CONTES APOCRYPHES
Le Contrat
Le malheur des maris, lesbons tours des Agnès,
Ont été de tout temps le sujet de lafable ;
Ce fertile sujet ne tarira jamais,
C’est une source inépuisable :
À de pareils malheurs tous hommes sontsujets ;
Tel qui s’en croit exempt est tout seul à lecroire ;
Tel rit d’une ruse d’amour
Qui doit devenir à son tour
Le risible sujet d’une semblable histoire.
D’un tel revers se laisser accabler
Est, à mon gré, sottise toute pure ;
Celui dont j’écris l’aventure
Trouva dans son malheur de quoi seconsoler.
Certain riche bourgeois,s’étant mis en ménage,
N’eut pas l’ennui d’attendre troplongtemps
Les doux fruits du mariage ;
Sa femme lui donna bientôt deux beauxenfants,
Une fille d’abord, un garçon dans lasuite.
Le fils devenu grand, fut mis sous laconduite
D’un précepteur ; non pas de cespédants
Dont l’aspect est rude et sauvage ;
Celui-ci, gentil personnage.
Grand maître ès arts, surtout en l’artd’aimer,
Du beau monde avait quelque usage,
Chantait bien et savait charmer ;
Et, s’il faut déclarer tout le secretmystère,
Amour, dit-on, l’avait faitprécepteur :
Il ne s’était introduit près du frère
Que pour voir de plus près la sœur.
Il obtient tout ce qu’il désire,
Sous ce trompeur déguisement.
Bon précepteur, fidèle amant,
Soit qu’il régente ou qu’il soupire,
Il réussit également.
Déjà son jeune pupile
Explique Horace et Virgile ;
Et déjà la beauté qui fait tous ses désirs
Sait le langage des soupirs ;
Notre maître en galanterie
Très bien lui fit pratiquer sesleçons :
Cette pratique aussitôt fut suivie
De maux de cœur, de pâmoisons,
Non sans donner de terribles soupçons
Du sujet de la maladie.
Enfin tout se découvre, et le père,irrité,
Menace, tempête, crie.
Le docteur épouvanté
Se dérobe à sa furie.
La belle volontiers l’aurait pris pourépoux ;
Pour femme volontiers il aurait pris labelle ;
L’hymen était l’objet de leurs vœux les plusdoux,
Leur tendresse était mutuelle ;
Mais l’amour aujourd’hui n’est qu’unebagatelle,
Et l’argent seul forme les plus beauxnœuds :
Elle était riche, il était gueux,
C’était beaucoup pour lui, c’était trop peupour elle.
Quelle corruption ! ôsiècle ! ô temps ! ô mœurs !
Conformité de biens, différence d’humeurs,
Souffrirons-nous toujours ta puissancefatale,
Méprisable intérêt, opprobre de nos jours,
Tyran des plus tendres amours !
Mais faisons trêve à la morale,
Et reprenons notre discours.
Le père est bien fâché, lafille bien marrie ;
Mais que faire ? Il faut bien réparer cemalheur
Et mettre à couvert son honneur.
Quel remède ? On la marie,
Non au galant, j’en ai dit les raisons,
Mais à certain quidam, amoureux destestons
Plus que de fillette gentille,
Riche suffisamment, et de bonnefamille ;
Au surplus, bon enfant ; sot, je ne ledis pas,
Puisqu’il ignorait tout le cas.
Mais, quand il le saurait, fait-il mauvaiseemplette ?
On lui donne à la fois vingt mille bonsducats,
Jeune épouse et besogne faite.
Combien de gens, avec semblable dot,
Ont pris, le sachant bien, la fille et le groslot !
Et celui-ci crut prendre unepucelle :
Bien il est vrai qu’elle en fit lesfaçons ;
Mais quatre mois après, la savantedonzelle
Montra le prix de ses leçons :
Elle mit au monde une fille.
« Quoi ! déjà père defamille !
Dit l’époux, étant bien surpris ;
Au bout de quatre mois, c’est trop tôt !Je suis pris !
Quatre mois ce n’est pas moncompte. »
Sans tarder, au beau-père il va conter sahonte,
Prétend qu’on le sépare, et fait bien dufracas.
Le beau-père sourit, et lui dit :« Parlons bas !
Quelqu’un pourrait bien nous entendre.
Comme vous, jadis je fus gendre,
Et me plaignis en pareil cas ;
Je parlai, comme vous, d’abandonner mafemme ;
C’est l’ordinaire effet d’un violentdépit.
Mon beau-père défunt, Dieu veuille avoir sonâme !
Il était honnête homme et me remitl’esprit.
La pilule, à vrai dire, était assezamère ;
Mais il sut la dorer ; et, pour mesatisfaire,
D’un bon contrat de quatre mille écus,
Qu’autrefois pour semblable affaire
Il avait eu de son beau-père,
Il augmenta la dot ; je ne m’en plaignisplus.
Ce contrat doit passer de famille enfamille.
Je le gardais exprès : ayez-en mêmesoin ;
Vous pourrez en avoir besoin
Si vous mariez votre fille. »
À ce discours, le gendre, moins fâché,
Prend le contrat et fait la révérence.
Dieu préserve de mal ceux qu’en telleoccurrence
On console à meilleur marché !