Contes et Nouvelles en vers – Livre II

Le Rossignol

 

Pour garder certainetoison

On a beau faire sentinelle,

C’est temps perdu lorsqu’une belle

Y sent grande démangeaison

Un adroit et charmant Jason,

Avec l’aide de la donzelle

Et de maître expert Cupidon,

Trompe facilement et taureaux et dragon.

La contrainte est l’écueil de la pudeur desfilles.

Les surveillants, les verrous et lesgrilles

Sont une faible digue à leur tempérament.

À douze ans aujourd’hui, point d’Agnès :à cet âge

Fillette nuit et jour s’appliqueuniquement

À trouver les moyens d’endormir finement

Les Argus de son pucelage.

Larmes de crocodile, yeux lascifs, douxlangage,

Soupirs, souris flatteurs, tout est mis enusage,

Quand il s’agit d’attraper un amant.

Je n’en dirai pas davantage,

Lecteur ; regardez seulement

La finette Cataut jouer son personnage,

Et comment elle met le rossignol encage :

Après, je m’en rapporte à votre jugement.

 

Dans une ville d’Italie,

Dont je n’ai jamais su le nom,

Fut une fille fort jolie ;

Son père était messire Varambon.

Boccace ne dit point comme on nommait lamère ;

Aussi cela n’est pas trop utile àsavoir ;

La fille s’appelait Catherine, et, pourplaire,

Elle avait amplement tout ce qu’il fautavoir :

Âge de quatorze ans, teint de lis et deroses,

Beaux yeux, belle gorge et beaux bras,

Grands préjugés pour les secrets appas.

Le lecteur pense bien qu’avec toutes ceschoses,

Fillette manque rarement

D’un amant.

Aussi n’en manqua la pucelle :

Richard la vit, l’aima, fit tant en peu dejours,

Par ses regards, par ses discours,

Qu’il alluma pour lui dans le cœur de labelle

La même ardeur qu’il ressentait pour elle.

L’un de l’autre déjà faisait tous lesplaisirs :

Déjà même langueur, déjà mêmesdésirs ;

Désirs de quoi ? Besoin n’est de ledire ;

Sans trop d’habileté l’on peut ledeviner ;

Quand un cœur amoureux à cet âge soupire,

Il ne faut point s’en étonner :

On sait assez ce qu’il désire.

Un point de nos amants retardait lebonheur :

La mère aimait sa fille avecque tantd’ardeur

Qu’elle n’aurait su vivre un seul moment sanselle ;

Le jour, elle l’avait pendue à son côté,

Et la nuit, la faisait coucher dans saruelle.

Un peu moins de tendresse et plus deliberté

Eût mieux accommodé la belle.

Cet excès d’amour maternelle

Est bon pour les petits enfants ;

Mais fillette de quatorze ans

Bientôt s’en lasse et s’en ennuie.

Catherine en jour de sa vie

N’avait pu profiter d’un seul petit moment

Pour entretenir son amant :

C’était pour tous les deux une peineinfinie.

Il en était réduit à la suivre en touslieux,

Ne pouvant bien souvent lui parler que desyeux,

Langage, à mon sens, ennuyeux,

Sitôt qu’on n’en est plus sur lacérémonie.

Quelquefois, par hasard, il lui serrait lamain,

Quand il la trouvait en chemin ;

Quelquefois un baiser pris à ladérobée ;

Et puis c’est tout. Mais qu’est-ce quecela ?

C’est proprement manger son pain à lafumée.

Tous deux étaient trop fins pour en demeurerlà ;

Or voici comme il en alla.

 

Un jour, par un bonheurextrême,

Ils se trouvèrent seuls, sans mère et sansjaloux.

« Que vous sert, dit Richard,hélas ! que je vous aime ?

Que me sert d’être aimé de vous ?

Loin de rendre mon sort plus doux,

Cela ne fait qu’augmenter monmartyre ;

Je vous vois sans vous voir, je ne puis vousparler ;

Si je me plains, si je soupire,

Il me faut tout dissimuler.

Ne saurait-on enfin vous voir sans votremère ?

Ne sauriez-vous trouver quelquemoyen ?

Hélas ! vous le pouvez, si vous le voulezbien ;

Mais vous ne m’aimez pas ? – Si j’étaismoins sincère

Dit Catherine à son amant,

Je vous parlerais autrement ;

Mais le temps nous est cher ; voyons cequ’il faut faire

– Il faudrait donc, lui dit Richard,

Si vous avez dessein de me sauver la vie,

Vous faire mettre un lit dans quelque chambreà part,

Par exemple, à la galerie ;

On vous y pourrait aller voir,

Sur le soir,

Alors que chacun se retire ;

Autrement, on ne peut vous parler qu’àdemi,

Et j’ai cent choses à vous dire,

Que je ne puis vous dire ici. »

Ce mot fit la belle sourire.

Elle se douta bien de ce qu’on luidirait ;

Elle promit pourtant au sire

De faire ce qu’elle pourrait.

La chose n’était pas facile ;

Mais l’amour donne de l’esprit,

Et sait faire une Agnès habile.

Voici comment elle s’y prit :

Elle ne dormit point durant toute la nuit,

Ne fit que s’agiter, et mena tant de bruit

Que ni son père ni sa mère

Ne purent fermer la paupière

Un seul moment.

Ce n’était pas grande merveille :

Fille qui pense à son amant absent,

Toute la nuit, dit-on, a la puce àl’oreille,

Et ne dort que fort rarement.

Dès le matin Cataut se plaignit à sa mère

Des puces de la nuit, du grand chaud qu’ilfaisait :

« On ne peut point dormir, maman ;s’il vous plaisait

Me faire tendre un lit dans cette galerie

Qui regarde sur le jardin :

Il y fait bien plus frais ; et puis, dèsle matin,

Du rossignol qui vient chanter sous cefeuillage,

J’entendrais le ramage. »

La bonne mère y consentit,

Va trouver son homme, et lui dit :

« Cataut voudrait changer de lit,

Afin d’être au frais et d’entendre

Le rossignol. – Ah ! qu’est-ce ci,

Dit le bonhomme, et quellefantaisie ?

Allez, vous êtes folle, et votre filleaussi,

Avec son rossignol ! Qu’elle se tienneici,

Il fera cette nuit-ci

Plus frais que la nuit passée ;

Et puis, elle n’est pas, je croi,

Plus délicate que moi :

J’y couche bien. » Cataut se tint fortoffensée

De ce refus ; et la seconde nuit

Fit cinquante fois plus de bruit

Qu’elle n’avait fait la première,

Pleura, gémit, se dépita,

Et dans son lit se tourmenta

D’une si terrible manière

Que la mère s’en affligea,

Et dit à son mari : « Vous êtes bienmaussade,

Et n’aimez guère votre enfant !

Vous vous jouez assurément

À la faire tomber malade.

Je la trouve déjà tout je ne sais comment.

Répondez-moi : quelle bizarrerie

De ne la pas coucher dans cettegalerie !

Elle est tout aussi près de nous.

– À la bonne heure, dit l’époux ;

Je ne saurais tenir contre femme quicrie :

Vous me feriez devenir fou ;

Passez-en votre fantaisie ;

Et qu’elle entende tout son soû

Le rossignol et la fauvette ! »

Sans délai la chose fut faite :

Catherine à son père obéit promptement,

Se fait dresser un lit, fait signe à sonamant

Pour le soir. Qui voudra savoirprésentement

Combien dura pour eux toute cettejournée :

Chaque moment une heure, et chaque heure uneannée ;

C’est tout le moins. Mais la nuit vint,

Et Richard fit si bien, à l’aide d’uneéchelle

Qu’un fripon de valet lui tint,

Qu’il parvint au lit de la belle.

De dire ce qui s’y passa,

Combien de fois on s’embrassa,

Et combien de façons l’amant et lamaîtresse

Se témoignèrent leur tendresse,

Ce serait temps perdu ; les plus doctesdiscours

Ne sauraient jamais faire entendre

Le plaisir des tendres amours :

Il faut l’avoir goûté pour le pouvoircomprendre.

 

Le rossignol chanta pendanttoute la nuit ;

Et quoiqu’il ne fit pas grand bruit,

Catherine en fut fort contente.

Celui qui chante aux bois son amoureuxsouci

Ne lui parut qu’un âne auprès de celui-ci.

Mais le malheur voulut que l’amant etl’amante,

Trop faibles de moitié pour leurs ardentsdésirs,

Et lassés par leurs doux plaisirs,

S’endormirent tous deux, sur le point oùl’aurore

Commençait à s’apercevoir.

Le père, en se levant, fut curieux de voir

Si sa fille dormait encore.

« Voyons un peu, dit-il, quel effet ontproduit

Le chant du rossignol, le changement delit. »

Il entre dans la galerie,

Et, s’étant approché sans bruit,

Il trouva sa fille endormie.

À cause du grand chaud, nos deux amants,dormants,

Étaient sans drap ni couverture,

En état de pure nature,

Justement comme on peint nos deux premiersparents ;

Excepté qu’au lieu de la pomme,

Catherine avait dans sa main

Ce qui servit au premier homme

À conserver le genre humain ;

 

Ce que vous ne sauriezprononcer sans scrupule,

Belles, qui vous piquez de sentiments sifiers,

Et dont vous vous servez pourtant trèsvolontiers,

Si l’on en croit le bon Catulle.

Le bonhomme à ses yeux à peine ajoutefoi ;

Mais enfin, renfermant le chagrin dans sonâme,

Il rentre dans sa chambre, et réveille safemme :

« Levez-vous, lui dit- il, et venez avecmoi.

Je ne m’étonne plus pourquoi

Cataut vous témoignait si grand désird’entendre

Le rossignol ; vraiment, ce n’était pasen vain :

Elle avait dessein de le prendre,

Et l’a si bien guetté qu’elle l’a dans samain. »

La mère se leva, pleurant presque dejoie :

« Un rossignol, vraiment ! Il fautque je le voie.

Est-il grand ? Chante-t-il ?Fera-t-il des petits ?

Hélas ! la pauvre enfant, commentl’a-t-elle pris ?

– Vous l’allez voir, reprit le père ;

Mais surtout songez à vous taire ;

Si l’oiseau vous entend, c’est autant deperdu ;

Vous gâteriez tout le mystère. »

Qui fut surpris ? ce fut la mère.

Aussitôt qu’elle eut aperçu

Le rossignol que tenait Catherine,

Elle voulut crier, et l’appeler mâtine,

Chienne, effrontée, enfin tout ce qu’il vousplaira ;

Peut-être faire pis ; mais l’épouxl’empêcha.

« Ce n’est pas de vos cris que nous avonsaffaire :

Le mal est fait, dit-il ; et quand onpestera,

Ni plus ni moins il en sera ;

Mais savez-vous ce qu’il faut faire ?

Il faut le réparer le mieux que l’onpourra.

Qu’on m’aille querir le notaire,

Et le prêtre et le commissaire :

Avec leur bon secours, touts’accommodera. »

Pendant tous ces discours, notre amants’éveilla ;

En voyant le soleil : « Hélas !dit-il, ma chère,

Le jour nous a surpris ; je ne saiscomment faire

Pour m’en aller. – Tout ira bien,

Lui répondit alors le père.

Or çà, sire Richard, il ne sert plus derien

De me plaindre de vous, de me mettre encolère.

Vous m’avez fait outrage ; il n’est qu’unseul moyen

Pour m’apaiser et pour mesatisfaire :

C’est qu’il faut ici devant nous

Épouser Catherine ; elle est biendemoiselle :

Si Dieu ne l’a pas faite, aussi riche quevous,

Pour le moins elle est jeune ; et vous latrouvez belle.

Il le faut sur-le-champ, sans délai nirefus,

Sinon, dites votre Inmanus. »

 

S’exposer à souffrir une morttrès cruelle,

Et cela seulement pour avoir refusé

De prendre à femme une fille qu’on aime,

Ce serait, à mon sens, être mal avisé.

Aussi, dans ce péril extrême,

Richard fut habile homme, et ne balançapas

Entre la fille et le trépas.

Sa maîtresse avait des appas ;

Il venait de goûter, la nuit, entre sesbras

Le plus doux plaisir de la vie ;

Il n’avait pas apparemment envie

D’en partir si brusquement.

Or, pendant que notre amant

Songe à se faire époux pour se tirerd’affaire,

Cataut, se réveillant à la voix de sonpère,

Lâcha le rossignol dessus sa bonnefoi ;

Et, tirant doucement le bout du drap sursoi,

Cacha les trois quarts de ses charmes.

Le notaire, arrivé, mit fin à leursalarmes :

On écrivit, et l’on signa.

Ainsi se fit le mariage ;

Et puis jusqu’à midi chacun les laissa là.

Le père, en les quittant, leur dit :« Prenez courage,

Enfants ! Le rossignol est maintenant encage :

Il peut chanter tant qu’il voudra. »

 

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