Contes et Nouvelles en vers – Livre II

Le Tableau

 

 

On m’engage à conter d’unemanière honnête

Le sujet d’un de ces tableaux

Sur lesquels ont met des rideaux.

Il me faut tirer de ma tête

Nombre de traits nouveaux, piquants etdélicats

Qui disent et ne disent pas,

Et qui soient entendus sans notes

Des Agnès même les plus sottes ;

Ce n’est pas coucher gros ; ces extrêmesAgnès

Sont oiseaux qu’on ne vit jamais.

 

Toute matrone sage, à ce quedit Catulle

Regarde volontiers le gigantesque don

Fait au fruit de Venus par la main deJunon

À ce plaisant objet si quelqu’une recule

Cette quelqu’une dissimule.

Ce principe posé, pourquoi plus descrupule

Pourquoi moins de licence aux oreilles qu’auxyeux >

Puisqu’on le veut ainsi, je ferai de monmieux :

Nuls traits à découvert n’auront ici deplace

Tout y sera voile ; mais de gaze ;et si bien

Que je crois qu’on n’en perdra rien.

Qui pense finement, et s’exprime avecgrâce,

Fait tout passer ; car toutpasse :

Je l’ai cent fois éprouvé :

Quand le mot est bien trouvé,

Le sexe en sa faveur à la chosepardonne :

Ce n’est plus elle alors, c’est elle encorpourtant :

Vous ne faites rougir personne,

Et tout le monde vous entend.

J’ai besoin aujourd’hui de cet artimportant.

« Pourquoi, me dira-t-on, puisque sur cesmerveilles,

Le sexe porte œil sans toutes cesfaçons ? »

Je réponds à cela : « Chastes sontses oreilles

Encor que les yeux soient fripons. »

 

Je veux, quoi qu’il en soit,expliquer à des belles

Cette chaise rompue, et ce rustretombé :

Muses venez m’aider ; mais vous êtespucelles,

Au joli jeu d’amour ne sachant A ni B.

Muses ne bougez donc ; seulement parbonté

Dites au dieu des vers que dans monentreprise

Il est bon qu’il me favorise,

Et de mes mots fasse le choix,

Ou je dirai quelque sottise

Qui me fera donner du busque sur lesdoigts.

C’est assez raisonner ; venons à lapeinture.

Elle contient une aventure

Arrivée au pays d’Amours.

 

Jadis la ville de Cythère

Avait en l’un de ses faubourgs

Un monastère.

Vénus en fit un séminaire.

Il était de nonnains, et je puis direainsi

Qu’il était de galants aussi.

En ce lieu hantaient d’ordinaire

Gens de cour, gens de ville, etsacrificateurs,

Et docteurs,

Et bacheliers surtout. Un de ce dernierordre

Passait dans la maison pour être des amis,

Propre, toujours rasé, bien disant, et beaufils

Son chapeau luisant, sur son rabat bienmis

La médisance n’eût su mordre.

Ce qu’il avait de plus charmant,

C’est que deux des nonnainsalternativement

En tiraient maint et maint service.

L’une n’avait quitté les atours de novice

Que depuis quelque mois ; l’autre encorles portait :

La moins jeune à peine comptait

Un an entier par-dessus seize ;

Âge propre à soutenir thèse ;

Thèse d’amour ; le bachelier

Leur avait rendu familier

Chaque point de cette science

Et le tout par expérience.

 

Une assignation pleined’impatience

Fut un jour par les sœurs donnée à cetamant ;

Et pour rendre complet le divertissement,

Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie

Met Vénus en train bien souvent,

Devaient être ce coup de la cérémonie.

Propreté toucha seule aux apprêts durégal.

Elle sut s’en tirer avec beaucoup degrâce.

Tout passa par ses mains, et le vin, et laglace,

Et les carafes de cristal.

On s’y serait miré. Flore à l’haleined’ambre

Sema de fleurs toute la chambre.

Elle en fit un jardin. Sur le linge cesfleurs

Formaient des lacs d’amour, et le chiffre dessœurs.

Leurs cloîtrières Excellences

Aimaient fort ces magnificences :

C’est un plaisir de nonne. Au reste leurbeauté

Aiguisait l’appétit aussi de son côté.

Mille secrètes circonstances

De leurs corps polis et charmants

Augmentaient l’ardeur des amants.

Leur taille était presque semblable.

Blancheur, délicatesse, embonpointraisonnable,

Fermeté, tout charmait, tout était fait autour.

En mille endroits nichait l’Amour,

Sous une guimpe, un voile, et sous unscapulaire

Sous ceci, sous cela que voit peu œil dujour

Si celui du galant ne l’appelle aumystère.

À ces sœurs l’enfant de Cythère

Mille fois le jour s’en venait

Les bras ouverts, et les prenait

L’une après l’autre pour sa mère.

 

Tel ce couple attendait lebachelier trop lent ;

Et de lui tout en l’attendant

Elles disaient du mal, puis du bien, puis lesbelles

Imputaient son retardement

À quelques amitiés nouvelles.

« Qui peut le retenir, disait l’une,est-ce amour ?

Est-ce affaire ? est-cemaladie ?

– Qu’il y revienne de sa vie,

Disait l’autre il aura son tour. »

 

Tandis qu’elles cherchaientlà-dessous du mystère,

Passe un Mazet portant à la dépositaire

Certain fardeau peu nécessaire.

Ce n’était qu’un prétexte, et selon qu’on m’adit

Cette dépositaire ayant grand appétit

Faisait sa portion des talents de cerustre

Tenu dans tels repas pour un traiteurillustre.

Le coquin lourd d’ailleurs, et de très courtesprit

À la cellule se méprit.

Il alla chez les attendantes

Frapper avec ses mains pesantes.

 

On ouvre, on est surpris, onle maudit d’abord,

Puis on voit que c’est un trésor.

Les nonnains s’éclatent de rire.

Toutes deux commencent à dire,

Comme si toutes deux s’étaient donné lemot :

« Servons-nous de ce maître sot.

II vaut bien l’autre ; que t’ensemble ? »

La professe ajouta : « C’est trèsbien avisé

Qu’attendions-nous ici ? qu’il nous fûtdébité

De beaux discours ? non non ; nirien qui leur ressemble.

Ce pitaud doit valoir pour le pointsouhaité

Bachelier et docteur ensemble. »

Elle en jugeait très bien ; la taille dugarçon,

Sa simplicité, sa façon,

Et le peu d’intérêt qu’en tout il semblaitprendre,

Faisaient de lui beaucoup attendre.

C’était l’homme d’Ésope ; il ne songeaità rien

Mais il buvait et mangeait bien ;

Et si Xantus l’eût laissé faire,

Il aurait poussé loin l’affaire.

Ainsi bientôt apprivoisé,

Il se trouva tout disposé

Pour exécuter sans remise

Les ordres des nonnains, les servant à leurguise

Dans son office de mazet

Dont il lui fut donné par les sœurs unbrevet.

 

Ici la peinturecommence :

Nous voilà parvenus au point ;

Dieu des vers, ne me quitte point ;

J’ai recours à ton assistance.

Dis-moi pourquoi ce rustre assis,

Sans peine de sa part, et très fort à sonaise

Laisse le soin de tout aux amoureux soucis

De sœur Claude, et de sœur Thérèse.

N’aurait-il pas mieux fait de leur donner lachaise ?

 

Il me semble déjà que je voisApollon

Qui me dit : « Tout beau ; cesmatières

À fond ne s’examinent guères. »

J’entends ; et l’Amour est un étrangegarçon.

J’ai tort d’ériger un fripon

En maître des cérémonies.

Dès qu’il entre en une maison,

Règles et lois en sont bannies :

Sa fantaisie est sa raison.

Le voilà qui rompt tout ; c’est assez sacoutume.

Ses yeux sont violents. À terre on vitbientôt

Le galant cathédral ; ou soit par ledéfaut

De la chaise un peu faible ; ou soit quedu pitaud

Le corps ne fût pas fait de plume ;

Ou soit que sœur Thérèse eût chargéd’action

Un discours véhément, et pleind’émotion ;

On entendit craquer l’amoureuse tribune…

Le rustre tombe à terre en cette occasion.

Ce premier point eut par fortune

Malheureuse conclusion.

 

Censeurs, n’approchez pointd’ici votre œil profane.

Vous gens de bien, voyez comme sœur Claudemit

Un tel incident à profit.

Thérèse en ce malheur perdit latramontane.

Claude la débusqua, s’emparant du timon.

Thérèse pire qu’un démon

Tâche à la retirer, et se remettre autrône ;

Mais celle-ci n’est pas personne

À céder un poste si doux.

Sœur Claude prenez garde à vous ;

Thérèse en veut venir aux coups ;

Elle a le poing levé. « Qu’elleait. » C’est bien répondre ;

Quiconque est occupé comme vous, ne sentrien.

Je ne m’étonne pas que vous sachiezconfondre

Un petit mal dans un grand bien.

Malgré la colère marquée

Sur le front de la débusquée

Claude suit son chemin, le rustre aussi lesien ;

Thérèse est mal contente et gronde.

 

Les plaisirs de Vénus sontsources de débats.

Leur fureur n’a point de seconde.

J’en prends à témoin les combats

Qu’on vit sur la terre et sur l’onde,

Lorsque Paris à Ménélas

Ôta la merveille du monde.

Qu’un pitaud faisant naître un aussi grandprocès

Tint ici lieu d’Hélène, une foi sans excès

Le peut croire, et fort bien ; troubleznonne en sa joie,

Vous verrez la guerre de Troie.

Quoique Bellone ait part ici,

J’y vois peu de corps de cuirasse,

Dame Vénus se couvre ainsi

Quand elle entre en champ clos avec le dieu deThrace

Cette armure a beaucoup de grâce.

Belles vous m’entendez :je n’en dirai pas plus :

L’habit de guerre de Vénus

Est plein de choses admirables !

Les Cyclopes aux membres nus

Forgent peu de harnois qui lui soientcomparables :

Celui du preux Achille aurait été plusbeau,

Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.

Or ai-je des nonnains mis en versl’aventure,

Mais non avec des traits dignes del’action ;

Et comme celle-ci déchet dans la peinture,

La peinture déchet dans madescription :

Les mots et les couleurs ne sont chosespareilles,

Ni les yeux ne sont les oreilles.

 

J’ai laissé longtemps aufilet

Sœur Thérèse la détrônée.

Elle eut son tour : notre Mazet

Partagea si bien sa journée

Que chacun fut content. L’histoire finitlà ;

Du festin pas un mot : je veux croire, etpour cause,

Que l’on but et que l’on mangea :

Ce fut l’intermède et la pause.

Enfin tout alla bien, hormis qu’en bonnefoi

L’heure du rendez-vous m’embarrasse, etpourquoi ?

Si l’amant ne vint pas, Sœur Claude et sœurThérèse

Eurent à tout le moins de quoi seconsoler,

S’il vint, on sut cacher le lourdaud et lachaise,

L’amant trouva bientôt encore à quiparler.

 

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