Une Française captive chez les Peaux Rouges – Chez les Sioux – Voyages, explorations, aventures -16

Chapitre 3LES CAPTIVES

 

Ce soir-là, Nilson rejoignit-le camp de labande des directeurs révoqués et de leurs serviteurs indiens.

Tout ce monde ivrogne.

Les blancs, gens tarés, déclassés, quis’étaient exilés dans les forts, parce qu’ils étaient dévoyés etrebutés à cause de leurs vices.

On doit bien penser que la vie n’est pas gaiedans les forts-factoreries, comptoirs des compagnies depelleteries.

Des hivers de huit mois !

Pour compagnie, des agents grossiers, destrappeurs ignorants, des bûcherons sans culture d’esprit et desIndiens.

Une ressource ! L’ivrognerie.

Ces messieurs s’y adonnent ferme.

Il yen a qui se finissent en quatre ou cinqans.

Ces ivrognes meurent de consomption,quelquefois de combustion spontanée.

Ils allument leur pipe, l’haleine prend feu etla chair, imbibée d’alcool, se consume intérieurement trèsvite.

– Belle mort d’ivrogne !

Flamber comme un punch !

Et c’était au milieu de si tristes sires quese trouvaient Mlle de Pelhouër et sonordonnance, une jeune fille, ex-amazone de Béhanzin.

Très étrangement jolie, la prisonnière de cesbandits de l’Alaska.

(J’entends le Haut-Alaska, près del’embouchure du Mackensie).

Oui, je le répète, jolie et étrange.

Un profil hardi, un peu bizarre d’oiseaude-mer, de mouette.

Et des yeux superbes, faits pour voir dansl’immensité de la mer et du ciel.

Des yeux merveilleux.

La Dahoméenne était un de ces types denégresse que nos matelots et nos soldats trouvent sinon beaux, dumoins séduisants.

Figure somme toute agréable, malgrél’épatement du nez et les grosses lèvres.

Beau et franc regard. Dents éblouissantes.

Et des formes à faire envie à la Vénus deMilo.

Nadalie avait, de plus, un air de bravouredécidée.

Or, jusque-là, les bandits avaient témoigné debeaucoup d’égards pour leurs prisonnières ; MM. lesdirecteurs révoqués s’étaient souvenus qu’ils étaientgentlemen.

Mais, il faut dire que Nilson, le Chat-Renardcomme l’appelaient les Indiens, leur avait fait comprendre que,s’ils se montraient polis et réservés avec la jeune fille, sononcle serait d’autant plus coulant sur la rançon.

Un des directeurs, Chirpick, ex-étudiant del’Université de Montréal, intelligent, mais jeté hors de sa voiepar la noce à outrance, partageait la manière de voir deNilson.

Malheureusement celui-ci s’était absenté pournégocier avec les Sioux.

Or, il y avait parmi les directeurs une vraiebrute, espèce d’ours, homme colossal, vieillard très robuste,quoique tout blanc.

On l’appelait, du reste, l’Ours-Blanc, tant laressemblance avec cet animal était frappante au moral et auphysique.

Et, ce soir là, par malheur, l’Ours s’étaitenivré fortement.

Il avait alors des fantaisies et il étaitd’une gaieté… d’ours.

Il plaisantait lourdement, cyniquement ;il se mettait à danser la gigue, pendant que ses Indiens sifflaientun air qu’il leur avait appris.

Ce n’était pas qu’il fut très méchanthomme ; il l’était moins que Nilson.

Mais quelle brute !

Et voilà que comme il dansait la gigue auxgrands rires de ses camarades, il aperçutMlle de Pelhouër et il lui vint unefantaisie.

Il s’approcha d’elle et comme il eut fait pourquelque paysanne, un jour de fête de village au bal campagnard, illui dit :

– Allons, la fille, viens que je te fassedanser la danse des ours.

Mlle de Pelhouërpâlit.

Nadali s’irrita.

Elles s’entreregardèrent et prirent sur lechamp leur résolution.

Mlle de Pelhouër ramassaune pierre et se jetant sur l’Ours le frappa au front pendant que,par derrière, Nadali l’étranglait de ses mains musculeuses.

L’Ours tomba assommé.

Mlle de Pelhouërs’acharnait.

Chirpick et ses amis intervinrent.

– Assez ! mademoiselle, dit-il.

» Assez, je vous prie.

» Vous allez le tuer.

Mlle de Pelhouër sereleva, car elle tenait le colosse sous son genou.

– Oh ! fit-elle, lui mort, il ne seraitqu’un imbécile de moins.

Et, avec une énergie sauvage :

– Sachez, dit-elle, que je ne crains pas lamort.

» Je la subirais plutôt que de subir l’outrageet, moi morte, adieu la rançon !

Chirpick s’inclina et dit :

– Mademoiselle, quand l’Ours sera en état denous comprendre, nous le chapitrerons et Nilson, qui a de l’empiresur lui et qui va revenir, le forcera bien à ne jamaisrecommencer.

– Alors très bien ainsi.

» Dans ces conditions je consentirai à écrireà mon oncle la lettre que l’on m’a demandée.

Et elle congédia les directeurs d’un gesteprincier.

Ceux-ci saluèrent poliment et ilss’éloignèrent, laissant les Indiens de l’Ours-Blanc relever etemporter leur maître.

Quand l’Ours revint à lui, il trouva autour delui ses camarades.

Tout près, Nilson.

Celui-ci fit donner à l’Ours un grog bienchaud, puis il en attendit l’effet.

L’Ours bientôt se mit sur son séant, regardaautour de lui et fit effort de mémoire.

Il porta les mains à sa tête et il sentit leslinges qui l’entouraient.

– Ah ! ah ! fit-il.

» Cette petite Française a profité de ce quej’étais ivre pour m’assommer.

– Et vous, dit Nilson, vous avez profité devotre ivresse pour être inconvenant avec elle.

– Oh !

» Inconvenant !

» Une petite invitation à danser !

– Par une brute ivre !

» En termes grossiers !

Chirpick d’un air méprisant :

– Mais quelle civilité attendre d’unours ?

Nilson :

– N’a-t-il pas commencé son invitation par cesmots grossiers : « Eh, la fille ! »

– Ce sont les termes dont il s’est servi.

– Schoking !

» Schoking !

» L’Ours, vous n’avez que ce que vousméritez !

» Et savez-vous ce qui arriverait si vousrecommenciez, mon pauvre ami ?

» Non, vous ne le savez pas.

» Je réunirais le conseil et je luireprésenterais :

» 1° Que vous mettez ma combinaison en périlpar votre conduite inqualifiable.

» 2° Que cette rançon énorme, si facile àobtenir d’un oncle reconnaissant du respect, des égards accordés àsa nièce, je ne l’obtiendrais plus que très difficilement avecforce chicane.

» 3° Que vous ne mériteriez pas de la partageravec nos associés.

» 4° Que, vous refusant votre part, vousdeviendriez un homme dangereux pour nous.

Regardant ses amis :

– Que tait-on d’un associédangereux ?

Chirpick énergiquement :

– On le supprime !

Et les autres :

– Fusillé.

» Sans rémission.

Nilson :

– Vous entendez, l’Ours.

» Sur ce, nous vous laissons à vos réflexionset nous espérons qu’elles seront salutaires.

Et ils s’éloignèrent tous d’un air digne.

Ils croyaient avoir mâté l’Ours.

Mais l’animal était indomptable.

Quand il fut seul, il se leva.

Il se rabroua, s’étira, battit de ses poingssa poitrine qui rendit des sons sourds, poussa des grognements,puis il eut un sourire semblable à un rictus de bête féroce.

– Ah ! dit-il. C’est ainsi !

» Eh bien seul, oui seul, j’aurai la fille etla rançon.

Il était homme à tenir parole.

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