Contes et Nouvelles – Tome I

MALACHA ET AKOULINA

[Note – Récits populaires. 1885.]

 

Cette année-là, la semaine sainte arriva plustôt que de coutume. On voyageait encore en traîneau, les coursencore étaient blanches de neige, et les ruisseaux débordéscouraient dans la campagne. Le jour de la fête, sur le bord d’unegrande mare qui s’était formée dans une ruelle, entre deux cours,deux fillettes de deux maisons différentes se rencontrèrent, l’unepetite, l’autre un peu plus âgée. Toutes deux avaient un foulardnoué sur la tête, toutes deux avaient une robe neuve ; cellede la plus jeune était bleue, celle de la grande, jaune avec desdessins.

En arrivant sur le bord de la mare, elles semontrèrent leurs beaux habits et se mirent à jouer.

– Nous allons nous amuser à faire jaillirl’eau, dirent-elles.

Et déjà la plus petite se préparait à entrerdans la mare avec ses bottines, quand la grande lui cria :

– Ta mère te grondera, Malacha, si tuentres dans l’eau avec tes bottines. Fais comme moi,déchausse-toi.

Les deux fillettes ayant ôté leurs bottines etrelevé le bas de leurs robes, marchèrent dans la mare de manière àse rencontrer au milieu.

Quand Malacha se sentit dans l’eau jusqu’à lacheville, elle dit :

– Comme c’est profond, Akoulina, j’aipeur.

– Ne t’inquiète pas, répondit l’autre.Nulle part il n’y aura de l’eau davantage. Viens tout droit versmoi.

Comme elles arrivaient l’une près del’autre :

– Fais attention, Malacha, dit Akoulina.Tu vas m’éclabousser. Marche plus doucement.

Mais à peine finissait-elle de parler queMalacha, d’un brusque mouvement de son pied, éclaboussait la robed’Akoulina.

L’eau jaillit si haut, que la robe d’Akoulinafut toute mouillée, et qu’elle en eut des gouttes sur le nez etdans les yeux. La vue de sa robe tachée l’exaspéra ; elles’emporta contre Malacha, l’injuria et la poursuivit pour labattre.

Effrayée, et confuse de sa sottise, Malachas’élança hors de la mare et courut vers sa maison.

Survint la mère d’Akoulina. En apercevant larobe et le corsage de sa fille tout salis, elle luidemanda :

– Comment as-tu fait pour te salir ainsi,vilaine ?

– C’est Malacha qui m’a éclabousséeexprès.

La mère d’Akoulina atteignit Malacha et labattit. L’enfant se mit à crier. Ses cris attirèrent sa mère quiaccourut vivement.

– Pourquoi frappes-tu ma fille ?dit-elle à sa voisine en l’injuriant.

De fil en aiguille, la dispute s’aggrava sibien, que les deux femmes étaient sur le point de se prendre auxcheveux. Les paysans quittaient leurs maisons, la foule se pressaitaux abords de la mare. C’était à qui crierait le plus fort ;tout le monde parlait, personne n’écoutait. Les injures pleuvaient,les coups allaient suivre, lorsque survint une vieille femme, lagrand-mère d’Akoulina. Elle voulut parler raison aux paysanssurexcités.

– Mes amis, que faites-vous donc ?leur dit-elle. Et dans un jour de fête comme celui-ci,encore ! Il faut vous réjouir, et non pas vousbattre !

Mais les sages paroles de la vieillegrand-mère n’étaient guère écoutées des paysans, qui faillirentmême la renverser en se bousculant. Et ils en seraient venus auxmains sans Akoulina et Malacha.

Tandis que les deux voisines échangeaient desinjures, Akoulina avait essuyé sa robe, et regagné la mare. Là,s’armant d’un petit caillou, elle s’était mise à creuser la terrepour ouvrir une issue et faire aller l’eau de la mare dans la rue.De son côté, Malacha s’était approchée aussi, et, prenant un bâton,aidait Akoulina à creuser une rigole.

Comme les paysans s’assenaient déjà deshorions, l’eau s’échappa de la mare dans la rue, emplit la rigoleet arriva à l’endroit même où la vieille grand-mère s’efforçait des’interposer entre les combattantes. De chaque côté de la rigoleles fillettes couraient en riant.

– L’eau nous dépasse, Malacha,rejoignons-la !

Malacha voulait répondre à Akoulina, mais sajoie était telle, qu’elle ne put parler. Toutes deux redoublèrentde vitesse, et toujours courant, toujours riant des plongeons quefaisait le bâton dans le ruisselet, elles arrivèrent au milieu dugroupe des paysans.

Et la vieille grand-mère aperçut les enfantset les montra aux paysans, disant :

– Vous, paysans, vous ne craignez pasDieu ! Vous vous battez à cause de ces fillettes, et elles,regardez, elles ont oublié le sujet de la querelle, et se sontremises à s’amuser ensemble de bon accord. Elles ont plus de raisonque vous.

Les paysans tournèrent la tête vers les deuxfillettes, et eurent honte d’eux-mêmes. Et s’étant moqués les unsdes autres, ils retournèrent chacun dans leur maison.

« Si vous n’êtes pas comme des enfants,le royaume des cieux vous sera fermé. »

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