Contes et Nouvelles en vers – Livre II

Les Quiproquo

 

Dame Fortune aime souvent àrire,

Et nous jouant un tour de son métier

Au lieu des biens où notre cœur aspire,

D’un quiproquo se plaît à nous payer.

Ce sont ses jeux j’en parle à juste cause.

Il m’en souvient ainsi qu’au premier jour.

 

Chloris et moi nous nousaimions d’amour

Au bout d’un an la belle se dispose

À me donner quelque soulagement,

Faible et léger, à parler franchement.

C’était son but : mais, quoi qu’on sepropose,

L’occasion et le discret amant

Sont à la fin les maîtres de la chose.

Je vais un soir chez cet objet charmant,

L’époux était aux champs heureusement,

Mais il revint la nuit à peine close.

Point de Chloris : le dédommagement

Fut que le sort en sa place suppose

Une soubrette à mon commandement.

Elle paya cette fois pour la dame.

 

Disons un troc, ouréciproquement

Pour la soubrette on employa la femme,

De pareils traits tous les livres sontpleins.

Bien est-il vrai qu’il faut d’habilesmains

Pour amener chose ainsi surprenante ;

Il est besoin d’en bien fonder le cas,

Sans rien forcer et sans qu’on violente

Un incident qui ne s’attendait pas.

L’aveugle enfant, joueur de passe-passe,

Et qui voit clair à tendre maint panneau

Fait de ces tours ; celui-là duberceau

Lève la paille à l’égard du Boccace ;

Car quant à moi, ma main pleine d’audace

En mille endroits à peut-être gâté

Ce que la sienne a bien exécuté.

Or il est temps de finir ma préface,

Et de prouver par quelque nouveau tour

Les quiproquos de Fortune et d’Amour.

 

On ne peut mieux établircette chose

Que par un fait à Marseille arrivé,

Tout en est vrai, rien n’en est controuvé.

La Clidamant que par respect je n’ose

Sous son nom propre introduire en cesvers,

Vivait heureux, se pouvait dire en femme

Mieux que pas un qui fût en l’univers.

L’honnêteté, la vertu de la dame,

Sa gentillesse, et même sa beauté,

Devaient tenir Clidamant arrêté.

Il ne le fut, le diable est bien habile,

Si c’est adresse et tour d’habileté

Que de nous tendre un piège aussi facile

Qu’est le désir d’un peu de nouveauté.

Près de la dame était une personne,

Une suivante ainsi qu’elle mignonne,

De même taille et de pareil maintien,

Gente de corps, il ne lui manquait rien

De ce qui plaît aux chercheursd’aventures.

La dame avait un peu plus d’agrément,

Mais sous le masque on n’eût su bonnement

Laquelle élire entre ces créatures.

Le Marseillais, Provençal un peu chaud,

Ne manque pas d’attaquer au plus tôt

Madame Alix ; c’était cettesoubrette.

Madame Alix, encor qu’un peu coquette,

Renvoya l’homme. Enfin il lui promet

Cent beaux écus bien comptés clair et net.

Payer ainsi des marques de tendresse

(En la suivante) était, vu le pays,

Selon mon sens, un fort honnêteprix :

Sur ce pied-là qu’eût coûté lamaîtresse ?

Peut-être moins ; car le hasard yfait.

Mais je me trompe, et la dame était telle

Que tout amant, et tant fût-il parfait,

Aurait perdu son latin auprèsd’elle :

Ni dons, ni soins, rien n’aurait réussi.

Devrais-je y faire entrer les donsaussi ?

Las ! ce n’est plus le siècle de nospères.

Amour vend tout, et nymphes etbergères ;

Il met le taux à maint objet divin :

C’était un dieu, ce n’est qu’un échevin.

Ô temps ! ô mœurs ! ô coutumeperverse !

 

Alix d’abord rejette un telcommerce,

Fait l’irritée, et puis s’apaise enfin,

Change de ton, dit que le lendemain,

Comme Madame avait dessein de prendre

Certain remède, ils pourraient le matin

Tout à loisir dans la cave se rendre.

Ainsi fut dit, ainsi fut arrêté ;

Et la soubrette ayant le tout conté

À sa maîtresse, aussitôt les femelles

D’un quiproquo font le projet entre elles.

Le pauvre époux n’y reconnaîtrait rien,

Tant la suivante avait l’air de ladame ;

Puis supposé qu’il reconnût la femme,

Qu’en pouvait-il arriver que toutbien ?

Elle aurait lieu de lui chanter sa gamme

 

Le lendemain par hasardClidamant,

Qui ne pouvait se contenir de joie,

Trouve un ami, lui dit étourdiment

Le bien qu’Amour à ses désirs envoie.

Quelle faveur Non qu’il eût bien voulu

Que le marché pour moins se fût conclu,

Les cent écus lui faisaient quelque peine.

L’ami lui dit : « Hé bien !soyons chacun

Et du plaisir et des frais encommun. »

L’époux n’ayant alors sa bourse pleine

Cinquante écus à sauver étaient bons.

D’autre côté communiquer la belle,

Quelle apparence ! yconsentirait-elle ?

S’aller ainsi livrer à deux Gascons,

Se tairaient-ils d’une tellefortune ?

Et devait-on la leur rendre commune ?

L’ami leva cette difficulté,

Représentant que dans l’obscurité

Alix serait fort aisément trompée.

Une plus fine y serait attrapée.

Il suffisait que tous deux tour à tour

Sans dire mot ils entrassent en lice,

Se remettant du surplus à l’Amour,

Qui volontiers aiderait l’artifice.

Un tel silence en rien ne leurnuirait ;

Madame Alix sans manquer le prendrait

Pour un effet de crainte et deprudence ;

Les murs ayant des oreilles (dit-on)

Le mieux était de se taire ; à quoibon

D’un tel secret leur faireconfidence ?

Les deux galants, ayant de la façon

Réglé la chose, et disposés à prendre

Tout le plaisir qu’Amour leur promettait,

Chez le mari d’abord ils se vont rendre.

Là dans le lit l’épouse encore était.

L’époux trouva près d’elle la soubrette,

Sans nuls atours qu’une simple cornette,

Bref en état de ne lui point manquer

L’heure arriva, les amis contestèrent

Touchant le pas, et longtemps disputèrent.

L’époux ne fit l’honneur de lamaison ;

Tel compliment n’étant là de saison.

À trois beaux dés pour le mieux ilsréglèrent

Le précurseur ainsi que de raison.

Ce fut l’ami ; l’un et l’autres’enferme

Dans cette cave, attendant de pied ferme

Madame Alix, qui ne vient nullement.

Trop bien la dame en son lieu s’en vintfaire

Tout doucement le signal nécessaire.

On ouvre, on entre, et sans retardement

Sans lui donner le temps de reconnaître

Ceci, cela, l’erreur, le changement,

La différence enfin qui pouvait être

Entre l’époux et son associé,

Avant qu’il pût aucun change paraître,

Au dieu d’Amour il fut sacrifié.

L’heureux ami n’eut pas toute la joie

Qu’il aurait eue en connaissant sa proie.

La dame avait un peu plus de beauté ;

Outre qu’il faut compter la qualité.

À peine fut cette scène achevée,

Que l’autre acteur par la prompte arrivée

Jeta la dame en quelque étonnement ;

Car comme époux, comme Clidamant même,

Il ne montrait toujours si fréquemment

De cette ardeur l’emportement extrême.

On imputa cet excès de fureur

À la soubrette, et la dame en son cœur

Se proposa d’en dire sa pensée.

La fête étant de la sorte passée,

Du noir séjour ils n’eurent qu’à sortir.

L’associé des frais et du plaisir

S’en court en haut en certainvestibule :

Mais quand l’époux vit sa femme monter,

Et qu’elle eût vu l’ami se présenter,

On peut juger quel soupçon, quel scrupule,

Quelle surprise eurent les pauvres gens.

Ni l’un ni l’autre ils n’avaient eu letemps

De composer leur mine et leur visage.

L’époux vit bien qu’il fallait être sage,

Mais sa moitié pensa tout découvrir.

J’en suis surpris, femmes savent mentir.

La moins habile en connaît la science.

Aucuns ont dit qu’Alix fit conscience

De n’avoir pas mieux gagné sonargent :

Plaignant l’époux, et le dédommageant,

Et voulant bien mettre tout sur soncompte :

Tout cela n’est que pour rendre le conte

Un peu meilleur. J’ai vu les gens mouvoir

Deux questions ; l’une, c’est àsavoir

Si l’époux fut du nombre des confrères

À mon avis n’a point de fondement,

Puisque la dame et l’ami nullement

Ne prétendaient vaquer à ces mystères.

L’autre point est touchant letalion ;

Et l’on demande en cette occasion

Si pour user d’une juste vengeance,

Prétendre erreur et cause d’ignorance

À cette dame aurait été permis.

Bien que ce soit assez là mon avis,

La dame fut toujours inconsolable,

Dieu gard de mal celles qu’en cassemblable

Il ne faudrait nullement consoler.

J’en connais bien qui n’en feraient querire.

De celles-là je n’ose plus parler,

Et je ne vois rien des autres à dire.

 

 

 

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