Une Française captive chez les Peaux Rouges – Chez les Sioux – Voyages, explorations, aventures -16

Chapitre 1UN CAMP DE SIOUX[1]

 

Une centaine de tentes s’élevaient au milieud’une plaine canadienne immense où les forêts alternaient avec lesprairies.

Ces tentes, très vastes, étaient soutenueschacune par quinze ou vingt montants disposés à ce que l’eau depluie s’écoulât.

Ces tentes sont faites de peaux de bisonscousues ensemble avec les tendons de l’animal ; ces peauxforment chacune un tableau délimité par un cadre de broderies.

Les femmes obtiennent celles-ci en teignantdes tendons dans les sucs de certaines plantes et l’effet est trèsagréable à l’œil.

Les artistes ont des fantaisies charmantes etces broderies dessinent des arabesques souvent très originales.

Dans ces cadres, les femmes ont dessinéd’abord et peint ensuite des scènes de guerre et de chasse avec lagrâce naïve, la justesse et la puissance d’expression desprimitifs.

Ce n’est pas correct au point de vue École desBeaux-Arts, mais combien c’est vrai et comme c’est toujoursnature.

Des armes, des outils, des ustensiles sontrangés en ordre sous la tente.

Des vêtements sont pendus.

Les sacs de cuir sont accrochés auxmontants ; ils contiendront tout ce qui doit être transporté àl’abri de la pluie.

On pénètre par une porte basse.

En hiver, un feu ardent brûle au milieu de latente.

Comme celle-ci a vingt-cinq pieds de haut, lafumée monte et elle s’échappe par des ouvertures percées aux quatrevents.

À terre sont étalées d’épaisses fourruresgarnies de leur poil.

Lits confortables.

Aucune maison n’est plus chaude que ces tentesen hiver.

Mais ce n’est pas cette considération qui afait adopter la tente aux Sioux et à la plus grande partie desPeaux-Rouges.

La cause de leur prédilection est la nécessitéde s’abriter pendant leurs migrations périodiques du printemps etde l’automne.

Au printemps, bisons, rennes, bœufs musqués,daims, montent au nord.

Tous ces animaux, le renne surtout,s’accommodent mal des grandes chaleurs.

Dès que le thermomètre marque deux degrésau-dessus de zéro, le renne souffre et, s’il est apprivoisé, neveut plus tirer.

Donc question de température.

Mais aussi question de nourriture.

Tous ces animaux sont très friands des moussestendres, des lichens délicats, des cochléarias, des herbes finesqu’ils trouvent sous la neige en la grattant du pied.

Quand l’été a séché les pâturages, ils sontbeaucoup moins attrayants pour les hardes qui se déploientlentement vers le nord précédant toujours un peu la fonte desneiges.

Il faut bien que les Sioux suivent lemouvement de leurs grands gibiers.

De là leurs migrations.

L’Arabe saharien nomadise pour trouver del’herbe à ses troupeaux.

Le Sioux nomadise pour trouver de la viandequi lui est indispensable.

À l’approche de l’hiver, migration au retourdu gibier et des chasseurs.

Mais c’est l’époque des grands massacres, caril faut faire la provision de réserve pour l’hiver, réserve deviande séchée.

Chaque famille en met de côté plus de millekilos !

Notez que l’on n’y touche qu’en cas de disettede viande fraîche.

Par certains temps, dans certainescirconstances, le gibier s’éloigne du camp.

D’autres fois, une tourmente empêche le Siouxde chasser.

Alors on a recours à la viande sèche.

Les racines, les baies de conserve, lesmousses, les lichens, une foule de légumes sauvages, varientl’ordinaire du Sioux.

Leurs tribus ignorent le scorbut.

Il ne faudrait pas oublier, parmi lesressources du Sioux, la grande et la petite pêche.

Un campement d’été présente une très viveanimation.

Hors des wigwams, les femmes préparent lesmets, sèchent les viandes, fabriquent des vêtements avec des peauxtravaillées.

Ces peaux de bisons ou de daims sont d’unesolidité et d’une souplesse, d’une douceur au toucher et d’unelégèreté extraordinaires.

Aussi valent-elles cher.

Voici le secret de leur préparation.

On les tend d’abord pendant plusieurs jourssur un châssis que l’on expose au soleil et aux froids de lanuit.

La rosée ou la gelée, suivies de l’assèchementdu jour et des rudes morsures de la chaleur solaire, produisentleur effet.

La peau se raidit.

Quand elle est à point, on l’enduit decervelle d’élan, de buffle ou de daim, du côté charnu, on la pétrità la main, au pied, puis on la gratte avec un os taillé en doloire.[2]

Elle s’amollit et devient très nette.

Alors on creuse un trou de trois ou quatrepieds de profondeur en terre.

On l’emplit de poussière de bois aromatiquepourri, poussière séchée.

On tend la peau par dessus le trou, aprèsavoir allumé la poussière.

On couvre le tout d’une tente de peau ad hocqui ferme hermétiquement.

Une fumée âcre, mais odorante, remplit latente et la peau la pompe pendant six ou huit jours et plus.

« Il faut, disent les Indiens, que toutela fumée soit bue. »

Quand on enlève la tête, la préparation estterminée et nulle autre n’égale celle-là.

Aussi ces peaux sont elles payées très cheraux États-Unis.

Les Sioux l’ignorent.

Ils les échangent pour des choses de valeurdérisoire.

Et cependant les culottes en peau de daim dugénéral Grant lui ont coûté cent dollars…

La peau avait été tannée par les Sioux.

Tout le travail de ménage revient aux femmeset il est rude.

Aussi les Anglo-Saxons affectent-ils unegrande indignation contre le Sioux qui fume sa pipe ou aiguise sesarmes « pendant que sa femme peine terriblement. »

Mais est-ce que nos paysannes ne vont pascomme l’indienne au bois et n’en rapportent pas de lourdsfagots.

Est-ce que les corvées du lavoir en hiver nesont pas dures ?

Est-ce que la couture, la cuisine, les soinsaux enfants ne sont pas imposés à nos paysannes comme à l’Indienne,comme à la femme arabe (j’entends la bédouine) ?

Tout ce qui a été dit au sujet de la misèredes Indiennes est du sentimentalisme hypocrite particulier auxAnglais.

Ces bêtes féroces ont l’air de s’attendrir surl’Indienne pour rendre odieux leur gibier, le malheureuxIndien.

Et le travail de celui-ci est passé soussilence, quoique l’on sache très bien qu’il est très dur et trèsdangereux.

C’est la chasse.

La chasse à cheval.

Trente heures de selle n’effraient pas lecavalier Sioux.

Et, sans cesse, il faut chasser par tous lestemps, puisque le fond de la nourriture est la viande et que laconsommation en est énorme.

Au foyer, le chasseur a ses travaux, des armesà fabriquer, à réparer, et une foule d’ouvrages de patience.

Rien de plus absurde que de l’accuser defainéantise.

En pays bédouin, comme en pays indien (je neparle pas des musulmans des villes), les charges sont aussi bienréparties entre maris et femmes que dans nos villages.

Avec cette différence que l’Indien ne batjamais sa femme.

S’il en est mécontent à bon droit, il exposeses griefs devant tout le village, où chacun est apparenté.

On approuve sa résolution et la femme rentredans sa famille.

C’est le divorce prononcé par le peupleassemblé, juge infaillible.

Voilà l’esquisse rapide d’un village deSioux.

Or, un voyageur blanc venait d’entrer dans lecampement d’un chef nommé Taclan-Bi-Tanararon.

Cela veut dire Tonnerre Grondant. Lechef est prévenu.

Selon les règles de la politesse indienne, ilattend le visiteur dans son wigwam.

Celui-ci traverse le village sans qu’onparaisse prendre garde à lui.

C’est un gentleman, ce que nos paysansappellent un monsieur.

Mais ce n’est pas un homme distingué. Tants’en faut.

Son vice, l’ivrognerie, l’a marqué de sestares, et le visage est dégradé.

Cet homme, nos lecteurs habituels leconnaissent, c’est Nilson !

C’est l’ancien directeur de la factorerie desbords du Mackensie que M. d’Ussonville a cassé et chasséhonteusement, comme il en a cassé et chassé plusieurs autres.

Et Nilson s’est vengé.

À la tête de ses confrères et amis, il aenlevé dans l’île de Banks la nièce de M. d’Ussonville etl’ordonnance de celle ci, Nadali, une ex-amazone de Béhanzin.

Et Nilson vient, à ce sujet, négocier avecTonnerre-Grondant.

Il traversa donc le campement sans mot dire,au milieu de l’inattention apparente générale et il arriva devantle wigwam (tente) du sachem.

Une demi-douzaine de chiens hargneux se mirentà hurler.

Derrière eux, petits garçons et fillettes setenaient à l’écart avec des airs effarouchés.

Le visiteur savait qu’à moins d’excitation dela part du maître, les chiens ne le mordraient pas et il ne s’enoccupa point.

Il se dirigea vers le centre où brûlait lefoyer, car la journée était froide et brumeuse ; les habitantsétaient ou assis ou couchés, les pieds au feu.

Personne ne se dérangea sauf une jeune fillequi déroula, en silence, une natte de jonc. Personne ne regarda levisage du blanc ; ç’eût été impoli.

Tous les regards étaient fixés sur sespieds ; puis après une contemplation muette des mocassins duvisiteur, le sachem dit :

– Assieds-toi !

Point d’escabeau.

Grosse, très grosse difficulté pour un blancque de s’accroupir à l’indienne.

Eux, les Peaux-Rouges, accoutumés à cetexercice, le font sans fatigue, sans efforts, avec beaucoup desouplesse et de grâce.

Ils croisent leurs pieds d’abord, portent lesmains et la tête en avant et se laissent aller doucement jusqu’à ceque le séant touche en partie le sol, en partie les talons.

Ils se relèvent aisément, aussi lentement,sans s’aider de la main pour se donner l’élan.

Il y a tant de points de ressemblance entreles Arabes et les Sioux que l’on en est continuellement frappé.

Ainsi les Arabes s’accroupissent exactementcomme les Peaux-Rouges.

Nilson était fait à cette acrobatie et ill’exécuta brillamment.

Alors le sachem alluma un calumet, puis il lefit présenter au visiteur.

Toujours sans mot dire.

C’est à ce moment que l’hôte doit jeter unregard circulaire sur l’ameublement, et, s’il est bien élevé, fairedes petites réflexions élogieuses.

Le sachem avait une jeune fille déjà bonne àmarier et Julie, sa femme, fort belle encore, berçait un enfantdans un berceau d’osier qui était suspendu entre deux montants.

Très élégant, ce petit berceau, et sa carcassed’osier était revêtue d’une peau de porc-épic dont les piquantsétaient teints de couleurs diverses.

L’utilité de cette peau est d’empêcher leschiens de se dresser, près du berceau, sur leurs pattes de derrièreet d’appuyer celles de devant sur le berceau pour lécher l’enfant,ce qui le ferait tomber à terre.

Pour porter son enfant derrière son dos lamère dégrafe la peau de porc-épic qui la piquerait.

Nilson passa la revue des armes et del’ameublement.

Boucliers renforcés.

Il en fut étonné.

– Il me semble, dit-il, que voilà desboucliers d’une grande épaisseur.

– Och ! (oui), dit Tonnerre-Grondant.

– Ils sont plus longs que d’habitude etéchancrés par le bas.

– Pour descendre plus bas que la selle etprotéger les jambes jusqu’aux genoux.

– Le prolongement en dehors est pour la têteprobablement ?

– Oui.

» Il est percé de deux trous pour les yeux,afin de se diriger pendant la charge.

» Nous avons aussi augmenté la bosse qu’ilsfont pour que la balle glisse mieux.

– Pourquoi ces changements ?

– Les fusils des blancs sont devenus tropforts et leurs balles crevaient nos anciens boucliers.

» Aujourd’hui nous sommes sûrs de pouvoirarriver sur l’ennemi.

» Nous avons des jambières à l’épreuve, et, ceque tu vois là, ce sont des cuirasses pour le poitrail ducheval.

– Elles résistent aux ballesnouvelles ?

– Celles-ci glissent, je te l’ai dit.

– Et qui vous a donné idée de ceperfectionnement ?

Le sachem fièrement :

– Idée à moi.

Nilson réfléchit.

Il savait le sachem très intelligent, mais ilne le croyait pas novateur à ce point.

Les boucliers sioux sont faits d’une carcassede bois sur laquelle est étendue une peau de buffle d’abord.

Puis on fait fondre des sabots de bufflemélangés avec diverses substances durcissantes et on étend parcouche, à l’état tiède, cette gélatine à l’état de pâte tiède.

Couche sur couche.

On couvre le tout d’une seconde peau.

La composition devient dure et sonore comme dufer.

L’ancien bouclier était impénétrable àl’ancienne balle.

Nilson put se convaincre que le nouveaurésistait aux projectiles de son Remington.

Il en fut très surpris.

Il vit des selles.

– Mais, dit-il, c’est encore un nouveaumodèle, comme le bouclier.

– Oui, dit le sachem.

» Le bec du devant se relève haut et large,protégeant le ventre.

» Le dos aussi est couvert.

– Sachem, c’est très bien.

» Tu mérites de commander, mais tes carquoissont bien petits.

– Petites aussi mes flèches.

– Pourquoi ?

Le sachem sourit.

– Empoisonnées ! dit-il.

Un trappeur brésilien nous a appris le secretdu poison.

– Les fers de lances sont coiffés ?

– Comme les fers de flèches.

» Ils sont empoisonnés aussi et nous lescoiffons d’un bonnet de bois.

» On le retire pour s’en servir.

– Alors vos harpons sont empoisonnés aussi, àleur voir un capuchon ?

– Oui.

– Mais vous ne vous en servez pas contre legibier, je suppose.

– Si !

» Le poison foudroie, mais la bête reste bonneà manger.

– Vraiment ?

– Oui.

» On se contente d’enlever ce qui devient noirautour de la blessure.

– Tu as de belles gibecières.

– Ma femme sait broder et peindre.

» Vois ma tunique.

Il portait, en effet, une belle tunique enpeau de buffle sur laquelle sa femme avait brodé des cadres d’unjoli dessin.

Dans les cadres, des peintures représentantles combats de son mari.

Les mocassins en peau de daim du sachemétaient ornés de piquants de porc-épic teints ; ils étaientbrodés et, au dessus du genou, pendaient des scalps, dix à gauche,vingt à droite. C’étaient les chevelures d’autant d’ennemis tuéspar le chef.

Le sachem était coiffé d’une peau d’herminetrès précieuse qui, par derrière, formait queue jusqu’à terre.

Au sommet de la coiffure, une touffe de plumesd’aigle.

D’autres, en couronne.

Sur le front, le chef porte une paire decornes ; c’est le signe du commandement.

Or, cette paire de cornes était aussi uninsigne de chefs chez les juifs.

On s’accorde à dire que les Peaux-Rouges ontle type sémite.

Ce seraient des tribus sémites indoues qui,traversant le détroit de Behring, auraient peuplé l’Amérique enrefoulant des tribus autochtones plus sauvages.

Tout plaide en faveur de cette hypothèse, letype et les habitudes.

Je l’ai dit, Bédouins sémites et Peaux-Rougesse ressemblent.

Il est à remarquer surtout que le teint est lemême.

Couleur café au lait.

C’est le même teint que les Abysinniens, queles Ouhamas et que les tribus Cafres de l’Est Africain.

Mais, alors, pourquoi Peaux-Rouges ?

Parce que les Indiens se teignent, comme lesCafres, avec de l’ocre rouge délayé dans de la graisse.

Nilson complimenta le sachem sur la beauté etla variété de ses masques en peau de bison, sur la solidité de sessacs de déménagement et sur le fort travail de ces gibecières.

Puis il admira tout haut les tuniques en peaud’agneau de la mère et de la fille brodées de dessins représentantdes lianes encadrant des bouquets de fleurs peintes.

Ayant rempli ces devoirs de politesse, Nilsonentama la négociation pour laquelle il était venu.

– Sachem, dit-il, tu as beaucoup de chevaux,tous très beaux ?

– Mes jeunes gens, dit Tonnerre-Grondant,savent prendre les chevaux sauvages.

» Ils ne lancent le lazzo que sur les plusbeaux mustangs.

» Nous dédaignons les autres.

Nilson passa en revue les richesses du Sioux,puis il lui dit :

– Il te manque quelque chose.

– Quoi ?

– Des fusils comme celui-ci.

Il montra son Remington.

Le sachem poussa un soupir.

Nilson demanda :

– Combien as-tu de guerriers ?

– Cent quatre-vingt-trois.

– Je te propose un marché.

– J’écoute.

– Je te donnerai deux cents fusils Remingtonen bon état.

» Ils seront approvisionnés à cinq centscartouches chacun.

» Tu auras un gage en main.

» Tu ne livreras le gage que quand je t’aurailivré les fusils.

Le sachem réprimant une très vive émotiondemanda :

– Mais que me faudra-t-il faire ?

– Presque rien.

– Alors je me défie.

– Pourquoi ?

– Tu n’es pas homme à donner beaucoup pourpresque rien.

Nilson se mit à sourire.

– Ta réflexion, dit-il, est d’un espritjudicieux ; mais si le service que je te demande n’est rienpour toi, il est beaucoup pour moi.

– Que veux-tu ?

– Je veux t’amener une jeune fille que j’aienlevée.

Le sachem ne protesta pas.

L’enlèvement d’une fille par un garçon quiveut en faire sa femme ne choque pas beaucoup les Indiens et lesachem crut que c’était le cas.

Il se contenta de demander :

– Et après ?

– Tu donneras à cette fille une tente et desfemmes qui la garderont.

» Elles l’accompagneront partout.

» Si tu la laissais échapper, tu serais àl’amende de vingt peaux de zibeline.

» Si tu la fais bien garder, tu me la rendrascontre les deux cents Remingtons.

– Pourquoi la caches-tu chez moi ?

» Pourquoi ne l’épouses-tu pas tout desuite ?

» Ce serait fixé.

» Les parents ne te la réclameraient plus.

– Mon but n’est pas de l’épouser, maisd’obtenir de sa famille quelque chose qu’elle me refuse, et si tusais brider les langues des tes femmes, de tes jeunes gens,personne ne saura qu’elle est ici.

Le sachem réfléchit longuement.

En tous sens, il tourna, retourna la question,puis il dit gravement :

– Je vais assembler le conseil.

Il appela le crieur public.

Celui-ci reçut un ordre, sortit, siffla dansun tibia de daim, puis il appela les guerriers à tenir leconseil.

Les guerriers sont ceux qui ont tué plusieursennemis ou beaucoup de jaguars.

Des braves se mettent volontairement sousleurs ordres.

Chacun suit ses sympathies.

De droit, les guerriers s’assoient au conseil,ainsi que le médecin ou sorcier.

Le mot médecine a une très large significationchez les Indiens.

La médecine comprend la religion, lessortilèges, et les remèdes magiques.

Car pour les remèdes réels qu’ils emploient,tous les Indiens les connaissent.

Le quinquina est une de leurs découvertes etnon des moins précieuses.

La coca qui rend maintenant de si grandsservices dans la thérapeutique était connue d’eux depuislongtemps.

J’en passe et des meilleurs.

Mais cependant je dois dire que l’on vient dedécouvrir, dans la tête même des vipères, le remède à la piqûre dela vipère.

Or, le sauvage, après avoir au-dessus de lapiqûre ligaturé le membre atteint, après avoir sucé la plaie, lesauvage écrasait la tête du serpent et l’appliquait avec unecompresse sur la blessure.

On se moquait de lui.

On n’en rit plus aujourd’hui.

Mais je le répète, ce qu’il demande ausorcier, c’est une médecine morale.

Le sorcier revêt une peau d’ours, prend uncaducée enveloppé d’une peau de serpent et piqué dans des corps derats, de crapauds, de corbeaux et autres animaux, notamment dehiboux.

À sa fourrure d’ours, au masques, aux coudes,aux genoux, pendent des sonnettes, des grelots et d’autres objetsfaisant du bruit, des castagnettes, par exemple, et petits caillouxenfermés dans des étuis.

Et il s’en va faire autour du malade desdanses, des exorcismes, des conjurations, des passes, des massageset autres pratiques.

N’est pas sorcier qui veut.

Il faut subir des épreuves extraordinaires,cruelles et bizarres.

Une des fonctions du sorcier est de produirela pluie ou de la faire cesser.

Il connaît, à certains signes, l’approche dumauvais ou du beau temps.

Il refuse toute conjuration jusqu’à ce que cessignes paraissent.

Alors il se livre à ses simagrées et le tempsdemandé se produit.

On acclame le sorcier.

Pourquoi un peuple qui n’est pas agriculteurdemande-t-il pluie ou beau temps.

Question de fourrage.

Le sorcier est l’homme le plus heureux duvillage ; il a toujours la panse pleine.

À lui les meilleurs morceaux, sans qu’il aitbesoin d’aller à la chasse.

Son pouvoir contrebalance celui dusachem ; il est très influent.

Au conseil, on l’écoute avec révérence.

Le sorcier ne manqua pas de se rendre àl’assemblée avec les guerriers.

Parlement en plein air.

On s’assit en cercle.

Derrière chaque guerrier, ses braves.

Derrière eux, les femmes et les enfants.

Derrière encore, les chiens.

C’est une scène pittoresque.

On alluma le calumet et le chef blanc, commetous les guerriers, en fumèrent une aspiration.

Après quoi, la parole fut donnée à Nilson, quidéveloppa sa proposition.

Quand il eut terminé, le sorcier dit enlangage amphigourique :

– Qui se cache derrière une pierre a demauvais desseins.

» Les blancs ont souvent la langue fourchuecomme celle des serpents.

» Quand on invite un homme à s’approcher d’unfeu qui l’éclairera, s’il s’y refuse, c’est qu’il a unearrière-pensée.

» Celui qui souffle une torche portée par unautre, veut les ténèbres.

» Qui veut les ténèbres est un très mauvaishomme.

– Och ! dirent les guerriers.

Alors brusquement le sorcier demanda à Nilsonabasourdi par ce flot de phrases tombant en averse :

– Que veux-tu de la famille de la jeune filleque tu prétends nous faire garder ?

– Ça, dit Nilson, c’est mon affaire.

– Une affaire que tu ne veux paséclaircir.

Aux guerriers :

– Voyez !

» Il ne veut pas que nous sachions.

Et il se tut.

Il se fit un grand silence.

Chacun réfléchissait.

Nilson dit enfin :

– Deux cents Remingtons sont bons à prendre etils vous rendraient très forts.

» Je vous confierai une jeune fille, vous mela rendrez, peu vous importe le reste.

Le sachem demanda à un guerrier :

– Qu’en pense le Nez-Forcé ?

– Je pense que du moment où nous aurons lajeune fille, que nous ne la rendrons que contre les fusils,l’affaire est bonne.

Le sachem questionna tous les guerriers ettous furent d’avis d’accepter.

Mais il fallait savoir si le sorcierapprouverait cette décision.

Consulté, il répondit toujours en paraboliqueet amphigourique langage.

– Il vaut mieux tenir un poisson par la têteque par la queue.

» Toutefois, si vous ne pouvez prendre que laqueue, pincez-la avec l’ongle du pouce.

» Peut-être retiendrez-vous le poisson.

» Puisque le blanc ne veut pas dire ce qu’ilattend de la famille de la jeune prisonnière, faisons comme on faitquand on ne peut mieux faire et acceptons les deux centsfusils.

– À la bonne heure, dit Nilson, voilà qui estparlé, ô grand médecin.

Et il entra dans tous les détails de laconvention qui fut proclamée faite et bien faite par le crieurpublic.

La foule ratifia, en criant à pleins poumonset longtemps :

– Och ! Och ! Och !…

– Demain, dit Nilson, quand l’enthousiasme sefut calmé, demain je vous amènerai la jeune fille.

– Et nous la garderons ! dit lesachem.

Il reconduisit son hôte dans son wigwam et illui fit servir un bon repas de venaison que les femmes avaientpréparé.

Il l’entoura de soins et d’égards et lereconduisit jusqu’au moment où le visiteur monta sur son chevalqu’il avait laissé à l’entrée du village.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer