Contes et Nouvelles en vers – Livre II

Pâté d’anguille

 

Même beauté, tant soitexquise,

Rassasie et soule à la fin.

Il me faut d’un et d’autre pain ;

Diversité c’est ma devise.

 

Cette maîtresse un tantetbise

Rit à mes yeux ; pourquoi cela ?

C’est qu’elle est neuve ; et celle-là

Qui depuis longtemps m’est acquise

Blanche qu’elle est, en nulle guise

Ne me cause d’émotion.

Son cœur dit oui ; le mien ditnon ;

D’où vient ? en voici la raison,

Diversité c’est ma devise.

 

Je l’ai jà dit d’autrefaçon

Car il est bon que l’on déguise

Suivant la loi de ce dicton,

Diversité c’est ma devise.

 

Ce fut celle aussi d’unmari

De qui la femme était fort belle.

Il se trouva bientôt guéri

De l’amour qu’il avait pour elle.

L’hymen, et la possession

Éteignirent sa passion.

Un sien valet avait pour femme

Un petit bec assez mignon :

Le maître étant bon compagnon,

Eut bientôt empaumé la dame.

Cela ne plut pas au valet,

Qui les ayant pris sur le fait,

Vendiqua son bien de couchette,

À sa moitié chanta goguette,

L’appela tout net et tout franc…

Bien sot de faire un bruit si grand

Pour une chose si commune ;

Dieu nous gard de plus grand’fortune.

Il fit à son maître un sermon.

« Monsieur, dit-il, chacun la sienne

Ce n’est pas trop ; Dieu et raison

Vous recommandent cette antienne.

Direz-vous, je suis sans chrétienne ?

Vous en avez à la maison

Une qui vaut cent fois la mienne.

Ne prenez donc pas tant de peine :

C’est pour ma femme trop d’honneur ;

Il ne lui faut si gros monsieur.

Tenons-nous chacun à la notre ;

N’allez point à l’eau chez un autre,

Ayant plein puits de ces douceurs ;

Je m’en rapporte aux connaisseurs :

Si Dieu m’avait fait tant de grâce,

Qu’ainsi que vous je disposasse

De Madame, je m’y tiendrais,

Et d’une reine ne voudrais.

Mais puisqu’on ne saurait défaire

Ce qui s’est fait, je voudrais bien,

(Ceci soit dit sans vous déplaire)

Que content de votre ordinaire

Vous ne goûtassiez plus du mien. »

 

Le patron ne voulut luidire

Ni oui ni non sur ce discours ;

Et commanda que tous les jours

On mît aux repas, près du sire,

Un pâté d’anguille ; ce mets

Lui chatouillait fort le palais.

Avec un appétit extrême

Une et deux fois il en mangea :

Mais quand ce vint à la troisième

La seule odeur le dégoûta.

Il voulut sur une autre viande

Mettre la main ; on l’empêcha :

« Monsieur, dit-on, nous lecommande :

Tenez-vous-en à ce mets-la :

Vous l’aimez, qu’avez-vous àdire ? »

– M’en voilà soûl, reprit le sire.

Et quoi toujours pâtés au bec !

Pas une anguille de rôtie !

Pâtés tous les jours de ma vie !

J’aimerais mieux du pain tout sec :

Laissez-moi prendre un peu du vôtre :

Pain de par Dieu, ou de par l’autre :

Au diable ces pâtés maudits ;

Ils me suivront en paradis,

Et par-delà, Dieu me pardonne. –

 

Le maître accourt soudain aubruit,

Et prenant sa part du déduit,

« Mon ami, dit-il, je m’étonne

Que d’un mets si plein de bonté

Vous soyez si tôt dégoûté.

Ne vous ai-je pas ouï dire

Que c’était votre grand ragoût ?

Il faut qu’en peu de temps, beau sire

Vous ayez bien changé de goût ?

Qu’ai-je fait qui fût plus étrange ?

Vous me blâmez lorsque je change

Un mets que vous croyez friand,

Et vous en faites tout autant.

Mon doux ami, je vous apprends

Que ce n’est pas une sottise,

En fait de certains appétis,

De changer son pain blanc en bis :

Diversité c’est ma devise. »

 

Quand le maître eut ainsiparlé,

Le valet fut tout consolé.

Non que ce dernier n`eût à dire

Quelque chose encor là-dessus

Car après tout doit-il suffire

D’alléguer son plaisir sans plus ?

« J’aime le change. » À la bonneheure,

On vous l’accorde ; mais gagnez

S’il se peut les intéressés :

Cette voie est bien la meilleure :

Suivez-la donc. À dire vrai,

Je crois que l’amateur du change

De ce conseil tenta l’essai.

On dit qu’il parlait comme un ange,

De mots dorés usant toujours :

Mots dorés font tout en amours.

C’est une maxime constante :

Chacun sait qu’elle est mon entente :

J’ai rebattu cent et cent fois

Ceci dans cent et cent endroits :

Mais la chose est si nécessaire,

Que je ne puis jamais m’en taire,

Et redirai jusques au bout,

Mots dorés en amours font tout.

Ils persuadent la donzelle,

Son petit chien, sa demoiselle,

Son époux quelquefois aussi ;

C’est le seul qu’il fallait ici

Persuader ; il n’avait l’âme

Sourde à cette éloquence ; et dame

Les orateurs du temps jadis

N’en ont de telle en leurs écrits.

 

Notre jaloux devintcommode.

Même on dit qu’il suivit la mode

De son maître, et toujours depuis

Changea d’objets en ses déduits.

Il n’était bruit que d’aventures

Du chrétien et de créatures.

Les plus nouvelles sans manquer

Étaient pour lui les plus gentilles.

Par où le drôle en put croquer,

II en croqua, femmes et filles,

Nymphes, grisettes, ce qu’il put.

Toutes étaient de bonne prise ;

Et sur ce point, tant qu’il vécut,

Diversité fut sa devise.

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