Les Mille et une nuits

CXIV NUIT.

Le marchand chrétien parlant toujours ausultan de Casgar : « Le jeune homme de Bagdad, dit-il,poursuivit son histoire dans ces termes : « Je continuaide voir la dame tous les jours et de lui laisser chaque jour unebourse de cinquante pièces d’or, et cela dura jusqu’à ce que lesmarchands à qui j’avais donné mes marchandises à vendre, et que jevoyais régulièrement deux fois la semaine, ne me durent plusrien : enfin je me trouvai sans argent et sans espérance d’enavoir.

« Dans cet état affreux, et prêt àm’abandonner à mon désespoir, je sortis du khan sans savoir ce queje faisais, et m’en allai du côté du château où il y avait un grandnombre de peuple assemblé pour voir un spectacle que donnait lesultan d’Égypte. Lorsque je fus arrivé dans le lieu où était toutce monde, je me mêlai parmi la foule et me trouvai par hasard prèsd’un cavalier bien monté et fort proprement habillé, qui avait àl’arçon de sa selle un sac à demi ouvert d’où sortait un cordon desoie verte. En mettant la main sur le sac, je jugeai que le cordondevait être celui d’une bourse qui était dedans. Pendant que jefaisais ce jugement, il passa de l’autre côté du cavalier unporteur chargé de bois, et il passa si près que le cavalier futobligé de se tourner vers lui pour empêcher que le bois ne letouchât et ne déchirât son habit. En ce moment le démon metenta : je pris le cordon d’une main, et m’aidant de l’autre àélargir le sac, je tirai la bourse sans que personne s’en aperçut.Elle était pesante, et je ne doutai point qu’il n’y eût dedans del’or ou de l’argent.

« Quand le porteur fut passé, lecavalier, qui avait apparemment quelque soupçon de ce que j’avaisfait pendant qu’il avait la tête tournée, mit aussitôt la main dansson sac, et, n’y trouvant pas sa bourse, me donna un si grand coupde sa hache d’armes qu’il me renversa par terre. Tous ceux quifurent témoins de cette violence en furent touchés, et quelques-unsmirent la main sur la bride du cheval pour arrêter le cavalier etlui demander pour quel sujet il m’avait frappé ; s’il luiétait permis de maltraiter ainsi un musulman. « De quoi vousmêlez-vous, leur répondit-il d’un ton brusque ; je ne l’ai pasfait sans raison : c’est un voleur. » À ces paroles, jeme relevai, et, à mon air, chacun prenant mon parti, s’écria qu’ilétait un menteur, qu’il n’était pas croyable qu’un jeune homme telque moi eût commis la méchante action qu’il m’imputait ; enfinils soutenaient que j’étais innocent ; et tandis qu’ilsretenaient son cheval pour favoriser mon évasion, par malheur pourmoi, le lieutenant de police suivi de ses gens passa par là ;voyant tant de monde assemblé autour du cavalier et de moi, ils’approcha et demanda ce qui était arrivé. Il n’y eut personne quin’accusât le cavalier de m’avoir maltraité injustement, sousprétexte de l’avoir volé.

« Le lieutenant de police ne s’arrêta pasà tout ce qu’on lui disait. Il demanda au cavalier s’il nesoupçonnait pas quelque autre que moi de l’avoir volé. Le cavalierrépondit que non, et lui dit les raisons qu’il avait de croirequ’il ne se trompait pas dans ses soupçons. Le lieutenant depolice, après l’avoir écouté, ordonna à ses gens de m’arrêter et deme fouiller, ce qu’ils se mirent en devoir d’exécuteraussitôt ; et l’un d’entre eux m’ayant ôté la bourse, lamontra publiquement. Je ne pus soutenir cette honte, j’en tombaiévanoui. Le lieutenant de police se fit apporter labourse. »

Mais sire, voilà le jour, dit Scheherazade ense reprenant ; si votre majesté veut bien encore me laisservivre jusqu’à demain, elle entendra la suite de cette histoire.Schahriar, qui n’avait pas un autre dessein, se leva sans luirépondre, et alla remplir ses devoirs.

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