Une Française captive chez les Peaux Rouges – Chez les Sioux – Voyages, explorations, aventures -16

Chapitre 10LES JAGUARS

 

Bientôt l’on entendit des miaulementseffrayants et Serpent-d’Eau prononça ces mots :

– Les jaguars en bande !

Il prit une autre direction.Mlle de Pelhouër demanda :

– Nous évitons donc ces jaguars ?

Et le vieux Sioux de répondre :

– Il y en a trop.

– Nous sommes huit.

– Il faut des hommes pour tenir leschevaux.

– Attachons-les aux arbres que l’on voit prèsde nous, à gauche.

Un seul de tes braves les gardera et nousaurons encore sept fusils.

– Et nous aurons affaire à dix, quinze, vingtjaguars peut-être.

» C’est la saison où ils s’assemblent, où ilsse battent.

» Écoute-les rugir.

– Approchons-nous au moins.

» Voyons-les.

» Comptons-les.

On gagna le contre vent, on attacha leschevaux et l’on marcha doucement.

Bientôt les jaguars furent en vue.

Une scène superbe se déroulait au fond d’unedépression de terrain.

Des mâles, au nombre de dix-sept ou dix-huit,il était difficile de les compter, se battaient avec une fureurinouïe.

Cinq femelles, spectatrices impassibles,regardaient cette lutte enragée.

Le lecteur a dû voir des chats auxprises ; qu’il grandisse ces chats à la taille d’un jaguar etqu’il les fasse combattre en imagination, il se fera une idée de cequi se passait.

C’était effrayant.

Plusieurs de ces animaux, hors de combat,léchaient leurs blessures.

Mlle de Pelhouerdit :

– C’est sur ceux-ci qu’il faudra tirerd’abord ; ne se battant plus, ils verraient d’où partent noscoups de fusils.

» Quand ils seront morts, ils ne verront plusrien.

Elle se mit à rire.

– Les autres, reprit-elle, continueront à sebattre, au moins pendant quelques instants.

– Tu veux tirer ! s’écria Serpent-d’Eaustupéfait de tant d’audace.

– Je veux les tuer tous !

Les yeux deMlle de Pelhouër étincelaient et sa figureavait pris un air étrange.

Haussée sur la pointe du pied, elle semblaitfaire effort pour rester à terre.

On eut dit qu’elle allait s’envoler et planerau-dessus du combat.

– Moi, dit-elle, avec un accent d’autoritéirrésistible, et mon amazone, nous tirerons.

» Vos fusils, je m’en suis rendu compte,portent encore très juste à trois cents mètres et il n’y a que deuxcent cinquante mètres d’ici aux jaguars.

» L’un nous passera les armes et les autresrechargeront.

» Un homme qui a du sang-froid peut chargertrois fusils en une minute.

» Vous êtes cinq.

» Vous pouvez donc nous fournir quinze fusilsrechargés à la minute.

» De plus, nous avons les sept qui sont toutprêts à faire feu.

» Allons rangez-vous.

» Ne vous occupez pas de ce qui se passera etne songez qu’à recharger.

» Toi, Serpent-d’Eau, tu nous passeras lesfusils et tu repasseras les vides à tes hommes, sans te hâter.

» Surtout que l’on ne se presse pas ;nous aurons le temps.

Elle parlait avec tant d’énergie calme quepersonne ne fit d’observation.

– Plantez vos lances devant vous !dit-elle.

» À tout hasard, bandez vos arcs.

Puis, mettant genou terre à côté de sonamazone qui en fit autant, elle dit au Serpent-d’Eau :

– Entre nous deux !

Alors les jeunes femmes tirèrent.

Coups superbes !

Deux jaguars foudroyés !

Il y eut un murmure.

Mlle de Pelhouër leréprima :

– Silence et chargez !

À son amazone :

– Prends le dernier blessé !

Celui-ci sauta en l’air en recevant une balledans l’épine dorsale.

Mais il ne faisait que bondir verticalementsans avancer.

Ça lui était impossible.

– Danse ! disait Nadali.

» Danse, puisque ça t’amuse ; mais tun’en as pas pour longtemps.

Ne pouvant le viser à l’œil, elle lui avaitcassé la colonne vertébrale.

Mlle de Pelhouër avaittroué le cœur d’une femelle qui eut une agonie violente.

Quelques secondes plus tard, deux autresfemelles étaient l’une foudroyée, l’autre évidemment blessée àmort.

Les deux autres, enfin, furent tuées aprèstrois coups tirés.

Tout ce massacre ne dura pas plus de trentesecondes.

– Voilà, ditMlle de Pelhouër, des témoins gênantssupprimés.

» Et vous voyez !

» Ils se battent toujours !

» Rechargez toutes les armes !

Et souriant au Serpent-d’Eau :

– Tu vois bien que j’avais raison en te disantque nous avions le temps !

Le vieillard ne répondit rien.

Les deux jeunes filles, cependant, épaulèrentde nouveau et tirèrent six coups de fusils sans que l’on pût jugerdu résultat.

Les combattants formaient masse.

Tout à coup la lutte cessa.

Comme deux balles blessèrent deux d’entre eux,ils s’aperçurent qu’on les canardait et ils virent d’où partaientles coups.

Ils chargèrent avec furie.

Dès lors, ils se présentaient de face et lesjeunes filles visèrent les têtes.

Il y en avait qui ne pouvaient suivre lesautres qu’à distance.

Ceux-là étaient blessés.

Mais il y en avait huit encore indemnes àcinquante pas des jeunes filles.

Mais elles eurent le superbe calme de ne pasactiver le feu.

Les trois derniers furent foudroyés presque àbout portant, à tel point même que pour éviter le suprême coup degriffe de l’un d’eux, les jeunes filles se jetèrent qui à droite,qui à gauche.

Mais, d’un coup de lance, Serpent-d’Eau finitl’agonie de l’animal.

Alors Mlle de Pelhouërregarda le champ de bataille, puis elle dit àSerpent-d’Eau :

– Ce n’est pas si beau, si imposant qu’unlion, un jaguar !

– Je n’ai jamais vu de lion ! dit leSioux.

» Mais je crois que, de ma vie, je n’aiaffronté un aussi grand péril.

» Il faut croire que le Grand-Esprit teprotège et qu’il a charmé tes balles.

Les braves cependant causaient gravement entreeux ; ils décidaient de quelque chose.

Enfin, l’un d’eux parla au Serpent-d’Eau etcelui-ci dit à Mlle de Pelhouër :

– Désormais, nous, témoins de ton adresse,nous t’appellerons Balle-Enchantée ; mes braves leveulent ainsi.

» Ce nom, peu d’hommes ont eu l’honneur de leporter.

– C’est un baptême de sang ! dit la jeunefille en souriant.

Mais elle était très contente, car elle lasavait les Indiens ne prodiguaient pas ce glorieux surnom, illustrépar quelques trappeur et quelques Indiens héroïques, d’une adresseextraordinaire.

S’adressant à l’amazone, le Serpent-d’Eau luidit au nom des braves :

– Toi, tu seras désormaisBalle-Infaillible.

Mais il envoya prévenir la tribu qui accourutau plus vite.

Les guerriers à cheval, d’abord !

On juge de l’ovation qu’ils firent aux jeunesfilles.

Assez longtemps après, les femmes et lesenfants, avec les chiens.

On dépouilla les jaguars.

Peaux et viande furent emportées ; car lachair blanche du jaguar ressemble à celle du chat et l’on saitcombien celle-ci ressemble à celle du lapin.

Elle était destinée à être fumée.

La rentrée au camp se fit en chantant leslouanges des jeunes filles.

Tous les peuples primitifs sontimprovisateurs, les cannibales du Congo, nos Soudanais, nosSénégalais, chantent comme les Indiens, les louanges d’untriomphateur.

Et, chose bizarre, partout c’est sur le mêmeair de marche.

Et cet air est celui de la nigous gousgous, le plus vieux des airs bretons.

Un guerrier ou un brave, ou une jeune fille,improvisait un couplet.

Tous le reprenaient en chœur.

Puis le refrain éclatait :

Elles ont vaincu les jaguars.

Nous emportons les fourrures.

Elles orneront nos wigwams

En souvenir des deux sqaws

Qui ont vaincu tant de jaguars.

Balle Enchantée, Balle Infaillible

Dans cent hivers, nos enfants

Chanteront encore vos noms.

Ce triomphe barbare avait sa splendeur et untrès grand caractère.

En tête, le vieux Serpent et ses cinq braves,leurs chevaux chargés des fourrures auxquelles on avait conservéles têtes et les pattes.

Têtes menaçantes.

Têtes auxquelles les dernières fureurs del’agonie donnaient une expression terrible.

Pattes puissantes, armées de longues griffesacérées.

Et derrière ces porteurs de dépouilles, lesdeux jeunes filles souriantes et charmantes personnifiaient deuxraces.

Puis venaient les Sioux à cheval, dans leursgrands manteaux d’apparat brodés et peints, les flammes des lancesflottant au vent, les chevaux scandant le chant de leur pas biencadencé.

De temps à autre, l’un d’eux renâclaitfortement, en sentant l’odeur des jaguars, et une lutte s’engageaitentre le cheval et l’homme, centaure superbe toujoursvainqueur.

Plus loin, les femmes s’avançaient chargées dequartiers de venaison.

Chairs sanglantes !

Profits de la victoire.

Ça et là, au milieu des mères, les enfantsmarquant la mesure du chant en frappant des pierres l’une contrel’autre.

Puis les chiens, la queue et la tête basse,craintifs aux senteurs des grands fauves.

Le chant barbare retentissait rauque, sonore,entraînant.

Au refrain où les voix donnaient toute leurampleur, la meute hurlait lamentablement et l’effet étaitsaisissant.

Scène sauvage en sa simplicité guerrière.

Dès que l’on fut arrivé au camp, les feuxs’allumèrent.

Aussitôt les guerriers piquèrent les cœurs desjaguars avec des lances non empoisonnées et ils dansèrent la dansedu cœur.

Le cœur de l’ennemi, ours ou jaguar.

Mais voilà qu’au lieu d’un seul, il y en avaitvingt-trois !

Et quand la tribu fut fatiguée de hurler et dedanser, on termina la cérémonie en grillant et en mangeant lescœurs… pour s’en donner.

Ainsi se termina cette chasse au jaguar dontle souvenir se perpétuera chez les Sioux, tant qu’il restera unSioux.

Mais les Anglo-Saxons y mettront bon ordre etles Sioux disparaîtront.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer