Les Mille et une nuits

LXXIX NUIT.

Sire, dit-elle, le vizir Giafar continuant deparler au calife : « Bedreddin Hassan, poursuivit-il, setrouvant près des joueurs d’instruments, des danseurs et desdanseuses, qui marchaient immédiatement devant le bossu, tirait detemps en temps de sa bourse des poignées de sequins qu’il leurdistribuait. Comme il faisait ses largesses avec une grâce sanspareille et un air très-obligeant, tous ceux qui les recevaientjetaient les yeux sur lui, et dès qu’ils l’avaient envisagé, ils letrouvaient si bien fait et si beau qu’ils ne pouvaient plus endétourner leurs regards.

« On arriva enfin à la porte du vizirSchemseddin Mohammed, oncle de Bedreddin Hassan, qui était bienéloigné de s’imaginer que son neveu fût si près de lui. Deshuissiers, pour empêcher la confusion, arrêtèrent tous les esclavesqui portaient des flambeaux, et ne voulurent pas les laisserentrer. Ils repoussèrent même Bedreddin Hassan ; mais lesjoueurs d’instruments, pour qui la porte était ouverte,s’arrêtèrent en protestant qu’ils n’entreraient pas si on ne lelaissait entrer avec eux. « Il n’est pas du nombre desesclaves, disaient-ils ; il n’y a qu’à le regarder pour enêtre persuadé. C’est sans doute un jeune étranger qui veut voir,par curiosité, les cérémonies que l’on observe aux noces en cetteville. » En disant cela, ils le mirent au milieu d’eux, et lefirent entrer malgré les huissiers. Ils lui ôtèrent son flambeau,qu’ils donnèrent au premier qui se présenta, et après l’avoirintroduit dans la salle, ils le placèrent à la droite du bossu, quis’assit sur un trône magnifiquement orné, près de la fille duvizir.

« On la voyait parée de tous sesatours ; mais il paraissait sur son visage une langueur, ouplutôt une tristesse mortelle dont il n’était pas difficile dedeviner la cause, en voyant à côté d’elle un mari si difforme et sipeu digne de son amour. Le trône de ces époux si mal assortis étaitau milieu d’un sofa. Les femmes des émirs, des vizirs, desofficiers de la chambre du sultan, et plusieurs autres dames de lacour et de la ville étaient assises de chaque côté, un peu plusbas, chacune selon son rang, et toutes habillées d’une manière siavantageuse et si riche que c’était un spectacle très-agréable àvoir. Elles tenaient de grandes bougies allumées.

« Lorsqu’elles virent entrer BedreddinHassan, elles jetèrent les yeux sur lui, et admirant sa taille, sonair et la beauté de son visage, elles ne pouvaient se lasser de leregarder. Quand il fut assis, il n’y en eut pas une qui ne quittâtsa place pour s’approcher de lui et le considérer de plusprès ; et il n’y en eut guère qui, en se retirant pour allerreprendre leurs places, ne se sentissent agitées d’un tendremouvement.

« La différence qu’il y avait entreBedreddin Hassan et le palefrenier bossu dont la figure faisaithorreur, excita des murmures dans l’assemblée. « C’est à cebeau jeune homme, s’écrièrent les dames, qu’il faut donner notreépousée, et non pas à ce vilain bossu. » Elles n’endemeurèrent pas là : elles osèrent faire des imprécationscontre le sultan, qui, abusant de son pouvoir absolu, unissait lalaideur avec la beauté. Elles chargèrent aussi d’injures le bossuet lui firent perdre contenance, au grand plaisir des spectateurs,dont les huées interrompirent pour quelque temps la symphonie quise faisait entendre dans la salle. À la fin, les joueursd’instruments recommencèrent leurs concerts, et les femmes quiavaient habillé la mariée s’approchèrent d’elle. »

En prononçant ces dernières paroles,Scheherazade remarqua qu’il était jour. Elle garda aussitôt lesilence, et, la nuit suivante, elle reprit ainsi sondiscours :

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