Une Française captive chez les Peaux Rouges – Chez les Sioux – Voyages, explorations, aventures -16

Chapitre 15LES TROIS COUPS DE FEU

 

L’Ours-Blanc se dirigeait vers une retraiteinconnue.

Un pareil homme, qui avait été trappeur,devait connaître quelque repaire.

Sans doute celui-ci était assez éloigné, car,le soir venu, on s’arrêta pour camper.

Les deux Indiens dressèrent une petite tentepour les prisonnières, une autre pour le maître et eux.

L’Ours était d’une humeur charmante ; ilse voyait propriétaire de toute la rançon et pensait à la tête queferaient les autres, en apprenant qu’il leur avait joué ce bontour.

Énormément d’argent et le plaisir d’avoirroulé des gens très fins.

Nilson surtout !

Nilson, le renard chat.

En route, l’Ours avait fait desserrer lesliens des jeunes filles.

On les délia tout à fait.

Mais elles ne purent se lever, leurs poignetset leurs jarrets refusaient tout service ; elles restèrentcouchées.

L’Ours fit la cuisine.

Il aimait ça.

C’était un gourmand.

Les Indiens s’occupaient des chevaux.

C’était leur affaire.

Ils les désellèrent, les entravèrent, mais enleur laissant la possibilité de marcher très lentement, puis ilsles bouchonnèrent, les firent boire et les laissèrent paître.

L’Ours arrosait consciencieusement un cuissotde daim qui rôtissait tout entier, à la ficelle ou, pour mieuxdire, à la corde, devant un très grand feu.

Il n’y avait plus qu’une demi-heure de jour etl’Ours convoitait amoureusement son énorme gigot, le couvant de sonpetit œil gris, et, puisant avec une cuillère le jus tombé dans lagamelle, il commençait par en arroser la corde de suspension pourqu’elle ne brûlât pas ; puis il humectait toutes les partiesdu rôti, imprimant à la corde un mouvement de rotation lent.

Tantôt le cuissot tournait dans un sens,tantôt dans l’autre.

Et un délicieux parfum de viande bientôt rôtieà point se répandait dans l’air.

Les Indiens vinrent s’asseoir près du maîtrequi leur dit :

– Mes enfants ma fortune est faite.

» Aussi la vôtre.

» Vous resterez avec moi.

» Vous serez très heureux.

» Vous vous marierez !

» Je vous nourrirai bien, vous, vos femmes etvos enfants.

» Je vous donnerai de bons gages.

» Et nous boirons de bons coups.

Puis riant :

– Croyez-vous que nous les avons adroitementfrappées ces jeunes filles.

» Mon idée était bonne.

» Belle réussite !

Et les Indiens d’approuver.

Tout à coup une détonation retentit.

Coup de feu tiré à cent cinquante mètres, maisdont on ne voyait pas la fumée.

Le tireur était masqué par un taillis etinvisible.

L’Ours tomba la poitrine trouée par uneballe.

Les deux indiens sautèrent sur leursfusils ; mais sur qui tirer ?

Une seconde balle frappa un d’eux au basventre.

Il se roula par terre.

Le second Indien prit la fuite.

Il fut arrêté par une balle dans lesreins.

Alors le tireur se leva.

C’était Rayon-d’Or.

Il s’avança l’arc à la main, une flèche prêteà être envoyée, une autre dans les dents, le fusil enbandoulière.

Il tira sur le premier Indien agonisant et leperça de deux flèches.

Dès lors, courte fut son agonie.

L’autre, face contre terre, remuait pourtantencore un peu.

Rayon-d’Or lui lança son tomahawk qui sépara àdemi la tête du tronc.

Il reprit son arme, l’essuya sur l’herbe, laremit à sa ceinture, puis il retira du corps de l’autre Indien lesdeux flèches dont il essuya les pointes et il les mit en soncarquois.

Puis il alla voir les prisonnières.

– Vous voilà délivrées ! leur dit-il.

» L’Ours est mort !

» Morts ses indiens !

» Mais vous ne pouvez marcher.

Il les frictionna aux poignets avec du rhumpris dans sa gourde et la circulation se rétablit très vite.

– Je vous laisse le rhum ! dit-il.

» Frictionnez vos jarrets.

» Nous causerons tour à l’heure.

» Je vais soigner le rôti.

Et il alla imprimer à la ficelle un mouvementde rotation.

Puis il déposa ses armes, ne gardant que soncouteau, et il alla scalper les morts.

Rapide opération !

Il alla au ruisseau qui coulait près ducampement, y lava les scalps, les égoutta et les mit à sécherdevant le feu.

De temps à autre, il faisait tourner le rôtidoucement.

Mais quand les scalps furent à peu près secs,il les découpa en lanières garnies de cheveux qu’il enroula autourde ses jambes.

Il en portait déjà, je l’ai dit.

Il se leva pour voir l’effet que celaproduisait et il dit :

– Pour un guerrier aussi jeune que moi, voilàdes mocassins bien ornés !

Les prisonnières étaient parvenues à selever ; elles se donnaient mutuellement le bras pour marcheret elles vinrent s’asseoir au foyer.

– Monsieur Rayon-d’Or, ditMlle de Pelhouër, je vous serai toute ma viereconnaissante.

– Moi aussi ! dit Nadali.

– Mais comment avez vous su que nous étionsprises par l’Ours-Blanc ?

– Mademoiselle, dit-il, j’ai faim et vousdevez être en appétit.

» Dînons d’abord !

» Après nous causerons.

» Le principal est que vous soyez délivrées,le reste est secondaire.

Il détacha le rôti, le posa dans la gamelle etcoupa.

– Tout à fait à point, fit-il en voyant le jusrose jaillir sous le couteau.

» Un jeune daim.

» Bête de choix !

» Troisième tête !

Il servit les jeunes filles.

Celles-ci mangèrent de bon appétit, malgré levoisinage du corps de l’Ours, sur lequel Bois-Brûlé était assissans façon.

Il offrit d’aller chercher le corps del’Indien pour en faire un siège aux deux jeunes filles quiacceptèrent sans façon.

Nadali, ex-amazone de Béhanzin, avait mangé dela chair fraîche de captifs décapités lors des fêtes des GrandesCoutumes, sous le roi Béhanzin, et elle n’avait pas précisémentl’âme très tendre et pitoyable à l’ennemi.

Mlle de Pelhouër haïssaitcomme elle aimait.

L’ennemi pour elle était l’ennemi.

Elle ne se regardait comme tenue à aucun égardpour un adversaire mort.

La faim apaisée, on causa.

– Voilà ce qui s’est passé ! ditRayon-d’Or.

» Les directeurs avaient été vous enlever àl’île de Bank’s.

» Ils y retournaient.

» Ils savaient le chemin.

» Je n’avais qu’à suivre leur piste.

» Et je puis me vanter d’être un bonpisteur ; je suis renommé comme tel.

» Je me dis donc que je n’avais qu’à suivreles directeurs à un jour de distance.

» Bien embusqué, je les surveillais et ilspartirent.

» Et ils passèrent non loin de moi qui m’étaisblotti sous bois, près de leur sentier ; et je les ai entendusparler.

– Ah ! disait l’un, ce pauvre Ours-Blancest bien malade !

– Il est fou !

– Sa cervelle est détraquée !

– Jamais ça ne se remettra.

– Je n’aurais pas cru ses blessures sigraves ; les coups ont porté.

Ici Rayon-d’Or s’interrompit.

– Je ne sais qui a frappé l’Ours !dit-il.

– Moi, ditMlle de Pelhouër.

Elle conta ce qui s’était passé.

Rayon-d’Or en rit.

– J’étais, reprit-il, convaincu que l’Oursétait très malade.

Un des Indiens s’assura au galop que lesdirecteurs s’éloignaient.

Au galop, il retourna en prévenir son maîtreresté au camp.

Et l’Ours se leva.

Et l’Ours dansa de joie.

Je compris qu’il avait trompé les autres et jedevinai ses projets.

Je l’ai suivi pas à pas et je vous aidélivrées. Voilà l’histoire !

– Mais, demandaMlle de Pelhouër non sans étonnement, pourquoine nous avez-vous pas prévenues ?

– Ne fallait-il pas, dit-il, que l’Ours vousprit ?

– Pourquoi ?

Il se mit à rire.

– Enfin, dit-il, vous avouerez que je ne suispas bête, parce que je suis plus fin que vous, une blanche.

Il en était enchanté.

– De qui donc, demanda-t-il, étiez vousprisonnières ?

– De l’Ours.

– Mais avant ?

– Des Sioux.

– Et les Sioux avaient juré de ne vous rendrequ’aux directeurs.

» Et, quand un Sioux a fait serment, c’estsacré !

» Il tient parole.

» Mais voilà les Sioux déliés du sermentqu’ils ont fait.

» Du moment où l’Ours vous a enlevées, vousn’êtes plus prisonnières des Sioux.

– C’est vrai !

– Si, délivrées de l’Ours, vous retourniezchez les Sioux, c’est en amies et non plus en captives, puisquevous avez recouvré votre liberté en tuant l’Ours.

– Mais nous ne l’avons pas tué.

– Il faut que ce soit vous !…

» Je vais scier les faces de ces trois hommes,ça fera comme trois masques.

» Je vais chercher une ruche sauvage etl’enfumer.

» Outre que nous mangerons du miel, nousenduirons les faces de ces brigands.

» Vous les montrerez et vous demanderez si onles reconnaît.

» On vous répondra oui.

» Alors vous raconterez votre enlèvement.

» Puis, vous direz que, dans la nuit, vousavez pu prendre des fusils et tuer ces scélérats qui avaient butrop de rhum.

» Et vous exigerez du sachem et des guerriersqu’ils reconnaissent que vous êtes libres.

» Ils le feront.

» Mais promettez au sorcier un beau cadeaupour qu’il soit pour nous.

Riant :

– Ils sont crédules, ces pauvres Sioux, et unsorcier leur fait faire ce qu’il veut.

– Nous pourrions emporter les têtesentières ! dit Mlle de Pelhouër.

– Et les scalps ?

» Car je les ai scalpées, ces têtes.

» On vous demanderait ce que sont devenues leschevelures.

– Rayon-d’Or, vous avez toujoursraison !

» Avec quoi scierez-vous ces têtes ?

– Oh, il doit y avoir une égoïne dans lebagage des morts.

» C’est un instrument indispensable dans lescampements et les cavaliers emportent toujours une de cesscies.

Il se mit à chercher une égoïne, la trouva etse livra à son travail anatomique en sifflant.

Nadali dit :

– Ce petit homme est un homme.

Elle se sentait pleine de reconnaissance etd’admiration pour ce jeune Bois-Brûlé qui s’était si lestementdébarrassé de trois hommes.

Quand Rayon-d’Or eut terminé, il dit auxjeunes filles :

– Et maintenant, dormons.

» Je suis fatigué et j’ai sommeil. Bonnenuit !

Il se glissa sous sa tente.

Peu après les jeunes filles en firent autantet s’endormirent.

Nuit tranquille.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer