Les Quiproquo
Dame Fortune aime souvent àrire,
Et nous jouant un tour de son métier
Au lieu des biens où notre cœur aspire,
D’un quiproquo se plaît à nous payer.
Ce sont ses jeux j’en parle à juste cause.
Il m’en souvient ainsi qu’au premier jour.
Chloris et moi nous nousaimions d’amour
Au bout d’un an la belle se dispose
À me donner quelque soulagement,
Faible et léger, à parler franchement.
C’était son but : mais, quoi qu’on sepropose,
L’occasion et le discret amant
Sont à la fin les maîtres de la chose.
Je vais un soir chez cet objet charmant,
L’époux était aux champs heureusement,
Mais il revint la nuit à peine close.
Point de Chloris : le dédommagement
Fut que le sort en sa place suppose
Une soubrette à mon commandement.
Elle paya cette fois pour la dame.
Disons un troc, ouréciproquement
Pour la soubrette on employa la femme,
De pareils traits tous les livres sontpleins.
Bien est-il vrai qu’il faut d’habilesmains
Pour amener chose ainsi surprenante ;
Il est besoin d’en bien fonder le cas,
Sans rien forcer et sans qu’on violente
Un incident qui ne s’attendait pas.
L’aveugle enfant, joueur de passe-passe,
Et qui voit clair à tendre maint panneau
Fait de ces tours ; celui-là duberceau
Lève la paille à l’égard du Boccace ;
Car quant à moi, ma main pleine d’audace
En mille endroits à peut-être gâté
Ce que la sienne a bien exécuté.
Or il est temps de finir ma préface,
Et de prouver par quelque nouveau tour
Les quiproquos de Fortune et d’Amour.
On ne peut mieux établircette chose
Que par un fait à Marseille arrivé,
Tout en est vrai, rien n’en est controuvé.
La Clidamant que par respect je n’ose
Sous son nom propre introduire en cesvers,
Vivait heureux, se pouvait dire en femme
Mieux que pas un qui fût en l’univers.
L’honnêteté, la vertu de la dame,
Sa gentillesse, et même sa beauté,
Devaient tenir Clidamant arrêté.
Il ne le fut, le diable est bien habile,
Si c’est adresse et tour d’habileté
Que de nous tendre un piège aussi facile
Qu’est le désir d’un peu de nouveauté.
Près de la dame était une personne,
Une suivante ainsi qu’elle mignonne,
De même taille et de pareil maintien,
Gente de corps, il ne lui manquait rien
De ce qui plaît aux chercheursd’aventures.
La dame avait un peu plus d’agrément,
Mais sous le masque on n’eût su bonnement
Laquelle élire entre ces créatures.
Le Marseillais, Provençal un peu chaud,
Ne manque pas d’attaquer au plus tôt
Madame Alix ; c’était cettesoubrette.
Madame Alix, encor qu’un peu coquette,
Renvoya l’homme. Enfin il lui promet
Cent beaux écus bien comptés clair et net.
Payer ainsi des marques de tendresse
(En la suivante) était, vu le pays,
Selon mon sens, un fort honnêteprix :
Sur ce pied-là qu’eût coûté lamaîtresse ?
Peut-être moins ; car le hasard yfait.
Mais je me trompe, et la dame était telle
Que tout amant, et tant fût-il parfait,
Aurait perdu son latin auprèsd’elle :
Ni dons, ni soins, rien n’aurait réussi.
Devrais-je y faire entrer les donsaussi ?
Las ! ce n’est plus le siècle de nospères.
Amour vend tout, et nymphes etbergères ;
Il met le taux à maint objet divin :
C’était un dieu, ce n’est qu’un échevin.
Ô temps ! ô mœurs ! ô coutumeperverse !
Alix d’abord rejette un telcommerce,
Fait l’irritée, et puis s’apaise enfin,
Change de ton, dit que le lendemain,
Comme Madame avait dessein de prendre
Certain remède, ils pourraient le matin
Tout à loisir dans la cave se rendre.
Ainsi fut dit, ainsi fut arrêté ;
Et la soubrette ayant le tout conté
À sa maîtresse, aussitôt les femelles
D’un quiproquo font le projet entre elles.
Le pauvre époux n’y reconnaîtrait rien,
Tant la suivante avait l’air de ladame ;
Puis supposé qu’il reconnût la femme,
Qu’en pouvait-il arriver que toutbien ?
Elle aurait lieu de lui chanter sa gamme
Le lendemain par hasardClidamant,
Qui ne pouvait se contenir de joie,
Trouve un ami, lui dit étourdiment
Le bien qu’Amour à ses désirs envoie.
Quelle faveur Non qu’il eût bien voulu
Que le marché pour moins se fût conclu,
Les cent écus lui faisaient quelque peine.
L’ami lui dit : « Hé bien !soyons chacun
Et du plaisir et des frais encommun. »
L’époux n’ayant alors sa bourse pleine
Cinquante écus à sauver étaient bons.
D’autre côté communiquer la belle,
Quelle apparence ! yconsentirait-elle ?
S’aller ainsi livrer à deux Gascons,
Se tairaient-ils d’une tellefortune ?
Et devait-on la leur rendre commune ?
L’ami leva cette difficulté,
Représentant que dans l’obscurité
Alix serait fort aisément trompée.
Une plus fine y serait attrapée.
Il suffisait que tous deux tour à tour
Sans dire mot ils entrassent en lice,
Se remettant du surplus à l’Amour,
Qui volontiers aiderait l’artifice.
Un tel silence en rien ne leurnuirait ;
Madame Alix sans manquer le prendrait
Pour un effet de crainte et deprudence ;
Les murs ayant des oreilles (dit-on)
Le mieux était de se taire ; à quoibon
D’un tel secret leur faireconfidence ?
Les deux galants, ayant de la façon
Réglé la chose, et disposés à prendre
Tout le plaisir qu’Amour leur promettait,
Chez le mari d’abord ils se vont rendre.
Là dans le lit l’épouse encore était.
L’époux trouva près d’elle la soubrette,
Sans nuls atours qu’une simple cornette,
Bref en état de ne lui point manquer
L’heure arriva, les amis contestèrent
Touchant le pas, et longtemps disputèrent.
L’époux ne fit l’honneur de lamaison ;
Tel compliment n’étant là de saison.
À trois beaux dés pour le mieux ilsréglèrent
Le précurseur ainsi que de raison.
Ce fut l’ami ; l’un et l’autres’enferme
Dans cette cave, attendant de pied ferme
Madame Alix, qui ne vient nullement.
Trop bien la dame en son lieu s’en vintfaire
Tout doucement le signal nécessaire.
On ouvre, on entre, et sans retardement
Sans lui donner le temps de reconnaître
Ceci, cela, l’erreur, le changement,
La différence enfin qui pouvait être
Entre l’époux et son associé,
Avant qu’il pût aucun change paraître,
Au dieu d’Amour il fut sacrifié.
L’heureux ami n’eut pas toute la joie
Qu’il aurait eue en connaissant sa proie.
La dame avait un peu plus de beauté ;
Outre qu’il faut compter la qualité.
À peine fut cette scène achevée,
Que l’autre acteur par la prompte arrivée
Jeta la dame en quelque étonnement ;
Car comme époux, comme Clidamant même,
Il ne montrait toujours si fréquemment
De cette ardeur l’emportement extrême.
On imputa cet excès de fureur
À la soubrette, et la dame en son cœur
Se proposa d’en dire sa pensée.
La fête étant de la sorte passée,
Du noir séjour ils n’eurent qu’à sortir.
L’associé des frais et du plaisir
S’en court en haut en certainvestibule :
Mais quand l’époux vit sa femme monter,
Et qu’elle eût vu l’ami se présenter,
On peut juger quel soupçon, quel scrupule,
Quelle surprise eurent les pauvres gens.
Ni l’un ni l’autre ils n’avaient eu letemps
De composer leur mine et leur visage.
L’époux vit bien qu’il fallait être sage,
Mais sa moitié pensa tout découvrir.
J’en suis surpris, femmes savent mentir.
La moins habile en connaît la science.
Aucuns ont dit qu’Alix fit conscience
De n’avoir pas mieux gagné sonargent :
Plaignant l’époux, et le dédommageant,
Et voulant bien mettre tout sur soncompte :
Tout cela n’est que pour rendre le conte
Un peu meilleur. J’ai vu les gens mouvoir
Deux questions ; l’une, c’est àsavoir
Si l’époux fut du nombre des confrères
À mon avis n’a point de fondement,
Puisque la dame et l’ami nullement
Ne prétendaient vaquer à ces mystères.
L’autre point est touchant letalion ;
Et l’on demande en cette occasion
Si pour user d’une juste vengeance,
Prétendre erreur et cause d’ignorance
À cette dame aurait été permis.
Bien que ce soit assez là mon avis,
La dame fut toujours inconsolable,
Dieu gard de mal celles qu’en cassemblable
Il ne faudrait nullement consoler.
J’en connais bien qui n’en feraient querire.
De celles-là je n’ose plus parler,
Et je ne vois rien des autres à dire.