Contes et Nouvelles en vers – Livre II

Le Psautier

 

 

Nonnes souffrez pour ladernière fois

Qu’en ce recueil malgré moi je vous place.

De vos bons tours les contes ne sontfroids.

Leur aventure a ne sais quelle grâce

Qui n’est ailleurs : ils emportent lesvoix.

Encore un donc, et puis c’en seront trois.

Trois ? je faux d’un ; c’en serontau moins quatre

Comptons-les bien. Mazet lecompagnon ;

L’abbesse ayant besoin d’un bon garçon

Pour la guérir d’un mal opiniâtre ;

Ce conte-ci qui n’est le moinsfripon ;

Quant a sœur Jeanne ayant fait un poupon,

Je ne tiens pas qu’il la faille rabattre.

Les voilà tous : quatre c’est compterond.

Vous me direz : « C’est une étrangeaffaire

Que nous ayons tant de part en ceci.

– Que voulez-vous ? je n’y saurais quefaire ;

Ce n’est pas moi qui le souhaite ainsi.

Si vous teniez toujours votre bréviaire,

Vous n’auriez rien à démêler ici.

Mais ce n’est pas votre plus grandsouci. »

Passons donc vite à la présente histoire.

 

Dans un couvent de nonnesfréquentait

Un jouvenceau friand comme on peut croire

De ces oiseaux. Telle pourtant prenait

Goût à le voir, et des yeux le couvait,

Lui souriait, faisait la complaisante,

Et se disait sa très humble servante,

Qui pour cela d’un seul point n’avançait.

Le conte dit que léans il n’était

Vieille ni jeune, à qui le personnage

Ne fit songer quelque chose à part soi.

Soupirs trottaient, bien voyait lepourquoi,

Sans qu’il s’en mît en peine davantage.

Sœur Isabeau seule pour son usage

Eut le galant : elle le méritait

Douce d’humeur, gentille de corsage,

Et n’en étant qu’à son apprentissage,

Belle de plus. Ainsi l’on l’enviait

Pour deux raisons ; son amant, et sescharmes.

Dans ses amours chacune l’épiait :

Nul bien sans mal, nul plaisir sansalarmes.

 

Tant et si bien l’épièrentles sœurs,

Qu’une nuit sombre, et propre à cesdouceurs

Dont on confie aux ombres le mystère,

En sa cellule on ouït certains mots,

Certaine voix, enfin certains propos

Qui n’étaient pas sans doute en sonbréviaire.

« C’est le galant, ce dit-on, il estpris. »

Et de courir ; l’alarme est auxesprits ;

L’essaim frémit, sentinelle se pose.

On va conter en triomphe la chose

À mère abbesse ; et heurtant à grandscoups

On lui cria : « Madamelevez-vous ;

Sœur Isabelle a dans sa chambre unhomme. »

Vous noterez que Madame n’était

En oraison, ni ne prenait son somme :

Trop bien alors dans son lit elle avait

Messire Jean curé du voisinage.

Pour ne donner aux sœurs aucun ombrage,

Elle se lève, en hâte, étourdiment,

Cherche son voile, et malheureusement

Dessous sa main tombe du personnage

Le haut-de-chausse assez bien ressemblant

Pendant la nuit quand on n’est éclairée

À certain voile aux nonnes familier

Nommé pour lors entre elles leur psautier.

La voilà donc de grègues affublée.

Ayant sur soi ce nouveau couvre-chef,

Et s’étant fait raconter derechef

Tout le catus elle dit irritée :

« Voyez un peu la petite effrontée,

Fille du diable, et qui nous gâtera

Notre couvent ; si Dieu plaît nefera :

S’il plaît à Dieu bon ordre s’ymettra :

Vous la verrez tantôt bienchapitrée. »

 

Chapitre donc, puisquechapitre y a,

Fut assemblé. Mère abbesse entourée

De son sénat fit venir Isabeau,

Qui s’arrosait de pleurs tout le visage,

Se souvenant qu’un maudit jouvenceau

Venait d’en faire un différent usage.

« Quoi, dit l’abbesse, un homme dans celieu !

Un tel scandale en la maison deDieu !

N’êtes-vous point morte de honteencore ?

Qui nous a fait recevoir parmi nous

Cette voirie ? Isabeau, savez-vous

(Car désormais qu’ici l’on vous honore

Du nom de sœur, ne le prétendez pas)

Savez-vous dis-je à quoi dans un tel cas

Notre institut condamne uneméchante ?

Vous l’apprendrez devant qu’il soitdemain.

Parlez parlez. » Lors la pauvrenonnain,

Qui jusque-là confuse et repentante

N’osait branler, et la vue abaissoit

Lève les yeux, par bonheur aperçoit

Le haut-de-chausse, à quoi toute la bande

Par un effet d’émotion trop grande,

N’avait pris garde, ainsi qu’on voitsouvent.

Ce fut hasard qu’Isabelle à l’instant

S’en aperçût. Aussitôt la pauvrette

Reprend courage, et dit toutdoucement :

« Votre psautier a ne sais quoi quipend ;

Raccommodez-le. » Or c’étaitl’aiguillette,

Assez souvent pour bouton l’on s’en sert.

D’ailleurs ce voile avait beaucoup del’air

D’un haut-de-chausse : et la jeunenonnette,

Ayant l’idée encore fraîche des deux

Ne s’y méprit : non pas que lemessire

Eût chausse faite ainsi qu’unamoureux :

Mais à peu près ; cela devaitsuffire.

L’abbesse dit : « Elle ose encorerire !

Quelle insolence ! Un péché sihonteux

Ne la rend pas plus humble et plussoumise !

Veut-elle point que l’on lacanonise ?

Laissez mon voile esprit de Lucifer.

Songez songez, petit tison d’enfer,

Comme on pourra raccommoder votreâme. »

Pas ne finit mère abbesse sa gamme

Sans sermonner et tempêter beaucoup.

Sœur Isabeau lui dit encore un Coup

« Raccommodez votre psautier,Madame. »

Tout le troupeau se met à regarder.

Jeunes de rire, et vieilles de gronder.

La voix manquant à notre sermonneuse,

Qui de son troc bien fâchée et honteuse,

N’eut pas le mot à dire en ce moment,

L’essaim fit voir par son bourdonnement,

Combien roulaient de diverses pensées

Dans les esprits. Enfin l’abbessedit :

« Devant qu’on eût tant de voixramassées,

Il serait tard. Que chacune en son lit

S’aille remettre. À demain toutechose. »

 

Le lendemain ne fut tenu,pour cause,

Aucun chapitre ; et le jour ensuivant

Tout aussi peu. Les sages du couvent

Furent d’avis que l’on se devait taire

Car trop d’éclat eût pu nuire au troupeau.

On n’en voulait à la pauvre Isabeau

Que par envie. Ainsi n’ayant pu faire

Qu’elle lâchât aux autres le morceau,

Chaque nonnain, faute de jouvenceau,

Songe à pourvoir d’ailleurs à son affaire.

Les vieux amis reviennent de plus beau.

Par préciput à notre belle on laisse

Le jeune fils ; le pasteur àl’abbesse ;

Et l’union alla jusques au point

Qu’on en prêtait à qui n’en avait point.

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