l’homme excepté, n’osel’attaquer.

C’est une terrible brute.

Son coup de patte est tellement lourd qu’ilaplatit un cheval, s’il en frappe la croupe, et qu’il l’assomme,s’il le touche au crâne.

Son soufflet couche un homme à terre les os dela joue brisés.

Son étreinte brise les côtes et casse lacolonne vertébrale.

Sa morsure brise une cuisse et brise le fémuren esquilles.

Du reste, fin, défiant, très rusé et trèspatient comme tous les ours.

Mais, sale bête.

Désagréable au possible à rencontrer si l’onn’est pas excellent tireur et de beaucoup de sang-froid pour letirer à l’œil ou au défaut de l’épaule, la balle traversant lecœur.

Mlle de Pelhouër brillaitde se mesurer avec un pareil adversaire.

Le Serpent-d’Eau lui promit de la mettre enprésence d’un ours grizly.

Elle promit, elle, à Fleur-de-Juin, la langueet les pieds de l’animal.

Il y a pourtant un proverbe qui dit qu’il nefaut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.

Mais la jeunesse est imprudente et se moquedes proverbes.

Donc, Mlle de Pelhouër etNadali se mirent en campagne contre l’ours avec le Serpent-d’Eaucomme guide et ses braves comme escorte, en emportant des petitestentes et le paquetage ordinaire.

Le Serpent se dirigea vers une montagne quel’on apercevait au loin.

Les ours aiment les montagnes.

Pourquoi ?

Je n’en ai jamais trouvé l’explication,quoique je l’aie cherchée dans les livres des naturalistes,notamment dans ceux de M. de Buffon.

En voilà un qui a une réputation surfaite etsur lequel on se trompe.

Naturaliste en chambre, décrivant les animauxempaillés, il doit toute sa renommée à sa littérature, à son stylenoble et élégant. Mais comme naturaliste, il n’est vraiment pasfort.

J’ai vu des braves ouvriers, des pauvresemployés, des petits bourgeois souscrire aux œuvres complètes deBuffon.

Quelle duperie !

Que d’idées fausses !

Et quelle insuffisance dans sa méthode ;car, à vrai dire, il n’en a pas.

Bref, M. de Buffon… et les autresn’ayant pas dit pourquoi l’ours aimait les montagnes, je l’aidemandé à mon ami Chastauet, un Basque, chasseur d’ourspyrénéen.

– Mais c’est bien simple, m’a-t-il dit, avecconviction.

L’ours adore le miel.

Il ne trouve des ruches sauvages que dans lamontagne.

Il habite dans la montagne.

Je donne l’explication pour ce qu’elle vaut etje ne garantis rien.

En tout cas, le Serpent-d’Eau se dirigea versle « Pays aux Ours ».

Chemin faisant, ils ont eu occasion de tuerdeux oies et quelques canards.

L’oie et le canard sauvage sont excellentsrôtis à la ficelle.

Aussi fit-on, le premier soir de marche, unexcellent repas.

On conserva précieusement la graisse d’oiequi, avec du maïs pilé, forme une pâte de galette délicieuse àcuire sous la cendre. On se remit en route.

Dans la journée, bonne chasse.

On tua un renne.

Comme il n’avait que trois ans, il étaitexcellent et l’on en mangea les filets.

Le reste fut fumé.

On coucha au pied de la montagne, tout près duPays aux Ours.

Mlle de Pelhouër etNadali dormaient profondément sous leur petite tente lorsque, dansle lourd sommeil qui les accablaient, elles eurent le sentimentconfus qu’elles étaient exposées à un froid assez vif.

Mais, de temps à autre, un souffle chaud leurbrûlait la figure.

Mlle de Pelhouërs’éveilla la première sous un de ces souffles, ouvrit les yeux etvit sur son visage le naseau d’un ours qui la flairait.

Elle avait lu, elle avait entendu dire quel’ours n’attaque jamais un homme endormi ; elle eut laprésence d’esprit de ne pas bouger et elle attendit avec unehéroïque résignation.

Elle comprit que l’ours ou les ours avec leurhabituelle adresse et leur curiosité coutumière, avaient enlevé latente.

Elle voyait le ciel.

L’ours s’éloigna pour aller flairer Nadali,Mlle de Pelhouër se leva d’un bond et cherchason fusil.

Il était temps.

L’ours ayant entendu du bruit venait surelle.

Elle eut le sang-froid de crier :

– Nadali ! Nadali !

» Aux armes !

Et elle tira l’ours à l’œil.

Il tomba.

Mais il n’était pas seul.

Cinq autres avaient envahi le campement et ilsvoulurent l’écharper.

Mais Nadali et les Indiens avaient pris leursfusils et ils tirèrent.

Mlle de Pelhouër avaitsaisi une des lances plantées en terre, comme ont l’habitude defaire les sauvages au bivac.

Elle se défendit contre une ourse, luiplantant le fer dans la poitrine.

L’ourse, selon l’instinct de sa race, fonçaitsur la jeune fille.

Elle lâcha la lance, dont le long manchetraîna par terre.

Butant sur le sol, il arrêtait l’animal qui,de ses deux pattes le saisit, l’enfonçant tellement et de plus enplus que l’arme au lieu de buter par devant, traîna parderrière.

Mais Mlle de Pelhouëravait vu à terre un tomahawk.

Elle le ramassa et en asséna deux coups siforts sur la tête de son adversaire, que la cervelle jaillit.

Sans perdre une seconde, la jeune fille courutau secours de Nadali.

Après avoir tiré inutilement, son fusil ayantraté, elle aussi avait enfilé un ours d’un grand coup de lance.

Mais l’animal fonçait.

Mlle de Pelhouër,l’abordant de côté, lui cassa la tête comme à l’autre.

Le combat finissait.

Le dernier ours auquel les indiens avaientaffaire venait de tomber.

Mais Serpent-d’Eau avait un bras cassé d’uncoup de patte.

Un brave était à demi-étouffé et il avait uneoreille mangée.

On le fit revenir à lui et on le pansa ;mais tel est le caractère indien que le blessé avait l’air enchantéde son accident.

Cette oreille qui lui manquait prouvait qu’ilavait combattu corps à corps avec un grizly et l’avait vaincu.

Peu d’hommes pouvaient en dire autant.

On remonta la tente abattue et l’on se coucha,remettant au lendemain pour dépouiller les ours et les dépecer.

Mais la nuit devait être fertile en incidentset tout n’était pas fini.

Nadali fut éveillée par un sourdgrognement ; elle entrouvrit la tente et regarda.

Deux beaux jaguars, un mâle et une femelle,dévoraient chacun un ours.

Nadali éveilla sa maîtresse.

– Pas de bruit ! lui dit-elle.

» Deux jaguars !

Elles prirent leurs fusils.

– Nous ne pouvons voir leurs têtes, ditMlle de Pelhouër.

» Tirons-les à l’échine.

Cette fois, le fusil de Nadali ne ratapas ; les deux jaguars, tirés presque à bout portant, eurentla colonne vertébrale coupée.

Ils se mirent, comme toujours en pareil cas, àfaire des bonds énormes sur place, mais sans pouvoir avancer.

Les Sioux, sortis de leurs tentes, eurent lajoie de ce spectacle.

Le Serpent-d’Eau voulut tirer sur les jaguarsmais Mlle de Pelhouër le pria de n’en rienfaire.

– Qu’ils dansent pour votre amusement !dit-elle en riant.

» Je n’ai aucune pitié pour des bêtes aussiféroces.

Enfin, les jaguars expirèrent en poussant ledernier râle d’agonie.

De dormir, il ne fut plus question ; leciel commençait à pâlir à l’orient.

On dépouilla ours et jaguars et on emporta leplus de viande que les chevaux purent en porter.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer