Contes et Nouvelles en vers – Livre II

LIVRE CINQUIÈME

La Clochette

 

Ô combien l’homme estinconstant, divers,

Faible, léger, tenant mal sa parole !

J’avais juré hautement en mes vers

De renoncer à tout conte frivole.

Et quand juré ? c’est ce qui meconfond,

Depuis deux jours j’ai fait cette promesse

Puis fiez-vous à rimeur qui répond

D’un seul moment. Dieu ne fit la sagesse

Pour les cerveaux qui hantent les neufSœurs ;

Trop bien ont-ils quelque art qui vous peutplaire,

Quelque jargon plein d’assez dedouceurs ;

Mais d’être sûrs, ce n’est là leuraffaire.

 

Si me faut-il trouver, n’enfût-il point,

Tempérament pour accorder ce point,

Et supposé que quant à la matière

J’eusse failli, du moins pourrais-je pas

Le réparer par la forme en tout cas ?

Voyons ceci. Vous saurez que naguère

Dans la Touraine un jeune bachelier,

(Interprétez ce mot à votre guise,

L’usage en fut autrefois familier

Pour dire ceux qui n’ont la barbe grise,

Ores ce sont suppôts de sainte église)

Le nôtre soit sans plus un jouvenceau

Qui dans les près, sur le bord d’unruisseau,

Vous cajolait la jeune bachelette

Aux blanches dents, aux pieds nus, au corpsgent,

Pendant qu’Io portant une clochette,

Aux environs allait l’herbemangeant ;

Notre galant vous lorgne une fillette,

De celles-là que je viensd’exprimer :

Le malheur fut qu’elle était tropjeunette,

Et d’âge encore incapable d’aimer.

Non qu’à treize ans on y soitinhabile ;

Même les lois ont avancé ce temps :

Les lois songeaient aux personnes deville,

Bien que l’amour semble né pour leschamps.

Le bachelier déploya sa science :

Ce fut en vain ; le peu d’expérience,

L’humeur farouche, ou bien l’aversion,

Ou tous les trois, firent que la bergère,

Pour qui l’amour était langue étrangère,

Répondit mal à tant de passion.

 

Que fit l’amant ?croyant tout artifice

Libre en amours, sur le rez de la nuit

Le compagnon détourne une génisse

De ce bétail par la fille conduit ;

Le demeurant, non compté par la belle,

(Jeunesse n’a les soins qui sont requis)

Prit aussitôt le chemin du logis ;

Sa mère étant moins oublieuse qu’elle

Vit qu’il manquait une pièce autroupeau :

Dieu sait la vie ; elle tance Isabeau

Vous la renvoie, et la jeune pucelle

S’en va pleurant, et demande aux échos

Si pas un d’eux ne sait nulle nouvelle

De celle-là dont le drôle à propos

Avait d’abord étoupé la clochette ;

Puis il la prit, et la faisant sonner

Il se fit suivre, et tant que la fillette

Au fond d’un bois se laissa détourner.

Jugez, lecteur, quelle fut sa surprise

Quand elle ouït la voix de son amant.

« Belle, dit-il, toute chose estpermise

Pour se tirer de l’amoureuxtourment. »

À ce discours, la fille toute en transe

Remplit de cris ces lieux peufréquentés ;

Nul n’accourut. Ô belles évitez

Le fond des bois et leur vaste silence.

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