Une Française captive chez les Peaux Rouges – Chez les Sioux – Voyages, explorations, aventures -16

Chapitre 11LES BISONS

 

Quand les Sioux sont campés, ils envoienttoujours aux quatre coins de l’horizon des coureurs à la découvertedes troupeaux de bisons.

Les migrations de ces troupeaux sont trèsirrégulières et très capricieuses ; tant qu’ils trouvent del’herbe en un endroit, ils y restent.

Tantôt ils tirent à droite, tantôt à gauche,tantôt directement devant eux.

Mais pendant tout l’été ils poussent aunord.

Aux premières neiges, ils redescendenttoujours capricieusement vers le sud.

De ces habitudes, il résulte que les troupeauxde bisons sont les uns en avance, les autres en retard ; lelendemain de la chasse aux jaguars, un coureur signala un de cestroupeaux retardataires.

C’était une bonne fortune pour la tribu, quimanifesta la joie la plus vive.

Le sachem sortit vivement de sa tente aurapport du coureur, poussa le cri de guerre pour mettre sesguerriers sur pied.

Ce cri toute l’Amérique le connaît.

Ce cri est celui de tous les Indiens, de ceuxdu Nord, comme de ceux du Sud.

Il produit une singulière expression dedéchirement sur l’oreille.

C’est une sorte de plainte très longue,suraiguë, poussée au plus haut de la voix et rendue vibrante par detrès rapides battues de deux doigts sur les lèvres.

Ce cri s’entend à des distances inouïes.

Il impressionne beaucoup les blancs, et lesofficiers américains en ont constaté l’effet démoralisateur surleurs soldats.

Comme tout guerrier, le sachem avait sonsifflet de guerre.

Ce sifflet est fait avec le fémur d’un dindonsauvage, et selon que l’on se sert de l’une ou de l’autreextrémité, les sons sont différents.

Une de ces extrémités est consacrée auxsignaux en avant.

L’autre donne les signaux de retraite.

Mais les modulations sont très diverses.

Ainsi elles indiquent un mouvement tournantpar la droite ou la gauche, en retraite à droite ou à gauche, etc.,etc.

Tous les guerriers connaissent les signaux deleur sachem.

Tous les braves connaissent ceux deleur guerrier.

Ce sont, du reste, les mêmes, mais précédés dela modulation particulière au guerrier.

Ces coups de sifflet stridents dominent tousles bruits de la bataille.

Le sachem siffla, à l’extrémité dite en avant,une modulation qui signifiait :

« En selle, pourchasser lebison ! »

Pas d’ordre plus agréable à recevoir.

Aussi quel empressement !

C’est que le gibier par excellence est lebison, qui, à lui seul, ferait vivre l’Indien.

Ses territoires sont pourtant des paradis dechasse.

On y trouve l’élan superbe, le beau cerfvapay, le daim si tendre, l’ours blanc et l’ours grizly, le cygne,l’oie, le canard, la gelinotte, le coq de bruyère, le dindonsauvage, la perdrix et la caille américaines ; du petit gibierde plume ou de poil en quantité incroyable.

Mais pour l’Indien, rien ne peut surpasser lebison.

D’abord il va par troupeaux de cent à mille,deux mille, trois mille têtes.

Quelles hécatombes on peut faire. Et tout estbon dans le bison.

La peau d’abord.

Elle fournit les grandes tentes destationnement, les petites tentes de chasse.

On en fait les grands manteaux et les tuniqueschaudes d’hiver.

On en fait les mocassins de fatigue.

La langue du bison et la bosse, qui sont d’unefinesse de goût incroyable, sont fumées et gardées pourl’hiver.

Le reste de la viande surpasse celle dumeilleur bœuf français, et, fumée, elle vaut celle des jambonsd’York.

Le mufle et les pieds donnent des pâtésgélatineux délicieux.

Les os des jambes brisés, on retire une moelleplus délicate que du beurre de pré-salé et qui, légèrement salée,se conserve aussi longtemps que de l’huile.

Avec les tendons, on fait des cordes d’arc etdes cordes diverses.

Les nerfs sont du fil à coudre.

On couvre les boucliers avec les peaux etcelles-ci cousues, les coutures recouvertes de colle-forte pourêtre imperméables, donnent des outres pour transporter lesliquides.

Enfin, en faisant fondre les sabots, lesIndiens obtiennent une colle-forte incomparable.

Ils en enduisent leurs boucliers et, aprèsavoir enroulé des tendons de bison autour de leurs arcs, ilsrecouvrent le tout de colle-forte qui communique à l’arc unesolidité et une élasticité extraordinaire.

Il est assez étrange que notre industrie ne sesoit pas emparée de ce procédé, dont l’excellence est cependantbien connue.

En beaucoup de cas, la meilleure gutta-perchane vaut pas cette colle-forte indienne.

Pour aller à la chasse et à la guerre, lesIndiens ont un costume et une peinture.

Un costume, cela se comprend, puisque cecostume consiste à être vêtu le moins possible pour ne pas êtregêné dans ses vêtements.

Coiffure complète !

Chaussures complètes !

Mais le torse nu !

Une sorte de caleçon et c’est tout.

Et voilà le pourquoi de la peinture.

C’est une protection contre le froid et contrele chaud du soleil.

Et c’est une preuve de plus de l’origineindo-sémite des Indiens.

En effet, on retrouve cette habitude de sepeindre chez tous les nègres d’Afrique, qui sont des sémitesoriginaires de l’Inde.

Semi-préhistoriques sur lesquels on a publiérécemment de curieuses études.

Tout l’Est africain, tout le Centre se teintavec de l’ocre rouge mélangé d’huile de palme ou d’éleusine.

Au Soudan, le nègre se contente de se masseravec de l’huile, sans peinture.

Nos Arabes, en expédition nocturne, vontentièrement nus.

Ils ne veulent pas qu’une main, au cours deleurs vols, puisse saisir leurs vêtements.

Leurs membres huilés glissent comme desanguilles dans le poignet qui les empoigne.

Et tous ces gens-là sont des sémites.

Les Indiens, eux, pilent des braises, del’ocre rouge, de l’ocre jaune, de la craie ou de l’argile blancheet ils mélangent ces ingrédients avec de la graisse d’ours.

Après quoi, ils se peignent en observant lescoutumes de leur tribu.

Les uns ont la moitié du visage noir, l’autremoitié rouge.

D’autres ont le fond rouge, le nez et le frontblanc.

Il ne faut pas oublier, parmi les armes desIndiens, le tomahawk.

C’est une hachette, arme dangereuse, qu’ilslancent avec une très grande adresse.

Souvent elle termine le combat ou arrêtel’ennemi dans sa fuite.

Lancée à trente ou quarante pas de distance,elle s’enfonce dans le cou qu’elle entame profondément.

La façon dont les Sioux attaquent un troupeaude bisons rend ce genre de chasse très brillant, très animé.

Les cavaliers se précipitent surl’arrière-garde du troupeau en fuite et chacun d’eux attaque unbison à coups de lance.

L’animal, pressé par le cavalier, se retournemenaçant.

Cornes basses, il fond sur l’ennemi.

Avec le plus grand sang-froid, le Sioux faitvolter son cheval et il évite le terrible coup de cornes.

Un bison, lancé à toute vitesse, ne peut seretourner brusquement.

Il faut qu’il décrive un cercle assez grand etc’est ce qui le perd.

Le Sioux qui l’a laissé passer et qui lepoursuit, le prend en flanc et le larde de sa lance à plusieursreprises.

L’animal tombe épuisé par la perte de sonsang.

Mais il arrive que plusieurs bisons chargentun seul cavalier.

Celui-ci, en très grand danger, évite avec uneadresse admirable ses adversaires et il manœuvre au milieu dutourbillon qui l’enveloppe.

C’est un spectacle étourdissant, surtout quandil y a en selle trois cents cavaliers, comme c’était le cas.

Les enfants, depuis l’âge de huit ans, étaienten selle et s’apprêtaient à flécher les bisons ; ils lancenttant de flèches que les animaux sur lesquels ils s’acharnentressemblent à de gigantesques porcs-épics.

Dès qu’un animal est tombé, les femmes, quisuivent à pied, se jettent sur le mort ou le mourant, le saignenten l’égorgeant, le dépouillent et le découpent sur sa peau.

Aux chiens qu’elles écartent à coups debâtons, elles n’abandonnent que la rate et les poumons dont ilsfont curée.

Cette scène de boucherie est des plusmouvementée.

Les trois cents cavaliers arrivèrent sur untroupeau de deux mille têtes.

Il s’étendait noir sur la prairie qui sonnaitsous ses pas, car il était en marche, suivi par une centaine deloups blancs.

Les grands mâles, à l’arrière-garde,repoussaient ces loups que, de temps à autre, ils chargeaient etdispersaient.

Après quoi, ils regagnaient au galop leurposte, en queue du troupeau.

En somme, les loups ne pouvaient étrangler queles bêtes malingres, fatiguées, qui restaient en arrière.

En un instant, le retardataire était entouré,coiffé, étranglé.

En dix minutes, il était dévoré.

Des combats furieux s’engageaient de loups àloups sur les ossements.

À la vue du troupeau, le sachem lança un coupde sifflet.

Les chevaux prirent le trot.

Le troupeau, sentant le danger, hâtal’allure.

Mais les cavaliers gagnaient.

Alors les bisons s’emballèrent dans une fuitedésordonnée.

À mesure que l’on se rapprochait, l’ondevenait empesté des chaudes émanations de ces énormes bêtes, auxlongs poils puant le suint.

Cette âcre odeur saisit les chasseurs à lagorge ; elle est si pénétrante qu’elle fait jaillir les larmesdes yeux.

« Elle fait pleurer, comme si l’onépluchait des oignons », disent les trappeurs.

Sur un second coup de sifflet du sachem, latroupe prit le galop.

La tempête à cheval (selon la magnifiqueexpression biblique), allait fondre sur un tourbillon de chairvivante et palpitante.

Près du sachem, la lance en arrêt,Mlle de Pelhouër et Nadali poussaient commeles Sioux des cris sauvages.

On atteignit le troupeau.

Les petits archers décochèrent leurs flèchesdont pas une n’était perdue.

Chaque lancier choisit sa victime.

Furieuses clameurs !

Beuglements assourdissants !

Une trombe d’hommes et de chevaux dans letourbillon du troupeau.

Tout à coup,Mlle de Pelhouër, qui n’avait pas l’habitudede cette chasse, eut son cheval éventré.

L’animal tomba, elle avec lui et sous lui.

Mais le sachem avait l’œil sur elle ; ilne chassait pas.

Il surveillait les chasseurs.

Son coup de sifflet, appel à sesbraves à lui, retentit.

Cheval et jeune fille furent entourés,défendus ; les bisons furent détournés.

Deux hommes qui mirent pied à terre dégagèrentMlle de Pelhouër.

Elle remercia, remonta sur un autre cheval etcontinua à chasser.

On parvint à tuer des centaines debisons ; les chevaux lassés, n’en pouvant plus, on renonça àla poursuite.

Quant aux loups blancs, ils s’étaient enfuisdès l’apparition des Sioux.

On alluma des grands feux et l’on fit desgrillades.

On laissa paître les chevaux.

Ils étaient dans l’herbe jusqu’au ventre etils s’en donnaient à cœur joie.

Ils hennissaient de plaisir.

On fit un repas succulent.

Rien que des filets.

La viande, bien saisie, saignait sous la dent,ayant gardé toute sa saveur.

Mlle de Pelhouërracontait plus tard que, sa vie, elle n’avait fait un meilleurrepas.

Sa chute ne lui avait fait que quelquescontusions sans gravité.

Elle en était quitte à bon compte.

On chargea sur les chevaux les peaux et laviande et l’on retourna au camp à pied.

Peu après l’arrivée, on commença à boucanerles chairs.

La tribu était heureuse.

Ses réserves d’hiver étaient assurées.

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