Contes et Nouvelles en vers – Livre II

Le Roi Candaule et le Maître endroit

 

 

Force gens ont étél’instrument de leur mal ;

Candaule en est un témoignage.

Ce roi fut en sottise un très grandpersonnage.

Il fit pour Gygès son vassal

Une galanterie imprudente et peu sage.

« Vous voyez, lui dit-il, le visagecharmant,

Et les traits délicats dont la reine estpourvue

Je vous jure ma foi que l’accompagnement

Est d’un tout autre prix et passeinfiniment ;

Ce n’est rien qui ne l’a vue

Toute nue.

Je vous la veux montrer sans qu’elle en sacherien ;

Car j’en sais un très bon moyen :

Mais à condition, vous m’entendez fortbien,

Sans que j’en dise davantage

Gygès, il vous faut être sage :

Point de ridicule désir :

Je ne prendrais pas de plaisir

Aux vœux impertinents qu’une amour sotte etvaine

Vous ferait faire pour la reine.

Proposez-vous de voir tout ce corps sicharmant,

Comme un beau marbre seulement.

Je veux que vous disiez que l’art, que lapensée,

Que même le souhait ne peut aller plusloin.

Dedans le bain je l’ai laissée :

Vous êtes connaisseur, venez être témoin

De ma félicite suprême. »

Ils vont. Gygès admire. Admirer ; c’esttrop peu.

Son étonnement est extrême.

Ce doux objet joua son jeu.

Gygès en fut ému, quelque effort qu’il pûtfaire.

Il aurait voulu se taire,

Et ne point témoigner ce qu’il avaitsenti :

Mais son silence eût fait soupçonner dumystère.

L’exagération fut le meilleur parti.

Il s’en tint donc pour averti ;

Et sans faire le fin, le froid, ni lemodeste,

Chaque point, chaque article eut son fait, futloué.

« Dieux, disait-il au roi, quellefélicité !

Le beau corps ! le beau cuir ! ÔCiel ! et tout le reste ! »

De ce gaillard entretien

La reine n’entendit rien ;

Elle l’eût pris pour outrage :

Car en ce siècle ignorant

Le beau sexe était sauvage ;

Il ne l’est plus maintenant ;

Et des louanges pareilles

De nos dames d’à présent

N’écorchent point les oreilles.

Notre examinateur soupirait dans sa peau.

L’émotion croissait, tant tout lui semblaitbeau.

Le prince s’en doutant l’emmena ; maisson âme

Emporta cent traits de flamme.

Chaque endroit lança le sien.

Hélas, fuir n’y sert de rien :

Tourments d’amour font si bien

Qu’ils sont toujours de la suite.

 

Près du prince Gygès eutassez de conduite

Mais de sa passion la reines’aperçut :

Elle sut

L’origine du mal ; le roi prétendantrire

S’avisa de tout lui dire.

Ignorant ! savait-il point

Qu’une reine sur ce point

N’ose entendre raillerie ?

Et suppose qu’en son cœur

Cela lui plaise, elle rie,

Il lui faut pour son honneur

Contrefaire la furie.

Celle-ci fut vraiment,

Et réserva dans soi-même,

De quelque vengeance extrême

Le désir très véhément.

Je voudrais pour un moment,

Lecteur, que tu fusses femme :

Tu ne saurais autrement

Concevoir jusqu’où la dame

Porta son secret dépit.

Un mortel eut le crédit

De voir de si belles choses,

À tous mortels lettres closes !

Tels dons étaient pour des dieux,

Pour des rois, voulais-je dire ;

L’un et l’autre y vient de cire,

Je ne sais quel est le mieux.

Ces pensers incitaient la reine à lavengeance.

Honte, dépit, courroux, son cœur employatout.

Amour même, dit-on, fut del’intelligence :

De quoi ne vient-il point à bout ?

Gygès était bien fait ; on l’excusa sanspeine :

Sur le montreur d’appas tomba toute lahaine.

Il était mari ; c’est son mal ;

Et les gens de ce caractère

Ne sauraient en aucune affaire

Commettre de pêché qui ne soit capital.

Qu’est-il besoin d’user d’un plus ampleprologue ?

Voilà le roi haï, voilà Gygès aimé,

Voilà tout fait, et tout formé

Un époux du grand catalogue ;

Dignité peu briguée, et qui fleuritpourtant.

La sottise du prince était d’un telmérite,

Qu’il fut fait in petto confrère deVulcan ;

De là jusqu’au bonnet la distance estpetite.

Cela n’était que bien ; mais la Parquemaudite

Fut aussi de l’intrigue ; et sans perdrede temps

Le pauvre roi par nos amants

Fut député vers le Cocyte.

On le fit trop boire d’un coup :

Quelquefois, hélas ! c’est beaucoup.

Bientôt un certain breuvage

Lui fit voir le noir rivage,

Tandis qu’aux yeux de Gygès

S’étalaient de blancs objets :

Car fût-ce amour, fût-ce rage,

Bientôt la reine le mit

Sur le trône et dans son lit.

Mon dessein n’était pas d’étendre cettehistoire :

On la savait assez ; mais je me sais bongré ;

Car l’exemple a très bien cadré :

Mon texte y va tout droit : même j’aipeine à croire

Que le docteur en lois dont je vaisdiscourir

Puisse mieux que Candaule à mon butconcourir.

 

Rome pour ce coup-ci mefournira la scène :

Rome, non celle-là que les mœurs du vieuxtemps

Rendaient triste, sévère, incommode auxgalants,

Et de sottes femelles pleine ;

Mais Rome d’aujourd’hui, séjour charmant etbeau,

Où l’on suit un train plus nouveau.

Le plaisir est la seule affaire

Dont se piquent ses habitants.

Qui n’aurait que vingt ou trente ans,

Ce serait un voyage à faire.

Rome donc eut naguère un maître dans cetart

Qui du tien et du mien tire sonorigine ;

Homme qui hors de là faisait legoguenard ;

Tout passait par son étamine :

Aux dépens du tiers et du quart

Il se divertissait. Avint que le légiste,

Parmi ses écoliers dont il avait toujours

Longue liste,

Eut un Français moins propre à faire en droitun cours

Qu’en amours.

Le docteur un beau jour le voyant sombre ettriste,

Lui dit : « Notre féal, vous voilàde relais ;

Car vous avez la mine, étant hors del’école,

De ne lire jamais

Bartole.

Que ne vous poussez-vous ? un Françaisêtre ainsi

Sans intrigue et sans amourettes !

Vous avez des talents, nous avons descoquettes,

Non pas pour une Dieu merci. »

L’étudiant reprit : « Je suisnouveau dans Rome.

Et puis, hors les beautés qui font plaisir auxgens

Pour la somme

Je ne vois pas que les galants

Trouvent ici beaucoup à faire.

Toute maison est monastère :

Double porte, verrous, une matrone austère

Un mari, des Argus. Qu’irais-je à votreavis

Chercher en de pareils logis ?

Prendre la lune aux dents serait moinsdifficile.

« Ha ! ha ! la lune aux dents,repartit le docteur

Vous nous faites beaucoup d’honneur.

J’ai pitié des gens neufs comme vous ;notre ville

Ne vous est pas connue en tant que je puisvoir.

Vous croyez donc qu’il faille avoir

Beaucoup de peine à Rome en fait qued’aventures ?

Sachez que nous avons ici des créatures,

Qui ferons leurs maris cocus

Sur la moustache des Argus.

La chose est chez nous très commune :

Témoignez seulement que vous cherchezfortune

Placez-vous dans l’église auprès dubénitier.

Présentez sur le doigt aux dames l’eausacrée.

C’est d’amourettes les prier.

Si l’air du suppliant à quelque dameagrée,

Celle-là sachant son métier,

Vous envoyra faire un message.

Vous serez déterré, logeassiez-vous enlieu

Qui ne fût connu que de Dieu.

Une vieille viendra, qui faite au badinage

Vous saura ménager un secret entretien.

Ne vous embarrassez de rien.

De rien ? c’est un peu trop ;j’excepte quelque chose :

II est bon de vous dire en passant, notreami,

Qu’à Rome il faut agir en galant et demi.

En France on peut conter des fleurettes, l’oncause ;

Ici tous les moments sont chers etprécieux.

Romaines vont au but. » L’autrereprit : « Tant mieux.

Sans être gascon, je puis dire

Que je suis un merveilleux sire. »

Peut-être ne l’était-il point ;

Tout homme est gascon sur ce point.

 

Les avis du docteur furentbons ; le jeune homme ;

Se campe en une église où venait tous lesjours

La fleur et l’élite de Rome,

Des Grâces, des Vénus, avec un grandconcours

D’Amours,

C’est-à-dire en chrétien beaucoup d’angesfemelles.

Sous leurs voiles brillaient des yeux pleinsd’étincelles.

Bénitiers, le lieu saint n’était pas sanscela.

Notre homme en choisit un chanceux pour cepoint

À chaque objet qui passe adoucit sesprunelles.

Révérences, le drôle en faisait des plusbelles,

Des plus dévotes : cependant

II offrait l’eau lustrale. Un ange entre lesautres

En prit de bonne grâce : alorsl’étudiant

Dit en son cœur : « Elle est desnôtres. »

II retourne au logis ; vieillevient ; rendez-vous.

D’en conter le détail, vous vous en douteztous.

II s’y fit nombre de folies ;

La dame était des plus jolies,

Le passe-temps fut des plus doux.

Il le conte au docteur. Discrétionfrançoise

Est chose outre nature, et d’un trop grandeffort.

Dissimuler un tel transport ;

Cela sent son humeur bourgeoise.

Du fruit de ses conseils le docteurs’applaudit,

Rit en jurisconsulte, et des maris seraille.

Pauvres gens, qui n’ont pas l’esprit

De garder du loup leur ouaille !

Un berger en a cent ; des hommes nesauront

Garder la seule qu’ils auront !

Bien lui semblait ce soin chose un peumalaisée

Mais non pas impossible ; et sans qu’ileût cent yeux

Il défiait grâces aux Cieux

Sa femme encor que très rusée.

 

À ces discours, amilecteur,

Vous ne croiriez jamais sans avoir quelquehonte

Que l’héroïne de ce conte

Fût propre femme du docteur.

Elle l’était pourtant. Le pis fut que monhomme,

En s’informant de tout, et des si et desças,

Et comme elle était faite, et quels secretsappas,

Vit que c’était sa femme en somme.

Un seul point l’arrêtait ; c’étaitcertain talent

Qu’avait en sa moitié trouve l’étudiant,

Et que pour le mari n’avait pas ladonzelle.

« À ce signe ce n’est pas elle

Disait en soi le pauvre époux

Mais les autres points y sont tous ;

C’est elle. Mais ma femme au logis estrêveuse

Et celle-ci paraît causeuse

Et d’un agréable entretien :

Assurément c’en est une autre.

Mais du reste il n’y manque rien

Taille, visage, traits, même poil ; c’estla nôtre. »

 

Après avoir bien dit toutbas

« Ce l’est », et puis « ce nel’est pas, »

Force fut qu’au premier en demeurât lesire.

Je laisse à penser son courroux,

Sa fureur afin de mieux dire.

« Vous vous êtes donnés un secondrendez-vous ? »

Poursuivit-il. « Oui ; reprit notreapôtre,

Elle et moi n’avons eu garde de l’oublier,

Nous trouvant trop bien du premier,

Pour n’en pas ménager un autre ;

Très résolus tous deux de ne nous riendevoir.

– La résolution, dit le docteur, estbelle.

Je saurais volontiers quelle est cettedonzelle. »

L’écolier repartit : « Je ne l’ai pusavoir.

Mais qu’importe ? il suffit que je soiscontent d’elle

Dès à présent je vous réponds

Que l’époux de la dame à toutes ses façons

Si quelqu’une manquait, nous la luidonnerons

Demain en tel endroit, à telle heure, sansfaute.

On doit m’attendre entre deux draps,

Champ de bataille propre à de pareilscombats.

Le rendez-vous n’est point dans une chambrehaute.

Le logis est propre et paré.

On m’a fait à l’abord traverser un passage

Où jamais le jour n’est entré ;

Mais aussitôt après la vieille du message

M’a conduit en des lieux où loge en bonnefoi

Tout ce qu’Amour a de délices ;

On peut s’en rapporter à moi. »

À ce discours jugez quels étaient lessupplices

Qu’endurait le docteur. II forme ledessein

De s’en aller le lendemain

Au lieu de l’écolier ; et sous cepersonnage

Convaincre sa moitié, lui faire unvasselage

Dont il fût à jamais parlé.

N’en déplaise au nouveau confrère,

Il n’était pas bien conseillé :

Mieux valait pour le coup se taire :

Sauf d’apporter en temps et lieu

Remède au cas, moyennant Dieu.

Quand les épouses font un récipiendaire

Au benoît état de cocu,

S’il en peut sortir franc, c’est à luibeaucoup faire ;

Mais quand il est déjà reçu,

Une façon de plus ne fait rien àl’affaire.

Le docteur raisonna d’autre sorte, et fittant

Qu’il ne fit rien qui vaille. Il crut qu’enprévenant

Son parrain en cocuage,

Il ferait tour d’homme sage :

Son parrain, cela s’entend,

Pourvu que sous ce galant

Il eût fait apprentissage ;

Chose dont à bon droit le lecteur peutdouter.

 

Quoi qu’il en soit, l’épouxne manque pas d’aller

Au logis de l’aventure,

Croyant que l’allée obscure,

Son silence, et le soin de se cacher lenez,

Sans qu’il fût reconnu le feraientintroduire

En ces lieux si fortunés :

Mais par malheur la vieille avait pour seconduire

Une lanterne sourde ; et plus fine centfois

Que le plus fin docteur en lois,

Elle reconnut l’homme, et sans êtresurprise

Elle lui dit : « Attendez là

Je vais trouver Madame Élise

II la faut avertir ; je n’ose sanscela

Vous mener dans sa chambre : et puis vousdevez être

En autre habit pour l’aller voir :

C’est-à-dire en un mot qu’il n’en faut pointavoir

Madame attend au lit. » À ces mots notremaître

Poussé dans quelque bouge y voit d’abordparaître

Tout un déshabillé ; des mules, unpeignoir

Bonnet, robe de chambre, avec chemised’homme

Parfums sur la toilette, et des meilleurs deRome :

Le tout propre, arrangé, de même qu’on eûtfait

Si l’on eût attendu le Cardinal préfet.

 

Le docteur sedépouille ; et cette gouvernante

Revient, et par la main le conduit en deslieux

Où notre homme privé de l’usage des yeux

Va d’une façon chancelante

Après ces détours ténébreux,

La vieille ouvre une porte, et vous pousse lesire

En un fort mal plaisant endroit,

Quoique ce fut son propre empire ;

C’était en l’école de droit.

« En l’école de droit ? » Làmême ; le pauvre homme

Honteux, surpris, confus, non sans quelqueraison,

Pensa tomber en pâmoison.

Le conte en courut par tout Rome.

Les écoliers alors attendaient leurrégent.

Cela seul acheva sa mauvaise fortune.

Grand éclat de risée, et grandchuchillement,

Universel étonnement.

« Est-il fou ? qu’est-ce là ?vient-il de voir quelqu’une ? »

Ce ne fut pas le tout ; sa femme seplaignit.

Procès. La parente se joint en cause, etdit :

Que du docteur venait tout le mauvaisménage ;

Que cet homme était fou, que sa femme étaitsage.

On fit casser le mariage ;

Et puis la dame se rendit

Belle et bonne religieuse

À Saint-Croissant en Vavoureuse.

Un prélat lui donna l’habit.

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